Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Réunion du mardi 26 mai 2020 à 17h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE RELATIVE A LA LUTTE CONTRE LES FRAUDES AUX PRESTATIONS SOCIALES

Mardi 26 mai 2020

La séance est ouverte à dix-sept heures cinq

Présidence de M. Patrick Hetzel. Président

La commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales procède à l'audition, en visioconférence, de M. Jean-Pierre Viola, conseiller maître à la Cour des comptes, président de section au sein de la sixième chambre de la Cour des comptes, sur les observations définitives relatives à la lutte contre la fraude aux prestations d'assurance maladie, aux prestations de retraite et aux prestations versées par la branche famille.

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Nous reprenons nos travaux après une interruption de plus de trois mois, pour les raisons que l'on sait. La loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 ayant porté de six à huit mois le délai d'achèvement des travaux des commissions d'enquête en cours, nous devrons terminer nos travaux avant le 13 septembre. Le rapporteur et moi-même vous proposons de tenir nos auditions par visioconférence jusqu'à la semaine du 8 juin, à partir de laquelle nous reprendrons nos réunions à l'Assemblée.

Nous recevons M. Jean-Pierre Viola, conseiller maître à la Cour des comptes et président de section au sein de la sixième chambre, afin qu'il nous présente les observations définitives de la Cour sur la lutte contre la fraude aux prestations d'assurance maladie, aux prestations de retraite et à celles versées par la branche famille. Ces observations, délibérées entre juin et novembre 2019, nous ont été transmises en février dernier. Elles sont extrêmement précieuses, en ce qu'elles dressent un bilan détaillé de la lutte engagée par les différentes caisses contre la fraude, sachant que les problématiques, les acteurs et les enjeux financiers peuvent être très différents d'une branche à l'autre.

La Cour souligne le défaut d'évaluation des enjeux financiers de la fraude aux prestations sociales, en tout cas dans les branches maladie et retraite ; elle signale l'insuffisante prise en compte du caractère urgent et prioritaire de la lutte contre la fraude, et regrette une « culture interne » traditionnellement rétive à la prise en compte de ce risque. La Cour met également en exergue l'insuffisance des contrôles exercés sur les professionnels de santé au regard de l'ampleur des dérives, et formule des préconisations sur l'organisation des services et les moyens à consacrer à la lutte contre la fraude, ainsi que sur les sanctions applicables.

Avant de vous laisser la parole pour nous présenter les principales conclusions de ces rapports, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, monsieur, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Jean-Pierre Viola prête serment.)

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Jean-Pierre Viola, conseiller maître à la Cour des comptes, président de section au sein de la sixième chambre de la Cour des comptes

Nos observations définitives, qui résultent de travaux réalisés depuis 2017, portent sur les objectifs, l'organisation et les résultats de la lutte contre les fraudes dans les trois branches du régime général assurant des prestations – assurance maladie – maternité — accidents du travail et maladies professionnelles, famille et vieillesse. Elles n'ont pas vocation à donner lieu à publication, en tout cas sous cette forme ; précisons toutefois que la Cour travaille également sur ce sujet à la demande de la commission des affaires sociales du Sénat, et l'aborde systématiquement dans la certification des comptes annuelle des branches du régime général de la sécurité sociale – elle vient d'ailleurs de rendre public son rapport de certification sur les comptes 2019. Conformément aux normes internationales d'audit, nous examinons les dispositifs visant à prévenir, détecter et réprimer les fraudes, en tenant compte de l'énorme masse financière et des flux de données d'origine déclarative qui caractérisent la sécurité sociale.

Le fait que les données soient déclarées par le bénéficiaire de la prestation – l'assuré, l'allocataire, le professionnel ou l'établissement de santé en tiers payant – induit un risque d'erreur et, parfois, de fraude, lorsque l'erreur est commise volontairement pour bénéficier d'un avantage non justifié. Mais fondamentalement, qu'elles soient volontaires ou non, les erreurs ont des conséquences identiques ; un enjeu déterminant s'attache au paiement à bon droit des prestations, autrement dit à leur attribution aux personnes qui en remplissent les conditions, et pour un montant exact. N'occultons pas non plus le fait que les organismes de sécurité sociale commettent eux aussi de nombreuses erreurs, notamment dans le traitement des données.

Notre premier constat est que la connaissance de l'ampleur du problème diffère sensiblement selon les branches. La branche famille l'apprécie plutôt bien, et de mieux en mieux, grâce à une enquête annuelle d'évaluation du paiement à bon droit et de la fraude, qui mobilise un large panel de contrôles sur place, de plus en plus normés, ce qui permet une exhaustivité croissante dans la détection des anomalies. La forte augmentation du montant estimé de la fraude dans cette branche ne traduit pas nécessairement une aggravation du phénomène ; c'est aussi le fruit d'une appréciation de plus en plus juste. Elle s'explique également par l'évolution de la composition des prestations versées par les caisses d'allocations familiales, où la place des prestations versées pour le compte de tiers, État et départements, devient prépondérante – en termes de flux financiers comme de charge de travail.

En 2010, une étude préparatoire à une évaluation qui n'a finalement pas été menée à bien avait révélé des anomalies au sein de la branche vieillesse, liées à des inexactitudes ou des omissions dans les déclarations, sans que l'on puisse nécessairement les imputer à une forme d'intentionnalité.

