La commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale entend, à la faveur d'une table ronde, les associations de membres de force de l'ordre blessés pendant des opérations de maintien de l'ordre :
- Fondation maison de la gendarmerie (FMG) : M. Jean-Jacques Taché, président, Mme Marie-Hélène Gontaud, vice-présidente ;
- Association indépendante des forces de l'ordre pour la protection et la prévention : M. Didier Jammes, président, M. Serge Evdokimoff, Mme Virginie Montagu,
- Association nationale d'action sociale des personnels de la police nationale et du ministère de l'Intérieur : M. Pierre Cavret, président, M. Philippe Poggi, secrétaire général.
L'audition commence à seize heures vingt-cinq.
Nous recevons aujourd'hui des représentants d'associations de soutien aux forces de l'ordre avec lesquels nous avons souhaité aborder les questions d'aide et de soutien aux membres des forces de l'ordre, notamment à ceux blessés en service.
Je rappelle qu'en application de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées par une commission d'enquête prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, mesdames et messieurs, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
(Les personnes auditionnées prêtent serment.)
Nous souhaiterions avoir plus particulièrement votre éclairage sur l'accompagnement et l'octroi de la protection fonctionnelle. Il pourrait être intéressant d'étendre la protection fonctionnelle aux fautes non intentionnelles. Je souhaiterais connaître votre point de vue sur ce sujet, ainsi, bien entendu que sur la chaîne d'accompagnement.
Nous avons été élus par le conseil d'administration de la fondation, le 11 décembre 2018, pour occuper ces deux fonctions auparavant exercées par le directeur et par le major de la gendarmerie. Pour faire suite aux préconisations de la Cour des comptes, la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) a souhaité un « désarrimage » de la direction et de la fondation.
Tous deux bénévoles, nous exerçons donc respectivement les fonctions de président et vice-présidente depuis le 11 décembre. Le désarrimage est complet, même si nous travaillons en partenariat direct avec la gendarmerie, notamment en ce qui concerne l'accompagnement des blessés, mais pas seulement. Nos propos n'engagent donc que nous et en aucune façon l'institution.
La fondation est vieille de 75 ans. Reconnue d'utilité publique, elle a pour principale vocation d'aider, assister, secourir les veuves et les orphelins de la gendarmerie nationale. Elle joue aujourd'hui un rôle de premier plan dans l'accompagnement social des personnes en activité ou à la retraite.
L'action de la fondation s'articule autour de quatre axes : les prestations sociales, avec la délivrance d'aides financières pour le décès et la maladie ; l'accompagnement des militaires lors des congés de longue durée, avec la reconstruction des blessés par le sport – nous avons mis en place cette prestation il y a deux ans pour accompagner des gendarmes lourdement blessés et atteint d'un fort handicap – ; le logement des étudiants au profit des fils de militaires en difficulté financière, et le tourisme social avec la gestion de sept établissements répartis sur l'ensemble du territoire français et l'organisation de centres de vacances.
80 % de nos ressources proviennent de souscriptions de gendarmes car 76 000 gendarmes, actifs et retraités, participent au financement de la fondation. Les 20 % restants proviennent de donateurs.
En 2018, la fondation Maison de la gendarmerie a délivré 3 millions d'euros d'aides sociales
Retraité de la police, je suis bénévole au sein de l'ANAS. Philippe Poggi, secrétaire général, y occupe un poste important puisqu'il coordonne tous les réseaux, les centres et les colonies de vacances.
L'association est ouverte au ministère de l'Intérieur, à la gendarmerie, aux sapeurs-pompiers, aux polices municipales et au ministère de la Justice. Cette association qui relève de la loi 1901 et est reconnue d'utilité publique depuis 1977, est gérée par un cabinet d'experts-comptables, un commissaire aux comptes et un préfet de tutelle, Michel Cadot, préfet de la région Ile-de-France.
