Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Réunion du mardi 9 juin 2020 à 18h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE RELATIVE A LA LUTTE CONTRE LES FRAUDES AUX PRESTATIONS SOCIALES

Mardi 9 juin 2020

La séance est ouverte à dix-huit heures trente.

Présidence de M. Patrick Hetzel. Président

La commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales procède à l'audition de M. Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières (DCPAF), et de M. Didier Martin, responsable de la division de l'expertise en fraude documentaire et à l'identité.

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Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête, en nous réunissant à nouveau à l'Assemblée nationale.

Nous avons souhaité entendre M. Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières (DCPAF), et M. Didier Martin, responsable de la division de l'expertise en fraude documentaire et à l'identité (DEFDI), au titre de leur expertise en matière de fraude documentaire. La DCPAF a notamment participé aux contrôles effectués en 2011, 2018 et 2019 sur les dossiers du service administratif national d'identification des assurés (SANDIA), afin d'évaluer l'impact financier de cette fraude documentaire sur la fraude sociale.

Ils nous feront part de leur appréciation des modalités de contrôle de la régularité des dossiers d'immatriculation des personnes nées à l'étranger. Plus largement, ils nous apporteront leur éclairage sur les enjeux de la lutte contre la fraude documentaire et surtout sur les moyens qui pourraient être mis en œuvre pour améliorer la coopération entre les acteurs concernés et, éventuellement, les États.

Messieurs, avant de vous laisser la parole, je vous invite, conformément à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, à prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant « je le jure ».

(M. Fernand Gontier et M. Didier Martin prêtent successivement serment.)

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Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières (DCPAF)

La police aux frontières a trois missions principales : le contrôle des documents de voyage et d'identité ; la lutte contre l'immigration irrégulière et les trafics de migrants, dont la fraude documentaire et le démantèlement des officines de fabrication de faux documents ; la mise en œuvre des mesures d'éloignement des étrangers en situation irrégulière.

Notre direction centrale travaille depuis longtemps sur la question de la fraude documentaire. Le 31 juillet 2019, elle a donné à la division de l'expertise en fraude documentaire et à l'identité (DEFDI) une place éminente dans sa nouvelle organisation. Cette division est organisée en strates de compétences : du sommet vers la base, 35 experts de la PAF, 315 analystes en fraude documentaire et à l'identité, et 764 analystes en fraude documentaire. Nous coopérons avec l'ensemble des centres d'expertise et des ressources titres (CERT) et avons deux antennes chargées des documents liés à l'échange des permis de conduire étrangers en permis français, l'une à Nantes, l'autre, depuis peu, à la préfecture de police (PP).

En matière de fraude documentaire, la police aux frontières intervient à deux niveaux. D'abord, celui de l'expertise administrative et judiciaire. Ayant pour mission principale d'examiner des documents administratifs français et étrangers, la DEFDI produit des rapports d'analyse qui caractérisent, ou non, la fraude documentaire. En 2019, plus de 48 000 documents ont été examinés pour des magistrats et des administrations. La PAF est également associée à l'élaboration de documents sécurisés français, mais également européens – l'Europe s'organise contre ce type de fraude.

Dans le domaine judiciaire, la PAF a pour mission de démanteler les structures criminelles, les organisations de trafiquants de migrants ou d'emploi d'étrangers sans titre, qui utilisent la fraude documentaire comme support de leur activité criminelle. Pour ce faire, nous disposons de l'office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre (OCRIEST), créé en 1996 et qui compte une centaine d'enquêteurs. Cet office bénéficie aussi d'un réseau territorial de plus de 600 enquêteurs spécialisés dans le démantèlement des filières d'immigration irrégulière et des réseaux de trafic de documents d'identité et de voyage.

Nous avons affaire à des réseaux très organisés. En 2019, sur 328 filières d'immigration démantelées, 22 % étaient des officines de fabrication ou de distribution de faux documents, et, pour 40 % d'entre elles, la fraude documentaire était une activité annexe.

L'ampleur de cette fraude sur le territoire ne peut être révélée que par l'activité des services anti-fraude, cette activité étant proportionnelle aux moyens dont ils disposent.

