Nous devons faire le constat suivant : sur l'ensemble des problématiques pénitentiaires, nous perdons aujourd'hui des batailles. La densité de la population carcérale est si élevée que nous perdons la bataille du recrutement, la bataille de la formation, la bataille des missions. On en arrive à ne plus réfléchir qu'en termes de maintien de l'ordre, y compris à l'intérieur des établissements. Et ces questionnements me semblent aussi traverser la police nationale.
Il ne faut pas oublier, au-delà de la question des équipements, qu'un pan très important du métier de la surveillance repose sur notre capacité à établir des contacts et tisser du lien social. Et sur ce point, nous ne sommes pas aidés par la structuration physique des prisons actuelles.
J'ai travaillé à l'ancienne maison d'arrêt de Nantes. Les conditions de détention y étaient indignes du fait de la vétusté du bâti, mais elle avait la particularité d'avoir un rond-point central où l'ensemble des professionnels se croisaient : l'avocat, le travailleur social, le soignant transitaient par ce lieu d'échanges et un lien se nouait au quotidien. Aujourd'hui, dans l'ensemble des nouveaux établissements, qui sont de véritables usines carcérales, ces divers intervenants ne sont plus en contact entre eux. Et dans ces monstres créés pour abriter le maximum de détenus, il y a un minimum d'agents. Il y a donc aussi une déperdition du lien entre gardiens et gardés. Les nouvelles générations de surveillants qui apprennent leur boulot dans ce cadre ont tendance à mettre la sécurité et le maintien de l'ordre au premier plan.
Vous posiez la question, madame, de la formation et de la prévention du suicide et de la radicalisation. Cette bataille-là, nous l'avons perdue aussi. La formation initiale à l'ENAP ne prévoyait que 9 heures pour la radicalisation. Ajoutons à cela que les élèves, dont les fragilités en termes de niveau de recrutement ont été rappelées par l'ensemble des collègues, ont l'essentiel de leurs cours en amphithéâtre et qu'il s'agit d'un public qui n'est pas du tout capable de bachoter comme peuvent le faire des jeunes qui se destinent à des études universitaires.
Nous avons tout essayé. Il y a eu un mouvement vers la fermeture des petites structures de proximité pour ouvrir de plus gros établissements. Bois-d'Arcy a ainsi été créé parce que la Santé devait fermer.
Il est clair qu'il y a des gens qui méritent d'aller en prison, mais il faut aussi avoir en tête qu'il y a chaque année plus de 90 000 condamnations prononcées pour des peines de six mois ou moins, qui donnent lieu à 40 000 incarcérations. Les affaires les plus graves, le terrorisme en particulier, façonnent la politique pénale sur l'ensemble de la chaîne. À côté des détenus les plus dangereux, les détenus qui purgent de petites peines viennent happer constamment le regard des collègues. Or quand votre attention doit se focaliser sur la petite délinquance, vous ne faites pas autre chose, d'autant que les personnes condamnées à de longues peines se font plus discrètes. Cela vaudrait la peine d'essayer autre chose que ce qui a été proposé jusqu'à présent.
La question des salaires a certes son importance. Il faut notamment redonner un filet de sécurité aux élèves, c'est une question de dignité, en particulier pour ceux qui ont une famille. Ils ne gagnent que 1 100 euros à l'école dont 200 euros partent en frais de cantine. En outre, l'école n'accueille plus les élèves le week-end, ce qui pose de gros problèmes à ceux qui viennent de l'outre-mer, et, lors des stages de formation initiale, ils ne sont pas non plus hébergés le week-end.
Au-delà des questions d'argent, sur lesquelles chacun ici a ses revendications, il faut penser notre métier en termes de missions. Ne l'aborder que par le prisme du maintien de l'ordre, c'est déjà avoir perdu.