Nous avons 100 délégués départementaux et un maillage de 700 délégués sur toute la France. Notre mot d'ordre est : « Le social par des policiers pour des policiers ». Nous avons mis en place des réseaux : le réseau APEL, le réseau Écoute-toxicomanie et le réseau Alpha-Espoir, qui traite plus particulièrement de la maladie et de l'invalidité.
On qualifie souvent l'ANAS de « Restos du cœur de l'intérieur ». Nous attribuons plus de 80 000 euros de dons par an, 23 000 euros de prêts et il nous arrive de fournir des caddys aux policiers, dont beaucoup sont dans la détresse, ce que l'on ignore généralement. On parle beaucoup des suicides mais on devrait parler aussi des divorces. Le montant total des emprunts est de 249 000 euros.
Notre établissement de santé Le Courbat traite notamment la toxicomanie, mais les récents événements nous ont conduits à y créer le « séjour de rupture », qui consiste à retirer pendant quinze jours de leur service des fonctionnaires fragilisés pour leur permettre de récupérer.
Un service logement d'urgence aide les fonctionnaires qui ont du mal à se loger, notamment à Paris. Nous leur proposons de vivre dans des studettes pour une période de six mois renouvelables. Nous avons aussi un réseau loisirs, huit centres de vacances et deux colonies de vacances.
Nous sommes une toute jeune association, puisque nous l'avons créé en 2017. Opérationnelle depuis peu, elle amorce son développement.
L'association est née de la réunion de trois mondes : le monde médical que je représente, puisque j'ai eu l'honneur de faire partie du groupe médical d'intervention du RAID pendant dix ans, période au cours de laquelle j'ai eu le plaisir de travailler avec le commissaire Evdokimoff, présent à mes côtés, et le monde de l'assurance, représenté par Virginie Montagu. Nous sommes partis de notre expérience de terrain, de mon expérience médicale et de ma découverte de l'univers de la police.
En tant que médecin, on est un confident et j'ai assisté à des drames psychologiques et sociaux touchant des fonctionnaires et leurs familles, particulièrement lorsqu'ils sont mis en cause. Il ne vous a pas échappé, et l'actualité récente le prouve, que ces mises en cause sont malheureusement de plus en plus fréquentes. Cette association a été créée dans le but de « protéger ceux qui nous protègent », un slogan certes un peu « choc » mais correspondant à la réalité et que nous allons pouvoir décliner sur le thème de la protection fonctionnelle.
Permettez-moi une analogie avec le monde de la médecine. Imaginez que, dans le climat de judiciarisation médiatique actuel, moi, médecin réanimateur en salle de déchocage d'urgence vitale, avant d'effectuer chacun des gestes où je peux décider de la vie ou de la mort de quelqu'un, une épée de Damoclès soit suspendue au-dessus de ma tête, que je sois filmé, soumis à la pression des familles, des amis, de témoins plus ou moins bienveillants. Imaginez que si je commettais la moindre erreur ou, a fortiori, une faute, éventualité à laquelle aucun humain ne saurait échapper, je puisse me retrouver dans les heures qui suivent dans le bureau du directeur de mon hôpital avant d'être, dès le lendemain, convoqué par un juge qui pourrait me mettre en examen, voire m'emprisonner. Si tel était le cas, nous n'aurions plus beaucoup de médecins dans les hôpitaux. Eh bien, l'association est née du constat d'une présomption de culpabilité de la part des forces de l'ordre, dans la mesure où l'instantanéité de la réponse les prive des droits de la défense les plus élémentaires, les plonge dans le drame et dans l'isolement. Si on y ajoute une grande naïveté et une grande méconnaissance par les collègues des systèmes de protection, on aboutit à des drames.
