Intervention de Didier Martin

Réunion du mardi 9 juin 2020 à 18h30
Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Martin, responsable de la division de l'expertise en fraude documentaire et à l'identité (DEFDI) :

La DEFDI, que je dirige depuis près de douze mois, a vocation à travailler avec ses partenaires européens. Elle assure actuellement la direction de plusieurs groupes de travail et d'un groupe d'experts, ce qui nous permet de suivre les tendances au niveau européen. Ce groupe est financé par deux agences européennes, l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) et l'agence européenne de police criminelle (Europol). Et grâce aux fonds européens, nous sommes en mesure de mener des actions opérationnelles sur les territoires des États membres. Cette activité permet à la France de connaître les dernières tendances et d'influencer le travail européen en la matière. La fraude à l'identité, c'est-à-dire l'usurpation ou l'obtention indue, commencent à prendre le pas sur l'usage de faux documents. Nous adaptons donc nos formations et nos réponses.

La DEFDI et l'OCRIEST, dont la mission est de lutter contre les grands réseaux et les organisations criminelles, procèdent à des recoupements et des échanges d'informations avec les autres États membres de l'Union européenne. Des protocoles d'échanges d'informations ont été mis en place. Le fichier européen Faux documents et documents authentiques en ligne (FADO) est alimenté, pour la France, par mon service, et par les services équivalents de tous les pays membres. Il est géré par Frontex, qui n'est pas en droit d'utiliser des données nominatives. C'est la raison pour laquelle, parallèlement, nous développons un logiciel de recoupement à vocation européenne opérationnelle. Il sera géré par Europol, et vise à identifier les caractéristiques communes des faux documents afin de monter des opérations à plusieurs États membres et de démanteler les officines présentes dans l'Union européenne. Nous allons d'ailleurs, dans les jours qui viennent, intervenir en région parisienne.

Nous formons également nos policiers présents aux frontières extérieures, dont la mission est de stopper les migrants et les terroristes utilisant des documents falsifiés ou volés, sur lesquels ils apposent un film extrêmement fin et difficile à détecter. En outre, nous assistons les organismes de protection sociale et les autres policiers dans leur formation. Nous proposons, avec la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF), un catalogue de formations, sur trois niveaux. Nous formons, au sein des organismes de protection sociale, des référents qui sensibiliseront le personnel. Lorsqu'il a connaissance de fraudes aux prestations sociales, l'OCRIEST contacte l'organisme concerné pour que celui-ci puisse recouvrir les sommes indûment versées.

Évaluer le volume de fraudes aux prestations sociales me paraît difficile puisque nous ne disposons que de nos propres statistiques. En revanche, nous notons des insuffisances depuis quelques années. C'est la raison pour laquelle, dans le cadre de la DNLF, des groupes de travail sont organisés avec les partenaires sociaux pour améliorer l'échange d'informations, car ils détiennent des informations nécessaires à nos enquêtes. Depuis quelques semaines, nous développons également des protocoles locaux avec les préfectures pour accélérer la circulation de l'information concernant les faux documents et l'obtention indue grâce à de faux documents. Il s'agit d'éviter des situations où une personne parvient à se faire délivrer frauduleusement un document dans une préfecture, après plusieurs tentatives infructueuses dans d'autres préfectures avec les mêmes documents, car il n'existe pas d'échanges d'informations entre les préfectures. Grâce au regroupement de ces informations et de celles obtenues avec les partenaires sociaux, nous pourrons identifier des réseaux utilisant les mêmes méthodes pour se voir délivrer indûment des titres permettant la délivrance de prestations sociales.

La PAF a vocation, non pas à traiter un contentieux de masse, mais à récolter des informations remontant de nos différents partenaires pour lutter contre les réseaux organisés. Le traitement du contentieux de masse doit être réalisé sous la forme d'un travail de dissuasion, de prévention et de formation des personnels des organismes de prestations sociales, pour qu'ils puissent être à même de détecter les tentatives de délivrance indue de droits. À cet effet, nous sommes en train de rédiger des fiches mémo – je vous ai apporté une fiche relative aux documents d'état civil du Mali – qui puissent servir de support pour l'instruction des dossiers aux personnes habilitées.

S'il faut faire des préconisations, un guichet unique où officieraient des personnels formés, à la fois de l'inspection du travail, de la CAF, de la CPAM ou autres, faciliterait le travail et serait une solution plus efficiente.

S'agissant du SANDIA, la DEFDI a effectué quatre contrôles, dont deux en 2011 et 2013, selon une méthodologie « oui-non » qui a permis de détecter près de 6 % de fraudes. En 2018 et 2019, avec l'amélioration de nos compétences, le taux de détection de faux a baissé, mais le nombre de dossiers que nous aurions rejetés en appliquant nos propres critères a augmenté.

Nos critères sont ceux du droit civil : l'article 47 du code civil dispose que la France reconnaît les documents d'état civil usités au sein des pays émetteurs, ce qui n'est pas sans difficulté. D'abord, même si les États tiers nous fournissent des modèles de documents, ils ne respectent pas forcément leur propre législation. Ensuite, l'état civil d'un certain nombre de pays d'Afrique subsaharienne, de manière notoire, n'est pas tenu de façon aussi rigoureuse qu'en France. Enfin, même si la personne s'est vu délivrer un document civil authentique, celui-ci peut être un authentique faux, obtenu grâce à la corruption.

Lorsque nous délivrons un avis défavorable, nous le faisons au regard d'un document dématérialisé et d'après nos guides. Cela ne garantit pas une pertinence à 100 %, mais nous sommes certainement plus prudents qu'un organisme de protection sociale qui ne dispose pas de toutes les connaissances techniques.

Nous rejetterions un tiers des dossiers d'un échantillon donné, sans forcément considérer que les documents sont faux ; simplement, ils ne seraient pas en cohérence avec la législation. Il s'agit d'une problématique réellement complexe, et l'on ne peut pas exiger des organismes sociaux qu'ils possèdent le même niveau de compétence sur les actes civils étrangers que le personnel de ma division.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.