Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Réunion du mardi 25 février 2020 à 18h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • DNLF
  • TRACFIN
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La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE RELATIVE A LA LUTTE CONTRE LES FRAUDES AUX PRESTATIONS SOCIALES

Mardi 25 février 2020

La séance est ouverte à dix-huit heures quarante-cinq.

Présidence de M. Patrick Hetzel, Président

La commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales procède à l'audition de Mme Maryvonne Le Brignonen, directrice du service Tracfin.

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Nous recevons Mme Maryvonne Le Brignonen, directrice du service Tracfin, accompagnée par M. Stéphane Demessemacker, à qui je souhaite la bienvenue.

Madame Le Brignonen, vous êtes à la tête du service Tracfin depuis juillet 2019, après avoir occupé plusieurs fonctions au sein de la direction générale des finances publiques (DGFiP). Vous avez notamment assuré le pilotage du projet du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, et ceci à partir de 2015.

Service de renseignement placé sous l'autorité du ministre de l'action et des comptes publics, Tracfin a pour mission de lutter contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Il reçoit des informations de la part de différents acteurs et professions, au premier rang desquels les établissements bancaires. Il transmet des notes à la justice et à l'ensemble de ses partenaires (services de renseignements, services fiscaux, mais aussi organismes de protection sociale), l'objectif étant d'avoir une approche systémique et systématique.

Votre service prend ainsi une part importante à la lutte contre la fraude sociale. Le nombre des notes sociales a triplé au cours des cinq dernières années pour atteindre 263 en 2018. Plusieurs des personnes que nous avons auditionnées ont évoqué le rôle croissant joué par Tracfin en la matière, tout en reconnaissant son expertise, mais aussi son professionnalisme. Nous sommes, par voie de conséquence, particulièrement intéressés par les éléments que vous pourrez nous apporter sur vos moyens de détection des fraudes sociales – dans la limite de ce qu'il est possible de dire – en bande organisée, sur les résultats obtenus en la matière et le cas échéant, sur les perspectives d'amélioration de nos dispositifs.

Votre expérience sur le projet du prélèvement à la source pourrait être précieuse pour nous éclairer sur le sujet des échanges de données et de la coordination entre administrations, qui constituent des enjeux essentiels en matière de lutte contre la fraude sociale.

Nous avons noté que beaucoup de choses fonctionnaient en silos, qu'il y avait dans certains cas des problématiques de circulation de l'information, de constitution des bases de données, parfois des sujets liés à la législation. L'objectif est que nous puissions en discuter avec vous cet après-midi.

Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, madame et monsieur, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Le Brignonen et M. Demessemacker prêtent successivement serment.)

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Maryvonne Le Brignonen, directrice du service Tracfin

Effectivement, je suis à la tête de Tracfin depuis le mois de juillet dernier. Tracfin est à la fois la cellule de renseignement financier française au sens des standards du groupe d'action financière (GAFI) et un service de renseignement du premier cercle, qui est indépendant et autonome.

Tracfin ne travaille pas sur la base de ses initiatives, mais uniquement quand nous avons reçu de l'extérieur une information qui nous laisse supposer un soupçon, et donc nous permet d'ouvrir une enquête.

Nous avons trois sources d'information. Principalement, et de très loin, ce sont les déclarations de soupçon que nous font nos assujettis (banques, compagnies d'assurances, notaires, avocats, greffiers de tribunaux de commerce…). Une autre source d'information, beaucoup plus restreinte en nombre, vient des informations de soupçon qui peuvent nous être transmises par toute entité en charge d'une mission de service public. Troisièmement, des informations nous sont transmises par nos homologues étrangers, donc par les autres cellules de renseignement financier étrangères. Tracfin ne peut commencer à travailler sur un thème que si nous avons reçu une de ces trois catégories d'information.

Une fois que nous ouvrons une enquête, sur la base d'une déclaration de soupçon, d'une information de soupçon ou d'une information entrante, nous réalisons un certain nombre de diligences depuis le bureau, car les enquêteurs de Tracfin ne se déplacent pas sur le terrain. Nous n'avons pas de pouvoir d'audition et ne disposons d'aucun pouvoir de coercition. Nous travaillons sur la base des informations qui nous sont données, sur des droits de communication complémentaires auprès de nos assujettis et sur la base de fichiers en sources ouvertes ou de fichiers d'autres administrations, notamment de l'administration fiscale, auxquels nous pouvons avoir accès.

C'est sur la base de l'ensemble de ces informations que Tracfin rédige des notes de transmission, qui soit sont transmises à l'autorité judiciaire, soit font l'objet d'une transmission administrative, principalement à la DGFiP ou à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), ou d'une transmission en renseignement.

Tracfin constitue vraiment un maillon de la chaîne de la lutte contre la fraude, puisque in fine, nous allons transmettre des informations à l'autorité judiciaire ou aux administrations sociales qui, ensuite, peuvent mettre en place des contrôles ou des sanctions.

Tracfin est compétent dans le domaine de la fraude sociale depuis 2012. C'est la dernière grande compétence qui lui a été attribuée, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. Dans le prolongement de cette nouvelle mission et sous l'égide, à l'époque, de la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF), Tracfin a signé un protocole le 1er mars 2012 avec la quasi-totalité des organismes de protection sociale : l'ACOSS, la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS), la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA), la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), Pôle emploi et à l'époque, le régime social des indépendants (RSI). C'est sous l'égide de ce protocole que nous travaillons dans le cadre de la lutte contre la fraude.

