Intervention de Olivier Serva

Réunion du jeudi 15 juillet 2021 à 14h00
Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Serva, rapporteur :

Je vous remercie chaleureusement, madame la présidente, d'avoir créé cette commission d'enquête sur le droit de tirage de votre groupe. J'avais moi-même exprimé des préoccupations à ce sujet, et je suis ravi que mon groupe, La République en marche, m'ait désigné rapporteur. J'ai travaillé avec vous en bonne intelligence, non seulement du point de vue politique, mais aussi parce que nous avons une approche commune de l'intérêt général. Qui plus est, nos relations de travail ont été tout à fait cordiales, sinon harmonieuses. Je remercie les membres de votre équipe, notamment Mmes Lorraine Champagne de Labriolle et Lynda-May Azibi.

Je remercie également tous les membres de la commission d'enquête, dont j'ai apprécié l'implication au fil de nos séances hebdomadaires. Mes remerciements s'adressent aussi à l'équipe du secrétariat de la commission d'enquête, avec qui j'ai travaillé étroitement et qui nous a assistés pendant nos longues heures d'audition. Je remercie enfin mes collaboratrices, Oxann Sahai, Elyssa Laurent et Keiza Nubret Grand-Bonheur, qui ont été elles aussi pleinement mobilisées.

Je vais maintenant vous présenter mes conclusions, dont vous avez pu prendre connaissance en lisant le projet de rapport.

Le sujet de notre étude était vaste : existe-t-il, en France, des cas emblématiques de financiarisation, de prédation, de corruption et de mauvaise gestion de l'eau par les opérateurs privés ? Quel est le rôle de l'État et des autorités organisatrices des services d'eau potable et d'assainissement ? Quelles en sont les conséquences ?

Vous l'avez dit, madame la présidente, la commission d'enquête a effectué quatre-vingt-une auditions et deux déplacements sur le terrain. Elle a ainsi consacré plus d'une centaine d'heures à l'écoute de toutes les parties prenantes : associations, universitaires, élus et anciens élus, responsables des entreprises concernées, ministres chargés du dossier de l'eau – soit, au total, 245 personnes.

Dans le cadre des pouvoirs d'investigation sur pièces et sur place dont je disposais en ma qualité de rapporteur, j'ai adressé six demandes de communication de documents, relatifs notamment à la gestion des DSP en Guadeloupe.

Nous avons examiné de manière approfondie plusieurs cas emblématiques, dont la gestion de la ressource en eau du bassin de Volvic, la gestion assurée par le Sedif, la situation de l'eau à Mayotte et à La Réunion.

La commission d'enquête a recueilli des témoignages d'élus ou d'anciens élus, rapportant des faits parfois graves de corruption, de détournement de fonds publics ou de pressions exercées sur des élus, mais sans que les auteurs soient en mesure d'apporter des éléments confirmant leurs déclarations.

En tout cas, notre commission a été confrontée à des cas de mauvaise gestion, notamment en Guadeloupe. Face à des entreprises privées, certains élus ne se sont pas donné les moyens nécessaires pour s'assurer que leur cocontractant fournissait les prestations demandées avec la rigueur et la qualité requises. Face à la dégradation d'un service public essentiel, les représentants de l'État n'ont pas pris de mesures pour garantir l'accès à l'eau et l'assainissement pour tous.

Le simple fait qu'un opérateur privé se voie confier la gestion de l'eau potable ou de l'assainissement ou qu'une entreprise opère des prélèvements sur la ressource en eau pour l'embouteiller et la mettre sur le marché n'est pas en soi constitutif de prédation ou de financiarisation de cette ressource. Cependant, la puissance publique – autorités communales et intercommunales, État – ne peut se désintéresser de ces activités privées et les laisser prospérer sans exercer un contrôle fin et constant. Selon moi, les intérêts privés peuvent entrer en collision avec les objectifs d'une gestion collective de la ressource et de la distribution de l'eau, si l'État ne garantit pas une régulation équitable et transparente.

