Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Réunion du mardi 11 février 2020 à 18h45

Résumé de la réunion

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La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE RELATIVE A LA LUTTE CONTRE LES FRAUDES AUX PRESTATIONS SOCIALES

Mardi 11 février 2020

La séance est ouverte à dix-huit heures quarante-cinq.

Présidence de M. Patrick Hetzel. Président

La commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales procède à l'audition de M. Éric Belfayol, délégué national à la lutte contre la fraude, et M. Danyel Cobano, chargé de mission.

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Mes chers collègues, nous recevons maintenant M. Éric Belfayol, délégué national par intérim à la lutte contre la fraude, accompagné par M. Danyel Cobano, chargé de mission.

Vous exercez, monsieur Belfayol, les fonctions de délégué national par intérim depuis mai 2019. Vous étiez auparavant chargé, en tant que magistrat détaché auprès de la DNLF, de la coordination des comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF). Votre délégation a vocation à coordonner les actions de lutte contre les fraudes fiscales et sociales au niveau national, en partenariat avec les différents ministères compétents, mais également au niveau local, puisque vous pilotez les CODAF.

La DNLF publie chaque année de précieuses informations sur la fraude détectée ainsi que sur les moyens de lutte contre cette fraude. Votre audition, monsieur, nous a donc semblé opportune pour éclairer les membres de la commission d'enquête. Soyez les bienvenus.

M. Belfayol et M. Cobano, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite à lever la main à droite et à dire : « Je le jure ».

MM. Belfayol et Cobano prêtent successivement serment.

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Éric Belfayol, délégué national de la DNLF

Avant la DNLF, il existait une délégation interministérielle, concentrée exclusivement sur le travail illégal. En 2008, un changement de paradigme s'est installé, fondé sur une idée plus globale de la fraude, à la suite des expériences de terrain menées dans les comités opérationnels de lutte contre le travail illégal (COLTI) – qui étaient déjà des comités opérationnels, mais exclusivement dédiés au travail illégal. La délégation a été créée pour embrasser le spectre global de la fraude aux finances publiques (cotisations et prestations sociales, fraude fiscale et fraude douanière).

Un changement de portage est également intervenu, puisque cette délégation, antérieurement rattachée au ministère du travail, au titre du travail illégal, est devenue une délégation du Premier ministre rattachée auprès du ministre du Budget. C'est essentiel, puisque ce rattachement très direct au ministre, et donc à son cabinet, permet à la délégation de travailler sur l'ensemble des problématiques de fraude. La direction générale des finances publiques (DGFiP), la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) et l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), pour les cotisations sociales, sont présentes. La direction de la sécurité sociale (DSS), que vous venez de recevoir, est également présente pour l'ensemble des organismes de sécurité sociale, et notamment les organismes prestataires, dont l'action en matière de fraude aux finances publiques est majeure.

Ce nouveau paradigme s'est mis en place et les missions de la délégation suivent deux axes centraux. Le premier axe, au niveau national, consiste à porter un ensemble de projets en transversalité avec l'ensemble des directions confondues, quel que soit le ministère, pour essayer de décloisonner les approches de lutte contre la fraude. Le deuxième se situe au niveau local, fondé sur la coordination assurée par les CODAF.

Sur le plan national, une des missions centrales est de parvenir à décloisonner les problématiques de fraude, en ayant une vision plus transversale. Des groupes de travail ont été organisés depuis l'origine, et le sont encore, pour permettre ce décloisonnement. À titre d'exemple, ils ont abouti à la signature d'un certain nombre de protocoles, entre des acteurs qui a priori ne se connaissent pas beaucoup. Pour mémoire, un protocole signé en 2011 entre l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), les organismes de protection sociale, mais aussi la DGFiP et la DGDDI, avait pour vocation d'assurer un meilleur suivi et de permettre aux organismes que j'ai cités précédemment de mieux faire valoir leurs créances en cas de condamnation judiciaire, en l'absence de confiscation pour récupérer les sommes dont nous étions créanciers. C'était relativement nouveau. Ce protocole illustre un aspect très opérationnel du décloisonnement recherché.

Un autre groupe de travail, conduit par la DNLF et plus directement lié à l'actualité, porte sur la problématique de la fraude documentaire. Nous nous sommes saisis de cette question il y a peu de temps, depuis juin, avec le ministère de l'intérieur, pour essayer d'établir des passerelles entre les travaux organisés par ce ministère – qui est leader sur ce sujet et a une activité très riche en matière de délivrance des titres, mais aussi de vérification de l'identité et de fraude documentaire – et les organismes de sécurité sociale, qui sont parfois plus éloignés de ces thématiques, tout en étant rattrapés par celles-ci. En effet, la fraude documentaire ou la fraude à l'identité est l'un des principaux vecteurs de la fraude aux prestations sociales. Ce sont des illustrations de deux concrétisations des travaux mis en œuvre.

Ces travaux peuvent également concerner des domaines plus directement technologiques. Je pense au travail fait par la DNLF en matière de datamining, à une époque où cela était moins en vogue qu'aujourd'hui, voilà cinq ou six ans, et où les organismes de protection sociale, notamment la caisse nationale des allocations familiales (CNAF), avaient déjà de l'avance en la matière et avaient bien travaillé sur cette problématique. La DNLF a mis en place un interfaçage avec les directions de Bercy pour permettre des mutualisations d'expérience, nourrir une réflexion commune sur ces problèmes et dégager des pistes d'amélioration des dispositifs pour l'ensemble des partenaires.

Cette mission de décloisonnement entre les différentes administrations s'accompagne en arrière-plan d'un suivi actif par la DNLF ; celle-ci formule des propositions, notamment législatives, lorsqu'elle considère, de par l'ensemble des expertises qu'elle a en son sein, que de telles propositions sont pertinentes. C'est un point important. Nous avons porté, au cours des dix dernières années, plusieurs réformes permettant, aujourd'hui en tout cas, aux services de travailler davantage ensemble sur des problématiques de fraude.

La DNLF est une mission très resserrée, qui comporte douze personnes aujourd'hui, organisée autour de quatre pôles : un pôle « fraude aux prestations sociales », avec deux personnes dédiées ; un pôle « cotisations sociales », avec une personne issue de la DGFiP et une personne issue de la direction générale du travail (DGT) ; un pôle « coordination des contrôles », qui comportait jusqu'à très peu un magistrat, en l'occurrence moi-même, et un colonel de gendarmerie, pour l'ensemble de la coordination avec le ministère de l'intérieur, le ministère de la justice et les CODAF ainsi qu'un pôle « informatique et numérique », dont le but est de suivre les travaux de datamining et d'économétrie, qui peuvent être utiles en termes de biais en matière de fraude, pour nourrir la réflexion sur les thématiques émergentes telles que la blockchain.