Nous disposons d'outils statistiques, pour certains encore relativement imparfaits ou partiels. Le programme d'analyse des flux et indicateurs statistiques d'activité (PAFISA) fournit des statistiques et des analyses sur la fraude documentaire. En 2019, 8 881 porteurs de faux ont été interpellés par la PAF pour 16 194 faux documents. Nous connaissons, grâce au PAFISA, le type des documents et leur nationalité, la nationalité des porteurs et le type de fraude : contrefaçon, falsification, usage frauduleux, obtention indue.

Cet outil n'est pas totalement partagé par l'ensemble des services de police et de gendarmerie, il est donc difficile de trouver d'autres indicateurs, d'autres tableaux de bord de la détection de la fraude documentaire. L'outil de requête des univers statistiques (ORUS), outil d'activité judiciaire des services de police et de gendarmerie, peut nous fournir certains éléments, mais le niveau de la fraude est souvent dissimulé par des infractions plus importantes.

La police aux frontières a également une activité de formation : environ 10 000 personnes sont formées annuellement par nos services, qui partagent leurs informations sur les modes opératoires et présentent des faux documents types. En 2019, 891 personnels des organismes de protection sociale – caisse primaire d'assurance maladie (CPAM), URSSAF, caisse d'allocations familiales (CAF), Pôle emploi, caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), mutualité sociale agricole (MSA) – ont été formés, ainsi que les personnels de certains ministères, dont celui des affaires étrangères.

Par définition, un faux document ne se détecte pas facilement ; des outils et du matériel ainsi qu'une formation sont nécessaires. Nous sommes la direction de référence pour la police nationale, en matière de doctrine, de formation et de documentation.

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La DEFDI, que je dirige depuis près de douze mois, a vocation à travailler avec ses partenaires européens. Elle assure actuellement la direction de plusieurs groupes de travail et d'un groupe d'experts, ce qui nous permet de suivre les tendances au niveau européen. Ce groupe est financé par deux agences européennes, l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) et l'agence européenne de police criminelle (Europol). Et grâce aux fonds européens, nous sommes en mesure de mener des actions opérationnelles sur les territoires des États membres. Cette activité permet à la France de connaître les dernières tendances et d'influencer le travail européen en la matière. La fraude à l'identité, c'est-à-dire l'usurpation ou l'obtention indue, commencent à prendre le pas sur l'usage de faux documents. Nous adaptons donc nos formations et nos réponses.

La DEFDI et l'OCRIEST, dont la mission est de lutter contre les grands réseaux et les organisations criminelles, procèdent à des recoupements et des échanges d'informations avec les autres États membres de l'Union européenne. Des protocoles d'échanges d'informations ont été mis en place. Le fichier européen Faux documents et documents authentiques en ligne (FADO) est alimenté, pour la France, par mon service, et par les services équivalents de tous les pays membres. Il est géré par Frontex, qui n'est pas en droit d'utiliser des données nominatives. C'est la raison pour laquelle, parallèlement, nous développons un logiciel de recoupement à vocation européenne opérationnelle. Il sera géré par Europol, et vise à identifier les caractéristiques communes des faux documents afin de monter des opérations à plusieurs États membres et de démanteler les officines présentes dans l'Union européenne. Nous allons d'ailleurs, dans les jours qui viennent, intervenir en région parisienne.

Nous formons également nos policiers présents aux frontières extérieures, dont la mission est de stopper les migrants et les terroristes utilisant des documents falsifiés ou volés, sur lesquels ils apposent un film extrêmement fin et difficile à détecter. En outre, nous assistons les organismes de protection sociale et les autres policiers dans leur formation. Nous proposons, avec la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF), un catalogue de formations, sur trois niveaux. Nous formons, au sein des organismes de protection sociale, des référents qui sensibiliseront le personnel. Lorsqu'il a connaissance de fraudes aux prestations sociales, l'OCRIEST contacte l'organisme concerné pour que celui-ci puisse recouvrir les sommes indûment versées.

