La commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale entend le général Michel Labbé, chef de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN).
L'audition commence à quatorze heures trente.
Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par l'audition de M. Philippe Lutz, inspecteur général de la police nationale et directeur central du recrutement et de la formation de la police nationale (DCRFPN).
Depuis le 30 janvier 2017, la police nationale dispose d'une direction centrale du recrutement et de la formation dont vous avez la responsabilité. Cette nouvelle direction a la charge du recrutement des personnels actifs, techniques, scientifiques ainsi que du pilotage et de la mise en œuvre des formations initiale et continue de l'ensemble des agents de la police nationale.
Vous nous ferez part, si vous le voulez bien, des raisons qui ont conduit à la création d'une nouvelle direction et des objectifs que vous poursuivez.
Je rappelle que conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Philippe Lutz prête serment.)
Dans votre propos liminaire, je souhaiterais que vous abordiez deux thèmes : la formation et l'habilitation.
Que pensez-vous de l'idée de mettre certains modules du bloc de formation d'officier de police judiciaire (OPJ) – dans la formation des agents de police judiciaire (APJ) ?
Lors de nos auditions, nous avons pu faire des comparaisons entre la police et la gendarmerie. En matière d'habilitation, nous avons constaté que les policiers devaient repasser leur formation au maniement du bâton tous les deux ans alors que dans la gendarmerie, on considère que la formation est acquise une fois pour toutes. Or ces formations prennent énormément de temps et elles sont souvent compliquées à intégrer dans le calendrier. Ne pensez-vous pas que la police devrait aussi considérer qu'une fois la formation validée, elle devrait l'être ad vitam aeternam ?
Qu'est-ce qui a motivé la création d'une direction du recrutement et de la formation de la police nationale ? C'est la première fois qu'une direction assure à la fois le recrutement et la formation. Dans les années 2000, le recrutement échappait complètement à la direction de la formation. Créée en janvier 2017, la DCRFPN a fait l'objet d'une préfiguration qui a duré six mois. Elle est née de la volonté du ministre de l'intérieur de l'époque, Bernard Cazeneuve.
À l'issue d'une mission, l'inspection générale de la police nationale – IGPN – avait conclu à une « balkanisation de la formation » tant était grand le nombre de structures qui en faisaient.
Lors de la création de la direction des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPN) en 2010, une sous-direction du développement des compétences assurait la formation initiale et continue des gardiens de la paix et la formation initiale et continue des officiers car, à l'époque, le site de Cannes-Écluse appartenait à la DRCPN. Elle assurait aussi une partie de la formation des personnels administratifs qui intégraient le périmètre de la police nationale.
En 2010, l'École nationale supérieure de la police (ENSP) assurait la formation initiale et continue des commissaires de police. À partir de 2014, l'ENSP a aussi repris la formation initiale et continue des officiers de police.
Toutes les directions centrales assuraient la formation métier, à des degrés plus ou moins importants. La direction centrale des compagnies républicaines de sécurité – DCCRS – est très impliquée dans ce domaine et elle a très largement internalisé la formation qui compte des phases obligatoires et impératives. Actuellement, elle travaille sous le contrôle de la DCRFPN, notamment pour ce qui concerne les habilitations.
La direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) et la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) internalisent aussi certaines formations métier, notamment les formations spécialisées, celles qui concernent la fraude documentaire et une partie de la lutte contre la cybercriminalité.
À la préfecture de police, une sous-direction rassemble toutes les structures de formation : celles de la préfecture, de la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC). Elle souhaitait avoir le pilotage de la formation de toute l'Île-de-France, en allant au-delà du ressort de la préfecture de police.
Cette situation, qui explique le terme de balkanisation employé par l'IGPN, entraînait deux conséquences. Premièrement, il n'y avait pas de stratégie claire de formation pour la police nationale puisqu'il n'y avait pas de pilote véritable, chacun s'occupant de son pré carré. Deuxièmement, la formation initiale des gardiens de la paix subissait des mouvements de stop and go, après avoir connu une évolution majeure au cours des années 2010. Citons quelques chiffres : en 2012, 480 élèves gardiens de la paix avaient été intégrés dans les écoles de police ; en 2016, ils étaient environ 4 500. La moyenne se situe actuellement à quelque 3 500 élèves, sachant que l'année prochaine leur nombre va remonter à 4 000.
Le spectre de la formation a très largement changé au cours de cette période. La sous-direction de la formation s'est concentrée sur la formation initiale et elle a potentiellement perdu le pilotage de la formation continue. C'était aussi l'un des aspects importants de la réforme. Parallèlement, la formation initiale des gardiens de la paix évoluait un peu en fonction de l'actualité mais les référentiels du métier de gardien de la paix restaient anciens et l'IGPN critiquait, à juste titre, le manque d'évaluation véritable de la formation.