L'avantage de cette organisation resserrée réside dans son agilité. Nous ne sommes pas des concurrents des directions qui participaient à ces groupes de travail. Nous sommes des prestataires de services, qui ont pour vocation de créer ces passerelles lorsqu'elles n'existent pas et de lancer des initiatives, parfois en matière législative, lorsque des mesures ou des adaptations semblent nécessaires.

Parmi l'ensemble des mesures portées par la DNLF, la toute première a été la levée du secret professionnel entre les agents des différentes caisses, sur la fraude aux prestations sociales. C'était déjà pour partie le cas, mais pas avec les services du fisc, la douane ou les officiers de police judiciaire (OPJ). Cette mesure a été portée dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI 2) de 2011. Il s'agit d'une des premières mesures fondamentales, très utile pour les CODAF, puisque c'est le socle sur lequel elles peuvent aisément échanger en matière de fraude aux prestations et aux cotisations sociales sans trahir le secret professionnel.

La DNLF a également porté d'autres mesures, telles que la simplification des sanctions pénales applicables en matière de fraude aux prestations sociales. En 2012‑2013, j'étais sur le terrain. Nous rencontrions d'importantes problématiques de flux, compte tenu du grand nombre de dossiers qui arrivaient au parquet sans que les suites pénales ne puissent être véritablement efficaces, puisque le texte prévu par le code de la sécurité sociale était quasiment inapplicable. Il punissait la fraude aux prestations sociales de 5 000 euros d'amende. Pour des personnes insolvables et souvent primodélinquantes, ces sanctions ne mènent pas à grand-chose au plan pénal. Il était nécessaire de revoir ce dispositif. Nous avons pu faire des propositions en la matière : elles ont consisté à supprimer beaucoup de textes, dont certains étaient utilisés de manière disproportionnée, dont d'autres ne l'étaient plus du tout, afin de se recentrer sur un discours commun entre le ministère de la justice, le ministère de tutelle des organismes de sécurité sociale ainsi que les services de police et de gendarmerie.

Deux textes ont été inscrits au code pénal. L'un d'eux sanctionnait la fausse déclaration, c'est-à-dire les cas les plus simples de fraude aux prestations sociales, par deux ans d'emprisonnement. L'autre était un nouveau dispositif, introduisant une circonstance aggravante d'escroquerie au préjudice des organismes de protection sociale, punie de sept ans d'emprisonnement. C'était un marqueur important, parce qu'il conduisait à poser un langage commun pour l'ensemble des acteurs, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent. Il aboutissait surtout à supprimer l'article L. 114-13 du code de la sécurité sociale, qui était également inutile.

Aujourd'hui, l'ensemble des organismes ont relativement bien pris en charge ces nouvelles dispositions. D'ailleurs, la justice les a portées également, et nous l'avons aidée dans la rédaction de circulaires, pour que les parquets s'emparent de ce nouveau dispositif.

Autre exemple : les juridictions rencontraient de grandes difficultés pour sanctionner fortement le travail illégal ainsi que pour sanctionner les primo‑délinquants. Or, en matière de cotisations sociales, certains dossiers relevaient véritablement de fraudes très élaborées, et donc de criminalité organisée. Il fallait qualifier les faits mais aussi, au-delà des mots, que les juridictions comprennent la gravité des faits et puissent prendre des mesures conservatoires puis des peines à la hauteur des faits commis et des préjudices subis par la société.

J'ignore si vous recevrez l'office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI) ou la direction générale du travail (DGT), mais il s'agit d'un marqueur important pour eux, qui organisent le travail entre fraudes simples et fraudes complexes.

Une des dernières mesures que nous avons portée, dans le cadre de la loi sur la fraude du 23 octobre 2018, concernait l'ensemble des accès directs aux fichiers. Pour les organismes de protection sociale, cet accès direct intervient sous condition d'habilitation et de désignation des agents ; c'était la condition sine qua non pour que le Conseil d'État accepte cette mesure. Un accès direct a été ouvert, pour ceux qui ne l'avaient pas encore, au fichier des comptes bancaires et assimilés (FICOBA) – que l'ensemble des acteurs avait déjà quasiment – mais surtout au fichier des contrats d'assurance vie et des contrats de capitalisation (FICOVIE), à la base nationale des données patrimoniales (BNDP) et à Patrim. Il s'agit de l'ensemble des outils de la DGFiP permettant de connaître le patrimoine d'une personne et, dans le cadre des enquêtes administratives ou judiciaires, non seulement d'évaluer les contradictions entre les déclarations et la réalité, mais au-delà, de prévoir le cas échéant des saisies conservatoires, qui s'avèrent utiles lorsque l'on veut récupérer les sommes dues pendant la phase judiciaire.

En sens inverse, nous avons prévu également que les OPJ, le service Tracfin, les agents de la DGFiP et ceux de la DGDDI puissent avoir accès au répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS). Pour eux aussi, un accès direct à ce répertoire est essentiel, et ce pour deux raisons. La première est que le RNCPS offre une photographie globale, en présentant des éléments d'identité, des adresses, mais également des informations sur les prestations touchées par une personne. Ensuite, dans le cadre des enquêtes administratives ou judiciaires, le RNCPS fournit des éléments qui permettent de mettre en évidence des contradictions.

Ces accès directs sont en train d'être mis en place. Les conditions techniques sont réunies. Les décrets d'application ont été pris. Les premiers accès devraient être ouverts en 2020.

Une autre mission de la DNLF, au niveau national, consiste à faire de la formation et à sensibiliser l'ensemble des acteurs sur la lutte contre la fraude. Nous avons un catalogue interministériel de formations en matière de lutte contre la fraude et nous en organisons nous‑mêmes, parfois sur demande, lorsque c'est nécessaire.

Le rattachement au cabinet du ministre est essentiel : cela nous permet d'avoir une relation directe lorsque nous faisons des propositions de texte. C'est ce qui fait notre force. Notre effectif – douze personnes – n'a rien à voir avec ceux des directions générales, et c'est normal car nos missions, axées sur la coordination, exigent une certaine souplesse.

