Intervention de Yoan Karar

Réunion du jeudi 28 mars 2019 à 9h00
Commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale

Yoan Karar, secrétaire général adjoint de FO Pénitentiaire :

Tout ce qui vient d'être dit met en lumière la faible attractivité de notre métier, pour des raisons statutaires et indemnitaires, d'une part, et sécuritaires, d'autre part. C'est un métier difficile, où l'on risque continuellement d'être agressé : 135 agressions graves se sont produites depuis le début de l'année et il y a eu 4 000 agressions au cours de l'année 2018. On a donc, à chaque service, une chance sur quatre de se faire agresser. Ces chiffres, ce sont ceux de notre organisation, parce qu'il faut savoir que l'administration pénitentiaire ne communique plus les chiffres officiels. Il me semble que le fait de ne pas publier ces données nous empêche d'avancer dans la bonne direction.

Vous nous avez demandé ce que nous pensions de la classification des établissements : c'est un projet que notre organisation défend depuis de nombreuses années. Nous pensons qu'il faut arrêter de mélanger les détenus qui présentent un profil pénal et un degré de dangerosité trop différents.

Nous prônons la création d'établissements très sécuritaires, où seraient incarcérés les détenus violents, voire ultraviolents, qui posent des problèmes dans des établissements classiques. Il ne s'agit pas du tout de prendre exemple sur Guantanamo, comme on a pu l'entendre ici ou là. Pour nous, un établissement très sécuritaire est un établissement qui dispose de moyens humains importants, mais aussi de moyens techniques. Nous prônons notamment le port du pistolet à impulsion électrique. Il ne s'agit pas de partir en guerre, mais de disposer d'un outil pour se défendre en cas d'agression. L'idée, du reste, n'est pas forcément de s'en servir, mais d'en faire un outil de dissuasion. Lorsqu'on doit entrer dans la cellule d'un détenu qui est en train de tout casser et qui peut éventuellement être armé d'un pic, le fait de disposer de cet outil peut contribuer à désamorcer la situation et forcer l'individu à se rendre.

Nous proposons, à l'inverse, que certains établissements soient vraiment tournés vers la réinsertion : dans ces établissements pénitentiaires, il n'y aurait pratiquement pas de murs, un service de sécurité restreint et pas de mirador. Pour le coup, le social serait au cœur de ces établissements. Cela donnerait davantage de perspectives aux détenus incarcérés : plutôt que de vivre au milieu des rats avec la crainte d'être poignardés par un autre détenu, ils pourraient vivre dans un système de détention beaucoup plus léger et axé vers la réinsertion.

Il est très difficile, à l'heure actuelle, de mener une politique de désengagement vis-à-vis de la radicalisation dans des établissements surpeuplés, qui plus est avec des professionnels qui ne sont pas formés. Nous sommes là pour assurer la garde, la sécurité et la réinsertion des détenus : c'est une mission qui, en soi, est déjà un peu schizophrène, puisqu'on nous demande de faire à la fois du sécuritaire et de la réinsertion, ce qui suppose de trouver un juste équilibre. Mais lorsqu'on est confronté à des détenus ultraviolents, il faut faire de la sécurité une priorité absolue, quitte à faire passer la réinsertion au second plan.

Les caméras-piétons, que nous réclamons, ne sont pas encore en service, car des problèmes se posent encore vis-à-vis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). J'ai déjà évoqué le pistolet à impulsion électrique, mais les personnels pourraient aussi être dotés d'une petite bombe lacrymogène. À ceux qui me diront que l'armement en détention est problématique, je répondrai que la bombe lacrymogène n'a jamais tué personne, et que c'est un moyen rapide de répondre à une agression. Actuellement, un surveillant ne dispose, pour se défendre sur une coursive, que d'un sifflet et de ses mains, en attendant l'arrivée de ses collègues. Face à des détenus ultraviolents qui, la plupart du temps, sont aussi armés, il faut que nous puissions nous défendre un minimum et préserver notre intégrité physique.

Force ouvrière ne demande pas la création d'une milice ou d'une armée au sein des établissements pénitentiaires. Nous demandons seulement d'avoir les moyens de nous défendre. Ce que nous prônons, c'est par exemple un élargissement du champ de compétence des brigades cynotechniques pénitentiaires. À l'heure actuelle, elles n'ont pas la possibilité de faire de la détection sur les familles qui viennent au parloir. En revanche, on s'en sert pour effectuer des missions de polices externes : voilà un autre paradoxe, auquel il faudrait mettre fin ! S'agissant de la fouille des visiteurs, des notes nous permettent aujourd'hui, non pas de fouiller, ni de palper, mais de « tapoter » les visiteurs – avec leur accord. Il n'existe pas d'autre disposition légale.

Il a été question aussi de nous doter de gilets pare-lames. Dans le cas de l'attentat de Condé-sur-Sarthe, cet équipement n'aurait pas permis de protéger nos collègues, compte tenu de l'emplacement des coups de couteau qu'ils ont reçus. Le relevé de conclusions de l'année dernière n'évoquait même pas une généralisation des gilets de pare-lames mais simplement une distribution dans certains secteurs, dont ne faisaient pas partie les unités de vie familiale (UVF). Ce sont en effet des quartiers qui ne sont pas censés accueillir des détenus dangereux ou susceptibles de passer à l'acte, les rencontres avec les familles étant des moments plus paisibles.

Quant à l'installation des brouilleurs, elle a pris un certain temps.

La formation au tir, on peut en penser ce qu'on veut, mais ce n'est pas avec le peu de stands que nous avons dans les centres pénitentiaires et le peu de temps dont nous disposons que nous pourrons nous améliorer. Il faut rappeler qu'un surveillant effectue trente à quarante heures supplémentaires par mois. Pour ma part, cela fait plus de dix ans que je n'ai pas effectué de tirs pour être en mirador.

Tout cela montre que la sécurité n'a pas été placée au cœur de nos missions.

Il y a aussi le volet statutaire et indemnitaire. Nous sommes en concurrence avec des métiers de catégorie B comme les gardiens de la paix ou les gendarmes. Actuellement, les surveillants de prison sont recrutés au niveau du brevet des collèges, soit en catégorie C. Nous prônons le passage en catégorie B car les rémunérations qui y sont attachées nous mettraient au même niveau que d'autres métiers de la sécurité publique. Pour rappel, un gardien de la paix au premier échelon gagne 1 900 euros quand un surveillant de prison au même niveau ne gagne que 1 400 euros. Mme la garde des sceaux a indiqué que, selon ses calculs, un surveillant stagiaire gagnait un peu plus de 2 200 euros par mois mais elle a oublié de dire qu'il fallait compter les heures supplémentaires, le travail de nuit et le travail pendant les week-ends. Pourquoi tenir un tel discours de bashing alors que le temps de travail d'un surveillant équivaut à moitié plus que le temps plein de n'importe quel autre fonctionnaire ?

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