La loi pose plusieurs grands principes qui déterminent les droits et devoirs relatifs à l'utilisation de l'eau. Ainsi, faut-il le rappeler, « l'eau fait partie du patrimoine commun de la nation ». Toutefois, cette notion est marquée par une certaine ambivalence.

Aussi convient-il de repenser le rôle de la puissance publique en matière de régulation des activités privées dans le domaine de l'eau, en définissant l'eau, par la loi, comme un bien commun, un bien à gérer en commun, une ressource qui doit être utilisée de manière responsable. Ensuite, il faut examiner la manière dont la gestion de la distribution de l'eau potable et de l'assainissement par des acteurs privés pourrait être améliorée pour éviter que des entreprises en situation d'oligopole ne tirent des profits injustifiés de leurs missions de service public.

Après avoir étudié la situation dans quatre départements et régions d'outre-mer, je constate que la protection de la ressource et l'accès à l'eau ne sont pas garantis, du fait des moyens insuffisants des collectivités organisatrices et d'une vigilance insuffisante de l'État, trop longtemps tolérant face au rôle excessif des délégataires et aux dysfonctionnements de ces services publics, ainsi qu'à l'égard des dirigeants de l'époque.

Mon projet de rapport contient soixante-seize propositions, visant notamment trois objectifs : refonder la gestion de la ressource en eau et du grand cycle de l'eau autour de la qualification juridique de l'eau comme bien commun ; renforcer les moyens de contrôle de la puissance publique sur les acteurs privés chargés de la gestion du service public de l'eau et de l'assainissement ; rétablir le système d'eau et d'assainissement en Guadeloupe, en restaurant la confiance des habitants et en soldant les errements passés dans le cadre de la mise en place du syndicat mixte ouvert unique prévu par la loi du 29 avril 2021.

Mme la présidente vient de rappeler l'importance première de la ressource en eau et les menaces qui pèsent sur elle du fait de l'activité anthropique. Je pense que nous partageons tous ces constats. Il est vain d'espérer que des nouvelles technologies nous dispenserons de chercher avec application et constance à nous inscrire de manière durable dans notre environnement.

Pour améliorer la gestion de la ressource en eau, le premier des combats à mener est celui de la compréhension précise du fonctionnement de cette ressource et des conséquences de nos activités. Je recommande donc que des modèles prédictifs soient établis partout où c'est nécessaire et que le réseau de piézomètres soit densifié, en amont et en aval des points de captage. Le manque de certitudes scientifiques ne doit cependant pas servir de paravent à d'éventuels accaparements de la ressource. Ainsi, le cas du bassin de Volvic, marqué en particulier par une exploitation de la ressource en eau par la société minéralière du groupe Danone, invite à réaffirmer le besoin d'appropriation du principe de précaution afin de concilier les différents usages humains et environnementaux de la ressource.

Par ailleurs, le régime juridique qui encadre l'utilisation de la ressource en eau ne semble pas apporter toutes les garanties nécessaires à sa protection. Pour réorganiser la protection de la ressource, il me semble indispensable de graver dans notre droit que l'eau est un bien commun, dont seul l'usage est possible. Autrement dit, la production et la consommation de l'eau ne pourraient pas être divisées entre les individus, ni faire l'objet d'une appropriation individuelle. La notion de bien commun pourrait faire l'objet d'une reconnaissance constitutionnelle. Surtout, la loi pourrait établir une hiérarchie plus claire entre les différents usages de l'eau.

Au-delà du cadre juridique, la commission d'enquête s'est interrogée sur l'action effective menée par l'État pour protéger la ressource en eau. Or, malgré les efforts engagés, les contrôles effectués au titre de la police de l'eau et la réponse judiciaire ne sont pas encore à la hauteur de l'enjeu. Je recommande donc d'accroître les moyens de la justice environnementale, en spécialisant la formation des magistrats et en raffermissant la politique pénale.