Un deuxième élément essentiel de cette coordination réside dans le lien avec le niveau local, parce que notre réflexion nationale s'alimente de ce que nous pouvons voir sur le terrain et dans le cadre de la coordination des CODAF. Ces comités sont coordonnés par la DNLF de manière très souple, et au plan local, ils sont, dans leur forme plénière, coprésidés par le préfet et le procureur de la République. Dans leur forme restreinte, ils ne sont présidés que par le procureur de la République. Pourquoi les préfets ne sont-ils pas présents dans le comité restreint ? D'abord, ils n'ont pas de compétence directe en matière de fraude aux finances publiques au sens classique du terme ; ils n'ont pas de compétences en termes d'enquête sur ces sujets. Les enquêtes judiciaires généralement initiées dans le cadre des comités restreints sont par définition des enquêtes à dimension judiciaire, et comportent un secret professionnel sur leur tenue et leur évolution.

Les CODAF se réunissent très fréquemment, avec une réunion plénière annuelle en moyenne. C'est l'occasion de faire le point, pour les différentes autorités, sur l'état de la fraude et de la lutte contre celle-ci dans le département. Les comités restreints se réunissent en moyenne quatre fois par an sur l'ensemble du territoire, soit une réunion par trimestre – nous avons établi une cartographie sur ce sujet.

Ce dispositif est centré sur deux types d'action : des actions coordonnées de lutte contre la fraude, hors travail illégal, avec des objectifs de fraudes complexes et de fraudes particulièrement préjudiciables (transporteurs sanitaires, surprescripteurs de santé, logements indignes, fraudes en bande organisée, fraudes fiscales et fraudes douanières, par exemple en matière de contribution indirecte, pour les régions). En matière fiscale, cela concerne la fraude à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) dite fraude au « carrousel », dans le domaine de l'automobile par exemple. Les contrôles coordonnés comportent une deuxième dimension, qui est le travail illégal dans ses formes simples et dans ses formes plus complexes. Ce sont les aspects de coordination et de contrôle conjoint.

Le deuxième aspect essentiel des CODAF réside dans l'échange de renseignements. Au-delà des contrôles, le fait que les administrations se connaissent et échangent des informations au plan local, par l'intermédiaire de ce réseau souple qu'incarne le CODAF, est particulièrement précieux pour lutter contre la fraude.

Ces échanges d'informations prennent différentes formes. S'agissant des investigations hors travail illégal, ces échanges interviennent sur la base du protocole signé à notre initiative par la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), par la direction générale de la police nationale (DGPN) et par la CNAF en matière de fraude aux allocations familiales, pour favoriser des transmissions d'informations. Ce protocole est décliné aujourd'hui au plan local dans une trentaine de départements. Grâce aux échanges de renseignements, 7 ou 8 millions de redressements ont été réalisés, suivis de contrôles programmés par les CAF. L'information parvient aussi à la DGFiP.

Dans le cadre du travail illégal, l'ensemble des procès-verbaux (PV) de travail illégal, tous corps confondus de contrôle, sont transmis aux Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF), pour qu'ils pratiquent des redressements forfaitaires de manière automatique, ou à la Mutualité sociale agricole (MSA), dans le secteur agricole. Les informations et procès-verbaux sont transmis au préfet pour que celui-ci puisse procéder à des fermetures administratives. L'année dernière, cela a représenté à peu près 600 fermetures administratives sur le territoire national, ce qui n'est pas négligeable.

Le bilan chiffré de cette action des CODAF est loin d'être négligeable. Le total des montants redressés, par l'exploitation par exemple des PV de travail illégal par les URSSAF ou la MSA, pour l'année 2018, représentent respectivement 98 millions et 620 000 euros. Les opérations de travail illégal représentent 45,6 millions pour l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) et l'URSSAF, et 2 millions pour la MSA. Pour la DGFiP, cela représente 143 millions d'euros de redressements, pour les signalements de CAF, les montants atteignaient 8 millions en 2017 et 7 millions en 2018. Le montant total des redressements s'élève à 296 millions d'euros, ce qui est loin d'être négligeable au regard de ce que représentent les CODAF.

Le secrétaire permanent du CODAF, appartenant à des administrations, est notre référent. Il nous fait remonter des informations et il est notre premier contact. S'ajoutent les réunions dont je vous parlais, fondées sur la coordination, notamment dans les comités restreints, assurée par le procureur de la République. Nous n'avons pas une rigidité institutionnelle lourde, ni un fonctionnement très lourd. Notre rapport qualité-prix reste très intéressant.

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Concernant la fraude documentaire, qui a potentiellement des incidences sur la fraude aux prestations sociales, votre délégation a produit des rapports, en 2011 et en 2013, mentionnant un certain chiffrage. Celle-ci pouvait être estimée à hauteur de 10 % sur le stock. De manière plus récente, si je reprends maintenant le travail réalisé par le sénateur M. Vanlerenberghe en juin 2019, son chiffrage est cent fois inférieur, puisqu'il est de l'ordre de 0,1 %. Cette fraude aurait quasiment disparu. En tant que spécialiste de ces questions, quelle est votre analyse ? D'après vous, où se trouve la vérité ? Quels seraient les éléments permettant d'approcher cette réalité ?

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Vous indiquiez que votre délégation comprend douze personnes. L'organigramme en ligne de la délégation fait apparaître deux postes vacants sur dix postes de chargés de mission, et l'un des huit postes est occupé par vous-même. Ces informations sont-elles à jour, devraient-elles être mises à jour ? Au-delà de cela, avec douze personnes au sein de la délégation, considérez-vous avoir les moyens d'assurer l'ensemble des missions qui vous sont aujourd'hui confiées, notamment pour pouvoir mieux lutter contre la fraude ?

J'aborderai ensuite la question de l'évaluation de la fraude, avec la circulation de chiffres très différents selon les études, les missions et les rapports qui ont été présentés jusqu'à présent. En comparant les chiffres que la délégation a publiés dans son bilan pour 2018 avec les chiffres donnés par la directrice de la sécurité sociale (DSS) lors de l'audition précédente, nous constatons des différences. Alors que vous citez 1,4 milliard d'euros de fraude sociale détectée en 2018, la DSS fait état d'un montant de 1,2 milliard. Il ne s'agit pas de grandes différences, mais elles nous interpellent quand même, notamment sur les méthodes de coordination et de collation des données.

Sur la fraude liée aux cotisations sociales et au travail illégal, vous faites état de 657,9 millions contre 641 pour la DSS. Nous nous interrogeons sur les chiffres qui sont réellement disponibles et sur les méthodes utilisées pour collationner ces chiffres.