En revanche, aucune évaluation de la fraude n'a été conduite dans la branche maladie, ce qui est problématique. Dans le cadre de la certification, nous auditons le risque financier final une fois les contrôles effectués. Or si ceux-ci sont pertinents et fiables dans les branches famille et vieillesse, grâce à l'enquête annuelle d'évaluation du paiement à bon droit et de la fraude, il en va différemment dans la branche maladie, où les indicateurs sont peu sûrs, en raison de la taille limitée des échantillons et de problèmes méthodologiques, et où il manque un outil d'évaluation de la qualité de la production : il est difficile de savoir dans quel sens évolue la situation d'une année à l'autre.

Ce premier constat amène à un deuxième : dans quelle mesure la hausse des fraudes et des montants concernés dans les trois branches traduit-elle un accroissement du phénomène ou une capacité accrue de détection et de répression ? Quelle en est la conséquence sur la situation financière globale des branches ? En l'absence d'évaluation de la fraude dans les branches maladie et vieillesse, on ne peut tirer de conclusion claire. S'agissant de la famille, on assiste à un double phénomène : d'un côté, des montants croissants d'indus qualifiés de frauduleux sont détectés, mais de l'autre, la non-détection d'indus tout court, frauduleux ou non, augmente également. Du coup, si la lutte contre la fraude produit des résultats croissants, ceux-ci ne permettent pas pour autant de réduire les pertes de ressources liées aux indus non prévenus et non détectés. Le risque financier résiduel s'en trouve accru – c'est le cas, pour 2019, en raison notamment d'erreurs déclaratives affectant la prime d'activité.

Troisième constat : toutes les branches s'attachent à détecter un nombre croissant de fraudes, qui représentent des montants de plus en plus élevés, en mobilisant le plus efficacement possible au fil des conventions d'objectifs et de gestion, des effectifs en diminution : cela passe par une programmation réaliste, un ciblage des contrôles, une simplification des circuits internes et le recueil et un filtrage des signalements venant d'autres branches ou administrations. La Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) – qui y consacre au total près de 1 300 équivalents temps plein, dont une direction dédiée et une cinquantaine de collaborateurs au titre de l'audit interne – dispose pour ce faire de moyens nettement supérieurs à ceux de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) et de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), qui ne disposent que de structures légères de cinq ou six personnes, qui doivent parfois faire face à d'autres responsabilités. Au demeurant, l'objectif principal pour ces structures n'est pas tant en soi de réduire les risques que d'employer le plus efficacement possible leurs moyens et ceux des caisses.

Notre quatrième observation porte sur les résultats de la lutte contre les fraudes. S'agissant de la branche famille, la typologie des fraudes détectées coïncide assez bien avec les évaluations puisqu'elles concernent principalement le revenu de solidarité active (RSA), la prime d'activité et les aides au logement.

En matière de vieillesse, trois types de prestations sont principalement concernés : celles versées à des résidents à l'étranger, le décès du bénéficiaire n'étant pas toujours signalé, les prestations non exportables – essentiellement le minimum vieillesse, devenu allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) – soumises à une condition de résidence stable en France et les prestations soumises à des conditions de ressources – ASPA et pensions de réversion.

L'assurance maladie se caractérise par un éventail beaucoup plus large de droits – protection de base, complémentaire santé solidaire, aide médicale d'État – et de prestations, en nature et en espèces, où interviennent des considérations non seulement administratives, mais également médicales pour apprécier le bien-fondé de la facturation d'un acte ou d'un séjour. Si les assurés commettent de nombreuses fraudes aux droits, le principal enjeu financier, au regard des finances publiques comme de l'équité de traitement des professionnels et des établissements de santé, concerne la facturation d'actes, de prestations et de séjours fictifs ou surcotés. Bien que la fraude ne soit pas évaluée par la CNAM, les masses financières en jeu sont autrement plus considérables que celles versées par les CAF : tout porte à croire que c'est un enjeu majeur en termes de finances publiques comme en termes d'équité de traitement des professionnels et des établissements de santé, dans la mesure où l'enveloppe de ses dépenses étant normée, les prestations indûment versées limitent d'autant la capacité de l'assurance maladie à accorder des revalorisations.

Pour ce qui est des actions à mener, nous avons insisté sur la nécessité de mieux détecter la fraude, de la réprimer plus efficacement et, surtout de sécuriser la dépense à la source, c'est-à-dire de prévenir l'ensemble des irrégularités, que l'on puisse ou non démontrer l'intentionnalité. À côté de notions très intelligibles – état civil, adresse, nombre d'enfants, etc. –, d'autres éléments, comme les ressources, peuvent être variables selon les prestations et difficiles à comprendre pour les allocataires. Sans oublier, du point de vue social, des situations de vie parfois très complexes, voire très dégradées. Il faut impérativement fiabiliser les données à la source et les obtenir de tiers de confiance. C'est tout l'enjeu, fondamental, du dispositif des ressources mutualisées (DRM), dénommé également « base des ressources mensuelles », qui concerne les prestations versées par la branche famille, mais aussi les droits et une partie des prestations de l'assurance maladie.