L'insuffisance des contrôles soulève la question des moyens dont dispose l'État pour protéger la ressource en eau. En effet, ceux-ci ne semblent pas en cohérence avec les ambitions affichées. Du point de vue budgétaire, le plafond de redevance, dit « plafond mordant », et sa dynamique baissière sont à l'origine d'une diminution des moyens des agences de l'eau. Il conviendrait de relever ce plafond, dont le niveau actuel n'apparaît pas soutenable au vu des missions des agences de l'eau.

Plus encore peut-être que les moyens budgétaires, les moyens humains font défaut. Depuis une dizaine d'années, la baisse des effectifs s'établit à environ 2 % par an, avec des pics de suppressions d'emplois s'élevant à 25 % dans certaines agences de l'eau. Je recommande d'amorcer une trajectoire de remontée des effectifs des opérateurs et des services déconcentrés chargés de la police de l'eau, en fixant comme cible minimale la récupération des emplois supprimés depuis dix ans.

J'en viens à la démocratie locale de l'eau, modèle participatif dont la France peut être fière. Il conviendrait d'accroître le nombre de sièges dévolus aux associations environnementales et aux associations d'usagers au sein des comités de bassin et des commissions locales de l'eau (CLE). Cela permettrait d'adapter la composition de ces « parlements de l'eau » à la perspective de raréfaction de la ressource en eau, qui appelle à renforcer la défense de l'environnement et la priorité accordée à l'eau potable s'agissant des usages.

Autre cas emblématique d'accaparement allégué de la ressource en eau, le secteur de Vittel est caractérisé par une surexploitation de la nappe des grès du Trias inférieur, en raison de spécificités géologiques et de prélèvements industriels importants, notamment par la société Nestlé Waters. Se fondant sur une bonne connaissance de cet aquifère, les acteurs locaux ont finalement abouti à un projet de SAGE. Ce schéma trace une trajectoire qui devrait permettre la conciliation du développement du territoire et la préservation de la ressource. Toutefois, il faut insister sur la priorité qui doit être accordée à la réalisation d'une étude du fonctionnement global de l'hydrosystème du bassin de Vittel, en particulier des relations entre les différents aquifères et les milieux de surface. C'est la condition sine qua non de la réussite du SAGE.

Un enjeu majeur réside également dans le système d'imposition de l'eau et de financement de la protection de cette ressource. Ce dispositif de financement repose sur les principes vertueux de « l'eau paie l'eau » et du « pollueur-payeur ». Cependant, la réalité appelle à réaffirmer ces principes, afin de leur donner leur pleine effectivité.

En effet, le principe « l'eau paie l'eau » est battu en brèche par le fait que le financement du petit cycle de l'eau, comme de la biodiversité, repose essentiellement sur l'usage domestique de l'eau. La préservation de la biodiversité se doit d'être plus largement financée par le contribuable et moins par l'usager domestique. Cela devrait tout d'abord passer par une baisse des transferts opérés par les agences de l'eau au profit de l'Office français de la biodiversité (OFB), baisse compensée par un financement à due concurrence provenant du budget général de l'État.

S'agissant du principe « pollueur-payeur », les redevances liées aux atteintes à la ressource ne sont pas suffisantes ni équitablement réparties. Les redevances pour pollution portent de manière démesurée sur les usages domestiques et les taux de la redevance pour prélèvement sur la ressource en eau sont trop faibles pour que celle-ci soit incitative et lève des sommes intéressantes. Je propose donc de rééquilibrer le système des redevances pour pollution entre les différents types de pollutions – domestiques, industrielles et agricoles – en accroissant le taux de la redevance pour pollution diffuse et en élargissant l'assiette à d'autres produits polluants. Parallèlement, je suggère d'accroître les taux des redevances pour prélèvements sur la ressource en eau pour les usages lucratifs.