Troisièmement, j'évoquerai la fraude documentaire et la fraude à l'identité. Nous savons qu'il s'agit d'une clé d'entrée importante vers les différentes fraudes aux prestations et aux cotisations. Compte tenu des éléments dont vous disposez, est-il possible aujourd'hui de déterminer une géographie internationale de cette fraude documentaire et à l'identité ? Autrement dit, la DNLF a-t-elle identifié des zones à risques ? Quels sont les moyens éventuellement mis en œuvre ou envisagés pour les réduire ?

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Éric Belfayol, délégué national de la DNLF

S'agissant de l'organigramme de la DNLF, plusieurs personnes sont en effet parties, sur cet effectif de douze personnes. Un récent rapport de la Cour des comptes formule plusieurs préconisations. Une phase de réflexion sur la transformation éventuelle de la DNLF est actuellement en cours.

S'agissant ensuite des chiffres disponibles sur la fraude, il serait très artisanal, de notre point de vue et compte tenu des effectifs de la DNLF, de consolider quelque chiffre que ce soit par nous-mêmes. Nous n'en avons pas les moyens. L'ensemble des chiffres que je vous ai donnés pour les CODAF tout à l'heure sont produits par chacun de nos partenaires, qui nous les livrent chaque année. La seule comptabilisation que nous réalisons et qui nous est propre, et pour laquelle nous disposons des capacités nécessaires, est celle du nombre d'actions et du nombre de renseignements échangés via les fiches actions qui nous remontent des secrétaires permanents des CODAF. Les chiffres sont parfois très compliqués à stabiliser, nous serions vraiment en très grande difficulté si nous devions procéder autrement. Ce ne sont pas nos chiffres. L'ensemble des chiffres qui figurent dans le rapport sont produits par nos partenaires. Normalement, il ne devrait pas y avoir de différence avec les chiffres de la DSS.

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Danyel Cobano, chargé de mission à la DNLF

Si l'on additionne les chiffres de la fraude aux prestations sociales, y compris ceux de Pôle emploi, on arrive à un montant de 715 millions d'euros pour 2018. En ajoutant les chiffres de fraude aux cotisations sociales, qui s'élèvent à 657,9 millions d'euros, l'on parvient à un total compris entre 1,3 et 1,4 milliard d'euros. Très certainement, les chiffres communiqués par la DSS ne prennent pas en compte le montant de la fraude de Pôle emploi, alors que notre évaluation englobe l'ensemble.

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Éric Belfayol, délégué national de la DNLF

Nous nous contentons d'analyser et d'observer ce que font les sachants en la matière, en consolidant les chiffres disponibles.

S'agissant du service administratif national d'identification des assurés nés à l'étranger (SANDIA), je n'étais pas à la délégation en 2010‑2011. Les extrapolations qui ont pu être faites sur ces chiffres ne sont pas crédibles. J'ai plutôt tendance à me référer aux travaux faits par le SANDIA en la matière, et par les estimations qui ont pu être produites par la CNAV. Ce travail nécessite une technicité particulière, qui ne repose pas sur de simples additions, soustractions, multiplications. Je reste sur les chiffres qui ont été produits. Une enquête de la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) et du SANDIA, réalisée en 2018 sur un échantillon de 1 300 dossiers, affirme que 80 % des dossiers sont en règle ; seuls 13 se caractérisent par une véritable problématique frauduleuse. C'est sur cette base que la CNAV consolide son extrapolation. Effectivement, nous sommes bien en deçà des chiffres produits par certaines estimations que l'on peut lire ici ou là.

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Nous avions évoqué dans une présentation le nombre de réunions que vous avez faites avec l'ensemble des CODAF. Pourriez-vous nous repréciser le rythme auquel vous réunissez l'ensemble des CODAF ? Quel est l'objet de ces réunions ? Comment organisez-vous l'animation de l'ensemble des CODAF ?

Pourriez-vous également nous donner davantage de visibilité sur le fonctionnement des CODAF ? Identifiez-vous des variations de remontées de ces fiches ? Certains CODAF fonctionnent-ils de manière plus ou moins active ? Seriez-vous en mesure de nous communiquer davantage de visibilité sur les départements qui remontent les fiches actions et sur leur rythme de réunion ? Ma collègue Nathalie Goulet et moi-même avons considéré que les départements fonctionnaient de façon différente. Quel est votre regard sur ce sujet ?

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Considérez-vous que l'arsenal juridique aujourd'hui mis en place pour lutter contre la fraude est suffisant ? Si non, comment voyez-vous évoluer les choses ? Que manquerait-il et comment améliorer les dispositifs ?

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Éric Belfayol, délégué national de la DNLF

La coordination des CODAF se fait de différentes manières. Je vous ai parlé des aspects chiffrés tout à l'heure, c'est-à-dire de ce système de fiches actions qui nous remontent et qui comptabilisent les échanges de renseignements faits dans chacun des départements. Le système mis en place prévoit que chacun des départements nous remonte ces fiches actions, avec plus ou moins de rapidité. Nous réinterrogeons les départements en milieu d'année, lorsque nous n'avons pas reçu de chiffres, si bien que l'ensemble des CODAF nous transmettent des chiffres sur leurs actions dans les départements. Il n'y a pas de difficulté à ce niveau.

S'agissant des réunions, nous avons dressé une cartographie de la tenue des CODAF dans le bilan de la DNLF 2018, à la fois pour les comités restreints et les comités pléniers. En 2018, 539 réunions se sont tenues au total. Cette cartographie permet d'identifier les « trous dans la raquette ». Sur ces 539 réunions, nous comptons 101 réunions plénières, ce qui correspond à peu près à une réunion par département, et 429 réunions pour les comités restreints, soit quatre réunions par an.

S'agissant des comités restreints, 6 départements sur 101 n'ont pas organisé de réunion en 2018. Dans ces cas-là, je contacte les départements, le préfet ou le procureur de la République et bien avant, le secrétaire permanent du CODAF, afin de comprendre quelle est la difficulté. Généralement, ce n'est pas que le groupe ne se réunit pas, mais plutôt que le préfet ou le procureur sont partis ou qu'ils arrivent, ou que le secrétaire permanent qui s'occupait du CODAF n'est plus en poste et doit être remplacé, ce qui explique d'ailleurs que cela ne soit pas toujours les mêmes départements concernés. Généralement, c'est ce temps d'intermédiation nécessaire, lié aux départs et arrivées en poste, qui explique que certains CODAF ne se sont pas réunis. La cartographie s'avère très précise et complète, parce que l'on indique les départements pour lesquels il y a une seule réunion, deux à trois réunions, ou bien quatre réunions. Très peu de départements ne se réunissent pas.