La situation dans le monde médical est bien différente puisque si je commets une faute ou une erreur professionnelle, c'est mon hôpital qui est attaqué devant le tribunal administratif, ma responsabilité individuelle ou pénale ne pouvant être mise en cause, à de rares exceptions près, s'il est avéré dès le départ qu'un crime a été commis. Parfois, le médecin n'est même pas convoqué et l'affaire se règle entre avocats. L'administration de la santé a d'ailleurs délégué la protection fonctionnelle à des assureurs privés.
L'association est donc née pour combler un vide juridique, en vue de rétablir la présomption d'innocence pour nos collègues, de leur donner tout simplement le droit de se défendre. Elle a pour membres fondateurs Ange Mancini et d'autres figures de la police. Elle est dotée d'un comité d'éthique, et est capable de donner accès à une assurance multirisque adaptée, innovante, répondant aux trois piliers dont nos collègues ont besoin dans ces situations : l'assistance juridique, normalement assurée par la protection fonctionnelle mais malheureusement très souvent absente pour de multiples raisons ; une assistance financière destinée à compenser les pertes de salaires dues aux suspensions, souvent aléatoires et pas toujours contradictoires, et un volet psycho-social, car dans mes fonctions de médecin, j'ai assisté à ces drames. J'ai vu des familles s'écrouler en quelques heures ou quelques jours autour d'un homme ou d'une femme souvent issu d'une famille de policiers ou d'une famille de gendarmes. Une assistance de gestion de crise est destinée à une interface avec les médias. Nous prévoyons également des gardes d'enfants, pour les premiers jours, et un système de nettoyage de l'e-réputation sur le web et les réseaux sociaux. C'est souvent la double peine, en effet : alors que beaucoup ne sont finalement pas condamnés après, en moyenne, 24 mois de procédure, il restera pendant des années des traces indélébiles de leur mise en cause sur le web. Nous leur proposons un produit qui est coûteux pour nettoyer le web et les réseaux sociaux et permettre à ceux qui ont quitté la police, la gendarmerie ou la police municipale, de retrouver un travail.
De nombreux policiers dénoncent la difficulté d'accès à la protection fonctionnelle, en raison de procédures complexes. Certains réclament une meilleure protection en cas de faute non intentionnelle. Quelles sont vos recommandations dans ce domaine ? Estimez-vous que la protection fonctionnelle doit s'étendre à une assistance psycho-sociale ?
Après avoir passé du temps à comprendre le fonctionnement de la protection fonctionnelle, cela reste encore nébuleux. Elle est en tout cas aujourd'hui insuffisante. Le besoin est évalué à environ 10 millions d'euros est très sous-estimé. La méthodologie d'attribution est aléatoire, subjective et pas du tout contradictoire. Les formalités d'obtention sont très complexes. Le délai de réponse est de deux mois, le silence valant refus, ce qui est tout de même particulier. Son octroi dépend de paramètres qui échappent totalement aux fonctionnaires ; ils relèvent pour partie de la hiérarchie et pour partie d'une discussion quasi philosophique sur la notion de faute. Nous en avons longuement débattu avec le comité d'éthique ? Qu'est-ce qu'une faute intentionnelle, non intentionnelle, détachable du service, déontologiquement acceptable ?
Nous avons tranché en disant que, faute d'avoir été présents dans les premières heures et de pouvoir bénéficier de quelque élément objectif que ce soit, nous ne pouvions porter un jugement avant le jugement. Cette protection est aléatoire et la plupart du temps refusée. Elle doit donc être impérativement renforcée. Pour la renforcer, il faut y adjoindre une part de couverture privée, parce qu'il est très difficile pour l'administration, souvent prise entre deux feux, de ne pas se protéger médiatiquement de certaines accusations. Aujourd'hui, personne ne peut aider un fonctionnaire ainsi mis en cause. Oui, il faut renforcer de façon majeure et modifier considérablement la protection fonctionnelle ! Elle est aujourd'hui inadaptée.