Dès le stade de la préfiguration, il a été décidé d'élaborer des outils permettant une organisation et des process communs à toutes les directions et de concevoir un plan de formation commun à toute la police nationale, c'est-à-dire incluant les directions dépendant de la DGPN mais aussi la préfecture de police et la direction générale de la sécurité intérieure – DGSI. Chaque année, nous essayons d'améliorer le dispositif en couplant les demandes des directions centrales et celles qui émanent des agents et des directeurs territoriaux qui sont sur le terrain. Nous élaborons un véritable plan, connu de tous et utilisé par les chefs de service lors de l'évaluation annuelle. C'est un véritable outil de management permettant à chaque chef de service de connaître les objectifs de formation de sa direction et de la police nationale.
Dès le début de l'année 2017, nous avons travaillé avec les directions pour réfléchir avec elles sur le métier de gardien de la paix.
Qu'attend-on des élèves gardiens de la paix au moment où ils sortent de l'école et durant les cinq années suivantes ? À leur sortie de l'école, ils vont pour la plupart exercer le métier de sécurité publique à la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) mais aussi à la DSPAP de la préfecture de police.
Nous avons travaillé d'une manière empirique et la plus large possible, c'est-à-dire avec les directions centrales et aussi avec les acteurs de terrain. Que fait un jeune gardien de la paix quand il arrive, par exemple, à Bobigny ou à Créteil ? Nous avons vu les chefs de service, les gradés, les jeunes gardiens de la paix sortis de l'école depuis quelques mois. Nous leur avons demandé ce qu'ils faisaient très concrètement et nous avons comparé ces réponses avec le contenu des formations.
À l'issue de ce travail, le directeur général de la police nationale a rendu des arbitrages et fixé des limites. Pour la préfecture de police, l'investigation représentait une activité assez prégnante et elle y affectait de jeunes gardiens de la paix, dès leur sortie d'école. Or ces stagiaires avaient, par définition, une formation à l'investigation limitée. Il est aussi apparu que le renseignement était devenu l'un des sept piliers de la formation des élèves gardiens de la paix, à la suite des actes terroristes de 2015. L'idée était de créer le maillage le plus étroit possible avec les effectifs de police sur le terrain.
Une fois le référentiel métier réalisé, il faut le traduire en termes de formation. L'un des chantiers que nous avons lancé en 2019 aboutira en juin 2020 à la création d'une nouvelle formation initiale des gardiens de la paix.
Revenons sur les compétences d'OPJ. L'idée simple est de former des élèves gardiens de la paix au bloc OPJ lors de la formation initiale, à l'école. On peut répondre ainsi à la crise des vocations car tout le monde n'est pas volontaire pour faire de l'investigation, loin s'en faut. En plus, cela revient à ajouter quatorze semaines de formation supplémentaires à des élèves gardiens de la paix qui sortent de douze mois de formation.
Autre aspect du problème qui, à mon sens, est tout à fait essentiel : les élèves gardiens de la paix affectés à l'investigation dès leur sortie d'école sont peu nombreux. Même si l'exemple est un peu caricatural, une partie non négligeable des dernières promotions dédiées à la préfecture de police a été affectée à la garde du nouveau tribunal de grande instance (TGI) de Paris, aux Batignolles. Supposons que ces recrues aient été formées à l'investigation pendant quatorze semaines, cette formation est perdue puisqu'elle ne leur servira quasiment jamais. Sur la voie publique, cette formation peut servir mais sa durée est beaucoup trop importante par rapport à l'usage qui en sera fait au quotidien.
Cela étant dit, je ne nie absolument pas les difficultés rencontrées dans le ressort de la préfecture de police où le manque d'OPJ se fait sentir. La cartographie réalisée par la préfecture de police montre que le nombre d'OPJ rapporté au nombre de gardes à vue traitées ou au nombre de fonctionnaires dans ce ressort est inférieur aux mêmes ratios réalisés pour la sécurité publique et la province. Au sein des quatre départements de la préfecture de police, on constate aussi de très fortes différences. Tout le monde sait que la Seine-Saint-Denis souffre d'un véritable déficit en OPJ.
Les solutions sont multiples. À la fin de la formation initiale, il y a des modules d'adaptation au premier emploi d'une durée de trois semaines, qui permettent aux fonctionnaires de se spécialiser en fonction de leur premier poste. Le module sur l'ordre public est piloté par les compagnies républicaines de sécurité (CRS). Un autre est piloté par la DGPAF.