Tous les CODAF fonctionnent-ils de la même manière ? Bien sûr que non, parce que là encore, ce fonctionnement repose sur les hommes, les territoires, mais aussi sur l'animation des comités. Quand nous détectons une difficulté, grâce aux secrétaires permanents des CODAF – que nous avons en ligne régulièrement, du fait de notre rôle de veille juridique et de conseil – nous prenons le train, plus souvent que l'avion, et nous nous rendons sur place pour essayer de trouver des solutions et les aider à gagner en efficacité.

Aujourd'hui, ce dispositif est très bien compris par l'ensemble des acteurs. J'ai tendance à me référer à ce que je vois chez les autres plutôt qu'à ce que je lis chez moi. Quand je regarde les circulaires interministérielles, qu'elles proviennent du ministère de l'intérieur, de la justice, de la DGT ou de la DSS, le CODAF est aujourd'hui l'instance de référence en matière de coordination locale. Il est vraiment identifié par les acteurs locaux comme tel. Les préfets et les procureurs de la République s'en sont très largement saisis.

Nous essayons d'établir des liens, au-delà de ces déplacements, des conseils que nous donnons ou du « service après-vente » que nous assurons auprès des collègues, en mettant à jour un guide des secrétaires permanents de CODAF. Il constitue une boîte à outils pour les nouveaux arrivants, pour comprendre les dispositifs et identifier les outils existants. Très concrètement, nous faisons une réunion annuelle. Cette année a été un peu particulière pour nous, mais jusqu'alors, la réunion a rassemblé l'ensemble des secrétaires permanents de CODAF. C'est le premier type de réunion que nous mettons en place.

Quelle est la vocation de ces réunions ? Je vous avais transmis à l'époque le DNLF Info, qui est un autre outil que nous utilisons. Tous les quatre mois, nous produisons une revue à destination des CODAF, dans laquelle nous sensibilisons les acteurs aux nouveautés réglementaires et aux bonnes pratiques repérées dans les CODAF et nous mettons l'accent sur une problématique de fraude que nous avons pu déceler. Dans le cadre de ces réunions, nous faisons le point sur des fraudes montantes, pour lesquelles il est nécessaire de sensibiliser les partenaires locaux. Nous faisons intervenir également des administrations centrales, afin qu'elles portent leurs messages en termes de lutte contre la fraude.

Lors de la dernière réunion, qui s'est tenue en juin 2018, nous étions au cœur de l'actualité puisque le procureur – qui était celui de Nancy à l'époque, mais qui avait auparavant été celui de Valenciennes – était venu, à ma demande, présenter la fraude en réseau fondée sur le statut d'autoentrepreneur, afin de sensibiliser l'ensemble des acteurs sur cette problématique.

Nous avions également organisé une table ronde sur la problématique du logement indigne, souvent connexe à la fraude en bande organisée. J'avais convié deux procureurs différents : un procureur exerçant sur un territoire très grand, soit la Seine-Saint-Denis, concerné par des problématiques de logement indigne très particulières que l'on pouvait retrouver dans d'autres départements, et le procureur de Nancy, qui pouvait aborder les problématiques de logement indigne qu'il avait vu adossées à celles de fraude en bande organisée. La CNAM est venue faire un point également sur sept grandes tendances en matière de lutte contre la fraude, notamment sur les surprescripteurs de santé et les transporteurs sanitaires. De mon point de vue, en matière de fraude aux prestations sociales, toutes les fraudes doivent être combattues, mais les fraudes particulièrement préjudiciables aux finances publiques, qui concernent les transporteurs sanitaires, les surprescripteurs de santé ou encore les marchands de sommeil, doivent l'être encore davantage.

Ces réunions sont également l'occasion d'échanges avec les participants. C'est aussi l'occasion de repérer des problématiques que nos interlocuteurs ont parfois constatées et que nous n'avons pas identifiées. Nous faisons des déplacements également, entre une vingtaine et trente par an selon la taille de nos effectifs. Cela constitue un ratio assez important de contacts sur une année, sachant que nous essayons de cibler ces déplacements en fonction des problématiques que nous avons décelées en amont.

Ce qui est particulièrement intéressant et propre à cette délégation, c'est qu'elle n'est ni « stratosphérique » ni coupée des réalités locales, mais qu'elle est en phase avec elles. C'est un atout. J'ai évoqué mon expérience personnelle en tant que magistrat du parquet pour la réforme en matière de fraude aux prestations sociales ; dans un autre domaine, l'année dernière, j'ai pu repérer au contact des CODAF des fraudes montantes en matière de taxes polluantes, qui ne sont pas forcément perçues au niveau national. Cela permet aussi de travailler sur ces sujets avec les services nationaux chargés de ces problématiques, en l'occurrence, l'Intérieur et la DGFiP.

La communication se fait grâce à notre revue, DNLF Info, avec les moyens qui sont les nôtres bien sûr, mais qui est régulièrement distribuée, tous les quatre mois, tant aux procureurs de la République qu'aux préfets ou aux secrétaires permanents des CODAF, ainsi qu'à nos interlocuteurs nationaux. Pour chaque revue, un édito est fait par un directeur général.

S'agissant de l'arsenal juridique, nous avons pu évoluer dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS), notamment vis-à-vis des CODAF, en incluant les agences régionales de santé (ARS) dans le dispositif. Après avoir été revisité au cours des dix dernières années, l'arsenal juridique est aujourd'hui assez complet. J'ai évoqué, en matière de fraude aux prestations sociales, la gamme des sanctions pénales applicables et la professionnalisation progressive des juridictions en matière de saisies et confiscations. Ces points sont importants, pour assurer une action efficace. Il faut surtout mentionner les articulations sur lesquelles la DNLF a beaucoup travaillé, entre actions administratives, actions judiciaires, sanctions administratives et sanctions judiciaires. N'écrasons pas une mouche avec un marteau. Lorsque l'action administrative est plus efficace que l'action pénale, parfois la première suffit – notamment pour les fraudes aux minima sociaux, par exemple au revenu de solidarité active (RSA).