Évaluer le volume de fraudes aux prestations sociales me paraît difficile puisque nous ne disposons que de nos propres statistiques. En revanche, nous notons des insuffisances depuis quelques années. C'est la raison pour laquelle, dans le cadre de la DNLF, des groupes de travail sont organisés avec les partenaires sociaux pour améliorer l'échange d'informations, car ils détiennent des informations nécessaires à nos enquêtes. Depuis quelques semaines, nous développons également des protocoles locaux avec les préfectures pour accélérer la circulation de l'information concernant les faux documents et l'obtention indue grâce à de faux documents. Il s'agit d'éviter des situations où une personne parvient à se faire délivrer frauduleusement un document dans une préfecture, après plusieurs tentatives infructueuses dans d'autres préfectures avec les mêmes documents, car il n'existe pas d'échanges d'informations entre les préfectures. Grâce au regroupement de ces informations et de celles obtenues avec les partenaires sociaux, nous pourrons identifier des réseaux utilisant les mêmes méthodes pour se voir délivrer indûment des titres permettant la délivrance de prestations sociales.

La PAF a vocation, non pas à traiter un contentieux de masse, mais à récolter des informations remontant de nos différents partenaires pour lutter contre les réseaux organisés. Le traitement du contentieux de masse doit être réalisé sous la forme d'un travail de dissuasion, de prévention et de formation des personnels des organismes de prestations sociales, pour qu'ils puissent être à même de détecter les tentatives de délivrance indue de droits. À cet effet, nous sommes en train de rédiger des fiches mémo – je vous ai apporté une fiche relative aux documents d'état civil du Mali – qui puissent servir de support pour l'instruction des dossiers aux personnes habilitées.

S'il faut faire des préconisations, un guichet unique où officieraient des personnels formés, à la fois de l'inspection du travail, de la CAF, de la CPAM ou autres, faciliterait le travail et serait une solution plus efficiente.

S'agissant du SANDIA, la DEFDI a effectué quatre contrôles, dont deux en 2011 et 2013, selon une méthodologie « oui-non » qui a permis de détecter près de 6 % de fraudes. En 2018 et 2019, avec l'amélioration de nos compétences, le taux de détection de faux a baissé, mais le nombre de dossiers que nous aurions rejetés en appliquant nos propres critères a augmenté.

Nos critères sont ceux du droit civil : l'article 47 du code civil dispose que la France reconnaît les documents d'état civil usités au sein des pays émetteurs, ce qui n'est pas sans difficulté. D'abord, même si les États tiers nous fournissent des modèles de documents, ils ne respectent pas forcément leur propre législation. Ensuite, l'état civil d'un certain nombre de pays d'Afrique subsaharienne, de manière notoire, n'est pas tenu de façon aussi rigoureuse qu'en France. Enfin, même si la personne s'est vu délivrer un document civil authentique, celui-ci peut être un authentique faux, obtenu grâce à la corruption.

Lorsque nous délivrons un avis défavorable, nous le faisons au regard d'un document dématérialisé et d'après nos guides. Cela ne garantit pas une pertinence à 100 %, mais nous sommes certainement plus prudents qu'un organisme de protection sociale qui ne dispose pas de toutes les connaissances techniques.

Nous rejetterions un tiers des dossiers d'un échantillon donné, sans forcément considérer que les documents sont faux ; simplement, ils ne seraient pas en cohérence avec la législation. Il s'agit d'une problématique réellement complexe, et l'on ne peut pas exiger des organismes sociaux qu'ils possèdent le même niveau de compétence sur les actes civils étrangers que le personnel de ma division.

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Le périmètre d'étude de notre commission d'enquête n'est pas limité à la fraude documentaire mais il ressort de différentes auditions et différents rapports que celle-ci est l'un des éléments nécessaires à la fraude aux prestations sociales.

Cette question fait également polémique en raison des divergences d'appréciation sur les méthodologies appliquées, notamment au regard des échantillons sélectionnés pour les contrôles.

L'usurpation d'identité, dont vous avez indiqué qu'elle prend aujourd'hui le pas sur la simple fraude documentaire, entraîne-t-elle, selon vous, une augmentation des fraudes aux prestations sociales ?