Dernier enjeu lié au grand cycle de l'eau que la commission d'enquête a tenu à aborder, l'hydroélectricité fait elle aussi l'objet de menaces liées à l'implication d'acteurs privés. Il s'agit d'un enjeu crucial, s'agissant d'un secteur essentiel pour la souveraineté énergétique et la transition écologique de la France, au vu de son poids dans le mix électrique français et de son importance pour l'environnement et les autres usages de l'eau. Concernant la grande hydroélectricité, nous soutenons la volonté des acteurs français d'éviter la mise en concurrence de l'octroi des concessions hydroélectriques à l'occasion de leur renouvellement. J'appelle donc à assurer la pérennité des concessions hydroélectriques existantes sans recours à une mise en concurrence. S'agissant de la petite hydroélectricité, il s'agit d'utiliser les structures existantes afin de ne pas pénaliser l'environnement.

Dans la seconde partie du rapport, nous nous sommes intéressés à la gestion de la distribution de l'eau potable et de l'assainissement par les acteurs privés.

Plusieurs questions ont été posées concernant les modes de gestion publics ou privés de l'eau, leur impact sur le prix et la qualité des services, sur l'entretien des réseaux, sur les processus de passation des délégations et de contrôle des délégataires. Sur tous ces sujets, il nous est apparu que des marges d'amélioration substantielles existent.

Il convient d'abord de rappeler que les services gérés par des opérateurs privés ne représentent plus que 31 % des services d'eau potable, même s'ils concernent encore 60 % de la population. Il y a vingt ans, 80 % de la population tirait son eau de services gérés en DSP. Le recul est donc bien réel. Cela peut s'expliquer par le fait que les DSP peuvent poser des problèmes de gestion. Par exemple, le contrat fait la loi entre les parties pendant de nombreuses années sans possibilité d'action pour les tiers. Par ailleurs, les responsabilités quant à l'entretien et au renouvellement des équipements ne sont pas toujours bien définies entre le délégant et le délégataire. On remarque aussi que les coûts de gestion des délégataires sont parfois opaques et que les collectivités ne disposent souvent pas des compétences suffisantes en matière de gestion et de contrôle.

À l'inverse, l'exploitation en régie permet une gestion évolutive du prix de l'eau, un contrôle plus étroit des coûts et des investissements, une meilleure connaissance directe de l'état du réseau, une cogestion plus facile avec les citoyens et une gestion plus sobre en emplois, en l'absence de coûts de publicité ou de dépenses de siège.

Cela expliquerait notamment, en partie, la différence observée de 6 % entre le prix des services gérés en régie et ceux exploités en DSP. Cependant, la commission d'enquête note que le prix du service de l'eau a augmenté en moyenne deux fois plus vite que l'inflation générale au cours de la dernière décennie.

Une autre difficulté relative aux DSP concerne les conditions de leur passation. La directive du 26 février 2014 relative aux concessions de services publics exclut toujours de son champ d'application les services publics d'eau et d'assainissement. Par conséquent, le choix des délégataires et le déroulement des procédures sont moins encadrés que pour les marchés publics. Nous proposons d'inclure les services de l'eau dans la directive européenne relative aux concessions de services publics.

Enfin, des marges de manœuvre existent pour améliorer le contrôle des délégataires. Il convient en particulier de renforcer le rôle des commissions consultatives des services publics locaux (CCSPL). Ces dernières ne disposent pas à l'heure actuelle d'un véritable rôle d'impulsion, de proposition ou de contrôle. La vigilance et l'association des citoyens aux procédures de sélection et de contrôle des délégataires sont les meilleurs garde-fous contre les dérives.

Il convient également de renforcer les contrats de délégation de services publics en prévoyant un certain nombre d'obligations minimales, comme la réalisation d'un audit de fin de contrat ou l'interdiction de toute modification du contrat hors cas de nécessité absolue dans les deux ans précédant son échéance.