La prévention des irrégularités passe également, c'est une évidence, par une simplification de la norme. Les cotations possibles sont très nombreuses et abondent de raffinements, d'exceptions et d'exceptions à l'exception… La grande complexité des nomenclatures médicales n'excuse pas tout, notamment pas la facturation d'actes fictifs ou la surfacturation intentionnelle, mais cela explique qu'il y ait beaucoup d'anomalies. Le développement de la prescription électronique, ne serait-ce que parce qu'elle empêche la réutilisation d'une ordonnance, constitue également une évolution importante. Enfin, une action beaucoup plus forte doit être menée à l'endroit des professionnels libéraux de santé dont le volume anormalement élevé d'activités facturées prête à interrogations, ne serait-ce que sur leur capacité physique à les assurer…

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Nous avons été plusieurs à nous inquiéter d'un fait qui pourrait être considéré comme un angle mort dans les analyses effectuées. La Cour des comptes certifie depuis plusieurs années les comptes de l'assurance maladie. Ne devrait-elle pas prendre en considération le surnombre de cartes Vitale, estimé, dans un rapport de septembre 2013 de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des affaires sociales, à environ 8 millions, soit 13 % des cartes actives ? Selon le même rapport, le nombre de personnes prises en charge par l'assurance maladie en France serait supérieur de 6,7 millions au nombre de personnes résidant sur notre territoire : comment la Cour des comptes analyse-t-elle ce point ?

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Jean-Pierre Viola, conseiller maître à la Cour des comptes, président de section au sein de la sixième chambre de la Cour des comptes

Nous sommes en train d'y travailler dans le cadre de la commande qui nous a été faite par la commission des affaires sociales du Sénat. Ce double sujet – le surnombre des cartes Vitale et la population des bénéficiaires de l'assurance maladie – retient toute notre attention.

Rappelons que notre système de protection sociale a été conçu à une époque où les déplacements de populations étaient très importants mais, d'une certaine façon, stables : quand on immigrait, c'était pour s'implanter définitivement dans un nouveau pays, et de leur côté, les Français émigraient peu. Tout cela a bien évolué, les mobilités internationales se sont considérablement accrues. Cela peut expliquer une partie significative des écarts constatés.

L'assurance maladie exerce un contrôle lorsque les justificatifs de présence effective en France manquent. Toutefois, notre dernier rapport de certification démontre clairement que le périmètre de ces contrôles est beaucoup plus étroit que celui de la population concernée, elle-même affinée à partir des fichiers de la direction générale des finances publiques.

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Vous êtes en train d'y travailler à la demande du Sénat : quand les données de la Cour des comptes seront-elles disponibles ?

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Jean-Pierre Viola, conseiller maître à la Cour des comptes, président de section au sein de la sixième chambre de la Cour des comptes

Nos travaux ayant pris du retard à la suite des événements que vous connaissez, nous avons été amenés à décaler le calendrier, mais il serait prématuré de fixer une échéance.

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Les cartes Vitale en surnombre relèvent de la fraude documentaire. La difficulté tient à l'évaluation du nombre de Français résidant à l'étranger et bénéficiant d'une carte Vitale, ainsi qu'à l'attribution d'un numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques (NIR) par le Service administratif national d'immatriculation des assurés (SANDIA) pour les étrangers résidant en France, source d'irrégularités importantes. Confirmez-vous que le périmètre de vos contrôles comprend l'attribution du NIR par le SANDIA ?

Par ailleurs, selon vous, le recouvrement des fraudes devrait être optimisé car il serait très en deçà du montant des fraudes constatées. Le rapport estime que la fraude représenterait 15 % du montant des prestations versées par la CNAF en 2018 : pouvez-vous préciser s'il s'agit de l'estimation de la Cour ou de la CNAF ?

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Jean-Pierre Viola, conseiller maître à la Cour des comptes, président de section au sein de la sixième chambre de la Cour des comptes

Dès le début des années 2010, la Cour avait constaté que la procédure d'attribution des NIR par le SANDIA présentait des insuffisances ; nous avons poussé à la rédaction de guides pour la détection d'anomalies dans les justificatifs. Cet effort a concerné tant la CNAV que les deux principaux points d'entrée aux demandes d'immatriculation que sont les CAF et les CPAM – il est rare qu'une caisse de retraite soit directement saisie par une personne souhaitant être immatriculée.

L'évaluation de la fraude par la CNAF tend à augmenter, de même que la part des indus frauduleux rapportée à cette évaluation, même si celle-ci reste minoritaire. La disproportion entre ces deux chiffres tient au grand nombre d'indus qui n'ont pas été détectés : l'enjeu pour la CNAF est donc de réduire cet écart.

Le pourcentage de fraudes estimé à 15 % est un chiffre CNAF, mais il est audité par la Cour, dont le rôle est triple : vérifier que les contrôles effectués dans les CAF prennent bien en compte de l'ensemble des facteurs d'anomalies possibles – c'est le cas –, s'assurer de la méthodologie statistique, puis vérifier les résultats. Si les divergences entre les pratiques des contrôleurs dans les CAF peuvent entraîner une sous-détection, il faut globalement reconnaître à la CNAF un effort de structuration du processus et d'objectivation de la situation, effort dans lequel ses homologues de la maladie et de la retraite ne se sont pas lancés.

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Votre rapport évoque les travaux menés sous l'égide du European healthcare fraud and corruption network (EHFCN), dont l'IGAS comme la CNAM sont membres, qui font état d'un taux moyen de fraude aux prestations sociales de 6,19 %, quelles que soient les branches, alors que la CNAF l'évalue à 15 %… Confirmez-vous ce chiffre ?