L'an dernier, nous avons créé un module investigation qui se déroule à l'école de police de Rouen-Oissel. À chaque promotion, nous demandons à la préfecture de police de nous indiquer le nombre d'élèves gardiens de la paix qui vont être affectés en investigation. Ces élèves reçoivent une formation spécifique durant laquelle ils n'étudient que des questions judiciaires avec des magistrats et des formateurs OPJ. Une première formation de ce type a eu lieu en octobre et une autre va débuter en juin, à la sortie de la dernière promotion.
Pour évaluer ce dispositif, nous interrogeons les élèves au moment où ils sortent de la formation et après quelques mois d'exercice. Nous sommes en train d'interroger ceux qui ont été affectés, en novembre dernier, dans des services investigation du ressort de la préfecture de police. Nous comparons les réponses des recrues concernées et de leur hiérarchie à celles d'un groupe neutre qui n'a pas suivi cette formation. La préfecture de police est très favorable au développement de ce type de formation. Nous l'encourageons donc.
En dehors de la formation initiale, nous essayons de développer une sorte de discrimination positive en faveur de la formation OPJ pour la préfecture de police. Chaque année, nous formons entre 1 150 et 1 200 futurs OPJ pour l'ensemble de la police nationale. Ils ne réussissent pas tous le bloc OPJ, le taux de réussite évoluant aux alentours de 80 %. Rappelons que cette formation dure quatorze semaines. Environ 75 % des demandes de la préfecture de police sont satisfaites, ce qui nous oblige à envoyer une partie de ces stagiaires en province car la plaque parisienne ne peut pas tous les absorber.
Certains élèves ont envie de faire de l'investigation dès leur sortie de l'école ce qui, auparavant, n'était possible qu'après quelques années d'exercice. Nous voudrions créer, petit à petit, une filière investigation forte, en faisant un vrai travail sur la formation continue. Nous avons eu des retours assez positifs sur le module d'adaptation au premier emploi : sur les quarante personnes formées l'année dernière, trente-neuf occupent toujours des postes d'investigation. Un seul a quitté cette fonction, sans doute parce qu'il était déçu ou insatisfait.
J'en viens à votre question sur les habilitations. Effectivement, nous n'avons pas les mêmes pratiques que la gendarmerie nationale. Notre doctrine répond à un souhait de la DGPN. Pour ma part, je pense que c'est une bonne doctrine. Il faut revoir régulièrement les modes de fonctionnement et la qualité des agents qui détiennent des habilitations pour l'usage du bâton, du pistolet-mitrailleur HK UMP ou du fusil d'assaut HK G36. Heureusement, on utilise assez peu souvent ce pistolet-mitrailleur ou ce fusil d'assaut. Si l'on considère que la formation initiale vaut pour la vie, on prend potentiellement des risques significatifs.
Je pense que c'est pareil pour le bâton. Ce sont de vraies armes. Il est important que la police puisse contrôler, de manière régulière et à travers la formation, les techniques employées par les fonctionnaires. Ce processus représente une charge et il peut sembler compliqué à gérer mais, à mon avis, il est indispensable d'évaluer régulièrement les gens qui sont autorisés à utiliser ce type d'armes.
Ces formations sont assurées par des policiers formateurs en techniques et sécurité en intervention (TSI). Ils ont eux-mêmes suivi une formation difficile de dix-huit semaines : environ 50 % des candidats sont éliminés au stade de la présélection et environ 20 % des autres ne finissent pas le stage qui comporte du tir, du secourisme, des techniques d'intervention. Même si nous cherchons à faire évoluer les choses, certains de ces formateurs vont très peu exercer. Nous avons tout intérêt à rentabiliser cette formation parce qu'elle coûte environ 5 000 euros par stagiaire. Nous devons aussi la valoriser pour les fonctionnaires eux-mêmes, des volontaires qui ont consenti un investissement à la fois physique et intellectuel.
Ils sont aussi formés sur le plan juridique à l'usage des armes. Lors des séances de tirs, que ce soit du tir simple ou avec un système d'entraînement vidéo assisté (EVA), ils rappellent le cadre d'usage des armes. Sans être des professionnels du droit, ils doivent être capables de renseigner l'équipage d'une brigade anti-criminalité (BAC) sur les cas très concrets qui peuvent se présenter à elle.
