En préambule, je tenais à rappeler quelques événements passés. En effet, ce n'est pas la première fois que nous sommes auditionnés par une commission d'enquête, à l'Assemblée nationale comme au Sénat. C'est même notre lot quotidien, qui fait partie de nos fonctions. En 2013, déjà, le ministre de l'intérieur nous a assuré être conscient que nous attendions depuis longtemps des avancées pour notre métier. Des rapports et des études se sont succédé depuis près de dix ans, aboutissant pour la plupart aux mêmes conclusions, mais non suivis d'effet. En 2019, nous voilà à nouveau devant une commission d'enquête, sans rien voir se concrétiser. Autant dire que nos collègues nourrissent de très fortes attentes, largement partagées par les différentes organisations syndicales en dépit de quelques nuances d'approches.
Monsieur le rapporteur, vous nous avez soumis trois interrogations principales, à commencer par les relations qu'entretiennent la police municipale et les forces de sécurité de l'État. Ce sujet est marqué par de grandes disparités.
Nous souffrons tout d'abord de disparités internes, propres à notre filière. Chaque collectivité s'administrant et organisant la police municipale librement, les moyens de protection et de défense de nos collègues ne sont pas identiques entre les services, même si ces agents remplissent les mêmes missions.
Ces dernières années, nos services ont fait preuve d'une très forte implication. La situation de sécurité intérieure a accru la difficulté d'exercice des policiers municipaux. À titre d'exemple, les importants rassemblements de personnes organisés par les collectivités demandent une mobilisation nettement renforcée de nos agents. Les moyens dont nous disposons n'ont pas évolué en conséquence, à tel point que nous sommes obligés de rappeler des collègues sur leur temps de repos.
Ces disparités de moyens ne sont plus acceptables. La Fédération autonome est depuis bien longtemps en première ligne pour demander que l'armement soit généralisé et qu'il ne relève pas uniquement du choix du maire. En effet, dès l'instant où les missions confiées aux agents sont similaires, les obligations le sont également. La politique locale de sécurité influe certes quelque peu sur les priorités, mais les obligations faites aux agents sont les mêmes quels que soient les territoires. Ils sont soumis aux mêmes codes de déontologie, aux mêmes textes et aux mêmes lois. Nous ne pouvons pas faire l'économie d'une action de police, dès l'instant où elle relève de nos missions et de nos fonctions. Pourtant, il est envisagé de créer une police municipale à Paris avec des agents non armés ! Sachez aussi que 96 % des services de police municipale comptent moins de 9 agents, et que 38 % disposent d'un seul agent. Nos collègues exercent pourtant des missions similaires à celles qu'endossent de grands services, notamment par leur présence sur la voie publique. Ces situations ne sont plus acceptables.
Ces disparités valent également en matière de traitement. En vertu du principe de libre administration, les collectivités peuvent instaurer des régimes indemnitaires pour leurs agents. Toutes ne le font pas. En mission, tous les policiers municipaux ne sont pas payés de la même façon, à ancienneté égale. Ces disparités de traitement se poursuivent lors de la retraite.
En outre, le traitement réservé aux policiers municipaux est sans commune mesure avec celui dont bénéficient les forces de sécurité de l'État. Sachant que nous exerçons des missions communes avec ces dernières sur la voie publique, il n'est pas tolérable que les dotations en matériel, le traitement et la reconnaissance attribués à nos agents ne soient similaires à ceux des policiers nationaux.
Ces iniquités sont vécues douloureusement par nos collègues. Ceux-ci ne remettent aucunement en question les missions qui leur sont confiées. Au contraire, ils les revendiquent et sont fiers de les mener à bien, pour la protection de leurs concitoyens. Cependant, il est normal et logique qu'ils fassent l'objet d'une égalité de traitement de la part de leurs employeurs comme de l'État. Ce dernier porte en effet une très forte responsabilité dans la situation actuelle. Nous assistons depuis des années à un jeu de dupes dans lequel l'État et l'Association des maires de France (AMF) se renvoient les responsabilités, et où rien n'avance. Ceci ne saurait durer plus longtemps.