Est-il possible de comparer le nombre réel des bénéficiaires de prestations sociales à celui des personnes existantes ? Pourquoi ces données ne sont-elles pas publiées ? Je propose que notre commission d'enquête se rende dans les caisses d'assurance maladie pour les vérifier : j'aimerais en effet savoir comment la Cour des comptes peut certifier les comptes de la sécurité sociale sachant que plusieurs millions de personnes bénéficient de prestations sociales alors qu'elles ne sont pas censées exister. En effet, selon les données communiquées par le Gouvernement le 7 novembre 2019, plus de 5,1 millions des 12,7 millions d'allocataires de la branche famille seraient nés à l'étranger, soit un taux de 42 % : cela vous semble-t-il cohérent avec le taux de personnes nées à l'étranger et résidant en France qui, selon l'INSEE, est de 12,3 % ? Sinon, que faut-il en conclure ?

De même, 3 millions de retraités nés à l'étranger et résidant sur le territoire national bénéficieraient d'une prestation de retraite, soit près de 37 % des personnes nées à l'étranger : ce taux vous semble-t-il cohérent avec la pyramide des âges de cette population, ainsi qu'avec la moyenne de la population générale ?

Enfin, si l'on prend les données publiées par le Gouvernement, 10,6 millions de personnes dotées d'un NIR par le SANDIA bénéficieraient de l'assurance maladie, alors que le nombre de personnes nées à l'étranger résidant en France serait seulement de 8,2 millions : cela vous paraît-il cohérent ?

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Pouvez-vous nous décrire le mécanisme de recouvrement des indus – taux, moyens, objectifs, délai de carence, recouvrement sur les prestations sociales ultérieures ? Comment analysez-vous l'organisation des moyens de contrôle externe et interne, très disparates selon les branches, certains étant exercés au premier niveau par le gestionnaire du dossier et d'autres par des experts de la lutte contre les fraudes ?

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Vous avez indiqué qu'il fallait privilégier les données certifiées fournies par des tiers de confiance : pouvez-vous développer ce point ? Avez-vous un chiffrage des erreurs commises par les caisses elles-mêmes ? Qu'attend-on pour les rectifier et éviter qu'elles ne se reproduisent ? Que devons-nous faire pour réduire au maximum ces fraudes, qui portent fortement atteinte à la solidarité nationale ?

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Selon la Cour des comptes, il y aurait 42,6 millions de cartes Vitale actives. Or un communiqué de presse émanant des organismes de sécurité sociale et de l'INSEE, en date du 4 septembre 2019, fait état de 59,4 millions de cartes actives : le delta est substantiel… Pourriez-vous nous éclairer sur l'écart entre ces deux chiffres ?

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Jean-Pierre Viola, conseiller maître à la Cour des comptes, président de section au sein de la sixième chambre de la Cour des comptes

La Cour ne décompte pas l'ensemble des cartes Vitale en circulation : elle n'en a pas les moyens. Ce chiffre de 42,6 millions provient nécessairement de la CNAM. Cette information était manifestement erronée, ou bien elle s'appliquait peut-être aux assurés du seul régime général. Je me garderai donc bien de m'engager sur ce sujet car nous-mêmes nous efforçons d'y voir plus clair.

Notre rapport de certification souligne à nouveau la fréquence particulièrement élevée des erreurs commises par les caisses, qui affectent la fiabilité des comptes : environ une pension de retraite sur sept nouvellement liquidées et mises en paiement est affectée par au moins une erreur financière, en faveur ou au détriment de l'assuré. Ces erreurs peuvent avoir un effet ponctuel quand elles portent sur la date d'entrée en jouissance du droit, mais parfois un effet pérenne quand elles affectent le montant mensuel de la prestation.

Ce niveau extrêmement élevé a augmenté d'un tiers depuis 2016. Il traduit une situation hétérogène en France : trois organismes – la CNAV en tant que caisse régionale d'Île-de-France, la caisse de retraite et de santé au travail (CARSAT) Provence-Alpes-Côte d'Azur et la CARSAT Nord Picardie – mettent en paiement chaque année une pension de retraite sur cinq comportant une erreur financière. Ces erreurs sont d'importance très variable, la prise en compte de la carrière étant lissée sur un grand nombre d'années ; elles n'en sont pas moins choquantes. Certes, les erreurs sont inévitables dans un processus qui se veut tout à la fois industriel et dépendant du traitement de données déclaratives ; mais cela ne saurait excuser un tel niveau, de telles disparités, une telle aggravation. Au moins une indemnité journalière sur dix nouvellement attribuées est affectée d'une erreur financière. La réglementation est incontestablement compliquée ; qui plus est, le système d'information comporte des fonctionnalités insuffisantes. Des progrès sont à venir avec le chaînage par l'identifiant NIR de l'ensemble des données salariales d'un même assuré.

Sur la question du recouvrement des indus, on peut observer une mise sous tension assez différente des caisses nationales et des branches. Pendant un temps, les conventions d'objectifs et de gestion (COG) de la CNAV avaient intégré des objectifs de recouvrement des indus. Toutefois, les systèmes d'information n'ayant pas été adaptés et la CNAV n'ayant pas réalisé l'investissement nécessaire, la COG 2018-2022 a purement et simplement renoncé à la définition d'objectifs de recouvrement des indus, frauduleux ou non.