Pour eux aussi, nous pratiquons ces recyclages réguliers. L'institution doit vérifier que les fonctionnaires habilités ont toujours le savoir-faire nécessaire pour utiliser ces armes. Le maniement du bâton peut sembler assez simple mais il fait appel à des techniques. Le recyclage permet aussi d'apporter de la formation.
Monsieur l'inspecteur général, votre présentation était complète et elle a répondu à plusieurs des questions que je voulais vous poser, mais j'aimerais vous interroger sur les événements qui ont lieu tous les samedis depuis plusieurs mois et qui donnent lieu à des violences inédites. Le mouvement des Gilets jaunes a-t-il déjà entraîné des évolutions dans la formation des policiers ?
D'un pays à l'autre, la doctrine d'emploi et la gestion des manifestations diffèrent. Existe-t-il une coopération ou un dialogue sur ces pratiques avec d'autres États démocratiques, notamment de l'Union européenne, afin de dégager les meilleures pratiques ?
Suite à ces événements, vous semble-t-il important de réfléchir à des évolutions en ce qui concerne les armes et les doctrines d'emploi – au sens large du terme – utilisées ?
En ce qui concerne la formation, ma direction applique et décline les doctrines qui sont établies par la DGPN. En formation initiale, les formations au maintien de l'ordre sont relativement limitées puisque tout dépend de l'affectation des fonctionnaires de police et donc des élèves gardiens de la paix.
En formation continue, nous avons commencé à travailler avec les directions les plus concernées par les manifestations de gilets jaunes et par la réflexion sur le maintien de l'ordre : la DCCRS, la DCSP, et les deux directions de la préfecture de police que sont la DOPC et la DSPAP. Nous allons vers plus de transversalité dans les formations, sans nous contenter de simples entraînements. Les CRS ont une conception – quasiment une philosophie – de la formation qui est très intéressante. Le maintien de l'ordre étant son cœur de métier, la DCCRS décide d'isoler des compagnies à certains moments de l'année pour procéder à des formations obligatoires pour tout le monde. Dès lors, tout le monde sait lire l'ensemble de la chaîne hiérarchique.
Il est, en effet, important que toute la chaîne hiérarchique puisse être formée aux doctrines de maintien de l'ordre et à l'entraînement au maintien de l'ordre. En formation initiale, nous n'avons qu'un module d'apprentissages partagés. À partir de septembre 2020, nous allons accroître le nombre de ces périodes où les élèves commissaires, les élèves officiers et les élèves gardiens de la paix sont formés ensemble.
Le module existant se déroule à Nîmes pendant une période de quinze jours. Une promotion d'élèves gardiens de la paix, la promotion d'élèves officiers et la promotion d'élèves commissaires sont formés ensemble au maintien de l'ordre. Ils sont formés à de vrais exercices, à des situations réelles où chacun prend sa part de responsabilité à sa place hiérarchique. Ce type d'exercice est réalisé avec des formateurs, c'est-à-dire qu'il ne se limite pas à l'entraînement mais comporte des analyses de retour d'expériences. Les formateurs sont présents pendant toute la durée de l'exercice et ils contrôlent ce qui est mis en place, ils évaluent ce qui aurait dû l'être et ce qu'il est possible d'améliorer.
En matière de maintien de l'ordre, c'est une voie de progression importante pour l'ensemble des forces de sécurité. Comme cela se passe en province depuis de nombreuses années, le maintien de l'ordre n'est pas réservé à quelques directions, en l'occurrence aux gendarmes mobiles et aux CRS. À Nantes, même le service général intervient en maintien de l'ordre. Toutes les unités sont impliquées, y compris celles dont ce n'est pas le cœur de métier. C'est pourquoi il faut des entraînements et des formations communes.
En ce qui concerne les comparaisons et les discussions avec d'autres pays démocratiques européens, je ne peux pas vous répondre.
D'abord, pourriez-vous faire un point rapide sur les cadets de la République ? Le dispositif peut être considéré comme une forme d'apprentissage. Ensuite, y a-t-il une cellule ou un groupe particulier qui réfléchit, toutes directions confondues – peut-être d'ailleurs sous la férule de la vôtre –, à ce que sera la police de demain ? Dans ce cadre, quelque chose a-t-il été mis en place, en dehors de votre direction, pour le suivi de la police de sécurité du quotidien (PSQ) ?
Le dispositif des cadets est effectivement important. Je partage tout à fait votre sentiment quant à la fonction d'apprentissage que revêt leur formation : pendant un an, une co-formation est assurée par la police et l'éducation nationale.