La mise en place de la police de sécurité du quotidien porte au jour les disparités que je viens de décrire de façon toujours plus prégnante. Nous voyons ainsi des collègues exercer les mêmes missions que les forces de sécurité de l'État, dans le cadre de patrouilles communes, avec toutefois des armements différents et des modes d'engagement – d'ouverture du feu, si nécessaire – distincts. La légitime défense ne s'applique pas de la même façon pour les agents municipaux et nationaux. La police municipale a été tenue à l'écart des réformes.
Pourquoi traiter à part les policiers municipaux, alors qu'ils sont primo-intervenants et peuvent, du reste, être confrontés à des situations auxquelles ils n'ont pas été formés ? Les formations doivent évoluer pour s'adapter à leurs besoins et aux missions qu'ils exercent aujourd'hui. Des référentiels nationaux existent et sont appliqués pour nos collègues des forces de sécurité de l'État. Il serait intéressant que nous puissions en bénéficier. Prenons l'exemple des cynotechniciens. La commission consultative des polices municipales a rouvert ce dossier en 2014. Comment expliquer que cinq ans plus tard, il n'ait pas été possible d'effectuer les quelques modifications rédactionnelles permettant d'accueillir des chiens en police municipale ? Aujourd'hui, nos collègues et leurs employeurs exercent, à cet égard, dans des conditions juridiques non sécurisées.
Nous demandons de longue date une doctrine d'emploi de la police municipale, c'est-à-dire un mode d'emploi qui soit lisible par tous, qui soit annexé aux conventions de coordination et qui ne puisse pas être remis en question par une alternance de direction au sein d'une collectivité. Chaque élu a sa sensibilité. Néanmoins, ce qui relève de la loi et des obligations des policiers municipaux, de par leur assermentation, ne saurait être remis en cause.
Les problématiques de mode de recrutement ont déjà été évoquées. Nos collègues vivent comme une véritable frustration le blocage des carrières induit par des entrées de grades, par voie de détachement ou via des emplois réservés. Nous éprouvons une réelle difficulté à promouvoir nos collègues et à faire évoluer nos cadres d'emploi. Il faut agir dans ces domaines.
Nous attendons du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) qu'il fasse évoluer ses pratiques et ses formations. En dépit d'un ressenti pour le moins mitigé de nos collègues à son égard, nous nous devons de reconnaître que cette structure fonctionne et sait, parfois, nous apporter satisfaction. Elle doit néanmoins améliorer certains volets de son action.
L'exercice de notre métier au quotidien est toujours plus difficile, ce qui justifie les attentes de reconnaissance exprimées par nos agents. La société qui nous environne est devenue très compliquée – nous en faisons l'expérience dans les collectivités confrontées à des manifestations tous les samedis. Cette réalité doit être prise en compte. La réponse passe notamment par le suivi psychologique de nos collègues exposés à des situations de crise et à des violences. Il n'existe pas de dispositif général et pérenne à cet égard, destiné à la police municipale. Certaines collectivités se sont emparées du sujet, d'autres pas. Il importe de mettre en œuvre un outil qui puisse facilement être sollicité par les collectivités, si nécessaire. Comme l'a souligné un rapport du Sénat, les suicides existent aussi en police municipale. Ils sont certes moins nombreux que parmi les forces de sécurité de l'État, mais tout suicide est un de trop.
Nous rencontrons aussi des difficultés managériales. C'est un domaine dans lequel nous avons besoin de progresser.
L'image de la profession se dégrade. Après l'immense moment de communion entre la police et la population que furent les manifestations du 11 janvier 2015, en réponse aux attentats qui venaient de frapper le pays, nous constatons que l'attitude de nos concitoyens peut varier du tout au tout à notre égard. Les agents le ressentent d'autant plus difficilement qu'ils donnent quotidiennement le meilleur d'eux-mêmes pour assurer la sécurité dans les villes.
Enfin, je déplore la défiance des forces de police vis-à-vis de la justice. Lorsqu'ils sont eux-mêmes victimes, nos collègues ne comprennent pas toujours les peines infligées aux auteurs des faits incriminés. Ils ont aussi les plus grandes difficultés à convaincre des victimes de déposer plainte, alors que les auteurs des délits concernés ont déjà été relâchés, dans l'attente d'une procédure ultérieure.