L'assurance maladie a mis en place un processus de gestion des créances, mais son efficacité est affectée par l'obsolescence et la disparité des outils de gestion dans les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM), qui les empêchent d'être suffisamment réactives : dans nombre de fonctions considérées comme périphérique, le travail des organismes de sécurité social repose majoritairement sur des tableurs Excel, dans lesquels sont importées ou ressaisies des données de gestion. C'est particulièrement préjudiciable à une action efficace.

Les caisses d'allocations familiales (CAF) sont dans une situation différente : la majorité des créances, qu'il s'agisse d'indus frauduleux ou non, est récupérée sur les prestations versées, dont beaucoup s'adaptent à l'évolution de la situation de l'allocataire – RSA, prime d'activité, allocation adulte handicapée (AAH) et, à compter du 1er janvier 2021, aides au logement. Reste qu'une part des indus ne peuvent être récupérés ; s'ils concernent le RSA, ils sont transférés aux départements, qui se retrouvent à devoir engager les actions de recouvrement, ou bien les CAF doivent mettre en œuvre pour le compte de ces derniers des actions supplémentaires de recouvrement amiable, puis de recouvrement forcé.

Certes, les indus sur prestations sont structurellement plus importants au sein de la branche famille que dans les deux autres branches, du fait des changements de situation des allocataires et du mode de calcul des prestations : pour schématiser, on verse d'abord et on corrige ensuite. Mais pour les autres branches, les moyens de contrôle sont très archaïques.

Le versement de la plupart des prestations ne donne pas lieu à des contrôles a priori destinés à vérifier la complétude et l'exactitude des données et à les rapprocher d'autres informations. Une part majoritaire, mais déclinante, des prestations de la branche retraites est contrôlée par les agences comptables entre leur liquidation par les services ordonnateurs et leur mise en paiement. Les indemnités journalières, particulièrement les plus longues, sont également contrôlées, tout comme les rentes d'accident du travail ou de maladie professionnelle (AT-MP). Les contrôles a priori des agences comptables sur les autres prestations, y compris celles versées par les CAF, sont faibles.

Du côté des services ordonnateurs, les contrôles reposent sur la détection automatisée d'incohérences de situations pour la branche famille. C'est de moins en moins le cas pour la branche maladie, les contrôles étant le plus souvent des requêtes a posteriori sur des échantillons étroits, et calibrés en fonction de la capacité estimée à les traiter, car certains contrôles automatisés – sur des situations incompatibles avec la réglementation, comme les cumuls d'actes facturés – ont été démantelés ou n'ont jamais été mis en place, afin d'accueillir la garantie de paiement accordée aux professionnels de santé. En outre, la conception même de la nomenclature générale des actes professionnels qui s'applique aux auxiliaires médicaux – infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes – gêne ces contrôles car plusieurs types d'actes se cachent derrière une même lettre ou un même coefficient, et ils sont compatibles, ou pas, selon les cas, avec la réglementation.

Madame Boyer, la Cour cite, mais ne reprend pas à son compte l'estimation de l'étude de l'EHFCN. Le chiffre que vous évoquez est un pourcentage global qui s'applique à un panel de pays, dont la France. Il porte sur les fraudes, mais aussi sur les erreurs. Or les prises en charge des frais de santé donnent lieu à bon nombre d'erreurs – au moins 7 %, c'est beaucoup. Nous avons essayé d'en savoir plus auprès des auteurs de cette estimation, mais n'avons pu obtenir d'explications. Je préfère donc prendre mes distances.

J'ai tout dit dans mon propos liminaire s'agissant des écarts entre la population qui bénéficie de prestations et celle estimée comme vivant en France. Nous tentons d'obtenir des éléments, afin notamment de comprendre les écarts.

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J'ai bien noté qu'il ne s'agissait que d'une estimation. Pour diminuer l'écart entre la population visée par l'INSEE et le nombre de cartes Vitale, et mettre fin à la suspicion, ne pensez-vous pas qu'il serait nécessaire de recourir à la biométrie ? Si oui, sous quelle forme ? Avez-vous une idée du coût de ces cartes surnuméraires ? Pourriez-vous nous transmettre le nombre de ces cartes par tranche d'âge ? Sont-elles actives ? Nous posons les mêmes questions depuis des années et, compte tenu de la crise que nous traversons et de notre taux d'endettement, il serait bon d'y répondre.

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Jean-Pierre Viola, conseiller maître à la Cour des comptes, président de section au sein de la sixième chambre de la Cour des comptes

Malheureusement, je n'ai pas pour l'heure d'autres éléments de réponse que ceux que je vous ai apportés… L'assurance maladie s'est déjà un peu engagée dans la biométrie en apposant une photographie sur les cartes Vitale, qui n'en comportaient initialement pas. On peut se poser la question de la convergence des documents d'identification des personnes résidant en France, qui leur ouvrirait ainsi certains droits, dont la prise en charge des frais de santé.

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Mais le Conseil d'État n'a-t-il pas jugé que la photographie n'est pas un élément constitutif de l'identité sur les cartes Vitale ? En outre, ses dimensions très réduites ne permettent pas de valider l'identité. Pourtant, les difficultés de rapprochement entre l'identité et la carte Vitale – et donc d'accès aux données de santé – sont une perte de chance pour les malades. Il est très surprenant que la France, à la pointe des techniques biométriques pour les documents de l'État, se pose toujours les mêmes questions depuis dix ans. Cela ne devrait-il constituer un élément de certification des comptes de la sécurité sociale ?