Pour accompagner les collectivités, l'État a d'ailleurs un rôle important à jouer. Notre principale recommandation en la matière est de développer une assistance technique, juridique et financière au profit des collectivités sous la forme d'une autorité spécialisée dans ce domaine, comme cela existe pour les partenariats public-privé. Cette instance pourrait fournir des outils comptables, de l'expertise technique, des modèles de clauses contractuelles ou de tableaux de bord. Elle pourrait également prévoir des clauses minimales pour les contrats de délégation et sanctionner les abus.

Sur la question essentielle des réseaux, nous constatons que peu de progrès réels ont été enregistrés depuis les assises de l'eau de 2018. En effet, de manière générale, le rendement des réseaux d'eau n'est que de 80 % sur le territoire hexagonal, ce qui signifie que 20 % de l'eau qui passe par les canalisations est perdue. Atteindre un taux de 100 % est illusoire mais un rendement supérieur à 85 % est considéré comme conforme aux exigences réglementaires. Or, 18 % des services de l'eau ne sont pas en conformité avec cette exigence, notamment dans les services de petite taille. En Guadeloupe, le rendement est de l'ordre de 40 %.

Ainsi, avec une moyenne de 0,53 % du réseau d'eau potable renouvelé chaque année depuis 2010, 190 années seraient nécessaires pour renouveler l'ensemble du réseau, ce qui excède de loin la durée de vie des tuyaux, comprise, au plus, entre 50 et 100 ans.

Lors des assises de l'eau, il avait été acté qu'il manquait au moins 3 ou 4 milliards d'euros d'investissements publics et privés supplémentaires par an, en plus des 6 milliards actuellement investis, pour atteindre la cible minimale de renouvellement de 1 % du réseau chaque année. Nous en sommes encore trop loin, malgré l'effort du plan de relance, qui se traduit par l'affectation de 300 millions d'euros au secteur de l'eau. Nous demandons que les sommes prévues par le plan de relance soient au moins multipliées par cinq pour faire jouer un effet de levier suffisant permettant de déclencher, au moins à court terme, les investissements dont nous avons besoin.

Il conviendrait également d'inclure dans les contrats de DSP des éléments de transparence sur l'état des réseaux. S'agissant des régies, il faudrait aussi permettre aux communes et à leurs groupements d'abonder les budgets des services publics d'eau et d'assainissement lorsque l'objet de cet abondement est de permettre une amélioration du rendement du réseau.

Enfin, nous recommandons de renforcer les moyens et les effectifs des agences de l'eau, à charge pour ces dernières d'augmenter les budgets alloués aux investissements dans les réseaux. Cela implique notamment une réflexion de fond sur le financement de la biodiversité, qui ne doit plus dépendre des agences de l'eau mais bien des crédits ministériels.

Notre commission d'enquête s'est également penchée sur le cas de l'offre publique d'achat (OPA) de Suez par Veolia. Depuis le lancement de l'opération, et jusqu'à ce jour, des interrogations multiples ont émergé. Si les conditions de la concurrence ne devraient pas être affectées à court terme en France, puisque Suez continuera à y réaliser le même chiffre d'affaires, à moyen terme, en revanche, le dynamisme de Suez risque d'être affecté par la perte, au profit de Veolia, de certains marchés extérieurs dynamiques, comme le marché américain.

On a parfois eu du mal à suivre la position de l'État au cours des différentes étapes de l'opération. Le Gouvernement a d'abord mis en avant, dans plusieurs déclarations, l'intérêt du projet, avant que les administrateurs représentant l'État au conseil d'administration d'Engie ne votent contre la vente de ses parts, à la demande du ministre de l'économie et des finances.

L'État n'a pas su s'opposer à la cession des parts de Suez – ce qui, à mes yeux, est la question essentielle – parce qu'il a trop réduit sa participation dans le capital des entreprises concernées, ce qui l'a empêché de conserver une minorité de blocage. Il n'a pas non plus cherché à se doter d'outils tels que des « golden shares », qui permettent de conserver un droit de veto sur l'ensemble du capital d'une société dans certaines circonstances. À l'avenir, il conviendra de veiller à ce que les engagements en matière d'emplois de Veolia, ainsi que ceux du consortium à majorité française qui a repris Suez, soient véritablement respectés.

