Vous avez déjà entendu certains de mes collègues parler du malaise dans la police. Je connais moins la gendarmerie, mais j'ai été 41 ans dans la police nationale, dont dix ans au RAID. J'appartiens à la sécurité publique et à la police judiciaire.
Je constate la conjonction des difficultés de la vie quotidienne et celles liées aux missions. Dans la vie quotidienne, les policiers ont les mêmes contraintes que nos concitoyens, sauf qu'ils travaillent de nuit et sont souvent célibataires géographiques. Ils peuvent avoir leur famille dans le sud et venir travailler à Paris.
Quand on est policier, on est seul, on a une aide au logement mais très insuffisante. À Paris ou dans la région parisienne, on habite souvent à quelques dizaines de kilomètres de distance du lieu de travail.
Vous le savez, la police participe à des dispositifs d'insertion sociale. En tant que directeur adjoint d'une école, j'ai vu arriver des cadets de la République adjoints de sécurité. Nous adhérons entièrement à ce dispositif, mais je suis frappé par leur fragilité. Certains arrivent à passer à travers les mailles du recrutement, mais dès qu'ils deviennent apprentis, ils sont confrontés à la dureté du métier.
Il ne vous a pas échappé non plus que le métier de policier s'est dégradé. Lors du mouvement de grogne de la police, le préfet Lauga est venu à l'école de Nîmes. En présence de tous les représentants des personnels, je me suis permis de lui dire que le mal de la police résultait de trois manques. Le premier est un manque de moyens. Le deuxième est un manque de sens. Il est important de se sentir utile. Lorsque vous faites des procédures qui demandent des heures de rédaction mais dont l'aboutissement n'est pas perceptible, vous finissez par avoir une autre vision de votre métier. Durant mes 41 ans d'appartenance à la police, j'ai été frappé par la générosité des collègues, même s'il y a dans la police certains qui n'ont rien à y faire. Nous revérifions ce que l'Éducation nationale aurait dû vérifier, alors que nous devrions nous appliquer au savoir-être. Le troisième est le manque de reconnaissance. Je ne m'exprimerai pas au nom des gendarmes, même j'ai toujours essayé de construire en commun. Mais j'ai vu la souffrance des collègues, j'ai vu des pleurs, j'ai vu du sang, j'ai vu des cadavres. Je peux vous dire que le malaise est profond. En école, j'essayais modestement de faire des jeunes des fonctionnaires forts, des fonctionnaires modernes, des agents de l'État au plus haut niveau. Or un fonctionnaire efficace est un fonctionnaire responsable, soucieux peut-être d'avoir le dernier iPhone à la mode mais attentif surtout à sa boîte à outils professionnelle juridique, à sa propre protection, à la « trousse de secours », comme on l'a appelée tout à l'heure. Ainsi, il participera à l'effort de la nation et s'insérera dans un ensemble cohérent.
Le plus humble d'entre nous a besoin de reconnaissance. Dans la police, on appartient à un corps mais on attend simplement de s'entendre dire : ce que vous avez fait est bien. Cela vaut toutes les primes du monde, même si la prime fait plaisir au conjoint.
Je suis peut-être un peu sorti du débat mais le malaise est réel. Vous n'avez sans doute pas attendu ma venue pour le savoir.
J'ajoute qu'en entendant certains propos à la télévision je me sens très frustré. Le temps judiciaire n'est pas le temps des médias. Même lorsqu'un policier est réhabilité, pendant le temps d'instruction, il aura été broyé, parce qu'on l'aura vu à la télévision une image sortie du contexte. La famille ressent une frustration. Il a l'impression que sa hiérarchie ne le soutient pas, alors qu'elle le soutient dans l'ombre, compte tenu des procédures. Or l'immédiateté serait nécessaire. On ne fait pas un point de compression trois jours après un accident.