Au niveau européen, disposez-vous d'éléments comparatifs entre les États membres sur la question spécifique de la fraude aux prestations sociales commises grâce à l'usurpation d'identité ?

Selon vous, la différence entre les 30 % de documents que vous auriez rejetés en vous référant à l'article 47 du code civil et les 6 % obtenus avec une précédente méthodologie marque-t-elle la nécessité de modifier les critères législatifs ou réglementaires, ou les protocoles de gestion de ces documents ? Une meilleure formation des personnels des organismes sociaux aurait-elle un effet à court ou moyen terme sur les chiffres ? Voyez-vous d'autres pistes d'amélioration ?

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Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières (DCPAF)

Le premier type de fraude à l'identité est l'usage frauduleux d'un document. Il s'agit du moyen de fraude le plus basique, pratiqué par des personnes de diverses nationalités. Également appelé le « look alike », il consiste à jouer sur la ressemblance avec une connaissance pour se servir, par exemple, de sa carte de séjour. En 2019, cette fraude a connu une augmentation notable de 27 %, portant le nombre de cas recensés à 3 510.

Le deuxième type de fraude vise les documents sources – faux acte de naissance, fausse carte d'identité ou carte vitale – qui permettent d'obtenir un document légal ou un droit. Une fois délivré, il est très difficile de détecter la fraude. De fait, les supports français, notamment les documents d'état civil, ne sont pas suffisamment sécurisés, voire pas du tout. On trouve dans le commerce tout le matériel utile à la fabrication de fausses attestations de domicile ou de fausses factures, mais on peut aussi faire appel à des réseaux très organisés qui vendent des kits de faux documents ou de documents sources. Depuis quelques années, on peut également s'en procurer sur le darknet, et nous avons des enquêteurs spécialisés en cybercriminalité.

De notre point de vue, le point faible est la chaîne de délivrance du document. La personne qui instruit le dossier n'a pas forcément la formation ni le matériel lui permettant de détecter la fraude. Des documents biométriques seraient une solution efficace pour lutter contre l'usurpation d'identité. Toutefois, ces phénomènes de fraude aux documents sources ont encore beaucoup d'avenir. Du fait de la forte sécurisation des documents, tel le passeport français qui est très difficile à contrefaire, comme le sera la future carte d'identité, l'attaque se porte plutôt sur l'amont de la chaîne et sur l'usage qui peut être fait du document.

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Des documents français volés et proposés à la vente sur le darknet ou les réseaux sociaux, proprement falsifiés par l'apposition d'un simple film, sont beaucoup moins détectables par les personnels en première ligne, même chez nous, que des faux documents. C'est une tendance européenne qui va au-delà de 50 %. En France, la baisse de 10 % de faux documents détectés en 2019 n'est pas due à la modification de nos méthodes, ce sont les fraudeurs qui évoluent vers des pratiques plus sûres. Ainsi, il est plus sûr de falsifier légèrement la photo sur un passeport volé que d'en fabriquer un biométrique avec de fausses puces pour rentrer dans l'espace Schengen

Nous travaillons à mettre fin à cette technique de fraude. Parmi les choses à faire, une campagne de communication invitant le public à protéger davantage ses papiers et son identité même serait bien utile. Certains de nos concitoyens se montrent trop désinvoltes en ne déclarant pas la perte de leur carte d'identité ou de leur passeport, d'autres donnent sur les réseaux sociaux des informations qui facilitent considérablement le travail des réseaux organisés. Un passeport volé le mardi à Francfort peut ainsi être livré le jeudi, par Chronopost ou DHL, à un migrant dans un camp en Grèce.

Au niveau européen, la tendance est la même. Il y a des réseaux organisés ; sur le marché, le passeport américain vaut quelque 650 euros, le passeport français se négocie entre 300 et 450 euros. Nous essayons de lutter avec nos collègues de l'OCRIEST, mais aussi au niveau européen en organisant des équipes communes d'enquête financées par Europol. En matière de cybercriminalité, les patrouilles cyber de l'OCRIEST investiguent sur les réseaux sociaux et effectuent un travail considérable pour faire fermer les sites.