Tout à fait, et il est important de le préciser. Tout le monde a approuvé notre projet tout en nous mettant en garde contre la défense de l'indéfendable. L'administration se protège médiatiquement contre les rares cas qui ont dérapé mais tous ceux qui ont travaillé dans le monde de la police savent que l'immense majorité de nos collègues sont des héros qui remplissent une mission exceptionnelle pour nous protéger en mettant leur vie en jeu. Certains dérapent, mais est-ce une raison pour leur interdire la présomption d'innocence ? Nous ne le pensons pas. Pour faire accepter le principe de la prise en charge multirisque, nous l'avons adossée au garde-fou que constitue la présence d'une association qui, au travers de son comité d'éthique peut, à l'issue de la procédure, couper les droits d'un collègue qui aurait dérapé. On nous a demandé de réaliser ce montage, afin qu'un assureur ne soit pas en prise directe avec ce collègue et qu'une interface puisse verrouiller le dispositif. Aujourd'hui, personne n'est à l'aise : l'administration est très mal à l'aise, les syndicats sont très mal à l'aise et le fonctionnaire mis en cause est seul et vit un drame.
Je vous félicite pour votre engagement qui vient se substituer à ce que devrait être la réponse du ministère de l'intérieur pour accompagner de nos forces de l'ordre. Précisément, quelle assistance est apportée par le ministère aux familles des membres des forces de sécurité blessés dans leurs fonctions et quelles relations directes entretenez-vous avec celui-ci ?
Je rappelle que certains comparent le chemin vers le suicide à un vase qui se remplit goutte après goutte et qui déborde avec la dernière. Je ne vois donc pas comment on pourrait dissocier l'assistance juridique de l'assistance psycho-sociale.
Nous sommes partis du sommet pour respecter toutes les étapes. Nous avons évidemment contacté la direction générale de la police nationale (DGPN) et la direction de l'administration de la police nationale (DAPN) et nous avons obtenu un certain nombre d'accords pour diffuser l'existence de notre association. Mais nous rencontrons de réelles difficultés pour faire connaître ce produit totalement novateur au sein de la police. Nous espérons être aidés. Nous avons commencé à envoyer des communications dans les écoles, mais nous n'avons pas droit, comme certaines mutuelles, à un créneau horaire pour exercer une fonction d'éducation auprès des plus jeunes, qui sont les plus fragiles. Idéalement, il faudrait commencer par leur expliquer ce qu'est une mutuelle, une assurance professionnelle, une prévoyance. Ils se croient protégés par tout le monde et ils ne sont protégés par personne.
En tant que rapporteure du budget de la gendarmerie, je m'adresse aux représentants de la fondation Maison de la gendarmerie, que je connais bien. Bravo pour ce que vous faites ! Vous dites avoir mis en place depuis deux ans une restructuration par le sport. Pourriez-vous en dire plus et nous donner une idée des effectifs de votre association. Quel est le nombre de veuves ? Quel est le nombre de suicides ?
Nous travaillons en liaison avec le bureau d'action sociale et avec le ministère des armées. Nous avons mis en place, il y a deux ans et demi, des stages dits de reconstruction par le sport, d'une durée de deux semaines, pour les blessés graves de la gendarmerie. Ces stages réunissent une douzaine de gendarmes souvent lourdement handicapés. Nous essayons de répondre à leurs besoins et à leurs attentes par le sport. Ils sont accompagnés par des médecins psychiatres, des psychologues et des accompagnateurs sportifs. L'originalité, c'est que, pendant la deuxième semaine, un gendarme d'active gravement blessé est toujours accompagné par sa famille. C'est le cinquième stage cette année. Nous ne pouvons malheureusement en organiser que deux par an. Notre ambition est d'en faire profiter plus de gendarmes, puisque nous avons 7 500 blessés, de moyens à très lourds en organisant de trois ou quatre stages par an. Mais cela doit procéder aussi d'une intention volontaire du blessé. Une importante communication est faite par l'encadrement.