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Depuis quelques années, les évolutions législatives autorisent certains partages de données au bénéfice des organismes de protection sociale, mais la mise en œuvre est lente. Comment les organismes de protection sociale l'expliquent-ils ? À quelles difficultés se heurtent-ils ?

Une carte Vitale version 3, capitalisant sur ce partage de données, avec un serveur centralisé, ne serait-elle pas une solution efficace de lutte contre les fraudes ?

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Votre rapport souligne qu'un quart des fraudeurs à l'assurance maladie sont des professionnels de santé, mais que ces fraudes représentent trois quarts des montants fraudés. Je suis stupéfaite… Quels moyens l'assurance maladie met-elle en œuvre pour lutter contre ce phénomène, relativement bien cerné ? Cela a-t-il un lien avec la surabondance de cartes Vitale ? Ou s'agit-il de soins non réalisés et anormalement facturés ?

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Jean-Pierre Viola, conseiller maître à la Cour des comptes, président de section au sein de la sixième chambre de la Cour des comptes

Les proportions que vous citez correspondent uniquement à la fraude détectée : il s'agit soit d'actes facturés mais non réalisés, soit d'actes surfacturés. Les situations anormales sont détectées lorsque les niveaux de rémunération des professionnels de santé excèdent un certain seuil ou lorsque le nombre d'actes réalisés dépasse manifestement les capacités physiques d'un professionnel. Mais il faut également prendre en compte le fait que, derrière un professionnel qui facture, plusieurs personnes peuvent parfois avoir exercé, par exemple lors d'un remplacement. On croise souvent ce type de situation dans les zones géographiques surdotées en auxiliaires médicaux : des infirmiers vont travailler pour un autre infirmier et seront, en pratique, son salarié. Pourtant, l'assurance maladie ne verra qu'un seul nom sur la facture. Cela explique parfois des montants astronomiques d'honoraires – pouvant aller jusqu'à 2 millions d'euros –, parfaitement inconcevables. C'est une difficulté pour l'assurance maladie dans la mesure où elle n'a pas connaissance de ces faits – remplacement, salariat, etc. – en temps réel.

À l'inverse, dans d'autres cas, des individus tentent leur chance et surfacturent systématiquement, jusqu'à ce que l'assurance maladie réagisse. Le nombre de contrôles de ces situations, qu'elles soient frauduleuses ou non, est insuffisant. En outre, quand les contrôles aboutissent et que le professionnel reconnaît les faits ou que ces derniers sont démontrés, notamment par dénonciation de tiers – des familles de personnes grabataires, par exemple –, l'assurance maladie constate les indus. Mais si le professionnel de santé en question continue à travailler, pour rembourser ces sommes, il se peut très bien qu'il continue à surfacturer afin de conserver son niveau de vie… On pourrait s'interroger sur le déconventionnement de ces professionnels qui ont délibérément franchi la ligne rouge, et quelquefois à plusieurs reprises,

Madame Grandjean, le répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS) créé en 2006 visait à transcender les divisions institutionnelles de la protection sociale en rassemblant toutes les données sociales des assurés. Le projet a pris énormément de retard et n'a pas vraiment abouti car le montant des prestations versées n'a jamais été intégré, malgré des obligations législatives récurrentes. Il va finalement l'être, mais seulement par une forme de détour de l'histoire, grâce au dispositif des ressources mutualisées lié à la réforme des aides au logement. Il est frappant que l'on n'ait jamais cherché à sécuriser et mutualiser les données permettant le calcul des prestations pour tous les organismes sociaux.

Seules les données d'identification sont totalement partagées : le système national de gestion des identifiants (SNGI) de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) irrigue toute la sphère de la protection sociale. Il est le miroir des données de l'INSEE et donc des états civils municipaux, ainsi que des informations issues des consulats pour les décès à l'étranger.

Ces constats posent certes la question de l'inertie administrative, mais aussi celle de la capacité à faire, et donc du budget… Au regard de la complexité des prestations qu'elles doivent gérer, les caisses nationales du régime général, mais également l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), ne disposent sans doute pas de budgets informatiques suffisants. J'ai déjà évoqué les applications informatiques datées ou le pilotage d'activité sur tableur Excel. On pourrait aussi mentionner le fait que le salaire pris en compte pour calculer la rente d'accidents du travail est déterminé par des agents également sur tableur Excel. Cela contribue à la lourdeur, à l'opacité, induit un manque de traçabilité de la gestion, mais favorise également les erreurs et les fraudes. La sécurité sociale gère plusieurs centaines de milliards d'euros de prestations, mais à partir de budgets informatiques qui ne dépassent pas quelques centaines de millions d'euros tout compris…

Certains projets prennent du retard, d'autres sont abandonnés. Exemple symptomatique : certains actes ou séjours dans le champ de l'assurance maladie doivent faire l'objet de l'autorisation préalable du service médical. Or le système de liquidation des prestations validera le remboursement, quand bien même la prise en charge aura été refusée ou plafonnée, tout simplement parce que la base informatique de gestion des ententes préalables n'est pas connectée à la chaîne de liquidation des prestations, très ancienne. L'assurance maladie ne sait pas évaluer la portée financière de ce type d'anomalie, mais nous les relevons.