Le constat est assez clair : nous avons de plus en plus de mal à trouver des volontaires. Dans certaines zones, nous en trouvons sans difficulté, par exemple dans les Hauts-de-France et outre-mer. Ailleurs, notamment dans la région parisienne, à Lyon ou encore à Bordeaux, c'est vraiment très difficile : soit il n'y a pas de volontaires, soit leur niveau est extrêmement faible. Pour exprimer de manière un peu triviale l'analyse que nous faisons du phénomène, les considérations des postulants sont assez largement alimentaires. Ils entrent dans la police pour passer le concours de gardien de la paix et leur niveau est assez faible. À cet égard, le dispositif des cadets de la République est un véritable acte de promotion sociale : nous remettons à niveau les élèves dans un certain nombre de domaines. Ils peuvent ainsi passer le concours de gardien de la paix en même temps que les adjoints de sécurité (ADS). Toutefois, il est vrai que la rémunération qu'ils touchent pendant un an n'a rien à voir avec celle de ces derniers. Un ADS peut envisager de louer un appartement, ne serait-ce qu'un studio ; la rémunération d'un cadet ne le lui permettra pas. C'est une véritable difficulté. Nous essayons de trouver des solutions avec la DCPN et, dans les salons que nous organisons, nous valorisons beaucoup le dispositif, mais il est très clair que nous rencontrons des difficultés.
En ce qui concerne votre question sur la police de demain, il existe à la DGPN un pôle de prospective, qui est chargé d'y travailler avec l'ensemble des directions, notamment avec la DCPN. L'objectif est notamment de s'intéresser aux métiers en tension et à ce que j'allais appeler les « métiers d'avenir » – mais ce qui touche aux sujets « cyber », par exemple, ce n'est pas l'avenir : c'est le présent. Les modalités de recrutement seront sans doute différentes, nous devrons y réfléchir. On sait très bien que, pour tout ce qui concerne le numérique, l'administration a beaucoup de mal à recruter.
Faut-il continuer à spécialiser des personnes qui ont déjà été recrutées ? Ma direction doit conduire un important travail de repérage, avant de travailler sur des modalités de concours différentes – modification que nous pourrions envisager, mais qui suppose ensuite qu'il en soit tenu compte dans les carrières. Cela peut être plus compliqué, mais c'est tout à fait envisageable. Du reste, nous avons commencé à le faire pour les gardiens de la paix. On pourrait aussi travailler sur les diplômes ou les formations rares détenus par nos 4 000 gardiens de la paix qui vont entrer en école l'année prochaine. On sait, par exemple, que certains ont des diplômes d'ingénieur – il n'y en a pas 100 ou 150, mais cela existe. Certains ont aussi des masters de nature intéressante. Il est vrai qu'ils devront avant tout faire un véritable travail de gardien de la paix, mais nous devons les repérer, nous demander comment assurer une sorte de tutorat, en liaison avec les directions, et leur permettre de s'épanouir, pour le bien de l'institution elle-même. Il me semble qu'il s'agit là d'un champ qui doit être exploré en matière de recrutement : celui-ci ne doit pas être seulement une procédure administrative.
Nous recrutons des gens ayant des profils très différents. Ce matin, nous avons fait adopter, en comité technique ministériel, un texte relatif à la création d'un deuxième concours interne de gardien de la paix. Actuellement, le concours interne est réservé aux adjoints de sécurité et aux gendarmes auxiliaires. L'expérience montre que nous n'arrivons pas à recruter les 50 % d'adjoints de sécurité prévus à l'interne : une partie des postes est reportée sur le concours externe. En effet, les adjoints de sécurité n'ont pas toujours le niveau nécessaire. Surtout, le vivier est assez limité. Une part non négligeable des adjoints de sécurité choisit ainsi d'intégrer la fonction publique territoriale, notamment les polices municipales. De fait, quand vous êtes adjoint de sécurité, que vous habitez à Périgueux et que la police municipale de cette ville – s'il y en a une – ouvre des postes, même si le salaire d'un gardien de la paix est supérieur à celui d'un policier municipal, et quand bien même le métier serait aussi plus intéressant car il présente des défis plus importants, dès lors que vous avez 80 % de chances de vous retrouver affecté en région parisienne pendant au minimum cinq ans, le calcul est assez vite fait : la majorité des candidats vont préférer la proximité géographique avec leur famille et leurs amis.