Je ne suis pas insensible aux propos de M. Jammes et de M. Cavret au sujet de la protection fonctionnelle, à la fois protection juridique et accompagnement psychologique, mais en raison des comparutions immédiates qui nécessitent un accompagnement immédiat et la présence d'un avocat, les délais ont été réduits. Quand j'étais commandant de la région de gendarmerie de Poitou-Charentes, nous mettions en place une protection juridique en moins de 48 heures pour répondre aux besoins des comparutions immédiates. Des améliorations peuvent être apportées. Par ailleurs, les gendarmes motocyclistes bénéficient rarement de la protection fonctionnelle, parce qu'ils sont victimes de fautes non intentionnelles.
Quelles relations entretenez-vous avec le ministère de l'intérieur ? Dans quelle mesure pourraient-elles être renforcées ?
Nous avons un établissement de santé d'une capacité de 82 lits qui n'en ouvre que 56. Quand j'étais policier, il existait l'hôpital des gardiens de la paix. Pourquoi ne pas créer quelques lits pour nos gendarmes et policiers blessés. Des lits inoccupés pourraient répondre à ce besoin. Nous saisissons le ministre de l'Intérieur de cette demande depuis plusieurs années.
Avec le ministère de l'intérieur, nous sommes couverts par une convention, mais nous voudrions faire plus. Récemment, notre maison de santé a signé une convention avec le ministère de la Justice pour faciliter les échanges. Nous allons enfin obtenir la signature d'une convention entre la police nationale et notre maison de santé, ce qui va peut-être permettre cette ouverture de lits.
Compte tenu du caractère novateur de notre projet, nous avons reçu un accueil très favorable de la DAPN et de la DGPN, mais la déclinaison opérationnelle est plus compliquée. Nous avons obtenu l'autorisation du ministère de l'Intérieur pour agir selon trois axes. Le premier, ce sont les écoles, mais nous n'avons pas l'autorisation d'y délivrer officiellement des informations, à la différence de certaines mutuelles. Le deuxième axe est le travail de terrain - lorsqu'on se déplace pour fournir des explications à nos collègues, ils comprennent, adhèrent au principe de protection et à la participation financière à cette protection. Le troisième axe vise à se faire connaître par les syndicats, mais nous nous heurtons à l'absence de déductibilité fiscale des cotisations, car notre jeune association n'est pas encore reconnue d'utilité publique.
Nous pensons que ce produit est la trousse de secours du fonctionnaire aujourd'hui. De même que l'on part en intervention avec une trousse de premier secours, de même doit-on partir avec une trousse de premier secours juridique et psycho-sociale. C'est dans cet esprit que nous avons créé ce produit. Ce n'est pas mon métier, mais il me semble que ce serait un juste retour de prévoir une participation de la nation, sous forme d'une prise en charge totale ou partielle de la cotisation. Quand on gagne 1 800 ou 2 000 euros par mois et qu'il faut ajouter, en plus de tout le reste, 17 ou 18 euros pour se protéger, il me semblerait juste que ce produit, parfaitement adapté, soit au moins partiellement pris en charge par la société.
Nous avons encore peu d'adhérents dans la gendarmerie. La police était notre cœur de cible initial, parce que c'est l'univers que nous connaissions le mieux, mais le produit est parfaitement adapté pour la police municipale et pour la gendarmerie. Il concerne les forces de l'ordre en général. Nous avons même commencé à réfléchir à la problématique de la force Sentinelle et à l'activité civile des forces militaires actuellement dans la rue.
Il a encore été peu question des suicides. On en dénombre déjà cette année vingt-huit dans la police et cinq dans la gendarmerie, soit un niveau que nous n'avions plus atteint depuis dix ans.