Madame Grandjean, vous avez raison, c'est l'une des difficultés à laquelle nous sommes confrontés : les droits figurent sur la carte Vitale, et non sur un serveur centralisé. Pendant un certain temps, cela permet à celui qui utilise la carte de bénéficier de droits, même s'ils ont par ailleurs été révoqués. Un changement de portage des droits permettrait effectivement d'interrompre les versements indus plus tôt.

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L'an dernier, vous aviez été auditionné par Mmes Goulet et Grandjean dans le cadre de leur mission. À cette occasion, vous aviez évoqué la qualité des documents nécessaires à une immatriculation – et donc au versement de prestations – qui sont d'abord traités par la CPAM ou la CAF avant que le SANDIA n'intervienne, sur des documents souvent de piètre qualité.

Comment fiabiliser ces documents ? C'est important afin que les fraudeurs n'entrent pas dans le système.

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Jean-Pierre Viola, conseiller maître à la Cour des comptes, président de section au sein de la sixième chambre de la Cour des comptes

Les personnes nées à l'étranger, de nationalité étrangère, demandant à être immatriculés à la sécurité sociale, doivent disposer d'un titre de séjour, qu'elles n'ont pu l'obtenir qu'en se présentant en préfecture. Les organismes travaillent ensuite depuis cette base : ils vérifient dans l'application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF) l'existence du titre de séjour. Bien sûr, il peut y avoir confusion ou dissimulation d'identité, mais ce n'est en général pas pour des raisons liées à l'ouverture de droits à la sécurité sociale.

Pour sécuriser les immatriculations de sécurité sociale, il faudrait développer le présentiel dans les caisses, afin de s'assurer de l'existence de l'assuré et de vérifier que ses caractéristiques physiques correspondent aux éléments d'identité produits. Mais ce n'est la tendance ni dans les organismes de sécurité sociale ni dans les administrations publiques, qui cherchent tout au contraire à réduire au maximum les échanges physiques avec les allocataires ou les demandeurs. Cela impliquerait de nouveaux frais de gestion.

En principe, les CAF ou les CPAM devraient systématiquement convoquer le demandeur lorsque le SANDIA refuse de procéder à l'immatriculation sur la base de documents qu'elles lui ont transmis, mais elles ne le font pas systématiquement. Dans les faits, beaucoup de pratiques de gestion sont déterminées par des considérations liées à la charge de travail.

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Comment expliquer la différence entre les 12,4 millions de numéros d'inscription au répertoire des personnes physiques (NIR), et donc d'assurés qui perçoivent des prestations au 1er juin 2019, et les 8,2 millions de personnes nées à l'étranger recensées par l'INSEE ? Le delta est tout de même de plus de quatre millions…

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Jean-Pierre Viola, conseiller maître à la Cour des comptes, président de section au sein de la sixième chambre de la Cour des comptes

Cela doit tenir essentiellement au fait qu'il s'agit de personnes dûment immatriculées, mais qui ne résident pas de manière stable en France.

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Il faudrait donc s'assurer que ces personnes perçoivent toujours à bon droit les prestations ?

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Jean-Pierre Viola, conseiller maître à la Cour des comptes, président de section au sein de la sixième chambre de la Cour des comptes

Oui, à ceci près que la situation peut différer sensiblement selon la nature de la prestation. Les conditions de durée du séjour en France sont extrêmement variables. Par ailleurs, certaines personnes quittent la France tout en gardant le bénéfice de droits sociaux dans notre pays, tout simplement parce qu'elles n'ont pas signalé leur départ, dont on ne s'aperçoit que beaucoup plus tard. Du fait de cette latence, plus les flux internationaux s'accroissent, plus le nombre de personnes se trouvant dans un entre-deux augmente. Il est fondamental d'accélérer la clôture des droits quand la situation des assurés et des allocataires a changé.

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Si les organismes ne mettent pas fin aux droits assez rapidement, cela débouche bien, d'une certaine manière, sur un phénomène de fraude.

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Jean-Pierre Viola, conseiller maître à la Cour des comptes, président de section au sein de la sixième chambre de la Cour des comptes

Oui, si les personnes sont conscientes qu'elles doivent signaler leur départ, mais les situations sont très hétérogènes. Dans certaines circonstances, l'enrichissement est manifeste, dans d'autres, des comportements objectivement frauduleux peuvent traduire une forme de misère sociale – des personnes âgées résidant dans des foyers et qui d'année en année partagent plus ou moins leur temps entre la France et leur famille dans le pays d'origine, par exemple.

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C'est un sujet particulièrement sensible : s'il s'agit de la misère sociale sur le sol français, il y a des raisons de la prendre en compte. S'agissant notamment de la branche famille ou du minimum vieillesse, les textes sont très clairs : le versement des prestations est conditionné à la résidence en France ; si l'on ne réside pas en France, on en est ipso facto exclu. La Cour a-t-elle investigué sur ces sujets ?

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Jean-Pierre Viola, conseiller maître à la Cour des comptes, président de section au sein de la sixième chambre de la Cour des comptes

La lutte contre les fraudes de la branche vieillesse vise particulièrement ce type de populations. La durée de résidence d'une personne en France peut varier d'une année sur l'autre, ce qui explique les écarts que vous avez relevés dans les chiffres des immatriculations. Il est évidemment souhaitable d'en finir avec ce type de situation et de détecter les indus ; je ne cherchais qu'à vous fournir des éléments explicatifs.