Rien de sert de traduire en justice un primodélinquant, pour un indu de 2 000 ou 3 000 euros, comme je l'ai vu quand j'étais sur le terrain ; sur ces dossiers, deux ans et demi après, vous ne pouvez pas faire grand-chose pour essayer de récupérer un indu, même si vous avez les moyens administratifs de le récupérer. Le code de la sécurité sociale, notamment l'article L. 114-17, prévoit des sanctions administratives, y compris en se « payant » sur les prestations à venir. Ce mode de récupération directe évite d'encombrer les juridictions avec ces dossiers. Par contre, grâce aux textes dont je parlais tout à l'heure en matière de sanctions pénales, cette gamme allant de la fraude simple, fondée sur une fausse déclaration, à la fraude complexe, liée à une escroquerie, permet aussi d'être un vecteur pour les juridictions du siège qui condamnent et de gagner en efficacité. Dans la mesure où le nombre de dossiers transmis à la justice est moins élevé, ceux qui le sont peuvent être mieux traités et faire l'objet de condamnations. Le dispositif est ainsi plus lisible.

Il en va de même s'agissant de la fraude en bande organisée en matière de travail illégal. Le travail dissimulé simple est une forme de travail illégal. Mais quand nous décelons une forme complexe de travail dissimilé, elle doit être prise en main par des outils juridiques et pénaux adéquats. Aujourd'hui, ces outils existent. Parfois, l'action administrative elle-même peut suffire. Parfois, il faut la combiner avec l'action pénale. Qu'il s'agisse de cotisations sociales ou de fraude aux prestations sociales, ces articulations, actions, sanctions administratives et judiciaires sont finalement des mécaniques assez lisibles pour l'ensemble des acteurs. Chacun travaille justement à cette lisibilité.

Lorsqu'elle a porté des textes en matière de fraude aux prestations sociales, la DNLF a formulé des propositions négociées avec l'ensemble des administrations, afin que personne ne soit surpris lors de la sortie du texte et que tout le monde soit d'accord. Nous avons trouvé un vecteur législatif et nous avons surtout travaillé – c'est ce que nous essayons de faire à chaque fois – à diffuser auprès des réseaux ces nouvelles dispositions législatives. Il faut que les réseaux puissent s'en emparer. Pour ce faire, nous élaborons une dépêche destinée aux procureurs de la République pour expliquer le dispositif et préciser que le CODAF constitue un acteur majeur pour sa mise en place. La DSS a rehaussé les seuils de fraude à partir desquels les organismes de protection sociale sont tenus d'engager des poursuites pénales, pour les porter à huit plafonds mensuels de la sécurité sociale, soit environ 25 000 euros – en application de l'article L. 114-9 du code de la sécurité sociale. En deçà de ce seuil, sauf cas exceptionnel où la fraude est particulièrement grave, celle-ci reste dans le champ des sanctions administratives ; au-dessus de ce seuil, l'affaire est obligatoirement portée devant l'autorité judiciaire. Ces vecteurs permettent de mieux articuler l'ensemble des dispositifs. L'arsenal juridique me semble effectivement assez complet et les accès directs aux fichiers, une fois qu'ils auront pris véritablement leur envol, sont des outils particulièrement puissants pour les services compétents.

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Je voudrais revenir sur la question de notre président. Je n'ai pas très bien compris votre réponse. Vous dites que vous ne partagez pas la véracité de certains chiffres qui circulent. Je peux le comprendre, mais les chiffres que vous a opposés le président sont issus de votre organisme. En 2011-2013, la DNLF a estimé qu'il y avait 10 % de fraude sur la base de faux documents. Vous êtes en train de nous expliquer qu'en 2019, cette fraude n'existe plus. Pouvez-vous nous confirmer cela ?

Juste avant vous, la directrice de la sécurité sociale a reconnu sous serment qu'il y avait 2,6 millions de cartes Vitale actives en trop. Quel peut être l'impact de ce nombre de cartes Vitale actives en trop ? Quelle fraude sociale peut en résulter ?

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Éric Belfayol, délégué national de la DNLF

Je n'ai pas dit que la fraude n'existait pas. J'ai simplement dit que les chiffres que l'on trouve en 2010-2011 dans les rapports ne se retrouvent pas les années suivantes. Ce genre de calculs faits à l'époque par la DNLF n'ont pas, j'imagine, été reproduits au cours des années suivantes. Pourquoi ? Parce que nous sommes restés adossés aux logiques institutionnelles qui étaient celles des services porteurs, à savoir la CNAV, qui est l'organisme le mieux à même de faire cette démarche.

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C'est la DCPAF qui est spécialiste en la matière.

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Éric Belfayol, délégué national de la DNLF

La DCPAF travaille de très près avec la CNAV sur ces questions, notamment vis-à-vis du SANDIA.

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Donc en 2011, leurs chiffres étaient faux ?

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Éric Belfayol, délégué national de la DNLF

Non, ce n'est pas ce que je dis. Je ne peux pas vous parler des chiffres de 2011. Je pense qu'ils ont affiné leurs méthodes depuis. Quand je regarde la dernière production faite par la DCPAF et le SANDIA pour 2018…

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Il y avait 1,8 million de dossiers en 2011 ; il n'en reste plus que 13 en 2018.

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Éric Belfayol, délégué national de la DNLF

Non, c'est juste l'échantillonnage. De ce que je lis des rapports institutionnels, celui qui est fait par la DCPAF et le SANDIA pour 2018 indique que cette fraude existe.

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Combien représente-t-elle en pourcentage ?

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Éric Belfayol, délégué national de la DNLF

Je ne peux pas vous donner le pourcentage.

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Vous pourriez peut-être l'obtenir. Qu'est devenu le taux de 10 % constaté en 2011 ? C'est une question simple. C'est la base de toute action.

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Danyel Cobano, chargé de mission à la DNLF

En effet, en 2018, d'autres investigations ont été menées et le taux d'anomalie est redescendu à 4 %, grâce au renforcement des dispositifs de contrôle et à un nouveau guide d'identification.

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Le taux est passé de 10 % à 4 %, c'est ce que je vous dis.

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Danyel Cobano, chargé de mission à la DNLF

Le taux d'anomalie dans le dernier bilan a été calculé par le SANDIA en coordination avec la DCPAF. Sur ces 4 % de dossiers, des investigations complémentaires ont été conduites, pour les dossiers présentant une forte criticité. Cela nous a ramenés à un taux de risque qui existe, certes, mais qui est résiduel à ce jour.

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Selon vous, la fraude documentaire est devenue résiduelle.

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Danyel Cobano, chargé de mission à la DNLF

Non, les investigations complémentaires menées sur ces faux numéros d'inscription au répertoire (NIR) ont réduit les taux d'anomalie. Nous avons mené des investigations complémentaires auprès des assurés en leur demandant des pièces complémentaires.

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Vous me confirmez que le taux est passé de 10 % à 4 % ?