Pour répondre à votre question, monsieur le rapporteur, ces fraudes ont forcément des conséquences sur la délivrance de prestations sociales indues, mais c'est sur l'immigration qu'elles se font sentir dans un premier temps. Nous fournissons des chiffres pour les statistiques publiées par Frontex.

Quant au protocole de gestion, nous pouvons, effectivement, présenter un certain nombre de suggestions, à commencer par la sécurisation de la photographie, en prenant les photos devant l'autorité de délivrance ou l'organisme pouvant confirmer l'identité de la personne, et en la faisant figurer sur toutes les cartes d'organismes sociaux. Peut-être aussi conviendrait-il de passer à la biométrie.

Il y a deux ou trois ans, les Allemands ont émis l'idée d'une base commune d'identité européenne biométrique. La présidence allemande de l'Union européenne, qui s'installera dans quelques jours, proposera des mesures pour lutter contre l'usurpation d'identité. C'est au niveau européen que doivent être élaborés les processus de sécurisation des données d'identité, appuyés sur une base d'état civil biométrique. Déjà, le Portugal, les Pays-Bas et la Belgique ont mis en place des numéros uniques rattachés à une base d'état civil. Toutes ne sont pas biométriques, mais c'est par là qu'il faudra en passer pour sécuriser les transactions dématérialisées et le versement des prestations sociales.

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Existe-t-il un classement des fraudes par documents sources et par nationalités ?

Assurez-vous un suivi auprès des personnels que vous avez formés, notamment au sein des organismes sociaux ? Constatez-vous des résultats positifs après les formations ?

Vous êtes des experts, mais tous les policiers bénéficient-ils d'une formation de base ?

Vos effectifs vous paraissent-ils suffisants ?

Pouvez-vous revenir sur les protocoles locaux que vous avez évoqués ?

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Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières (DCPAF)

La principale fraude est celle aux cartes d'identité : plus 32 % en 2018 et 2019, avec 4 059 fausses cartes d'identité françaises ou européennes. Les documents français, faux ou volés, sont très recherchés et sont majoritairement retrouvés en Grèce ou en Turquie. Il est difficile de détecter les faux documents, car les numéros des vrais ne sont pas enregistrés – les Français ne connaissent pas le numéro de leur carte d'identité ou de leur passeport. Viennent ensuite les passeports, avec 3 032 faux détectés, puis les actes d'état civil. Nous interceptons également de faux permis de conduire français, détenus parfois par des personnes qui ne l'ont pas obtenu, ce qui est dangereux.

Parmi les plus grands utilisateurs de faux documents sur notre territoire, on trouve principalement des ressortissants de nationalité albanaise, iranienne, algérienne, malienne, guinéenne, ivoirienne, afghane, sénégalaise, marocaine. Nous sommes très attentifs aux vols qui arrivent de Grèce et de Turquie, ces deux pays étant de véritables plaques tournantes du recyclage de documents d'identité français.

La fraude documentaire, très peu sanctionnée pénalement pour elle-même, est un support de la délinquance, de la fraude aux organismes sociaux aux crimes plus graves comme le terrorisme, en passant par l'escroquerie ; elle est la clé qui permet d'obtenir des droits ou des titres d'identité et de voyage.

Avec un bon millier de policiers dédiés à la lutte contre la fraude documentaire, nous parvenons à couvrir l'ensemble du territoire national, grâce également à une bonne répartition des compétences avec la gendarmerie nationale. Celle-ci assure des formations auprès des mairies qui délivrent les titres, tandis que nous formons plutôt les personnels des préfectures. À cet effet, nous avons élaboré un protocole avec la gendarmerie nationale, et un autre avec la direction de la modernisation et de l'administration territoriale (DEMAT). Quant à savoir si nous avons assez de personnel… Il n'y en a jamais assez !

Les policiers, comme les gendarmes, devraient tous être formés à la détection de la fraude documentaire. C'est la raison pour laquelle nous avons intégré un module de sensibilisation dans la formation initiale : connaître le cadre juridique du contrôle d'identité, c'est bien, encore faut-il savoir quoi contrôler.