Le ministère de l'intérieur, via une convention, progresse en direction de la maison de santé. On pourrait s'appuyer sur le maillage des associations existantes –700 délégués qui ont l'habitude de travailler en amont. Là aussi, il serait temps que l'ANAS participe à une table ronde à ce sujet avec le ministère de l'Intérieur. Nous pourrions apporter notre savoir-faire dans ce domaine.
Le suicide a déjà été abordé à plusieurs reprises par notre commission d'enquête et c'est sans doute pourquoi la question n'a pas été posée. Nous nous préoccupons de la prévention ainsi que de l'accompagnement des familles et de nos collègues. Dans ma circonscription, un policier s'est suicidé il y a un peu plus d'un an. Je mesure donc ce que cela représente en termes de prévention et d'explication.
Notre thématique est différente de celle de la commission sénatoriale, qui portait principalement sur les risques psycho-sociaux. Cette commission d'enquête a pour thème les missions et les moyens. Néanmoins la question du suicide et du mal-être au travail revient régulièrement dans nos différentes auditions et nous l'avons posée à tous nos interlocuteurs.
Face à l'augmentation du nombre de suicides dans les forces de sécurité, une analyse des causes a-t-elle été réalisée ? Est-ce qu'on sent aujourd'hui une pression beaucoup plus forte, liée à une suractivité des personnels de sécurité ?
(Mme Aude Bono-Vandorme, vice-présidente de la commission, remplace M. Joaquim Pueyo à la présidence.)
Nous savons tous que la fatigue provoquée par les services répétitifs le week-end a des retombées sur la vie familiale, ce qui n'est évidemment pas de nature à réduire le taux de suicide dans la police. De plus, nous savons tous qu'un policier n'aime pas montrer sa faiblesse à l'extérieur et se confie difficilement à sa hiérarchie ou à une personne extérieure. C'est pourquoi a été créé le « séjour de rupture » qui consiste à aller chercher quelqu'un de fragilisé pour l'admettre dans notre maison de santé. Il faut savoir s'adapter aux événements actuels.
Vous avez déjà entendu certains de mes collègues parler du malaise dans la police. Je connais moins la gendarmerie, mais j'ai été 41 ans dans la police nationale, dont dix ans au RAID. J'appartiens à la sécurité publique et à la police judiciaire.
Je constate la conjonction des difficultés de la vie quotidienne et celles liées aux missions. Dans la vie quotidienne, les policiers ont les mêmes contraintes que nos concitoyens, sauf qu'ils travaillent de nuit et sont souvent célibataires géographiques. Ils peuvent avoir leur famille dans le sud et venir travailler à Paris.
Quand on est policier, on est seul, on a une aide au logement mais très insuffisante. À Paris ou dans la région parisienne, on habite souvent à quelques dizaines de kilomètres de distance du lieu de travail.
Vous le savez, la police participe à des dispositifs d'insertion sociale. En tant que directeur adjoint d'une école, j'ai vu arriver des cadets de la République adjoints de sécurité. Nous adhérons entièrement à ce dispositif, mais je suis frappé par leur fragilité. Certains arrivent à passer à travers les mailles du recrutement, mais dès qu'ils deviennent apprentis, ils sont confrontés à la dureté du métier.
