On peut affirmer qu'en 2019, les personnels pénitentiaires – je parle de l'ensemble des catégories – sont, en définitive, dans la même situation qu'en 1992, après les dramatiques événements de Clairvaux et de Rouen : ils sont épuisés et désabusés. Aujourd'hui, la population pénale n'est plus du tout la même que dans les années 1980, lorsque prévalait une philosophie carcérale selon laquelle la privation de liberté se suffisait à elle-même. De fait, cette population est devenue, à l'instar de la société extérieure, particulièrement vindicative et réfractaire à l'autorité, et elle fait de la violence un moyen de communication. Or, cette violence, ce sont les personnels qui en sont directement victimes. On dénombre ainsi, actuellement, en moyenne douze agressions personnelles par jour...
Le mouvement social historique de janvier 2018 a abouti à un relevé de conclusions, qui comportait deux volets : un volet indemnitaire, qui a été mis en œuvre, et un volet sécuritaire, dont nous attendons toujours l'application. En quinze mois, rien ne s'est passé, ou presque ! Or, si les personnels affectés à l'unité de vie familiale de Condé avaient été dotés des gilets pare-lames prévus dans ce relevé de conclusions, l'attentat n'aurait, certes, pas été évité, mais les blessures dont ils ont été victimes auraient été beaucoup moins graves. L'autorité pénitentiaire fait preuve d'une mauvaise volonté manifeste pour appliquer ce volet sécuritaire. Pourtant, il est parfaitement inenvisageable de travailler à la réinsertion des détenus si, au préalable, la sécurité des personnels et des structures n'est pas assurée.
Par ailleurs, n'oublions pas le pouvoir d'achat des personnels qui – mais c'est vrai pour l'ensemble des fonctionnaires – a baissé par rapport à celui du reste de la population. En effet, nous ne sommes même plus dans une phase de gel de la valeur du point d'indice : nous sommes dans l'ère glaciaire. Ceux qui représentent l'État, la République française, sont moins bien payés qu'auparavant, et ce n'est absolument pas logique.
Je souhaite également évoquer la situation en outre-mer. On nous parle d'égalité réelle, mais, outre-mer, les établissements pénitentiaires n'ont ni les mêmes moyens ni les mêmes structures qu'en métropole. Or, la continuité de la République doit aussi se traduire dans ce domaine. Pourquoi les territoires d'outre-mer ne sont-ils pas dotés, par exemple, d'unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) ou d'unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) ? Pourquoi les missions d'extraction judiciaire y sont-elles toujours assurées par le ministère de l'intérieur au lieu d'être transférées au personnel pénitentiaire, comme en métropole ? Autant de questions auxquelles les personnels nous demandent, à nous, organisations professionnelles, de répondre. Or, la direction de l'administration pénitentiaire, la chancellerie, soit répond à côté, soit ne nous répond pas.
En ce qui concerne les détenus radicalisés et, plus généralement, ceux qui posent des problèmes de gestion en raison de leur comportement, l'UFAP-UNSA demande, depuis 1992, que les structures soient adaptées aux profils pénaux et carcéraux des détenus afin d'assurer une prise en charge optimale au lieu de privilégier, comme c'est le cas actuellement, le maintien des liens familiaux, qui aboutit, à l'intérieur des établissements pour peine, à un mélange de profils tel que le cocktail est explosif. Ces éléments doivent être pris en compte pour faire évoluer la politique carcérale.
J'ajoute qu'au plan législatif, il est nécessaire de modifier le volet « gestion de la détention » du code de procédure pénale, afin que les personnels bénéficient de mesures dérogatoires qui leur permettent de gérer comme il se doit les détenus terroristes islamistes. Non seulement ces individus doivent être absolument isolés des autres détenus, mais ils ne doivent pas pouvoir communiquer entre eux. C'est une urgence absolue pour les personnels pénitentiaires.