Intervention de Éric Belfayol

Réunion du mardi 11 février 2020 à 18h45
Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Éric Belfayol, délégué national de la DNLF :

La coordination des CODAF se fait de différentes manières. Je vous ai parlé des aspects chiffrés tout à l'heure, c'est-à-dire de ce système de fiches actions qui nous remontent et qui comptabilisent les échanges de renseignements faits dans chacun des départements. Le système mis en place prévoit que chacun des départements nous remonte ces fiches actions, avec plus ou moins de rapidité. Nous réinterrogeons les départements en milieu d'année, lorsque nous n'avons pas reçu de chiffres, si bien que l'ensemble des CODAF nous transmettent des chiffres sur leurs actions dans les départements. Il n'y a pas de difficulté à ce niveau.

S'agissant des réunions, nous avons dressé une cartographie de la tenue des CODAF dans le bilan de la DNLF 2018, à la fois pour les comités restreints et les comités pléniers. En 2018, 539 réunions se sont tenues au total. Cette cartographie permet d'identifier les « trous dans la raquette ». Sur ces 539 réunions, nous comptons 101 réunions plénières, ce qui correspond à peu près à une réunion par département, et 429 réunions pour les comités restreints, soit quatre réunions par an.

S'agissant des comités restreints, 6 départements sur 101 n'ont pas organisé de réunion en 2018. Dans ces cas-là, je contacte les départements, le préfet ou le procureur de la République et bien avant, le secrétaire permanent du CODAF, afin de comprendre quelle est la difficulté. Généralement, ce n'est pas que le groupe ne se réunit pas, mais plutôt que le préfet ou le procureur sont partis ou qu'ils arrivent, ou que le secrétaire permanent qui s'occupait du CODAF n'est plus en poste et doit être remplacé, ce qui explique d'ailleurs que cela ne soit pas toujours les mêmes départements concernés. Généralement, c'est ce temps d'intermédiation nécessaire, lié aux départs et arrivées en poste, qui explique que certains CODAF ne se sont pas réunis. La cartographie s'avère très précise et complète, parce que l'on indique les départements pour lesquels il y a une seule réunion, deux à trois réunions, ou bien quatre réunions. Très peu de départements ne se réunissent pas.

Tous les CODAF fonctionnent-ils de la même manière ? Bien sûr que non, parce que là encore, ce fonctionnement repose sur les hommes, les territoires, mais aussi sur l'animation des comités. Quand nous détectons une difficulté, grâce aux secrétaires permanents des CODAF – que nous avons en ligne régulièrement, du fait de notre rôle de veille juridique et de conseil – nous prenons le train, plus souvent que l'avion, et nous nous rendons sur place pour essayer de trouver des solutions et les aider à gagner en efficacité.

Aujourd'hui, ce dispositif est très bien compris par l'ensemble des acteurs. J'ai tendance à me référer à ce que je vois chez les autres plutôt qu'à ce que je lis chez moi. Quand je regarde les circulaires interministérielles, qu'elles proviennent du ministère de l'intérieur, de la justice, de la DGT ou de la DSS, le CODAF est aujourd'hui l'instance de référence en matière de coordination locale. Il est vraiment identifié par les acteurs locaux comme tel. Les préfets et les procureurs de la République s'en sont très largement saisis.

Nous essayons d'établir des liens, au-delà de ces déplacements, des conseils que nous donnons ou du « service après-vente » que nous assurons auprès des collègues, en mettant à jour un guide des secrétaires permanents de CODAF. Il constitue une boîte à outils pour les nouveaux arrivants, pour comprendre les dispositifs et identifier les outils existants. Très concrètement, nous faisons une réunion annuelle. Cette année a été un peu particulière pour nous, mais jusqu'alors, la réunion a rassemblé l'ensemble des secrétaires permanents de CODAF. C'est le premier type de réunion que nous mettons en place.

Quelle est la vocation de ces réunions ? Je vous avais transmis à l'époque le DNLF Info, qui est un autre outil que nous utilisons. Tous les quatre mois, nous produisons une revue à destination des CODAF, dans laquelle nous sensibilisons les acteurs aux nouveautés réglementaires et aux bonnes pratiques repérées dans les CODAF et nous mettons l'accent sur une problématique de fraude que nous avons pu déceler. Dans le cadre de ces réunions, nous faisons le point sur des fraudes montantes, pour lesquelles il est nécessaire de sensibiliser les partenaires locaux. Nous faisons intervenir également des administrations centrales, afin qu'elles portent leurs messages en termes de lutte contre la fraude.

Lors de la dernière réunion, qui s'est tenue en juin 2018, nous étions au cœur de l'actualité puisque le procureur – qui était celui de Nancy à l'époque, mais qui avait auparavant été celui de Valenciennes – était venu, à ma demande, présenter la fraude en réseau fondée sur le statut d'autoentrepreneur, afin de sensibiliser l'ensemble des acteurs sur cette problématique.

Nous avions également organisé une table ronde sur la problématique du logement indigne, souvent connexe à la fraude en bande organisée. J'avais convié deux procureurs différents : un procureur exerçant sur un territoire très grand, soit la Seine-Saint-Denis, concerné par des problématiques de logement indigne très particulières que l'on pouvait retrouver dans d'autres départements, et le procureur de Nancy, qui pouvait aborder les problématiques de logement indigne qu'il avait vu adossées à celles de fraude en bande organisée. La CNAM est venue faire un point également sur sept grandes tendances en matière de lutte contre la fraude, notamment sur les surprescripteurs de santé et les transporteurs sanitaires. De mon point de vue, en matière de fraude aux prestations sociales, toutes les fraudes doivent être combattues, mais les fraudes particulièrement préjudiciables aux finances publiques, qui concernent les transporteurs sanitaires, les surprescripteurs de santé ou encore les marchands de sommeil, doivent l'être encore davantage.