Enfin, j'en viens à la situation particulière des départements et régions d'outre-mer, où protection de la ressource et accès à l'eau sont insuffisamment garantis.

À Mayotte et à La Réunion, la commission d'enquête a organisé deux tables rondes réunissant les acteurs du monde associatif et les responsables des autorités organisatrices et de l'État.

La situation à Mayotte est la plus grave : la ressource en eau y est limitée, le réseau de distribution d'eau restreint et défaillant, l'assainissement balbutiant. Les plans d'investissement restent souvent inachevés, car l'autorité organisatrice ne dispose pas des capacités pour en assurer la maîtrise d'ouvrage.

À La Réunion, la ressource en eau est abondante, mais les investissements effectués pour organiser un transfert d'eau de l'est vers l'ouest et la qualité de l'eau potable distribuée ne sont pas satisfaisants.

En Martinique, la concentration de la ressource et l'organisation complexe de la distribution conduisent à des pénuries. Il faudrait réfléchir à une gouvernance unifiée de l'eau.

En Guadeloupe, la commission d'enquête a tenu vingt-quatre auditions pour entendre tous les acteurs de l'eau, passés et actuels, et comprendre la crise de l'eau que connaît ce territoire depuis plusieurs années. En outre, le déplacement d'une délégation de la commission d'enquête a été l'occasion de constater sur place les difficultés auxquelles sont confrontés les gestionnaires et les usagers, pour lesquels le droit fondamental d'accès à l'eau n'est pas respecté.

Pour comprendre l'intrication des problèmes auxquels la Guadeloupe est confrontée, je prendrai un seul exemple. La délégation de la commission d'enquête s'est rendue à l'embouchure de la rivière du Galion, au sud de Basse-Terre, accompagnée de représentants de l'association des usagers Eaux de Guadeloupe, pour constater qu'un regard de canalisation d'évacuation débordait en se jetant directement dans l'embouchure du fleuve. Malgré l'odeur, à quelques dizaines de mètres, des enfants se baignaient dans une eau non contrôlée, l'endroit n'étant pas considéré comme une zone de baignade déclarée par la mairie et testée par l'agence régionale de santé (ARS). Les enfants s'y trouvaient un jour de semaine parce que leur école était fermée, du fait de l'absence de distribution d'eau : c'est un cercle infernal.

Cette situation résulte d'un sous-investissement dans le renouvellement des réseaux, ainsi que des défaillances du propriétaire concernant la maintenance. L'état des réseaux est imputable à la Générale des eaux, mais aussi au propriétaire délégant, qui ne peut se défausser de sa responsabilité.

La distribution de l'eau potable en Guadeloupe s'inscrit dans un cercle vicieux depuis plusieurs années. Elle se caractérise par un service médiocre et intermittent, qui n'encourage pas les usagers à régler leurs factures d'eau ; par une facturation et un recouvrement décrits comme un « accident industriel » ; par l'absence de recettes, qui met en péril les finances des autorités organisatrices ; par une situation de quasi-faillite, qui les empêche d'accomplir les investissements dans les réseaux ; par une dégradation de l'état des réseaux, qui explique les pertes et la nécessité de recourir aux coupures d'eau tournantes – les « tours d'eau ». Les usagers, qui ne reçoivent pas de réponse, sont en colère ; ils ont été contraints d'investir dans des citernes et des réservoirs, ce qui représente parfois des coûts élevés.

J'ajoute que l'on subit actuellement, à la Guadeloupe, des coupures d'eau importantes liées à la réparation de l'usine de Belle-Eau-Cadeau, que nous avons visitée.

En raison d'une absence de contrôles et d'investissements dans le renouvellement des équipements et de dysfonctionnements de la facturation, les autorités organisatrices de l'eau et de l'assainissement, qui ont parfois repris la gestion en régie sans planification, se sont révélées incapables, sur les plans technique et financier, d'assumer les tâches nécessaires pour garantir un service régulier de l'eau et de l'assainissement.

