Quand je suis entré dans la police, il y a un certain temps, on parlait déjà du problème des procurations. En tant qu'inspecteur, j'en ai moi-même fait au moment des élections. Ce n'est absolument pas le cœur de métier des policiers, effectivement ; pendant certaines périodes électorales, la charge est extrêmement lourde. Je ne verrais que des avantages à ce que les policiers n'assurent plus l'établissement des procurations. Certains dispositifs tels que la mise en place de réservistes ont permis d'alléger la mission pour les fonctionnaires actifs de la police nationale. À titre personnel, en tant que policier, je pense qu'il faut totalement se libérer de cette mission, qui, encore une fois, est certes importante mais ne me semble pas être du ressort de la police nationale.
S'agissant de votre autre question, lorsque j'étais chef du district de Bobigny, je gérais un centre de rétention administrative. Je pense que la surveillance des CRA est une mission très particulière, et d'ailleurs assez compliquée pour un policier. L'externalisation ne me semble pas une hérésie. Je ferai toutefois une petite digression pour vous répondre.
La formation initiale que nous allons mettre en place l'année prochaine réduit le temps passé en école, de douze à huit mois. Il s'agit d'y dispenser seulement des fondamentaux. Pendant la période de seize mois qui suit, au cours de laquelle les gardiens de la paix seront stagiaires, on travaillera en se fondant sur de véritables objectifs de formation, ce qui ne se fait pas actuellement. Quand nous avons présenté à la préfecture de police le dispositif, qui comprend notamment un système de tutorat, on nous a dit qu'il n'y avait personne pour l'assurer. Toutefois, parmi les unités où sont affectés les jeunes gardiens de la paix, il y a le tribunal de grande instance (TGI) de Paris et le CRA qui s'y trouve. Nous avons donc décidé d'y expérimenter cette « formation continuée » durant la période de stage.
La question que vous posez sur le sujet est intéressante, même s'il ne m'appartient pas de dire qu'il faut se libérer de la surveillance des CRA. Cela fait naturellement partie des pistes qu'on peut explorer si l'on cherche des charges et des missions susceptibles d'être abandonnées pour affecter davantage de fonctionnaires aux missions d'ordre public. En l'espèce, nous avons travaillé avec de jeunes fonctionnaires affectés en CRA et avec leur encadrement, pour analyser des situations professionnelles et assurer des formations qui n'existent pas actuellement, dans l'objectif sinon de valoriser cette mission – car je ne suis pas sûr que le terme soit tout à fait exact –, tout au moins de montrer que, même là, on acquiert des compétences, aussi bien d'ordre juridique que relationnel, du fait que l'on côtoie des étrangers en rétention. Ce sont là des éléments importants pour les policiers qui sont affectés dans ces centres pendant deux ou trois ans et qui ne sont pas exactement intéressés par la mission. Le but est d'essayer, si ce n'est de la rendre intéressante, du moins de valoriser les compétences qu'on acquiert dans son exercice. Cela dit, si la police nationale n'assurait plus la surveillance des CRA, de manière à la fois raisonnée et sérieuse, je pense qu'il y aurait peu de monde pour vous dire qu'il ne faut pas le faire.
Pour en revenir au bâton, la sanction d'une absence de recyclage est effectivement la fin de l'habilitation. Or nos formateurs aux techniques et à la sécurité en intervention (TSI) constatent la plupart du temps, quand ils reçoivent des fonctionnaires qui sont sur la voie publique et appartiennent aux brigades anti-criminalité (BAC) ou aux compagnies d'intervention, qu'il faut revoir toutes les bases – je ne parle pas du tir, car c'est autre chose. Peu à peu, sur la voie publique, vous acquérez un certain nombre de réflexes, vous vous forgez des principes qui ne sont plus tout à fait ceux qui ont été enseignés et, avant cela, testés pour les fonctionnaires de police. Or, il est important d'y insister, sur la voie publique, le but est d'être efficace, et non pas seulement rapide. Quand les formateurs sont obligés de reprendre à zéro les techniques de base de l'interpellation, je considère que cela pose des questions.
Je connais très bien le discours consistant à expliquer qu'on apprend des choses au cours de la formation mais que, sur la voie publique, cela ne se passe pas ainsi, que les formateurs sont complètement déconnectés de la réalité. C'est pour battre en brèche ce discours que nous essayons de travailler différemment : le référentiel métier vient de là, de même que le travail avec la formation continuée. On ne peut pas établir en permanence une séparation entre la formation et le « terrain ». Ce serait s'aventurer dans une zone extrêmement dangereuse. On sait très bien que, quand les élèves sortent de l'école, on leur dit régulièrement : « Tout ce que vous avez appris à l'école, il faut l'oublier : dans la vraie vie, cela ne se passe pas comme ça. ». Or les techniques qui sont apprises au cours de la formation ne sortent pas d'un cerveau malade : elles ont été pensées, réfléchies. Je vais vous donner un exemple très précis : la conception de la formation aux tueries de masse, qui a été mise en place après les attentats, notamment celui du Bataclan, a duré des mois. La mallette pédagogique compte 1 600 pages de documents. Chaque geste y est décomposé. Il en va de même quand on a un débat avec la préfecture de police sur la question de la cartouche chambrée. Les gestes pour l'installation de la sangle d'une arme sont décomposés. On peut certes dire que chacun s'adapte, mais je pense qu'un certain nombre de techniques doivent être décomposées, apprises et réapprises régulièrement.
Vous avez établi une comparaison avec les gendarmes, ce que je peux tout à fait comprendre. Toutefois, selon moi, l'utilisation du bâton vaut surtout dans les zones urbaines, c'est-à-dire là où il y a la police, beaucoup moins dans les zones gendarmerie.