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Danyel Cobano, chargé de mission à la DNLF

C'est cela. Il s'agit du taux d'anomalie global sur la problématique des NIR.

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Éric Belfayol, délégué national de la DNLF

Pour nous, la fraude documentaire ne concerne pas uniquement le NIR, mais est bien plus large que cette problématique. Il est indéniable qu'une montée en gamme a été effectuée dans la mise en œuvre des mécanismes de vérification par le SANDIA. Les services demandent aujourd'hui deux pièces, une pièce d'état civil et une pièce d'identité, pour vérifier l'identité. Il existe des problématiques de lecture de pièces et de photocopies. Pour autant, en ce qui concerne les anomalies relevées qui sont considérées comme frauduleuses – je ne me réfère qu'à ce que le SANDIA produit en la matière -, le taux est très largement réduit.

Par contre, la DNLF travaille sur la fraude documentaire d'une autre manière aujourd'hui. Au-delà de la question du SANDIA et du NIR, la fraude documentaire n'est pas toujours bien prise en charge par l'ensemble des organismes de protection sociale. Pourquoi ? Parce que là encore, les problèmes de cloisonnement aboutissent par exemple à ce que les relations avec le ministère de l'Intérieur, et notamment les services de police, ne sont pas toujours naturelles et immédiates.

Nous avons constitué un groupe de travail très récemment, au mois de juin, ciblé sur la fraude documentaire et à l'identité. Il s'agit de parvenir à un protocole entre les organismes de protection sociale et la DCPAF, pour que celle-ci puisse être informée des modalités de faux documents que les organismes de protection sociale rencontrent et qu'elle-même puisse sensibiliser les organismes de protection sociale sur les faux documents qu'elle rencontre. Par exemple, lorsque la DCPAF fait des perquisitions et qu'elle trouve, comme c'est arrivé récemment dans le Val d'Oise (95), des centaines de pièces fausses, l'objectif est qu'elle puisse diffuser ces informations aux organismes, pour que ces dernières puissent vérifier les noms et identifier les cas de fraude. Cela, nous sommes en train de le construire.

Le protocole a aussi pour objectif de s'accorder sur une cartographie et sur une typologie de ces fraudes. Lorsque nous discutons avec les organismes de protection sociale ou avec les services de police et de gendarmerie, nous n'avons pas toujours une définition univoque en la matière.

Une troisième problématique, qui émerge et va monter très rapidement, réside dans la fraude à l'identité numérique. Les modalités de fraude à l'identité sont aujourd'hui essentiellement portées par le vecteur numérique. Les meilleurs moyens de lutter contre la fraude à l'identité numérique utilisent précisément l'outil numérique, notamment dans le cadre du règlement «  Electronic Identification and Trust Services  » (eIDAS), afin de travailler au déploiement d'outils renforcés de vérification et d'identification.

Aujourd'hui, la mission en charge de ces questions au sein de la direction de la modernisation et de l'action territoriale (DMAT), au sein du ministère de l'intérieur, est assez en avance. Nous essayons de créer des liens et un interfaçage afin de mettre en œuvre des synergies nouvelles.

La DNLF ne dispose pas des outils nécessaires pour effectuer un chiffrage professionnel. Je me réfère à ce que je lis ; ce sont essentiellement les extrapolations faites par la DCPAF et le SANDIA, et notamment les données de 2018, qui illustrent les améliorations dans les modalités de contrôle.

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Nous sommes bien d'accord, la DNLF ne produit pas directement ses données. Elle se base sur des données établies par d'autres.

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Éric Belfayol, délégué national de la DNLF

Effectivement, la DNLF, dans l'ensemble de ses rapports et à l'exception de la partie sur les CODAF, se borne à consolider les chiffres produits par l'ensemble des organismes. Vous imaginez bien qu'avec un effectif limité à douze personnes, il serait dangereux, voire périlleux, de faire des extrapolations au-delà des chiffres officiels et des constats réalisés par les experts sur les questions. Notre rôle est de constituer des ponts, tel celui créé en juin dernier, et dont nous espérons qu'il sera fructueux.

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J'entends que vos moyens évoluent. Malheureusement, les moyens des fraudeurs évoluent encore davantage. Personnellement, je suis très perplexe sur cette baisse du taux de 10 % à 4 %. Le taux de 10 % est aussi issu de vos services, j'insiste. Actuellement, chacun peut se lancer dans du faux état civil sur Internet. Je serais très surpris que le taux soit passé de 10 % à 4 % ; ce serait presque miraculeux. Je ne sais pas si nous avons prévu d'auditionner la police des frontières, mais il importe qu'elle nous donne sa vision aussi. Vous le savez comme moi, certains pays n'ont pas d'état civil. Je me suis même laissé dire que certains dossiers étaient établis avec une note d'état civil issue d'un pays dépourvu d'état civil. Ce n'est pas un reproche dirigé contre vous, mais j'ai du mal à croire que le nombre de fraudes documentaires ait été à ce point réduit.

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Éric Belfayol, délégué national de la DNLF

Ce que j'entends complètement. Je ne peux que faire une réponse institutionnelle, c'est-à-dire vous indiquer que les moyens de la DNLF visent à favoriser la convergence et les synergies entre les services. C'est ce que nous essayons de faire, y compris sur cette thématique. Si vous recevez la DCPAF, elle vous dira tout l'intérêt du groupe de travail qui a été mis en place.

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Nous savons pertinemment que les contrôles opérés en 2011, 2013, et en 2018, font état, Michel Zumkeller l'a dit, de l'utilisation de documents d'état civil dans des pays qui n'ont pas d'état civil écrit. Et nous connaissons ces pays. Vous faisiez état de 13 dossiers restants, considérés comme comportant des anomalies. Des régularisations ont été opérées sur la base des documents fournis. Honnêtement, je ne vois pas bien comment un document falsifié à l'origine peut devenir un document original, alors que ces pays sont dépourvus d'état civil.

La question du nombre de dossiers et des extrapolations qui peuvent être faites sur leur base est compliquée. Simplement, nous savons que ce type de fraude constitue la base de la fraude multiple et organisée aux prestations sociales ; notre responsabilité collective est de cibler les filières. Sans vouloir faire d'amalgame, je ne suis pas loin de penser qu'il y a des parallélismes entre ces filières et les filières d'immigration clandestine. Il existe des filières de fraude sociale organisée, et nous avons la responsabilité de lutter contre celles-ci, quel que soit le chiffre qu'elles représentent. Pouvoir incarner la réalité de cette fraude nous serait très utile, y compris dans la perspective de cette lutte.