Le deuxième concours que j'évoquais sera ouvert – comme c'est la règle dans la fonction publique – à tous les agents de catégorie C. Cela va nous permettre d'obtenir des profils différents, ce qui peut être intéressant. Le concours sera aussi accessible aux fonctionnaires territoriaux, y compris à ceux venant de la sécurité – par exemple des employés des polices municipales. C'est un véritable enjeu que de travailler sur l'intégration de compétences un peu différentes. La semaine dernière, nous avons travaillé sur la composition du jury du concours de commissaire de police. Nous avons insisté sur l'importance cruciale d'avoir des profils différents, compte tenu des évolutions dans le domaine de la sécurité, de ce que sera la police de demain : les évolutions, y compris celles des compétences, sont considérables et de plus en plus rapides. Nous avons donc tout intérêt à avoir des profils aussi variés que possible, même si, de prime abord, ils peuvent apparaître comme un peu décalés.
En ce qui concerne la PSQ, nous avons beaucoup travaillé sur la formation. Nous avons intégré la PSQ à la formation initiale, en liaison avec la DCSP et la préfecture de police. Nous sommes d'ailleurs en train de revoir, avec le nouveau DCSP, cette formation qui avait démarré l'année dernière, avec une approche en partie différente. Lors du lancement de la formation à la PSQ, on s'était beaucoup appuyé sur ce qui était fait dans les Bouches-du-Rhône. L'idée était, d'abord, de proposer une formation socle de trois jours expliquant ce qu'est la PSQ, comment se déroulent les réunions de quartier, de quelle nature est le partenariat, comment on peut s'attacher à résoudre les problèmes ; ensuite, de travailler localement avec les services pour faire des formations sur mesure – même si je n'aime pas trop ce terme. Quoi qu'il en soit, nous avons travaillé, par exemple dans l'Essonne, sur une formation de quinze jours en unité, c'est-à-dire que l'ensemble de la chaîne hiérarchique – je me répète peut-être mais c'est vraiment très important – était réuni durant quinze jours pour travailler sur la PSQ et l'intervention dans les quartiers. Le simple fait d'apprendre à se connaître dans ce cadre et de comprendre les impératifs de chacun n'est pas neutre. Par exemple, intervenir aux Tarterêts peut ne pas apparaître comme très difficile aux yeux de certains, mais sembler au contraire extrêmement compliqué pour d'autres. Il est donc important, dès le départ, dans ces formations, d'avoir le point de vue de chacun et de faire en sorte qu'il soit décliné au niveau local.
Je voudrais revenir sur la formation, notamment concernant l'habilitation à utiliser le bâton. Je comprends tout à fait la nécessité d'être formé. En revanche, je ne comprends pas la logique consistant à décider qu'à un moment donné le couperet tombe et que le policier perd son habilitation. Je ferai un parallèle avec la gendarmerie. Il ne me semble pas qu'on y dispense de formation régulière à l'usage du bâton. Or je ne crois pas qu'il y ait eu – en tout cas lors des dernières émeutes – plus de problèmes liés à l'utilisation de ceux-ci du côté de la gendarmerie que du côté de la police : tout a été fait dans les règles de l'art, alors que les gendarmes ne sont pas obligés de repasser une habilitation tous les deux ans.
Vous dites qu'il est nécessaire de se former. Je l'entends parfaitement. Nous avons pu constater dans plusieurs commissariats, que nos forces de sécurité – en l'occurrence, les policiers – n'ont pas le temps de faire ces formations. Écoutez vos policiers : ce sont eux qui le disent. On sent, comme c'est souvent le cas avec les administrations centrales, une déconnexion par rapport à ce que font les policiers de terrain, à leur travail de tous les jours, à leur engagement au quotidien. Certes il faut faire des formations, mais il importe également d'étudier les choses au plus près du terrain. Chaque fois que nous avons auditionné des policiers, je leur ai demandé de lever la main pour savoir s'ils étaient à jour. Eh bien, grosso modo, la moitié ne l'était pas. Cela montre bien qu'il y a un réel problème. Or cela fait partie de vos prérogatives.
Je voudrais vous poser deux autres questions concernant le recrutement. Premièrement, que pensez-vous de la possibilité d'externaliser ou de sous-traiter le travail quotidien de surveillance des centres de rétention administrative (CRA) ? Cela prend énormément de temps aux fonctionnaires de la police aux frontières (PAF). Ma seconde question est similaire, mais porte sur l'établissement de procurations. On sait que, pendant les périodes électorales cela prend énormément de temps alors que ce n'est pas le cœur de métier des policiers et des gendarmes. Ne pensez-vous pas qu'il serait opportun, par exemple, un mois avant les élections, de faire venir un fonctionnaire dans chaque commissariat pour faire cela à la place des policiers ? Avez-vous des idées ou des solutions sur ce point précis, de façon à recentrer les policiers sur leur cœur de métier ?
