Intervention de Jean-Pierre Viola

Réunion du mardi 26 mai 2020 à 17h00
Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Jean-Pierre Viola, conseiller maître à la Cour des comptes, président de section au sein de la sixième chambre de la Cour des comptes :

La Cour ne décompte pas l'ensemble des cartes Vitale en circulation : elle n'en a pas les moyens. Ce chiffre de 42,6 millions provient nécessairement de la CNAM. Cette information était manifestement erronée, ou bien elle s'appliquait peut-être aux assurés du seul régime général. Je me garderai donc bien de m'engager sur ce sujet car nous-mêmes nous efforçons d'y voir plus clair.

Notre rapport de certification souligne à nouveau la fréquence particulièrement élevée des erreurs commises par les caisses, qui affectent la fiabilité des comptes : environ une pension de retraite sur sept nouvellement liquidées et mises en paiement est affectée par au moins une erreur financière, en faveur ou au détriment de l'assuré. Ces erreurs peuvent avoir un effet ponctuel quand elles portent sur la date d'entrée en jouissance du droit, mais parfois un effet pérenne quand elles affectent le montant mensuel de la prestation.

Ce niveau extrêmement élevé a augmenté d'un tiers depuis 2016. Il traduit une situation hétérogène en France : trois organismes – la CNAV en tant que caisse régionale d'Île-de-France, la caisse de retraite et de santé au travail (CARSAT) Provence-Alpes-Côte d'Azur et la CARSAT Nord Picardie – mettent en paiement chaque année une pension de retraite sur cinq comportant une erreur financière. Ces erreurs sont d'importance très variable, la prise en compte de la carrière étant lissée sur un grand nombre d'années ; elles n'en sont pas moins choquantes. Certes, les erreurs sont inévitables dans un processus qui se veut tout à la fois industriel et dépendant du traitement de données déclaratives ; mais cela ne saurait excuser un tel niveau, de telles disparités, une telle aggravation. Au moins une indemnité journalière sur dix nouvellement attribuées est affectée d'une erreur financière. La réglementation est incontestablement compliquée ; qui plus est, le système d'information comporte des fonctionnalités insuffisantes. Des progrès sont à venir avec le chaînage par l'identifiant NIR de l'ensemble des données salariales d'un même assuré.

Sur la question du recouvrement des indus, on peut observer une mise sous tension assez différente des caisses nationales et des branches. Pendant un temps, les conventions d'objectifs et de gestion (COG) de la CNAV avaient intégré des objectifs de recouvrement des indus. Toutefois, les systèmes d'information n'ayant pas été adaptés et la CNAV n'ayant pas réalisé l'investissement nécessaire, la COG 2018-2022 a purement et simplement renoncé à la définition d'objectifs de recouvrement des indus, frauduleux ou non.

L'assurance maladie a mis en place un processus de gestion des créances, mais son efficacité est affectée par l'obsolescence et la disparité des outils de gestion dans les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM), qui les empêchent d'être suffisamment réactives : dans nombre de fonctions considérées comme périphérique, le travail des organismes de sécurité social repose majoritairement sur des tableurs Excel, dans lesquels sont importées ou ressaisies des données de gestion. C'est particulièrement préjudiciable à une action efficace.

Les caisses d'allocations familiales (CAF) sont dans une situation différente : la majorité des créances, qu'il s'agisse d'indus frauduleux ou non, est récupérée sur les prestations versées, dont beaucoup s'adaptent à l'évolution de la situation de l'allocataire – RSA, prime d'activité, allocation adulte handicapée (AAH) et, à compter du 1er janvier 2021, aides au logement. Reste qu'une part des indus ne peuvent être récupérés ; s'ils concernent le RSA, ils sont transférés aux départements, qui se retrouvent à devoir engager les actions de recouvrement, ou bien les CAF doivent mettre en œuvre pour le compte de ces derniers des actions supplémentaires de recouvrement amiable, puis de recouvrement forcé.

Certes, les indus sur prestations sont structurellement plus importants au sein de la branche famille que dans les deux autres branches, du fait des changements de situation des allocataires et du mode de calcul des prestations : pour schématiser, on verse d'abord et on corrige ensuite. Mais pour les autres branches, les moyens de contrôle sont très archaïques.

Le versement de la plupart des prestations ne donne pas lieu à des contrôles a priori destinés à vérifier la complétude et l'exactitude des données et à les rapprocher d'autres informations. Une part majoritaire, mais déclinante, des prestations de la branche retraites est contrôlée par les agences comptables entre leur liquidation par les services ordonnateurs et leur mise en paiement. Les indemnités journalières, particulièrement les plus longues, sont également contrôlées, tout comme les rentes d'accident du travail ou de maladie professionnelle (AT-MP). Les contrôles a priori des agences comptables sur les autres prestations, y compris celles versées par les CAF, sont faibles.

Du côté des services ordonnateurs, les contrôles reposent sur la détection automatisée d'incohérences de situations pour la branche famille. C'est de moins en moins le cas pour la branche maladie, les contrôles étant le plus souvent des requêtes a posteriori sur des échantillons étroits, et calibrés en fonction de la capacité estimée à les traiter, car certains contrôles automatisés – sur des situations incompatibles avec la réglementation, comme les cumuls d'actes facturés – ont été démantelés ou n'ont jamais été mis en place, afin d'accueillir la garantie de paiement accordée aux professionnels de santé. En outre, la conception même de la nomenclature générale des actes professionnels qui s'applique aux auxiliaires médicaux – infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes – gêne ces contrôles car plusieurs types d'actes se cachent derrière une même lettre ou un même coefficient, et ils sont compatibles, ou pas, selon les cas, avec la réglementation.

Madame Boyer, la Cour cite, mais ne reprend pas à son compte l'estimation de l'étude de l'EHFCN. Le chiffre que vous évoquez est un pourcentage global qui s'applique à un panel de pays, dont la France. Il porte sur les fraudes, mais aussi sur les erreurs. Or les prises en charge des frais de santé donnent lieu à bon nombre d'erreurs – au moins 7 %, c'est beaucoup. Nous avons essayé d'en savoir plus auprès des auteurs de cette estimation, mais n'avons pu obtenir d'explications. Je préfère donc prendre mes distances.

J'ai tout dit dans mon propos liminaire s'agissant des écarts entre la population qui bénéficie de prestations et celle estimée comme vivant en France. Nous tentons d'obtenir des éléments, afin notamment de comprendre les écarts.

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