Intervention de Noémie Angel

Réunion du mardi 7 mai 2019 à 17h15
Commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale

Noémie Angel, sous-directrice de la prévention, de l'accompagnement et du soutien à la direction des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPN) :

J'ai en charge, au titre de la DRCPN, l'accompagnement des personnes. Cette sous-direction s'est profondément réformée depuis deux ans, pour mieux répondre à la problématique de l'accompagnement individualisé des policiers et de leur soutien. J'encadre, par ailleurs, le service de soutien psychologique et opérationnel.

La sous-direction a plusieurs missions. D'abord, celle de l'accompagnement des blessés en service, avec la création récente d'une mission d'accompagnement des blessés et un guichet unique, au niveau zonal du secrétariat général de l'administration du ministère de l'intérieur (SGAMI). Ensuite, celle de l'accompagnement et du suivi individualisé des policiers et de leur famille, tant du point de vue social que professionnel – par exemple, les mutations dérogatoires, au titre de la santé ou de raisons sociales.

Est également rattachée à ma sous-direction la mission de reconversion et de reclassement de la police nationale. Elle a, par ailleurs, en charge la prévention et la qualité de vie au travail ; c'est à ce titre qu'intervient le programme de prévention du suicide. Enfin, elle comprend une dimension d'action sociale, au sens plus traditionnel du terme, avec deux problématiques dont j'ai la charge, que sont le logement et la petite enfance – les crèches.

Je vous présenterai maintenant le programme de mobilisation contre le suicide.

Vous le savez, le suicide frappe très durement la communauté policière, notamment depuis le début de l'année, puisqu'on dénombre vingt-huit suicides parmi les forces de l'ordre. Étroitement liées aux trajectoires de vies individuelles, professionnelles, familiales, les raisons d'un suicide sont par nature complexes. Par définition, elles nous échappent toujours un peu, même si nous pouvons, dans le cadre de la police nationale, sérier un certain nombre de facteurs de risque spécifiques.

Au contact de la souffrance, de la violence et de la détresse humaine, le métier de policier comporte une charge émotionnelle forte qui peut éprouver la stabilité de chacun. Par ailleurs, le policier a accès à un moyen létal dont l'utilisation lui est familière.

Depuis les années 2000, l'administration policière s'est attaquée à cette délicate problématique de la prévention du suicide, sans véritablement aboutir à une culture partagée de la prévention, une structure transversale qui serait capable de prendre en compte les différentes dimensions de la police, les différentes cultures métiers, allant des compagnies républicaines de sécurité (CRS) à la sécurité publique (SP) ou à la police aux frontières (PAF). Et, surtout, sans véritablement parvenir à ce que les instructions pensées au niveau central puissent se décliner très concrètement au niveau territorial ; des territoires plus ruraux sont aussi parfois concernés par la problématique du suicide – je pense à la Dordogne, il y a quelques années.

Le programme de mobilisation contre le suicide a été adopté à la suite d'une large concertation syndicale et a été pensé comme une boîte à outils, très pragmatique. Il vise, à l'aune des expériences précédentes et du bilan des actions menées, à renforcer la prévention, tout en restant humble devant la complexité de ces passages à l'acte.

Il se veut avant tout un cadre pratique, à finalité opérationnelle, permettant d'une part une mobilisation générale autour de ce sujet sensible, d'autre part une déclinaison territoriale.

Il a pour ambition de déstigmatiser le recours à l'aide. Si le suicide n'est plus un tabou dans la police nationale, il est encore difficile, pour un policier, fort dans sa représentation, de recourir au dispositif de soutien et d'aide.

L'enjeu de ce plan est aussi de mieux cibler les facteurs de risque spécifiques au métier de policier, jusqu'à présent insuffisamment appréhendés. Je pense notamment aux psychotraumatismes liés à la confrontation à la mort et à la violence – les blessures invisibles, les blessures psychiques, qui peuvent, lorsqu'elles ne sont pas traitées, aboutir à des passages à l'acte. Cela peut être des événements graves, tel un attentat, mais également un professionnel qui, régulièrement, confronté à la mort a développé des facteurs de protection, et qui, subitement, passe à l'acte.