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Un officier et un gradé de la sécurité publique de mon service sont en train de déployer un réseau sur l'ensemble du territoire. Nous espérons, d'ici à la fin de l'année, qu'au moins les commissariats les plus importants de France disposeront d'un correspondant spécialiste en fraude documentaire. Cela dit, les personnes qui se voient refuser des titres ont tendance à retenter leur chance dans des départements plus ruraux, moins au fait de la fraude.

Le suivi des personnels formés pour les maintenir opérationnels est un réel challenge, les techniques évoluant rapidement. Par ailleurs, si les notes de synthèse élaborées à partir des informations de Frontex ou d'Europol, doivent être communiquées, elles doivent l'être aux personnes appropriées. C'est la raison pour laquelle un protocole est nécessaire.

Concernant les protocoles locaux, le directeur central en a élaboré un avec le directeur de la DEMAT, qui vise à inviter les directeurs zonaux et départementaux à discuter, avec les CERT et les procureurs de la République, de la circulation de l'information. Ce protocole précise que les informations doivent directement remonter à mon service ou au service territorialement compétent, afin de réagir le plus rapidement possible.

S'agissant des organismes sociaux, on ne peut blâmer personne au regard des volumes qu'ils ont à traiter. Pour repérer les fraudeurs, il leur faudrait détenir une connaissance encyclopédique.

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Nous sommes conscients du niveau de connaissance que devraient posséder ces personnels. D'autant que, parfois, vous l'avez indiqué, le document source est légal mais a été obtenu de manière frauduleuse, la tendance étant à agir plus en amont de la filière. C'est ainsi qu'on se retrouve aujourd'hui avec des numéros d'inscription au répertoire (NIR) de l'INSEE attribués à des personnes nées à l'étranger.

Vous avez suggéré de changer de paradigme et de mutualiser les informations afin de faire monter en compétence les personnels chargés de délivrer des titres.

La biométrie est une voie pertinente, mais nous nous heurtons à une difficulté de nature constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs censuré, en 2012, le développement d'un fichier centralisé de cartes d'identité avec empreintes digitales. Pour contourner cet écueil, il faudrait soit toucher à la Constitution, soit passer par un référendum, ce qui n'est vraiment pas facile.

S'agissant des réseaux criminels, diriez-vous qu'ils tendent à se développer ou, au contraire, à disparaître ?

Les règles d'immatriculation au SANDIA ont été renforcées, notamment avec l'obligation de présenter deux documents d'identité. Ces nouvelles exigences vous semblent-elles suffisantes ?

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Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières (DCPAF)

Nous constatons indéniablement une augmentation des réseaux, d'une part en raison d'une forte demande et, d'autre part, parce que les modes opératoires se sont diversifiés. La vente de faux documents sur les réseaux sociaux ou le darknet est tout à fait récente et révèle l'ingéniosité des fraudeurs. Environ un quart des filières d'immigration irrégulière ont recours à la fabrication et à la distribution de faux documents, qui circulent facilement et dont la valeur marchande a baissé.

Nous souhaiterions que cette fraude documentaire soit davantage révélée. Il est dommage d'avoir fait de nous des spécialistes, alors même que nous avons l'activité la plus importante de l'ensemble des services répressifs. Ce n'est pas logique et il y aurait grand besoin de former nos collègues gendarmes et policiers. Il y a trois ans environ, la police judiciaire nous a transféré sa compétence de lutte contre les trafics de faux document, son activité en la matière n'étant pas suffisamment importante. Il est vrai que les services de police et de gendarmerie ne disposent pas des outils juridiques et techniques nécessaires. Nous sommes en train de mettre au point des logiciels qui appelleront l'attention des policiers aux frontières sur des points de fragilité des documents. Sur le territoire national, l'un des points de faiblesse que nous voyons dans la détection de la fraude documentaire est l'impossibilité – qui peut paraître incroyable – pour les services de police et de gendarmerie d'accéder au fichier des titres électroniques sécurisés (TES).

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Nous avons accès à une version extrêmement limitée de TES, dite DocVérif, qui indique uniquement l'identité et si le numéro du document est valide ou pas, sans même un accès à la photographie.