Deuxième point, vous faisiez état de réflexions avec la Cour des comptes sur les évolutions possibles des missions de la DNLF, de son périmètre ou de la forme même de cette délégation. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce stade ?

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Vous avez évoqué à plusieurs reprises la question de la fraude en bande organisée. Nous sommes tous d'accord, une fraude est une fraude. Il ne s'agit pas d'en privilégier une par rapport à l'autre. Ceci étant, la lutte contre la fraude requiert des moyens publics, soit pour assurer de meilleures recettes, soit pour limiter des dépenses qui n'ont pas lieu d'être. Comment pouvons-nous assurer la meilleure efficience et la meilleure efficacité des politiques publiques ? D'après vous, quels sont les domaines dans lesquels, compte tenu des moyens mobilisables, nous sommes susceptibles d'obtenir les meilleurs rendements pour l'État français et les services publics ? Si nous adoptons un raisonnement coûts-bénéfices, que faut-il cibler pour essayer d'endiguer le phénomène ? Encore une fois, la question de la fraude est globale, mais l'on peut quand même être amené à établir des priorités. Considérez-vous que c'est sur la fraude en bande organisée que l'on obtiendrait le meilleur rendement ?

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Éric Belfayol, délégué national de la DNLF

La fraude est plus importante dans certaines zones, notamment en matière de fraude documentaire, mais cette géographie de la fraude existe aussi au sein de l'Europe. La fraude en bande organisée est un vecteur. Le fait de la repérer comme telle permet de mettre en œuvre des moyens d'enquête dédiés, dans les offices centraux, qui sont particulièrement compétents et disposent d'une compétence nationale. Cela permet aussi de démembrer des réseaux sur l'ensemble du territoire, notamment lorsque des ramifications concernent plusieurs départements.

Par exemple, la fraude en bande organisée liée au statut d'autoentrepreneur permet d'avoir un droit de séjour au-delà de trois mois sur le territoire national et d'obtenir le RSA, lorsque les revenus de l'autoentrepreneur ne sont pas suffisants, ou des indemnités journalières maladie. Éventuellement, des fausses maternités peuvent être déclarées. Ces réseaux sont repérés grâce à l'action des CODAF ; la plupart du temps, il s'agit de réseaux organisés, sur lesquels les praticiens vont pouvoir travailler, justement au sein des CODAF. Cela demande d'assurer des articulations très fines entre des services qui se connaissent assez peu. On retrouve cet exemple dans un certain nombre de zones, notamment dans le Valenciennois et sur Nancy, mais aussi à Bordeaux. Parfois, cette fraude est adossée aussi à des habitants des cités très bien installés, qui proposent des logements indignes et font de la fraude aux aides personnalisées au logement (APL). Un appartement ou un immeuble est divisé en dix-huit, puis l'on donne des adresses à ceux qui en ont besoin. Les fraudeurs perçoivent les APL par tiers payant.

Pour lutter contre le phénomène de logement indigne, notamment, et plus largement contre la fraude à l'ensemble des branches des organismes de sécurité sociale, les CODAF sont le seul lieu où les différents services se parlent, échangent et sont capables, sous l'égide du procureur de la République et parfois du préfet, de travailler en commun, pour trouver les articulations fines permettant de démanteler les réseaux. C'est aussi vrai au niveau national.

J'ai été inspecteur des douanes avant d'être magistrat, et en tant que magistrat j'ai servi dans des petits parquets. Quand vous travaillez dans un petit parquet, vous suivez parfois des fraudes complexes sur plusieurs territoires. Le problème est que le siège social n'est parfois pas dans votre ressort, ou la personne ne réside pas sur votre territoire. Il est nécessaire de remonter ces informations au niveau national pour que, comme cela se fait d'ailleurs aujourd'hui en matière de travail illégal ou de TVA, les services puissent partager ces informations, les redéployer, puis mettre les moyens adéquats pour mieux lutter contre ces fraudes en bande organisée.

Ces fraudes en bande organisée coûtent-elles cher ? Oui, puisque par définition, elles sont en réseau et concernent donc une population assez large. En plus, elles sont assez agiles et mobiles. Elles coûtent très cher aux finances publiques. C'est dans le cadre des CODAF et au niveau national que l'on peut réaliser des enquêtes permettant d'éviter ces fraudes par des sanctions pénales adéquates, impliquant de la prison ferme, ou des confiscations quand on peut faire des saisies en amont.

Nous parlions des fraudes aux prestations sociales qui peuvent parfois résulter de ces manquements et qui sont liés aux faux NIR. Je suis le premier à dire qu'elle existe : je ne peux pas vous donner de chiffre, mais elle existe. Ce que je sais en revanche, en tant que praticien, c'est que les fraudes liées à des surprescripteurs de santé, des transporteurs sanitaires et en matière de logement indigne, se chiffrent toujours à plus d'un million d'euros. Dans la perspective du recouvrement, ces fraudeurs sont généralement des gens relativement bien installés. Des saisies pénales peuvent être réalisées, des confiscations pénales aussi. Dans ces cas-là, le préjudice fait à la société peut être très fortement corrigé.

Si vous me demandiez l'ordre dans lequel je classerais les différentes fraudes, je citerais les fraudes aux prestations sociales faites par des cols blancs, par des gens très installés, qui s'avèrent très préjudiciables – les chiffres des condamnations sont assez éloquents. Je mettrais ensuite les fraudes en bande organisée, quelle que soit leur origine d'ailleurs. Ensuite vient la fraude individuelle, qui est faite par les uns ou par les autres. C'est d'ailleurs une manière d'approcher une typologie de la fraude un peu différente de celle que l'on pose habituellement, de manière assez statique.

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Merci beaucoup pour cet échange. Je pense que nous serons amenés à échanger à nouveau avec vous, ne serait-ce que sous forme d'envois de documents.

La réunion se termine à vingt heures.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Réunion du mardi 11 février 2020 à 18 heures 30

Présents. – M. Christophe Blanchet, M. Julien Borowczyk, M. Pascal Brindeau, M. Philippe Chassaing, Mme Christine Cloarec-Le Nabour, Mme Carole Grandjean, M. Patrick Hetzel, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Frédérique Lardet, M. Michel Lauzzana, M. Thomas Mesnier, M. Adrien Morenas, Mme Catherine Osson, M. Benoit Potterie, M. Alain Ramadier, Mme Agnès Thill, Mme Nicole Trisse, M. Michel Zumkeller

Excusés. – Mme Valérie Boyer, Mme Jeanine Dubié, Mme Josette Manin, M. Buon Tan