Le programme de mobilisation contre le suicide est structuré autour de trois axes.

Le premier axe vise à mieux répondre à l'urgence et à améliorer la prise en charge. Il s'agit, dans un premier temps, de permettre à l'entourage professionnel de mieux repérer au sein d'un collectif de travail, les agents traversant une crise suicidaire. Comment ? En donnant des clés de compréhension de ce qu'est une personne vulnérable et une personne susceptible de traverser une crise suicidaire.

Dès le mois prochain, nous organiserons des séminaires zonaux, à destination des encadrants, avec un véritable programme de formation, de compréhension du phénomène suicidaire, dans lesquels sera diffusé un mémento pratique sur la prévention du suicide, et des fiches réflexes.

Nous sommes également en train de concevoir une e-formation – un MOOC, en anglais –
 sur la prévention du suicide, qui sera téléchargeable, et qui permettra, grâce à de petites vidéos très courtes, à un chef de service ou un gradé qui s'interrogerait sur le comportement de son collègue, si oui ou non il doit alerter.

Afin de faciliter l'alerte et de garantir l'échange d'informations entre professionnels, un nouveau service d'accès téléphonique permettra au policier d'être mis en relation, en journée, avec un psychologue territorialement compétent, et, la nuit, avec un psychologue d'astreinte. Nous avons également créé une boîte mail de signalement et repensé le réseau de « sentinelles ». Une « sentinelle » est un pair qui a suivi une formation spécialisée de prévention du suicide qui peut lui permettre d'aller vers son collègue pour lui indiquer les ressources à sa disposition. Ressources internes à l'institution, mais également externes – nous devons être en capacité d'orienter les policiers vers des ressources extérieures, notamment le secteur psychiatrique.

Dans un second temps, il s'agit d'améliorer la prise en charge à court terme des agents, avec la volonté de déstigmatiser le recours à l'aide. Nous sommes sur le point de lancer une grande campagne de communication sur le thème « être fort, c'est aussi savoir demander de l'aide ». Trop souvent, les personnes qui passent à l'acte étaient parfaitement inconnues des réseaux de soutien ; d'où l'importance de ce message.

Nous travaillons également sur une orientation plus systématique vers le secteur psychiatrique, avec un conventionnement, territoire par territoire, avec des hôpitaux de référence. D'ores et déjà, deux conventions ont été signées avec Psy Sud et l'Institution nationale des invalides, sur la thématique spécifique du psycho-trauma et de l'état de stress post-traumatique.

Le dernier volet de ce premier axe porte sur le soutien, après une tentative de suicide (TS). Comme dans toutes les institutions, les TS sont les plus complexes à connaître, car il est encore tabou de dire que l'on a déjà attenté à ses jours ; pourtant, les risques de récidive sont importants. La direction générale de la police nationale (DGPN) s'est rapprochée du dispositif Vigilans, qui vise à prévenir les récidives en gardant le contact avec les personnes ayant attenté à leur jour – l'un des facteurs les plus importants du passage à l'acte étant l'isolement. Une expérimentation au sein de la police nationale va être conduite en ce sens dans le Nord, où des « vigilanceurs », des personnes qui appellent, seront spécialement formés au sein de la police nationale.

Le plan définit en outre un dispositif de « postvention », qui consiste à déterminer les modalités communes de prise en charge de la hiérarchie et des agents directement au contact du défunt et de sa famille, après passage à l'acte. La contagion peut toucher une équipe, mais également un service ou même un territoire du fait de la surmédiatisation du drame – un sujet qui est documenté, y compris par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Les mots qui sont choisis sont importants. Il ne faut ne pas donner une vision positive du suicide, ne pas anoblir le geste, ne pas faire de décomptes morbides qui conduiraient à présenter le suicide comme une fatalité. Dans ce cadre, nous avons élaboré un guide de communication et prévu l'intervention systématique de psychologues du service de soutien psychologique opérationnel (SSPO), pour débriefer et suivre les équipes.