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On voit bien qu'il y a un équilibre à trouver entre la préservation des libertés individuelles et la possibilité, pour nos services de police, de mener à bien leur travail d'investigation.

C'est également une question de culture. En Allemagne, une passerelle a été créée entre le fichier des permis de conduire et celui des assurances automobiles, de sorte que lors d'un contrôle routier, le policier sait si le chauffeur est à jour ou non de son assurance.

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Les filières ne sont pas forcément le fait d'organisations criminelles. Il peut s'agir de geeks qui fabriquent des documents sources pour un prix de revient modeste et qui inondent le marché. Nous parvenons à les stopper grâce aux cyber patrouilles.

L'application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF) permet d'éliminer les faux dans un premier temps, mais elle ne règle pas totalement le problème de la fraude à l'usurpation d'identité par documents authentiques ou légèrement falsifiés. Cela demandera un investissement : former à un bon niveau, c'est compliqué.

Le nouveau logiciel Fields d'aide au contrôle documentaire est mis en place dans le cadre d'une collaboration internationale. C'est Interpol qui pilote ce projet.

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Si je vous résume, la fraude aux documents s'adapte aux outils et aux contrôles qui sont déployés, et du fait même qu'elle est en augmentation, la fraude aux prestations l'est aussi, même s'il est difficile de la chiffrer.

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Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières (DCPAF)

Oui, la fraude documentaire s'adapte en permanence. Les organisations criminelles connaissent parfaitement nos mécanismes et nos faiblesses. L'examen des documents dématérialisés, par exemple, est une faiblesse supplémentaire ; clairement, la dématérialisation facilite la fraude. Il est, en effet, très compliqué de détecter un faux document sur un écran. La détection est alors davantage liée à un contrôle de cohérence, de pertinence qu'au support lui-même.

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Il s'agit là d'un élément que nous n'avions pas nécessairement relevé. En vous écoutant, il semble évident.

Êtes-vous en contact régulier avec les organismes sociaux, après la délivrance des formations ?

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C'est la DNLF qui coordonne les actions de formation. Un catalogue est proposé chaque année et quelque 900 personnes issues de divers organismes sont formées à différents niveaux de compétence. Nous n'avons ni retour ni suivi. C'est la raison pour laquelle, nous sommes favorables à une formalisation des réunions, avec un calendrier et des échanges d'informations, ne serait-ce qu'au regard de la gestion de nos personnels et le maintien à jour de leurs compétences.

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Nous comprenons aisément que votre mission première est la lutte contre le terrorisme.

Je souhaiterais revenir sur le cas d'une personne qui se présente au SANDIA avec de vrais documents qui ont été obtenus de manière frauduleuse. Comment luttez-vous contre ce phénomène, en amont des demandes de NIR ?

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Ma division est extrêmement sollicitée pour effectuer des missions d'audit et de formation à l'étranger, en particulier dans des pays d'Afrique subsaharienne. Nous leur livrons des pistes d'amélioration de la traçabilité de leurs documents, et leur expliquons comment instaurer un formalisme suivi, et en quoi il est aussi utile pour le contrôle démographique et la gestion de leur population.

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Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières (DCPAF)

Nous aidons les États africains à se doter d'un état civil sécurisé, afin de fiabiliser la chaîne de délivrance des documents. Nous développons également des divisions spécialistes en fraude documentaire dans certains pays africains qui souhaitent notamment se protéger contre l'immigration de pays voisins.

Vous l'avez souligné, monsieur le président, c'est bien sur les documents sources qu'il convient d'agir, car ensuite les titres acquis sont légaux et il est trop tard.

Techniquement, nous avons des moyens de sécuriser les documents. La plupart des factures des grands opérateurs, par exemple, sont sécurisées avec des codes 2D.

L'audition se termine à dix-neuf heures cinquante.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Réunion du mardi 9 juin 2020 à 18 heures 30

Présents. M. Pascal Brindeau, M. Patrick Hetzel

Excusés. - Mme Josette Manin, M. Thomas Mesnier