Nous avons trois grandes catégories d'intervention, dont la fraude aux cotisations sociales et la fraude aux prestations sociales. La fraude aux cotisations sociales se fait essentiellement via la détection de phénomènes de travail dissimulé. La fraude aux prestations sociales est essentiellement le fait des gens qui ne sont pas éligibles aux prestations qu'ils reçoivent ou qui perçoivent d'autres revenus qui, étant dissimulés, ne les rendent plus éligibles. Nous avons également une activité, beaucoup plus restreinte, sur certaines professions médicales qui peuvent mettre en place des facturations fictives.

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Dans un premier temps, pourriez-vous nous fournir le nombre et l'origine des déclarations de soupçon transmises à Tracfin en lien avec des problématiques de fraude sociale ? Nous avons parfaitement conscience que cela n'en représente qu'une partie. D'ailleurs, au départ, ce n'était pas du tout le sujet de Tracfin, mais vous vous êtes rendu compte qu'il pouvait y avoir, y compris avec les fraudes sociales, des moyens pour capter des ressources au profit de réseaux criminels ou terroristes, ce qui a entraîné une extension du champ d'intervention de votre service. Pourriez-vous parler de ces évolutions ?

Quels sont les points qu'il faut à votre sens absolument creuser ? Notre temps est limité : une commission d'enquête intervient sur une période de six mois. Où faut-il chercher ? Quels sont les endroits où vous percevez des sujets d'alerte ? L'objectif est de tout mettre en œuvre pour réduire cette question. Pour nous, elle a d'ailleurs deux facettes, puisque la fraude aux prestations sociales représente à la fois de l'argent versé de manière indue, mais aussi, potentiellement, certaines sommes qui ne sont pas versées à des organismes en raison de fausses déclarations. Cela peut fonctionner dans les deux sens et a une incidence sur nos finances publiques.

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Sur la fraude aux cotisations sociales liée au travail dissimulé, on voit bien le lien potentiel avec des réseaux organisés. Pourriez-vous nous décrire des liens avec des organisations criminelles et peut-être une géographie, si elle existe, que vous avez pu détecter ?

S'agissant de la fraude aux prestations sociales, avez-vous pu percevoir, à travers ces fraudes, des formes d'organisation ? Y a-t-il, là aussi, une géographie potentielle de ces fraudes ?

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Maryvonne Le Brignonen, directrice du service Tracfin

En matière de fraude sociale, les déclarations de soupçon émanent quasi exclusivement des organismes bancaires, sachant que ces déclarations de soupçon issues des banques représentent 80 % de l'ensemble des déclarations de soupçon que reçoit Tracfin.

Nous avons reçu, en 2019, 3 973 déclarations de soupçons en lien avec de la fraude sociale. C'est une progression d'environ 5 ou 6 % par rapport à l'année précédente, avec une scission très nette, puisque parmi ces 3 973 déclarations de soupçon, 3 266 étaient relatives à du travail dissimulé et 707 à de la fraude aux prestations sociales. Les capteurs de Tracfin, identifient majoritairement le travail dissimulé : c'est assez facile, pour un organisme bancaire, d'identifier que le nombre de personnes payées par une entreprise est tout à fait incohérent, ce qui la met sur la piste du travail dissimulé.

Ces déclarations de soupçon ont donné lieu à 263 notes aux organismes sociaux en 2018, et à 237 en 2019. Elles sont en légère baisse, mais les chiffres sont suffisamment faibles pour que l'on ne puisse pas forcément en tirer des conclusions particulières. En 2019, ces 237 notes ont été envoyées très majoritairement à l'ACOSS, avec 192 notes, 19 à la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), 2 à la CNAV, 3 à la Mutualité sociale agricole (MSA), 17 à Pôle emploi, et 4 à la CNAMTS. Ces chiffres sont relativement stables. La légère baisse observée entre 2018 et 2019 est liée à une diminution des envois à la CNAF, parce qu'en 2018, nous avions identifié d'importantes affaires de fraude aux prestations familiales. Sur une tendance plus longue, une large partie de la croissance de nos transmissions est liée à celles vers Pôle emploi, puisque nous avons de plus en plus d'informations à leur transmettre en matière de fraude aux cotisations chômage, c'est-à-dire à propos de personnes qui ont une autre activité et ne sont donc pas éligibles à une indemnisation.

La répartition des notes que nous pouvons faire par type de fraude suit un peu la tendance vue au niveau des déclarations de soupçons, puisque sur les 237 notes en 2019, 194 sont liées à de la fraude aux cotisations sociales et 43 sont liées à de la fraude aux prestations sociales. Ce ratio d'environ 80 % de notes portant sur la fraude aux cotisations et de 20 % sur celle aux prestations est stable depuis plusieurs années.

En matière de fraude sociale, en moyenne, les enjeux de chaque dossier transmis sont de l'ordre de 864 000 euros, tirés fortement à la hausse par la fraude aux cotisations sociales. Concernant les transmissions à l'ACOSS, en moyenne, les enjeux atteignent plus d'un million d'euros par dossier, par note que nous pouvons transmettre. En revanche, pour la fraude aux prestations sociales, nous sommes sur des montants beaucoup plus bas ; à la CNAF, nous sommes à peu près à 19 000 euros par dossier, et à Pôle emploi, à 38 000 euros par dossier.