Nous préparons une nouvelle formation visant à approfondir cette thématique de la contagion suicidaire, qui sera un axe fort du plan suicide du ministère de la Santé, qui paraîtra le mois prochain.

Le deuxième axe du programme de mobilisation contre le suicide vise à prévenir plus efficacement les situations de fragilité. Je pense aux agents qui ont pris un congé longue maladie ; la reprise du travail est une période délicate qui peut se traduire par un passage à l'acte. D'autres agents sont fragilisés dans leur vie privée – endettement, séparation –, d'autres encore sont blessés psychiquement. Nous avons pensé à des dispositifs spécifiques pour mieux les accompagner et prévenir les risques de passage à l'acte.

La question du retrait de l'arme aux personnes fragilisées fait l'objet d'une attention particulière, avec le développement d'un meilleur suivi informatique des armes et l'élaboration de fiches réflexes pour les encadrants. Nous avons deux médecines dans la police nationale : la médecine dite de prévention, semblable à la médecine du travail, et la médecine statutaire qui existe dans toutes les forces de sécurité. Une médecine qui agit dans l'intérêt de l'administration, qui décide de l'aptitude à l'exercice de la fonction et à qui revient la difficile décision du retrait ou non de l'arme.

L'axe numéro trois consiste à agir sur le collectif de travail. Il peut et doit constituer un facteur de protection important. Quand la vie privée d'un agent va mal, s'il se sent intégré au travail et soutenu, ce sentiment peut l'aider.

Le plan favorise dès lors toutes les initiatives qui visent à rompre l'isolement du policier en favorisant la cohésion par la pratique du sport, par exemple. Nous avons conclu un partenariat avec la fédération sportive de la police nationale, pour lui donner des objectifs spécifiques, en lien avec la prévention du suicide. Par ailleurs, un budget est dédié à l'organisation plus fréquente de moments de convivialité, et la promotion des amicales associatives.

Une instruction va être prochainement diffusée par le directeur général, qui rappellera ce qu'il est possible de faire pour animer la cohésion et la convivialité. Nous avons également, dans le cadre des séminaires zonaux, à destination des encadrants, un temps sur ce sujet, où des expériences simples sont présentées. Récemment, une commissaire de police de la petite couronne m'expliquait comment elle faisait vivre l'amicale de la police nationale – organisation de barbecues ou de courses avec ses équipes.

L'objectif est aussi d'améliorer les conditions quotidiennes d'exercice du travail, qui participent de la qualité de vie globale. Nous sommes en ce moment particulièrement attentifs à la question du travail de nuit, sur laquelle nous allons initier une réflexion avec les organisations syndicales. Par ailleurs, la réforme en cours sur le temps de travail devrait permettre une meilleure articulation entre vie professionnelle et vie privée.

Agir sur le collectif de travail passe aussi par les formations inter-corps, qui facilitent la cohésion. La question du management dit « bienveillant » - je préfère « bienfaisant » - sera également au cœur des séminaires zonaux. Sept séminaires sont prévus.

Comment déployer efficacement le plan et à quoi servira la cellule « alerte, prévention, suicide », installée voilà quelques jours par le ministre ?

Le programme sera décliné territorialement. Nous demanderons à chaque comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de chaque territoire de présenter un bilan concret des actions qu'il a menées durant l'année écoulée, et de la façon dont il s'est saisi du plan.

Nous allons également former tous les conseillers prévention police – plus d'une centaine de personnes – à cette thématique, pour qu'ils soient en capacité d'animer le sujet. Je vous l'ai indiqué, des séminaires zonaux vont être organisés.

Enfin, la cellule « alerte, prévention, suicide » a pour but d'orchestrer ce programme ambitieux, d'accélérer sa mise en œuvre, d'interroger son efficience, de s'assurer de la pleine implication de tous les acteurs, et de proposer rapidement un échéancier des actions avec une priorité donnée aux mesures les plus fortes et les plus rapides, qui pourront juguler la progression des suicides dans notre institution.

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