Ces réunions sont également l'occasion d'échanges avec les participants. C'est aussi l'occasion de repérer des problématiques que nos interlocuteurs ont parfois constatées et que nous n'avons pas identifiées. Nous faisons des déplacements également, entre une vingtaine et trente par an selon la taille de nos effectifs. Cela constitue un ratio assez important de contacts sur une année, sachant que nous essayons de cibler ces déplacements en fonction des problématiques que nous avons décelées en amont.

Ce qui est particulièrement intéressant et propre à cette délégation, c'est qu'elle n'est ni « stratosphérique » ni coupée des réalités locales, mais qu'elle est en phase avec elles. C'est un atout. J'ai évoqué mon expérience personnelle en tant que magistrat du parquet pour la réforme en matière de fraude aux prestations sociales ; dans un autre domaine, l'année dernière, j'ai pu repérer au contact des CODAF des fraudes montantes en matière de taxes polluantes, qui ne sont pas forcément perçues au niveau national. Cela permet aussi de travailler sur ces sujets avec les services nationaux chargés de ces problématiques, en l'occurrence, l'Intérieur et la DGFiP.

La communication se fait grâce à notre revue, DNLF Info, avec les moyens qui sont les nôtres bien sûr, mais qui est régulièrement distribuée, tous les quatre mois, tant aux procureurs de la République qu'aux préfets ou aux secrétaires permanents des CODAF, ainsi qu'à nos interlocuteurs nationaux. Pour chaque revue, un édito est fait par un directeur général.

S'agissant de l'arsenal juridique, nous avons pu évoluer dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS), notamment vis-à-vis des CODAF, en incluant les agences régionales de santé (ARS) dans le dispositif. Après avoir été revisité au cours des dix dernières années, l'arsenal juridique est aujourd'hui assez complet. J'ai évoqué, en matière de fraude aux prestations sociales, la gamme des sanctions pénales applicables et la professionnalisation progressive des juridictions en matière de saisies et confiscations. Ces points sont importants, pour assurer une action efficace. Il faut surtout mentionner les articulations sur lesquelles la DNLF a beaucoup travaillé, entre actions administratives, actions judiciaires, sanctions administratives et sanctions judiciaires. N'écrasons pas une mouche avec un marteau. Lorsque l'action administrative est plus efficace que l'action pénale, parfois la première suffit – notamment pour les fraudes aux minima sociaux, par exemple au revenu de solidarité active (RSA).

Rien de sert de traduire en justice un primodélinquant, pour un indu de 2 000 ou 3 000 euros, comme je l'ai vu quand j'étais sur le terrain ; sur ces dossiers, deux ans et demi après, vous ne pouvez pas faire grand-chose pour essayer de récupérer un indu, même si vous avez les moyens administratifs de le récupérer. Le code de la sécurité sociale, notamment l'article L. 114-17, prévoit des sanctions administratives, y compris en se « payant » sur les prestations à venir. Ce mode de récupération directe évite d'encombrer les juridictions avec ces dossiers. Par contre, grâce aux textes dont je parlais tout à l'heure en matière de sanctions pénales, cette gamme allant de la fraude simple, fondée sur une fausse déclaration, à la fraude complexe, liée à une escroquerie, permet aussi d'être un vecteur pour les juridictions du siège qui condamnent et de gagner en efficacité. Dans la mesure où le nombre de dossiers transmis à la justice est moins élevé, ceux qui le sont peuvent être mieux traités et faire l'objet de condamnations. Le dispositif est ainsi plus lisible.

Il en va de même s'agissant de la fraude en bande organisée en matière de travail illégal. Le travail dissimulé simple est une forme de travail illégal. Mais quand nous décelons une forme complexe de travail dissimilé, elle doit être prise en main par des outils juridiques et pénaux adéquats. Aujourd'hui, ces outils existent. Parfois, l'action administrative elle-même peut suffire. Parfois, il faut la combiner avec l'action pénale. Qu'il s'agisse de cotisations sociales ou de fraude aux prestations sociales, ces articulations, actions, sanctions administratives et judiciaires sont finalement des mécaniques assez lisibles pour l'ensemble des acteurs. Chacun travaille justement à cette lisibilité.

Lorsqu'elle a porté des textes en matière de fraude aux prestations sociales, la DNLF a formulé des propositions négociées avec l'ensemble des administrations, afin que personne ne soit surpris lors de la sortie du texte et que tout le monde soit d'accord. Nous avons trouvé un vecteur législatif et nous avons surtout travaillé – c'est ce que nous essayons de faire à chaque fois – à diffuser auprès des réseaux ces nouvelles dispositions législatives. Il faut que les réseaux puissent s'en emparer. Pour ce faire, nous élaborons une dépêche destinée aux procureurs de la République pour expliquer le dispositif et préciser que le CODAF constitue un acteur majeur pour sa mise en place. La DSS a rehaussé les seuils de fraude à partir desquels les organismes de protection sociale sont tenus d'engager des poursuites pénales, pour les porter à huit plafonds mensuels de la sécurité sociale, soit environ 25 000 euros – en application de l'article L. 114-9 du code de la sécurité sociale. En deçà de ce seuil, sauf cas exceptionnel où la fraude est particulièrement grave, celle-ci reste dans le champ des sanctions administratives ; au-dessus de ce seuil, l'affaire est obligatoirement portée devant l'autorité judiciaire. Ces vecteurs permettent de mieux articuler l'ensemble des dispositifs. L'arsenal juridique me semble effectivement assez complet et les accès directs aux fichiers, une fois qu'ils auront pris véritablement leur envol, sont des outils particulièrement puissants pour les services compétents.

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