Monsieur le rapporteur, ce n'est pas au domaine de la fraude aux cotisations sociales et du travail dissimulé que nous rattachons la criminalité organisée ou la fraude en réseau. Ce sont majoritairement des entreprises éphémères qui vont ouvrir, fermer et servir à faire du blanchiment et à rémunérer des gens via du travail dissimulé. C'est plus ponctuellement dans le domaine de la fraude aux prestations sociales que l'on peut avoir des phénomènes de réseaux, notamment sur les dossiers des collecteurs qui ont pu être faits avec la CNAF et la CNAV.

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de la détection des fraudes au sein de Tracfin

En matière de cotisations, nous pouvons rencontrer de la fraude organisée avec des réseaux, mais elle fait plutôt l'objet d'un traitement judiciaire, et non pas d'une note administrative. Nous nous sommes un peu plus focalisés, par rapport à vos demandes, sur le traitement administratif directement auprès des organismes. Par rapport à la fraude aux cotisations, nous rencontrons moins de réseaux, et nous sommes plutôt sur des cas individuels.

Sur la fraude aux prestations, il nous arrive d'avoir des dossiers mettant en lumière un réseau organisé, mais la majorité des dossiers relèvent de la fraude individuelle, ce qu'il est important de souligner. Nous ne traitons pas que des réseaux avec une extrême complexité, nous nous intéressons également à la fraude « basique », en tout cas à titre individuel.

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Stéphane Demessemacker chef de la division de l'enrichissement

En matière de cotisations, nous pouvons rencontrer de la fraude organisée avec des réseaux, mais elle fait plutôt l'objet d'un traitement judiciaire, et non pas d'une note administrative. Nous nous sommes un peu plus focalisés, par rapport à vos demandes, sur le traitement administratif directement auprès des organismes. Par rapport à la fraude aux cotisations, nous rencontrons moins de réseaux, et nous sommes plutôt sur des cas individuels.

Sur la fraude aux prestations, il nous arrive d'avoir des dossiers mettant en lumière un réseau organisé, mais la majorité des dossiers relèvent de la fraude individuelle, ce qu'il est important de souligner. Nous ne traitons pas que des réseaux avec une extrême complexité, nous nous intéressons également à la fraude « basique », en tout cas à titre individuel.

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Maryvonne Le Brignonen, directrice du service Tracfin

Sur l'origine géographique des dossiers, les statistiques que je vais vous donner concernent tous les types de fraudes – fraude aux cotisations ou fraude aux prestations sociales –, avec une prépondérance très importante de l'Île-de-France, tendance qui se confirme d'année en année. L'Île-de-France représentait 67 % de nos notes de renseignement en 2017, 68 % en 2018 et 72 % en 2019. À l'intérieur de ce taux de 72 % en 2019, ce qui représente 170 notes de transmission, deux départements sont très dominants : la Seine-Saint-Denis, avec 40 % des notes de transmission, et Paris, avec 20 %. En Seine-Saint-Denis, on constate des phénomènes de travail dissimulé relativement importants et Tracfin est régulièrement amené à faire des transmissions en la matière dans ce département.

Pour les autres départements, nous sommes sur des chiffres beaucoup plus faibles : 17 transmissions concernaient le Val-de-Marne, 16 le Val-d'Oise, 9 l'Essonne, 10 les Hauts-de-Seine, 11 les Yvelines et 5 la Seine-et-Marne.

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Stéphane Demessemacker

À part en Île-de-France, nous ne pouvons pas dire que nous avons régulièrement identifié une zone géographique particulièrement touchée par la fraude sociale. On constate des mouvements conjoncturels, la partie hors Île-de-France est très minoritaire chez nous, mais de façon générale, cela s'équilibre entre les régions d'une année sur l'autre. Nous ne pouvons pas tirer de conclusions très prégnantes sur la répartition géographique, à part sur l'Île-de-France, très majoritaire d'année en année.

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Comment collaborez-vous avec les autres services de l'État lorsque vous détectez, lors de vos enquêtes, des financements terroristes, ou autres, par le biais des fraudes aux prestations sociales ? La chaîne d'information fonctionne-t-elle bien, assez rapidement, de manière à ce qu' in fine, les prestations soient coupées ?

J'ai travaillé dans une banque jusqu'au mois de juin 2017. Nous étions très sensibilisés aux sujets que Tracfin suit et nous avons été amenés, puisque j'étais à la direction des crédits, à faire passer des notes régulièrement. Cela veut dire qu'aujourd'hui, ces enjeux sont bien ancrés, notamment au niveau bancaire. C'est important que vous soyez alimentés, pour que des réactions interviennent ensuite. Dans mon cas, il s'agissait davantage de blanchiment d'argent, par contre.

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J'ai eu le plaisir de vous interroger dans le cadre d'un rapport que j'ai fait sur l'asile, l'intégration, l'immigration et sur le financement du terrorisme, l'argent de la terreur. Si nous connaissons les pratiques du blanchiment, nous connaissons moins bien celles du « noircissement », qui sont justement d'utiliser des prestations sociales pour financer des activités terroristes. C'est le terme que nous avions trouvé, avec ma collègue co-rapporteure, pour définir la transformation des prestations sociales, de l'argent de la solidarité, en prestations frauduleuses.

