Intervention de Maryvonne Le Brignonen

Réunion du mardi 25 février 2020 à 18h30
Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Maryvonne Le Brignonen, directrice du service Tracfin :

Vous avez vu nos chiffres de transmission. Même s'ils sont en croissance et que nous sommes un fournisseur d'information – je le conçois – précieux pour les organismes de sécurité sociale, ce n'est pas massif. Nous faisons 263 transmissions par an. Je serais mal placée pour avoir un jugement général sur la manière dont ces organismes sont armés, mais nous avons quelques propositions. En tout cas, quand nous leur faisons des transmissions, nous savons qu'ils travaillent et que cela aboutit à des recouvrements. C'est déjà très satisfaisant – cela pourrait ne pas être le cas.

Notre point de vue à Tracfin est limité. Mais quand des prestations sociales sont perçues par 10, 15, 20 personnes et encaissées par une seule sur un compte bancaire en France, et que cet argent est tout de suite retiré en espèces ou viré sur un compte bancaire à l'étranger, du moment qu'il existe un compte bancaire en France au départ, nous avons un premier point d'accroche.

Beaucoup de travaux ont été faits sur le phénomène de fraude aux prestations sociales et sur les collecteurs en 2013, 2014 et 2015. Aujourd'hui, nous travaillons moins sur le sujet parce que nous pensons que les prestations ne sont plus versées sur un compte bancaire français, mais directement sur un compte bancaire étranger. Et là, évidemment, c'est beaucoup plus difficile, parce que nous devons actionner une cellule de renseignement financier à l'étranger.

Le fait que les prestations sociales soient obligatoirement versées sur un compte bancaire en France serait pour nous très efficace. J'ai tout à fait conscience que cela pose certainement un problème au niveau de la législation européenne. Mais en tout cas, l'obligation de versement sur un compte bancaire au sein de l'Union européenne nous permettrait de travailler plus facilement.

Ensuite, mais cela dépasse largement les organismes de protection sociale, se posent les questions d'entrée en contact à distance. Il n'y a plus aujourd'hui de rencontre physique : là vont se développer tous les phénomènes de fraude documentaire, d'identité falsifiée, d'identité volée. La réponse dépasse largement les organismes de protection sociale. Cela relève de réflexions sur l'identité numérique menées actuellement au niveau du Gouvernement, et sur le niveau de sécurité que l'on impose à cette identité numérique. Quand nous fournissons par mail ou scannons une pièce d'identité, va-t-on exiger que la personne se prenne en photo à ce moment-là ? Cela va-t-il être un niveau de sécurité supplémentaire, la personne devra-t-elle se filmer et bouger pour que le système vérifie que c'est la même personne ? Cela concerne l'ouverture des comptes bancaires en ligne mais c'est un sujet qui est plus général et plus on sécurise les entrées en relation et les contacts à distance, plus on sécurise la question des usurpations ou des vols d'identité en matière de prestations sociales.

Concernant la fraude à la résidence – sur laquelle Tracfin est amené à faire de plus en plus de transmissions – c'est-à-dire des personnes qui ne respectent pas les conditions de résidence pour toucher certaines prestations sociales ou des allocations-chômage, nous pouvons être amenés à faire des transmissions, puisque nos travaux nous permettent de voir que la personne vit à l'étranger et que tous les flux bancaires qui la concernent sont à l'étranger, qu'il n'y a aucun flux bancaire en France. On peut assez raisonnablement conclure qu'elle ne réside pas trois ou six mois par an en France.

Au-delà des flux bancaires, se pose aussi la question des connexions informatiques, quand les personnes se connectent sur le compte de Pôle emploi ou sur le compte de la CNAF. Il est vrai que si ces organismes étaient autorisés à contrôler et à collecter la localisation des adresses « Internet Protocol » (IP) de connexion, cela pourrait être un élément supplémentaire pour travailler sur les sujets de résidence. Cela pose d'énormes problèmes techniques, que je ne connais pas, mais cela pourrait être une piste.

Le dernier point d'amélioration concerne le droit de communication. Les organismes de protection sociale bénéficient d'un droit de communication bancaire, à l'exception de Pôle emploi, pour une raison que nous avons rationnellement du mal à nous expliquer. Je ne sais pas si vous avez reçu Pôle emploi et s'ils se sont exprimés sur ce sujet, mais nous avons l'impression qu'un tel droit de communication pourrait les aider.

Une question portait sur nos relations avec les cellules de renseignement financier étrangères, présentes dans quasiment chaque pays. Elles peuvent avoir des statuts assez divers : elles peuvent être administratives, comme c'est le cas en France, intégrées à l'intérieur de la banque centrale ou encore incluses dans les services de police. Ces statuts peuvent influer sur la qualité des relations que nous avons avec elles. Elles n'ont ainsi pas toutes les mêmes pouvoirs, et comparativement, Tracfin en a énormément. Toutes n'ont pas un pouvoir d'enquête comme nous, certaines n'ont pas de droit de communication. C'est assez divers, et cette organisation ne recoupe pas forcément la carte des pays occidentaux. Par exemple, la cellule de renseignement financier britannique a beaucoup moins de pouvoir que Tracfin et, naturellement, nous n'allons peut-être pas aussi bien travailler avec elle qu'avec des cellules de renseignement financier africaines ou du Golfe, dont les pouvoirs sont assez étendus.

Le domaine des fraudes aux prestations sociales et aux cotisations sociales n'est pas celui sur lequel nous travaillons le plus avec elles. Aujourd'hui, c'est davantage sur des sujets de blanchiment ou de terrorisme. Cela ne s'explique pas par des obstacles philosophiques ou juridiques, mais simplement, ce n'est pas le sujet sur lequel nous avons le plus travaillé. Cela peut le devenir, mais par rapport aux bases auxquelles nous avons accès, au droit de communication, etc., nous avons un certain nombre de moyens de travailler avec elles.

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