Il ne vous a pas échappé non plus que le métier de policier s'est dégradé. Lors du mouvement de grogne de la police, le préfet Lauga est venu à l'école de Nîmes. En présence de tous les représentants des personnels, je me suis permis de lui dire que le mal de la police résultait de trois manques. Le premier est un manque de moyens. Le deuxième est un manque de sens. Il est important de se sentir utile. Lorsque vous faites des procédures qui demandent des heures de rédaction mais dont l'aboutissement n'est pas perceptible, vous finissez par avoir une autre vision de votre métier. Durant mes 41 ans d'appartenance à la police, j'ai été frappé par la générosité des collègues, même s'il y a dans la police certains qui n'ont rien à y faire. Nous revérifions ce que l'Éducation nationale aurait dû vérifier, alors que nous devrions nous appliquer au savoir-être. Le troisième est le manque de reconnaissance. Je ne m'exprimerai pas au nom des gendarmes, même j'ai toujours essayé de construire en commun. Mais j'ai vu la souffrance des collègues, j'ai vu des pleurs, j'ai vu du sang, j'ai vu des cadavres. Je peux vous dire que le malaise est profond. En école, j'essayais modestement de faire des jeunes des fonctionnaires forts, des fonctionnaires modernes, des agents de l'État au plus haut niveau. Or un fonctionnaire efficace est un fonctionnaire responsable, soucieux peut-être d'avoir le dernier iPhone à la mode mais attentif surtout à sa boîte à outils professionnelle juridique, à sa propre protection, à la « trousse de secours », comme on l'a appelée tout à l'heure. Ainsi, il participera à l'effort de la nation et s'insérera dans un ensemble cohérent.
Le plus humble d'entre nous a besoin de reconnaissance. Dans la police, on appartient à un corps mais on attend simplement de s'entendre dire : ce que vous avez fait est bien. Cela vaut toutes les primes du monde, même si la prime fait plaisir au conjoint.
Je suis peut-être un peu sorti du débat mais le malaise est réel. Vous n'avez sans doute pas attendu ma venue pour le savoir.
J'ajoute qu'en entendant certains propos à la télévision je me sens très frustré. Le temps judiciaire n'est pas le temps des médias. Même lorsqu'un policier est réhabilité, pendant le temps d'instruction, il aura été broyé, parce qu'on l'aura vu à la télévision une image sortie du contexte. La famille ressent une frustration. Il a l'impression que sa hiérarchie ne le soutient pas, alors qu'elle le soutient dans l'ombre, compte tenu des procédures. Or l'immédiateté serait nécessaire. On ne fait pas un point de compression trois jours après un accident.
J'évoquerai aussi le manque d'effectifs. Lorsqu'on a commencé à ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux, on a réduit les effectifs de police. Les compagnies de CRS intervenaient habituellement à quatre sections, soit environ 120 fonctionnaires, elles interviennent maintenant à trois sections. Il manque au moins 1 000 CRS en comparaison des effectifs précédents. Il ne faut donc pas s'étonner d'une surchauffe en matière d'emploi. Je reconnais qu'actuellement, les effectifs sont en hausse, ce qui provoque une surchauffe dans les écoles. Peut-être faudrait-il ouvrir des écoles de police.
Il y a une prise de conscience réelle et les choses vont dans le bon sens, pour la police comme pour la gendarmerie.
Je ne suis pas psychiatre mais urgentiste et on est souvent confronté à des cas de suicide en réanimation. Dans l'univers professionnel, le suicide présente la particularité d'être souvent réactionnel. Il peut survenir inopinément de manière brutale chez des gens qui n'avaient encore jamais manifesté aucun signe. La seule façon de le prévenir, c'est de prévoir une certaine automaticité. Dans l'univers de la police, marquée par le complexe du surhomme, surtout dans les groupes d'intervention, les personnels se voient indestructibles. Il nous revient d'agir en prévention, en synergie du travail réalisé par l'ANAS. Que l'on soit gendarme ou policier, la problématique est la même. Si l'on veut prévenir, il faut exclure l'attente d'une demande de la part des personnels. Le kit de secours, c'est l'administration qui doit leur fournir pour qu'ils l'aient à disposition dès les premiers signes et ne se retrouvent pas seuls. La plupart du temps, c'est l'isolement qui crée le passage à l'acte.
Là aussi, quelques dispositifs mis en place depuis peu font leurs preuves. On parvient à pallier un peu ces drames.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale
Réunion du jeudi 23 mai 2019 à 10 heures
Présents. - Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Claude Bouchet, M. Rémi Delatte, M. Christophe Naegelen
Excusés. - M. Xavier Batut, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Marietta Karamanli, Mme Josy Poueyto