Nous avons constaté nombre de mauvais choix d'équipements, lors de visites sur le terrain. La préférence donnée à certains matériaux est rendue responsable de la défaillance des réseaux. Des technologies non adaptées au climat et aux besoins – et plus coûteuses – ont également été retenues, sur les conseils de cabinets et de services de l'État.

La première mission du syndicat mixte ouvert qui sera mis en place, par la volonté du législateur, au 1er septembre 2021, sera de restaurer la confiance des Guadeloupéens dans la gestion de l'eau et de l'assainissement. Pour cela, je formule trois propositions.

Premièrement, je préconise de maintenir, à titre transitoire, les équipes techniques de chaque régie existante au sein du futur syndicat mixte unique, tout en mutualisant les fonctions stratégiques et de support.

Deuxièmement, je propose d'annuler les factures d'eau anciennes non réglées, lorsqu'elles ne correspondent pas à une consommation normale ou à la capacité financière des usagers.

Troisièmement, je suggère d'élaborer un plan de renouvellement général des compteurs d'eau en Guadeloupe.

L'État doit aujourd'hui prendre sa part de responsabilité. Il ne peut se contenter de la posture attentiste consistant à rappeler que l'eau et l'assainissement sont des compétences locales, quand la défaillance de ces services publics a des conséquences sur la vie et la santé des populations de la Guadeloupe.

La question de l'avenir des dettes et des créances des opérateurs reste en suspens, malgré les déclarations des responsables de l'État. Si les dettes d'investissement doivent revenir au futur syndicat unique, la loi prévoit que les autres dettes seront in fine à la charge des intercommunalités. Il me semble indispensable de faire apurer par l'État les comptes de liquidation des syndicats et régies afin que le nouveau syndicat mixte ouvert et les communautés d'agglomération n'aient pas à supporter les conséquences de la gestion passée.

L'état des réseaux et les difficultés financières rendent nécessaire un plan d'investissement massif, qui excède les capacités des autorités locales. Il faudra donc faire jouer la solidarité nationale. Or, dans le cadre du plan de relance, seuls 50 millions d'euros ont été fléchés vers les territoires ultramarins, alors qu'il est impératif d'avoir une maîtrise d'ouvrage dotée de moyens suffisants et une ingénierie publique à la hauteur.

Plusieurs personnes auditionnées ont estimé que le montant de l'investissement nécessaire à la remise en service d'un réseau d'eau potable satisfaisant, à la mise aux normes et au déploiement d'un réseau d'assainissement, est supérieur au milliard d'euros, sans pouvoir cependant en fournir le détail. Ce plan exceptionnel de remise en état devra s'accompagner d'un effort continu d'investissement pour renouveler les équipements.

Cependant, il ne faudrait pas oublier le problème de l'assainissement en Guadeloupe : l'abandon du réseau d'assainissement peut avoir des conséquences tout aussi fâcheuses – voire plus graves – que les difficultés d'approvisionnement en eau potable. Selon l'agence régionale de santé, chaque année, nous perdons de 6 à 10 % d'eaux de baignade de qualité suffisante. Si cette évolution se poursuivait, dans dix ans, il ne resterait plus, en Guadeloupe, aucune eau de baignade conforme, autrement dit de qualité excellente. Il faut faire de l'assainissement un objectif prioritaire, au même titre que le rétablissement de la distribution d'eau potable, notamment en protégeant les aires d'alimentation des captages.

Enfin, la Guadeloupe et la Martinique doivent vivre avec l'héritage du chlordécone. Plusieurs captages présentent des traces de ce pesticide persistant, qu'il faut éliminer. Si le coût de remplacement de ces filtres reste limité, il n'en reste pas moins que le coût du traitement supplémentaire n'a pas à être supporté par l'usager mais pourrait être pris en charge par l'État au titre de sa responsabilité, reconnue récemment, dans la dissémination de ce polluant.

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