Quand je suis entré dans la police, il y a un certain temps, on parlait déjà du problème des procurations. En tant qu'inspecteur, j'en ai moi-même fait au moment des élections. Ce n'est absolument pas le cœur de métier des policiers, effectivement ; pendant certaines périodes électorales, la charge est extrêmement lourde. Je ne verrais que des avantages à ce que les policiers n'assurent plus l'établissement des procurations. Certains dispositifs tels que la mise en place de réservistes ont permis d'alléger la mission pour les fonctionnaires actifs de la police nationale. À titre personnel, en tant que policier, je pense qu'il faut totalement se libérer de cette mission, qui, encore une fois, est certes importante mais ne me semble pas être du ressort de la police nationale.
S'agissant de votre autre question, lorsque j'étais chef du district de Bobigny, je gérais un centre de rétention administrative. Je pense que la surveillance des CRA est une mission très particulière, et d'ailleurs assez compliquée pour un policier. L'externalisation ne me semble pas une hérésie. Je ferai toutefois une petite digression pour vous répondre.
La formation initiale que nous allons mettre en place l'année prochaine réduit le temps passé en école, de douze à huit mois. Il s'agit d'y dispenser seulement des fondamentaux. Pendant la période de seize mois qui suit, au cours de laquelle les gardiens de la paix seront stagiaires, on travaillera en se fondant sur de véritables objectifs de formation, ce qui ne se fait pas actuellement. Quand nous avons présenté à la préfecture de police le dispositif, qui comprend notamment un système de tutorat, on nous a dit qu'il n'y avait personne pour l'assurer. Toutefois, parmi les unités où sont affectés les jeunes gardiens de la paix, il y a le tribunal de grande instance (TGI) de Paris et le CRA qui s'y trouve. Nous avons donc décidé d'y expérimenter cette « formation continuée » durant la période de stage.
La question que vous posez sur le sujet est intéressante, même s'il ne m'appartient pas de dire qu'il faut se libérer de la surveillance des CRA. Cela fait naturellement partie des pistes qu'on peut explorer si l'on cherche des charges et des missions susceptibles d'être abandonnées pour affecter davantage de fonctionnaires aux missions d'ordre public. En l'espèce, nous avons travaillé avec de jeunes fonctionnaires affectés en CRA et avec leur encadrement, pour analyser des situations professionnelles et assurer des formations qui n'existent pas actuellement, dans l'objectif sinon de valoriser cette mission – car je ne suis pas sûr que le terme soit tout à fait exact –, tout au moins de montrer que, même là, on acquiert des compétences, aussi bien d'ordre juridique que relationnel, du fait que l'on côtoie des étrangers en rétention. Ce sont là des éléments importants pour les policiers qui sont affectés dans ces centres pendant deux ou trois ans et qui ne sont pas exactement intéressés par la mission. Le but est d'essayer, si ce n'est de la rendre intéressante, du moins de valoriser les compétences qu'on acquiert dans son exercice. Cela dit, si la police nationale n'assurait plus la surveillance des CRA, de manière à la fois raisonnée et sérieuse, je pense qu'il y aurait peu de monde pour vous dire qu'il ne faut pas le faire.
Pour en revenir au bâton, la sanction d'une absence de recyclage est effectivement la fin de l'habilitation. Or nos formateurs aux techniques et à la sécurité en intervention (TSI) constatent la plupart du temps, quand ils reçoivent des fonctionnaires qui sont sur la voie publique et appartiennent aux brigades anti-criminalité (BAC) ou aux compagnies d'intervention, qu'il faut revoir toutes les bases – je ne parle pas du tir, car c'est autre chose. Peu à peu, sur la voie publique, vous acquérez un certain nombre de réflexes, vous vous forgez des principes qui ne sont plus tout à fait ceux qui ont été enseignés et, avant cela, testés pour les fonctionnaires de police. Or, il est important d'y insister, sur la voie publique, le but est d'être efficace, et non pas seulement rapide. Quand les formateurs sont obligés de reprendre à zéro les techniques de base de l'interpellation, je considère que cela pose des questions.