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Ces écarts sont substantiels : le delta est de l'ordre d'un tiers… La Cour continuera-t-elle à se pencher sur ces sujets ? Certes, les organismes sont, ou plutôt se sont sous-dotés en moyens informatiques, mais on a le sentiment que, malgré la succession des rapports et des recommandations du Parlement et de la Cour, ils ne prennent pas le taureau par les cornes. Partagez-vous cette impression ?

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Jean-Pierre Viola, conseiller maître à la Cour des comptes, président de section au sein de la sixième chambre de la Cour des comptes

Les organismes ne déterminent pas eux-mêmes leurs moyens ni leurs effectifs : leurs enveloppes de dépenses au titre des prestations informatiques externes sont arrêtées dans le cadre des conventions d'objectifs et de gestion – en l'occurrence, les COG 2018-2022. Je vous rejoins sur le fait que certains investissements auraient un retour très rapide, en ce qu'ils permettraient de réduire le nombre d'erreurs, à caractère frauduleux ou non. Or, de manière assez incompréhensible, ils ne sont pas effectués. Sans doute est-ce révélateur de l'importance réelle qu'on accorde à l'objet sécurité sociale. Son organisation – formée de plusieurs régimes et d'un grand nombre de caisses locales – est certes très lourde et absorbe, un peu pour elle-même, beaucoup de moyens administratifs ; reste que le déséquilibre est flagrant entre les ressources dédiées à la gestion du quotidien et celles qui sont consacrées à investir pour l'avenir. À titre de comparaison, la direction générale des finances publiques (DGFIP) est dotée d'un service à compétence nationale – Cap numérique – qui travaille sur les projets informatiques de l'avenir. À la sécurité sociale, les mêmes personnes-ressources et équipes techniques se retrouvent à travailler tout à la fois à la maintenance du quotidien – intégration des évolutions législatives et réglementaires, ergonomie des outils, adaptation d'architecture – et à la prise en compte des chantiers du futur. Ce qui limite nécessairement l'ouverture vers l'avenir, et explique probablement pour une grande part le problème des pertes financières liées aux fraudes.

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Vous faites la comparaison avec le service à compétence nationale de la DGFIP, Cap numérique : ce service, tout comme TRACFIN, a sans doute une autre culture de la lutte contre la fraude.

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L'enjeu porte sur les moyens. La charge administrative pour éviter 118 millions de préjudices est de l'ordre de 6 millions : on voit bien l'efficacité de moyens supplémentaires dans la détection de la fraude ou de l'erreur, sans parler du calcul de l'indu – j'ai lu dans un autre rapport qu'il était effectué sur vingt-quatre mois, sinon trente-six, alors que le code civil prévoit cinq ans. La Cour est-elle en mesure de chiffrer les moyens supplémentaires nécessaires à un bon traitement de la fraude, ou bien est-ce impossible ?

Par ailleurs, ces organismes ont une notion de la fraude un peu différente : ainsi, le calcul de l'indu se fait sur vingt-quatre, voire trente-six mois, alors que le code civil le définit sur cinq ans. Confirmez-vous qu'il existe un problème de culture dans la lutte contre la fraude ?

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Jean-Pierre Viola, conseiller maître à la Cour des comptes, président de section au sein de la sixième chambre de la Cour des comptes

La lutte contre les fraudes ne s'est vraiment imposée dans la sécurité sociale qu'à partir de la loi réformant l'assurance maladie en 2004. Certaines branches ont été prises par surprise, y compris en interne, par la fraude : la branche retraite notamment a très mal vécu, faute de l'avoir anticipé et d'avoir été vigilante, l'épisode des régularisations de cotisations prescrites après la réforme Fillon des retraites de 2004, un certain nombre d'assurés – parmi lesquels des agents de caisses de sécurité sociale – ayant fait valoir des périodes d'activités à des âges très jeunes, à une époque où la réglementation ne prévoyait pas la production de justificatifs suffisants.

Les choses ont néanmoins beaucoup évolué grâce aux objmensurectifs fixés dans les COG, mais également grâce à la formation des agents. L'investissement dans la lutte contre les fraudes est incontestable dans les trois branches, mais il prend place lui-même dans un environnement très fragile et sous-outillé. Il y aurait moins à lutter contre les fraudes si les règles étaient plus simplement définies, si les outils informatiques étaient plus performants, si on allait puiser les informations dans les mêmes bases de données, provenant de tiers de confiance, plutôt que dans les seules déclarations des assurés, s'il y avait des mécanismes de coupure automatique au-delà d'un certain montant de frais de santé facturés, si des contrôles automatisés bloquaient un peu plus les incohérences manifestes… C'est là, pour moi, que réside la principale difficulté : elle ne tient pas tant aux moyens des branches, même s'ils sont perfectibles, mais à l'environnement général, qui conduit à des pertes financières, mais également à ce dévoiement de l'intention du législateur lorsqu'il a défini des règles d'attribution et de calcul des prestations, ou investi l'autorité réglementaire du pouvoir de passer convention avec telle ou telle profession de santé.

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Merci beaucoup, monsieur Viola. Nous serons extrêmement attentifs au travail que la Cour réalisera, même si j'ai bien noté qu'il était prématuré de fixer une date de remise.

La réunion se termine à dix-neuf heures cinq.