Je suis surprise par la faiblesse du nombre de déclarations dont vous avez fait état dans votre exposé, parce qu'il y a plusieurs façons d'abuser du système, par exemple les abus de prestations avec des cartes Vitale ou des cartes qui sont tout à fait légales : dans ce cas, la fraude est plus compliquée à déceler, mais en principe, les logiciels des caisses de sécurité sociale doivent pouvoir identifier des trop-perçus d'indemnités journalières (IJ) ou de remboursement de certains types de médicaments, etc. L'enjeu concerne surtout les fausses cartes, les faux documents : à votre avis, quels sont les moyens à mettre en œuvre pour mieux détecter ces faux documents ? De quoi avez-vous besoin sur le plan législatif pour pouvoir mieux travailler ? Les systèmes d'information, les réseaux d'information et le big data ne pourraient-ils pas être utilisés pour systématiquement déceler des anomalies ou des flux à soupçonner ?

Enfin, concernant les prestations servies à l'étranger, qui font souvent l'objet de débats et pour lesquels, souvent, les journalistes nous critiquent dès que l'on aborde le sujet comme si nous étions de grands inquisiteurs, avez-vous des éléments précis qui pourraient nous permettre d'avoir de véritables preuves de vie de la part des personnes pour lesquelles des prestations sont servies à l'étranger ?

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Vous avez dit être alertée par les services étrangers, lorsqu'il y a des suspicions de fraude. Les sollicitez-vous aussi lors de vos enquêtes ? Je pense aux prestations versées dans d'autres pays. Avez-vous les moyens de vérifier qu'elles vont bien à des particuliers et qu'elles n'alimentent pas des réseaux ?

Enfin, y a-t-il des pays avec lesquels la coopération est difficile ? Si oui, quels sont-ils et à quoi sont dues les difficultés que vous rencontrez pour avoir vos informations ?

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Avez-vous les moyens d'opérer tous les contrôles, y compris sur les comptes d'épargne ? Est-ce facile pour vous ?

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Vous disiez recevoir des déclarations de soupçon de la part des banques. Comment cela se passe-t-il avec les comptes en ligne, les fameux comptes Nickel ? Quelle analyse en faites-vous ? Arrivez-vous à travailler avec ces comptes-là également ?

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Maryvonne Le Brignonen, directrice du service Tracfin

Sur la fraude sociale, nous travaillons avec l'ensemble des organismes de prestations sociales et au premier chef l'ACOSS, mais aussi, beaucoup, la CNAF et Pôle emploi. De notre point de vue, cela fonctionne bien, dans la mesure où ils ont à la fois un point de contact chez nous et nous en avons un chez eux. Quand nous faisons une note de transmission, nous disposons d'un point de contact pour voir si la transmission a bien été réceptionnée, si elle est prise en charge, si elle est traitée, pour savoir ce qu'elle devient et pour répondre éventuellement aux questions de l'organisme. Nous avons régulièrement des bilans sur les contrôles qui ont pu être lancés et mis en place à la suite de notre transmission.

Ce fonctionnement est fluide, d'autant plus que nous avons un officier de liaison de l'ACOSS depuis 2016, présent trois jours sur cinq à Tracfin ; il est dans nos locaux et a accès à notre système d'information. Au-delà d'assurer la communication au niveau institutionnel, c'est lui qui est en charge de répondre au droit de communication que Tracfin peut faire auprès de l'ACOSS. Il contribue à assurer l'accompagnement de nos notes de transmission. Dans la mesure où l'ACOSS est le destinataire de l'immense majorité de nos notes de transmission, sur la question de la fraude aux cotisations sociales, nous estimons avoir une bonne communication de l'information, qui est fluide et avec des transmissions traitées de manière très efficace.

De manière plus générale, effectivement, les banques sont aujourd'hui à bonne maturité en matière de collaboration avec Tracfin et de détection des phénomènes de blanchiment de fraude ou de financement du terrorisme, avec des scénarios de détection et des capteurs très efficaces. Aujourd'hui, le système est à maturité et nous recevons de plus en plus de déclarations de soupçon des banques. Sur ce point-là, il n'y a pas d'axe d'amélioration majeure. Les choses vont vraiment dans le bon sens.

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Nous étions il y a quelques instants sur les organismes de sécurité sociale. Vous évoquiez l'existence d'un officier de liaison. Selon vous, ces organismes de sécurité sociale sont-ils aujourd'hui armés pour lutter efficacement contre les réseaux de fraudeurs ? Les premières auditions montrent des propos très élogieux concernant Tracfin. Ils le sont un peu moins pour les organismes de sécurité sociale et, manifestement, on constate des « trous dans la raquette ». Quelle est, en tant que directrice de Tracfin, votre perception ? Quels sont les éléments qui permettraient d'améliorer la liaison, même si celle-ci est fluide aujourd'hui ? Que faudrait-il faire pour que cela fonctionne dans tous nos organismes de la même manière qu'à Tracfin ?

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Maryvonne Le Brignonen, directrice du service Tracfin

Vous avez vu nos chiffres de transmission. Même s'ils sont en croissance et que nous sommes un fournisseur d'information – je le conçois – précieux pour les organismes de sécurité sociale, ce n'est pas massif. Nous faisons 263 transmissions par an. Je serais mal placée pour avoir un jugement général sur la manière dont ces organismes sont armés, mais nous avons quelques propositions. En tout cas, quand nous leur faisons des transmissions, nous savons qu'ils travaillent et que cela aboutit à des recouvrements. C'est déjà très satisfaisant – cela pourrait ne pas être le cas.

Notre point de vue à Tracfin est limité. Mais quand des prestations sociales sont perçues par 10, 15, 20 personnes et encaissées par une seule sur un compte bancaire en France, et que cet argent est tout de suite retiré en espèces ou viré sur un compte bancaire à l'étranger, du moment qu'il existe un compte bancaire en France au départ, nous avons un premier point d'accroche.

Beaucoup de travaux ont été faits sur le phénomène de fraude aux prestations sociales et sur les collecteurs en 2013, 2014 et 2015. Aujourd'hui, nous travaillons moins sur le sujet parce que nous pensons que les prestations ne sont plus versées sur un compte bancaire français, mais directement sur un compte bancaire étranger. Et là, évidemment, c'est beaucoup plus difficile, parce que nous devons actionner une cellule de renseignement financier à l'étranger.

Le fait que les prestations sociales soient obligatoirement versées sur un compte bancaire en France serait pour nous très efficace. J'ai tout à fait conscience que cela pose certainement un problème au niveau de la législation européenne. Mais en tout cas, l'obligation de versement sur un compte bancaire au sein de l'Union européenne nous permettrait de travailler plus facilement.

Ensuite, mais cela dépasse largement les organismes de protection sociale, se posent les questions d'entrée en contact à distance. Il n'y a plus aujourd'hui de rencontre physique : là vont se développer tous les phénomènes de fraude documentaire, d'identité falsifiée, d'identité volée. La réponse dépasse largement les organismes de protection sociale. Cela relève de réflexions sur l'identité numérique menées actuellement au niveau du Gouvernement, et sur le niveau de sécurité que l'on impose à cette identité numérique. Quand nous fournissons par mail ou scannons une pièce d'identité, va-t-on exiger que la personne se prenne en photo à ce moment-là ? Cela va-t-il être un niveau de sécurité supplémentaire, la personne devra-t-elle se filmer et bouger pour que le système vérifie que c'est la même personne ? Cela concerne l'ouverture des comptes bancaires en ligne mais c'est un sujet qui est plus général et plus on sécurise les entrées en relation et les contacts à distance, plus on sécurise la question des usurpations ou des vols d'identité en matière de prestations sociales.

Concernant la fraude à la résidence – sur laquelle Tracfin est amené à faire de plus en plus de transmissions – c'est-à-dire des personnes qui ne respectent pas les conditions de résidence pour toucher certaines prestations sociales ou des allocations-chômage, nous pouvons être amenés à faire des transmissions, puisque nos travaux nous permettent de voir que la personne vit à l'étranger et que tous les flux bancaires qui la concernent sont à l'étranger, qu'il n'y a aucun flux bancaire en France. On peut assez raisonnablement conclure qu'elle ne réside pas trois ou six mois par an en France.

Au-delà des flux bancaires, se pose aussi la question des connexions informatiques, quand les personnes se connectent sur le compte de Pôle emploi ou sur le compte de la CNAF. Il est vrai que si ces organismes étaient autorisés à contrôler et à collecter la localisation des adresses « Internet Protocol » (IP) de connexion, cela pourrait être un élément supplémentaire pour travailler sur les sujets de résidence. Cela pose d'énormes problèmes techniques, que je ne connais pas, mais cela pourrait être une piste.

Le dernier point d'amélioration concerne le droit de communication. Les organismes de protection sociale bénéficient d'un droit de communication bancaire, à l'exception de Pôle emploi, pour une raison que nous avons rationnellement du mal à nous expliquer. Je ne sais pas si vous avez reçu Pôle emploi et s'ils se sont exprimés sur ce sujet, mais nous avons l'impression qu'un tel droit de communication pourrait les aider.

Une question portait sur nos relations avec les cellules de renseignement financier étrangères, présentes dans quasiment chaque pays. Elles peuvent avoir des statuts assez divers : elles peuvent être administratives, comme c'est le cas en France, intégrées à l'intérieur de la banque centrale ou encore incluses dans les services de police. Ces statuts peuvent influer sur la qualité des relations que nous avons avec elles. Elles n'ont ainsi pas toutes les mêmes pouvoirs, et comparativement, Tracfin en a énormément. Toutes n'ont pas un pouvoir d'enquête comme nous, certaines n'ont pas de droit de communication. C'est assez divers, et cette organisation ne recoupe pas forcément la carte des pays occidentaux. Par exemple, la cellule de renseignement financier britannique a beaucoup moins de pouvoir que Tracfin et, naturellement, nous n'allons peut-être pas aussi bien travailler avec elle qu'avec des cellules de renseignement financier africaines ou du Golfe, dont les pouvoirs sont assez étendus.

Le domaine des fraudes aux prestations sociales et aux cotisations sociales n'est pas celui sur lequel nous travaillons le plus avec elles. Aujourd'hui, c'est davantage sur des sujets de blanchiment ou de terrorisme. Cela ne s'explique pas par des obstacles philosophiques ou juridiques, mais simplement, ce n'est pas le sujet sur lequel nous avons le plus travaillé. Cela peut le devenir, mais par rapport aux bases auxquelles nous avons accès, au droit de communication, etc., nous avons un certain nombre de moyens de travailler avec elles.

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Vous venez de dire que ce n'est pas le sujet sur lequel vous avez le plus travaillé avec les organismes de sécurité sociale. Pouvez-vous nous dire pourquoi ? Est-ce un problème philosophique d'accès aux données par rapport aux préconisations de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ? Est-ce un problème de volonté ? Quelles sont les raisons particulières ?

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Maryvonne Le Brignonen, directrice du service Tracfin

Je parlais de nos relations avec nos homologues étrangers sur la question de la fraude aux prestations sociales. Ce sont les cellules de renseignement financier étrangères ; ce ne sont pas des organismes de protection sociale, qu'ils soient français ou étrangers. Il n'y a pas d'obstacle juridique ou philosophique au fait que nous ne travaillons pas beaucoup sur la fraude aux prestations sociales avec elles, mais je voulais dire que Tracfin le faisait depuis moins longtemps sur ce type de fraude que sur le blanchiment ou sur le financement du terrorisme. Les cellules de renseignement financier étrangères ayant elles-mêmes des missions ou des organisations différentes, elles ne travaillent pas toutes sur la fraude, alors qu'elles vont toutes travailler sur le blanchiment et le financement du terrorisme.

On peut imaginer que si la décision était prise de travailler plus précisément sur la fraude aux prestations sociales en direction de tel pays, dans l'ensemble des actions Tracfin, nous pourrions solliciter la cellule de renseignement financier étrangère.

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Stéphane Demessemacker

Nous le faisons quand nous en avons besoin, au gré des dossiers, de manière très opérationnelle, mais rien ne s'y oppose. Il nous arrive d'avoir des renseignements venant d'un pays européen ou extraeuropéen, selon leurs pouvoirs bien sûr.

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Maryvonne Le Brignonen, directrice du service Tracfin

Les néobanques, les comptes Nickel en ligne, etc., dès lors qu'ils sont établis en France, sont soumis à la même réglementation. Ils sont assujettis et nous disposons, à ce titre, de droits de communication. Il n'y a absolument plus aucun contact physique : afin de les sécuriser, la question est vraiment celle du niveau de sécurité de l'entrée en relation, donc du type de document que l'on demande et du type de contrôle qui est fait sur l'identité. Il s'agit d'une question beaucoup plus large, liée à l'identité numérique, qui est en train d'être traitée et instruite par le Gouvernement et par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI). Le niveau de déclarations de soupçon de ces banques n'est pas encore celui des banques traditionnelles, mais nous constatons depuis trois ans une évolution plutôt positive.

Effectivement, dans le cadre de notre droit de communication, nous pouvons avoir accès à l'information sur des comptes d'épargne.

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Vous l'avez vu, à la DNLF, un intérim est assuré, mais il n'y a pas de délégué national pour le moment. Nous nous interrogions sur la gouvernance de la DNLF. Comment réagiriez-vous si l'on vous proposait que la DNLF soit placée auprès de Tracfin, quelle serait votre position par rapport à une telle évolution organisationnelle ?

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Maryvonne Le Brignonen, directrice du service Tracfin

Étant assez récente dans mes fonctions, je n'ai, sauf erreur, jamais travaillé avec une DNLF pleinement opérationnelle. Donc je me sens un peu désarmée pour répondre à cette question.

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Stéphane Demessemacker

C'est vrai qu'au début, notamment en matière sociale, nous étions très en cheville avec la DNLF, puisqu'ils avaient l'initiative en la matière, notamment sur la signature du protocole en 2012. Les années passant, nous avons noué des relations solides en bilatéral : par exemple, l'agent de liaison ACOSS est arrivé chez nous en 2016. Nous avons construit des relations, qui se sont consolidées, avec chacun des organismes. La DNLF, pour nous, joue toujours un rôle de coordination, au moins jusqu'à l'année dernière – la situation est un peu particulière à l'heure actuelle. La DNLF, de ce que j'en connais, a joué un grand rôle depuis 2008 dans le développement des échanges de fichiers, d'ouverture des fichiers à d'autres partenaires, du partage d'informations entre différents organismes, différentes administrations. Ils ont également participé à l'évolution des textes portant sur la lutte contre la fraude : de notre point de vue, c'est leur grand apport en la matière. Je ne sais pas si prendre en main cet aspect des choses serait vraiment dans le champ d'intervention de Tracfin.

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Il ne s'agit pas forcément d'incorporer la DNLF. Aujourd'hui, se pose la question du pilotage national de la lutte contre la fraude. Historiquement, cette mission a été confiée à la DNLF, or, nous avons l'impression aujourd'hui que ce n'est pas au point. Pour le dire autrement, si nous disions aujourd'hui que le coordonnateur national sur les questions de lutte contre la fraude était Tracfin, l'hypothèse vous paraitrait-elle crédible ? Sur certains sujets, c'est à Matignon de jouer un rôle interministériel, mais là, nous voyons bien qu'il existe une dimension opérationnelle. Ce qui nous pousse à raisonner ainsi, c'est que vous avez, au fil du temps, élaboré des relations bilatérales. Néanmoins, à un moment donné, qui coordonne le tout ? Nous voyons bien que la DNLF se trouve un peu en situation de faiblesse, ne serait-ce qu'en termes de ressources. Il ne s'agit pas de faire une critique, elle fait aussi en fonction des moyens dont elle dispose. Avec potentiellement des moyens renforcés à Tracfin, pourriez-vous jouer ce rôle ou pas ?

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Maryvonne Le Brignonen, directrice du service Tracfin

Honnêtement, je ne le pense pas, parce que Tracfin est vraiment un service très opérationnel. Sur toutes les questions institutionnelles, interministérielles et de rédaction de textes législatifs, nous nous appuyons beaucoup sur la direction générale du Trésor sur les sujets de blanchiment, et sur la Coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme sur les sujets de sécurité intérieure. Ce sont des compétences qu'il n'y a pas du tout à Tracfin, et je ne suis pas sûre que le service ait vraiment vocation à les recevoir. Le fait que nous soyons vraiment des spécialistes, des experts, nous met un peu à l'abri des enjeux interministériels. J'ai l'impression que cela changerait beaucoup la nature de Tracfin.

En tant qu'ancienne de la DGFiP, je peux m'essayer un petit peu à la fiction, mais c'est vraiment à titre personnel, et non comme directrice de Tracfin. Pour avoir connu la DGFiP et l'ACOSS quand j'ai travaillé sur le prélèvement à la source, il me semble que ces structures sont suffisamment importantes et structurées, d'autant qu'elles collaborent de plus en plus aujourd'hui, pour pouvoir, au sein d'un objet peut-être à imaginer, fournir des ressources en équivalent temps plein (ETP), en matière grise, en expérience, pour, à elles deux, concevoir un dispositif. Mais en revanche, impliquer Tracfin remettrait vraiment trop en cause ce que nous sommes aujourd'hui.

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Nous parlions des flux financiers issus de prestations ou de cotisations frauduleuses sur des comptes français, qui ensuite se retrouvent très vite sur des comptes étrangers, ou même de prestations versées directement sur des comptes étrangers. Dans les dossiers que vous avez eu à traiter, y a-t-il une géographie de l'évasion de la fraude aux cotisations et aux prestations ? Avez-vous pu faire un lien avec des réseaux organisés d'une autre forme de criminalité ? Peut-on déceler une ou plusieurs organisations qui récupèrent de l'argent par la fraude aux prestations et aux cotisations sociales à des fins de criminalité, et le cas échéant, en direction de quel pays ou de quelle zone géographique ?

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Maryvonne Le Brignonen, directrice du service Tracfin

Le nombre de notes que nous transmettons est faible. Je ne pense pas qu'il faille en tirer des généralités. Un travail a été fait par Tracfin à partir de 2013 et est en train de se terminer. Lancé à l'initiative de la CNAV, il portait sur le Maghreb, et plus particulièrement sur l'Algérie, où nous avions pu constater des phénomènes de collecteur, c'est-à-dire des pensions de retraite de la CNAV avec des bénéficiaires identifiés, mais versées sur le compte de la même personne ou d'un nombre assez restreint de personnes, avec des fonds qui partaient très rapidement en Algérie. Nous avons beaucoup travaillé sur ce sujet à l'époque.

De manière plus récente, la fraude organisée en réseau que nous avons pu constater était à destination de la Roumanie. Cette fraude en réseau comporte deux niveaux. Au premier niveau, on trouve des personnes allocataires de la CNAF, mais dont les prestations sont versées sur les comptes bancaires de tierces personnes. Ces tierces personnes ont des comptes bancaires où elles vont recevoir 5, 10, 15, 20 prestations sociales de même nature. Nous avons pu constater, dans le cadre de nos enquêtes, que ces personnes sont souvent logées aux mêmes adresses, ce qui nous a permis de supposer qu'elles étaient liées. Ensuite, ces sommes font très rapidement l'objet soit d'un retrait en espèces, soit d'un virement à l'étranger. Dans le cadre d'une note de renseignement, nous avons pu voir 29 allocataires concernés avec un seul collecteur. Nous avons également une note portant sur 225 allocataires et un seul compte bancaire à l'arrivée. Nous restons néanmoins sur un nombre restreint de notes et je ne pense pas qu'il faille en tirer des conclusions sur un phénomène généralisé. En l'occurrence, la Roumanie était systématiquement le point d'arrivée.

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Une généralisation, non, mais il y a bien l'existence d'un phénomène de manière avérée ?

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Maryvonne Le Brignonen, directrice du service Tracfin

Oui, de manière avérée.

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Combien d'argent cela représente-t-il ?

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Maryvonne Le Brignonen, directrice du service Tracfin

En 2017, nous avions un dossier avec 225 allocataires. Comme Tracfin regarde d'une date à une autre, nous n'avons pas forcément une vision exhaustive, mais là, cela représentait en l'espèce 674 000 euros. Sur l'autre dossier concernant 29 allocataires, les enjeux financiers étaient de 265 000 euros.

À Tracfin, nous travaillons sur le soupçon. Une note de transmission, pour schématiser, indiquera que tel ou tel fait « nous laisse penser que ». Mais ce n'est jamais Tracfin qui établit la fraude. Dans ces cas-là, nous voyons que des comptes bancaires réceptionnent des prestations sociales au nom d'un certain nombre d'allocataires, mais n'avons pas les moyens d'établir que, au départ, ces prestations sociales ne sont pas dues – cet aspect nous échappe largement. Le fait que les sommes soient versées sur les comptes de tierces personnes qui reçoivent plusieurs allocations et que cela parte rapidement à l'étranger peut laisser soupçonner une démarche frauduleuse. Néanmoins, ce n'est pas Tracfin qui établit la fraude, mais bien la CNAF.

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À partir de quel montant ces procédures se mettent-elles en branle ? Est-ce un montant estimé par l'organisme qui vous contacte ou est-ce vous qui commencez à travailler, parce que vous pensez que le montant est assez important ? Dans ce cas-là, quel est le plancher ?

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Maryvonne Le Brignonen, directrice du service Tracfin

Il n'y a pas vraiment de plancher systématique. Comme vous le disiez, nous allons commencer à creuser. Par exemple, nous pouvons avoir des déclarations de soupçon de faible montant, mais notre système identifie un certain nombre de déclarations de soupçon de même nature ou concernant la même personne ou le même nom. C'est cela qui nous décide à lancer une enquête. On ne peut pas parler de seuil mécanique.

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Devant la complexité et la masse d'informations à traiter, vos outils sont-ils suffisants ? Quand vous interrogez les autres administrations ou autres opérateurs, voyez-vous si leurs systèmes se parlent suffisamment, si les informations peuvent être recroisées de manière facile et importante et si cela vous facilite le travail ? Y a-t-il encore beaucoup de travail à faire sur ce sujet ?

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La CAF a réformé son système en un système national à la suite des découvertes de fraudes considérables sur les allocations familiales. Une fois que vous avez mis à jour les fraudes, comme celles que vous venez d'évoquer avec la Roumanie, la CNAF, par exemple, en tire-t-elle des conclusions ? Modifie-t-elle son système de contrôle ou met-elle en place des contrôles techniques avec des systèmes d'information qui lui permettent de détecter ces cas de fraude avérée ?

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Maryvonne Le Brignonen, directrice du service Tracfin

En termes de numérique, notre système d'information est en évolution et s'adapte, notamment via le recours au data mining et à toutes les possibilités offertes aujourd'hui. Bien sûr, ce sont des sujets où nous sommes en progrès permanent. Dans le cadre de nos relations avec d'autres organismes, nous n'avons pas constaté de retard particulier en matière numérique qui nous empêche d'accéder à l'information. Il me semble que le cap a été passé à peu près partout.

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Stéphane Demessemacker

Sur ce thème, nous avons une très bonne collaboration avec la CNAM, qui dispose d'un système informatique assez poussé pour faire remonter des phénomènes atypiques ou des situations anormales. Nous échangeons parfois sur certains dossiers : quand nous voyons quelque chose, par le biais d'un droit de communication, nous allons leur poser une question, et à travers leurs réponses, nous savons ce qu'ils ont aussi détecté. Parfois le périmètre est identique, parfois il est différent. Les deux peuvent se compléter. Nous pouvons aussi venir en complément d'un élément détecté par un organisme, car il leur manque en général la traçabilité des flux et c'est là-dessus que nous allons apporter quelque chose. Je pense à la CNAM, parce que j'ai travaillé sur plusieurs dossiers avec eux.

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Maryvonne Le Brignonen, directrice du service Tracfin

Madame Boyer, quand nous faisons une transmission, l'information que nous recevons en retour porte sur le contrôle qui a été lancé et le cas échéant, sur les montants mis en recouvrement et ceux recouvrés. Nous n'avons pas une approche systémique de la question, mais dossier par dossier. Ce n'est pas quelque chose que nous allons chercher à savoir, ce n'est pas dans nos compétences. Nous n'allons pas vraiment essayer de savoir les leçons qu'ils ont pu en tirer.

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Maryvonne Le Brignonen, directrice du service Tracfin

Le bilan qui est fait – c'est ce qui est prévu dans les textes – consiste dans les retours sur les contrôles lancés et les recouvrements faits. C'est certainement un axe d'amélioration, mais aujourd'hui, nous ne le faisons pas et nous ne nous y intéressons pas. Cela ne veut absolument pas dire qu'ils n'en tirent pas les conséquences.

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Merci infiniment à vous, madame la directrice, et à vous, monsieur, à la fois pour votre présence, pour la qualité de l'échange que nous avons pu avoir ainsi que pour la précision de vos réponses. Ce n'est pas toujours le cas, hélas. Au cours de certaines auditions, nous avons parfois un peu moins de précisions dans les réponses.

La réunion se termine à dix-neuf heures cinquante

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Réunion du mardi 25 février 2020 à 18 heures 30

Présents. – Mme Valérie Boyer, M. Pascal Brindeau, Mme Blandine Brocard, Mme Carole Grandjean, M. Patrick Hetzel, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Michel Lauzzana, Mme Catherine Osson, M. Benoit Potterie, M. Alain Ramadier, Mme Muriel Ressiguier, Mme Agnès Thill, Mme Nicole Trisse, M. Michel Zumkeller

Excusé. - Mme Josette Manin