Je connais très bien le discours consistant à expliquer qu'on apprend des choses au cours de la formation mais que, sur la voie publique, cela ne se passe pas ainsi, que les formateurs sont complètement déconnectés de la réalité. C'est pour battre en brèche ce discours que nous essayons de travailler différemment : le référentiel métier vient de là, de même que le travail avec la formation continuée. On ne peut pas établir en permanence une séparation entre la formation et le « terrain ». Ce serait s'aventurer dans une zone extrêmement dangereuse. On sait très bien que, quand les élèves sortent de l'école, on leur dit régulièrement : « Tout ce que vous avez appris à l'école, il faut l'oublier : dans la vraie vie, cela ne se passe pas comme ça. ». Or les techniques qui sont apprises au cours de la formation ne sortent pas d'un cerveau malade : elles ont été pensées, réfléchies. Je vais vous donner un exemple très précis : la conception de la formation aux tueries de masse, qui a été mise en place après les attentats, notamment celui du Bataclan, a duré des mois. La mallette pédagogique compte 1 600 pages de documents. Chaque geste y est décomposé. Il en va de même quand on a un débat avec la préfecture de police sur la question de la cartouche chambrée. Les gestes pour l'installation de la sangle d'une arme sont décomposés. On peut certes dire que chacun s'adapte, mais je pense qu'un certain nombre de techniques doivent être décomposées, apprises et réapprises régulièrement.
Vous avez établi une comparaison avec les gendarmes, ce que je peux tout à fait comprendre. Toutefois, selon moi, l'utilisation du bâton vaut surtout dans les zones urbaines, c'est-à-dire là où il y a la police, beaucoup moins dans les zones gendarmerie.
Je voudrais vous poser une dernière question. On parle beaucoup des problèmes de police judiciaire, liés à une procédure pénale surajoutant des difficultés, et qu'il faudrait sans doute simplifier. En réalité, outre les flagrants délits et les arrestations faites sur la voie publique, beaucoup de travail est délégué par le procureur de la République aux commissariats de police, mais aussi aux brigades de gendarmerie : je veux parler de ce que l'on appelle les « pièces parquet ». Le commissariat d'une ville de 70 000 habitants doit faire face, en moyenne, à 5 000 pièces par an, ce qui est impossible. On attend donc qu'elles deviennent caduques du fait de la prescription légale.
Dans certaines villes, de bonnes pratiques ont été développées. J'en citerai deux, mais il en existe davantage : le recours aux délégués à la cohésion entre la police et population, d'une part, et aux maisons de la justice et du droit, d'autre part. Avez-vous des moyens, dans vos services – qu'il s'agisse d'une personne, d'une unité ou d'un système informatique –, pour faire remonter ces bonnes pratiques et les généraliser, de manière à éviter un manque d'homogénéité ?
Lorsque Éric Morvan, le DGPN actuel, a travaillé sur la réforme de la procédure pénale, il a mis en place des groupes incluant des acteurs de terrain. Il s'agissait de faire remonter non seulement les difficultés, mais aussi un certain nombre de bonnes pratiques, initiées au niveau local. Ce travail ne doit évidemment pas être perdu. Parallèlement à cela, je milite – dans mon champ de compétences – en faveur de ce qu'on appelle l'innovation participative, que les gendarmes pratiquent d'ailleurs très bien. Cela consiste à faire remonter du terrain tout ce qui permet de faciliter les choses. Je la pratique dans le domaine de la formation ; c'est ainsi que nous avons adopté, il y a deux ans, le module EVA, qui permet de faire de la vidéo assistée pour le tir – dispositif très simple, adaptable partout et que nous sommes en train de déployer dans toute la France. Il permet un entraînement vidéo-assisté au tir, en équipe, avec des mises en situation filmées sur des lieux où exercent tous les jours les fonctionnaires de police. C'est un major de la préfecture de police qui en est à l'origine : il avait pris l'initiative de travailler sur le sujet.
Je souhaite vraiment, et je l'ai déjà proposé à la DGPN, que des dispositifs de ce type remontent chaque année du terrain et soient valorisés par l'institution. De fait, chaque année, les directions remontent des projets de formation extrêmement variés, certains très simples, d'autres plus complexes. Nous avons, par exemple, élaboré une formation sur les drones, avec une modélisation en trois dimensions des images, pour dispenser cette formation en interne. Nous valorisons ainsi et développons sur l'ensemble du territoire des initiatives qui viennent du terrain.
En ce qui concerne la procédure pénale et les pratiques que vous évoquiez, mises en œuvre par certains parquets, je pense qu'elles pourraient tout à fait être mutualisées au niveau de la DGPN. Cela ne me semble vraiment pas compliqué à mettre en place. Qui plus est, cela valorise à la fois les fonctionnaires qui sont sur le terrain et l'institution.
L'audition s'achève à quinze heures trente.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale
Réunion du mardi 21 mai 2019 à 14 h 30
Présents. - M. Jean-Michel Fauvergue, M. Christophe Naegelen, M. Joaquim Pueyo
Excusés. - M. Jean-Claude Bouchet, Mme Josy Poueyto, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon