Les proportions que vous citez correspondent uniquement à la fraude détectée : il s'agit soit d'actes facturés mais non réalisés, soit d'actes surfacturés. Les situations anormales sont détectées lorsque les niveaux de rémunération des professionnels de santé excèdent un certain seuil ou lorsque le nombre d'actes réalisés dépasse manifestement les capacités physiques d'un professionnel. Mais il faut également prendre en compte le fait que, derrière un professionnel qui facture, plusieurs personnes peuvent parfois avoir exercé, par exemple lors d'un remplacement. On croise souvent ce type de situation dans les zones géographiques surdotées en auxiliaires médicaux : des infirmiers vont travailler pour un autre infirmier et seront, en pratique, son salarié. Pourtant, l'assurance maladie ne verra qu'un seul nom sur la facture. Cela explique parfois des montants astronomiques d'honoraires – pouvant aller jusqu'à 2 millions d'euros –, parfaitement inconcevables. C'est une difficulté pour l'assurance maladie dans la mesure où elle n'a pas connaissance de ces faits – remplacement, salariat, etc. – en temps réel.
À l'inverse, dans d'autres cas, des individus tentent leur chance et surfacturent systématiquement, jusqu'à ce que l'assurance maladie réagisse. Le nombre de contrôles de ces situations, qu'elles soient frauduleuses ou non, est insuffisant. En outre, quand les contrôles aboutissent et que le professionnel reconnaît les faits ou que ces derniers sont démontrés, notamment par dénonciation de tiers – des familles de personnes grabataires, par exemple –, l'assurance maladie constate les indus. Mais si le professionnel de santé en question continue à travailler, pour rembourser ces sommes, il se peut très bien qu'il continue à surfacturer afin de conserver son niveau de vie… On pourrait s'interroger sur le déconventionnement de ces professionnels qui ont délibérément franchi la ligne rouge, et quelquefois à plusieurs reprises,
Madame Grandjean, le répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS) créé en 2006 visait à transcender les divisions institutionnelles de la protection sociale en rassemblant toutes les données sociales des assurés. Le projet a pris énormément de retard et n'a pas vraiment abouti car le montant des prestations versées n'a jamais été intégré, malgré des obligations législatives récurrentes. Il va finalement l'être, mais seulement par une forme de détour de l'histoire, grâce au dispositif des ressources mutualisées lié à la réforme des aides au logement. Il est frappant que l'on n'ait jamais cherché à sécuriser et mutualiser les données permettant le calcul des prestations pour tous les organismes sociaux.
Seules les données d'identification sont totalement partagées : le système national de gestion des identifiants (SNGI) de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) irrigue toute la sphère de la protection sociale. Il est le miroir des données de l'INSEE et donc des états civils municipaux, ainsi que des informations issues des consulats pour les décès à l'étranger.
Ces constats posent certes la question de l'inertie administrative, mais aussi celle de la capacité à faire, et donc du budget… Au regard de la complexité des prestations qu'elles doivent gérer, les caisses nationales du régime général, mais également l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), ne disposent sans doute pas de budgets informatiques suffisants. J'ai déjà évoqué les applications informatiques datées ou le pilotage d'activité sur tableur Excel. On pourrait aussi mentionner le fait que le salaire pris en compte pour calculer la rente d'accidents du travail est déterminé par des agents également sur tableur Excel. Cela contribue à la lourdeur, à l'opacité, induit un manque de traçabilité de la gestion, mais favorise également les erreurs et les fraudes. La sécurité sociale gère plusieurs centaines de milliards d'euros de prestations, mais à partir de budgets informatiques qui ne dépassent pas quelques centaines de millions d'euros tout compris…
Certains projets prennent du retard, d'autres sont abandonnés. Exemple symptomatique : certains actes ou séjours dans le champ de l'assurance maladie doivent faire l'objet de l'autorisation préalable du service médical. Or le système de liquidation des prestations validera le remboursement, quand bien même la prise en charge aura été refusée ou plafonnée, tout simplement parce que la base informatique de gestion des ententes préalables n'est pas connectée à la chaîne de liquidation des prestations, très ancienne. L'assurance maladie ne sait pas évaluer la portée financière de ce type d'anomalie, mais nous les relevons.
Madame Grandjean, vous avez raison, c'est l'une des difficultés à laquelle nous sommes confrontés : les droits figurent sur la carte Vitale, et non sur un serveur centralisé. Pendant un certain temps, cela permet à celui qui utilise la carte de bénéficier de droits, même s'ils ont par ailleurs été révoqués. Un changement de portage des droits permettrait effectivement d'interrompre les versements indus plus tôt.