Intervention de Catherine Pignon

Réunion du jeudi 11 juin 2020 à 14h30
Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Catherine Pignon, directrice des affaires criminelles et des grâces :

Il m'est difficile de répondre si la prise en compte de la qualité des organismes victimes constitue une circonstance aggravante. La qualification doit normalement appeler l'attention des magistrats, et l'une des qualifications les plus utilisées est celle d'escroquerie aggravée au préjudice d'un organisme de protection sociale. Nous disposons donc déjà d'une qualification particulière. J'aurais cependant du mal à vous dire dans quelle mesure la prise en compte de cette circonstance particulière se traduit dans les faits par une aggravation de la peine, en particulier dans le cas où plusieurs infractions ont été commises, dans la mesure où une peine unique sera prononcée pour réprimer l'ensemble des agissements reprochés à la personne et donnant lieu à sa condamnation.

Il faut préciser que s'agissant des fraudes présentant des caractères avérés de complexité et causant un préjudice particulièrement important, une démarche se développe de plus en plus : celle de la sanction par la privation des avoirs illicites. Je vous parlais tout à l'heure du rôle de l'AGRASC, qui aide les créanciers sociaux à percevoir sur les sommes confisquées le recouvrement de l'indu ; mais il faut également évoquer cette politique de privation des avoirs criminels qui, sur la base d'une législation robuste, permet de saisir et de confisquer des biens y compris lorsqu'on ne peut saisir directement le produit du crime ou du délit. La loi offre en effet désormais la possibilité de saisir des équivalents produits sur le patrimoine d'une personne ; c'est un mécanisme dont s'emparent de plus en plus les parquets et les juges d'instruction, et qui constitue une sanction tout à fait adaptée.

Une procédure actuellement conduite sur le ressort de Nice concerne ainsi un réseau d'un peu moins d'une dizaine de personnes qui avaient trompé Pôle emploi en présentant des faux contrats de travail ou de faux soldes de tout compte pour bénéficier d'indemnités de chômage journalières. Le produit de ces infractions avait été transféré sur des comptes bancaires à l'étranger ou réinvesti dans des achats immobiliers. Cette affaire a donné lieu à la saisie de 150 000 euros sur des comptes bancaires ainsi que d'appartements appartenant à ces fraudeurs en bande organisée. Il s'agit donc d'un outil particulièrement efficace. Une autre affaire est en cours sur le ressort de Marseille, à l'encontre d'un médecin qui avait déclaré un nombre totalement abusif de jours d'arrêt de travail entre 2011 et 2017 – les fraudes peuvent durer longtemps avant qu'elles ne parviennent à la connaissance de l'autorité judiciaire. Il avait ainsi perçu de son organisme d'assurance 820 000 euros sur la base de faux certificats, tout en continuant son activité de consultation ; plus de 680 000 euros ont été saisis sur ses comptes bancaires et d'assurance-vie. Voilà le type de réponse que la DACG s'attache à promouvoir, et que les parquets et les juges d'instruction mettent de plus en plus en œuvre.

Je réponds enfin, monsieur le rapporteur, à votre question sur la coopération : nous n'identifions pas, au sein de l'espace européen, d'enceinte de coopération spécifique dédiée à la fraude aux prestations sociales. Je prends cependant note de votre constat ; nous pourrions réfléchir à nous emparer de cette cartographie du risque pour déterminer des vulnérabilités particulières, en particulier à l'intérieur de l'Union européenne où des coopérations opérationnelles privilégiées pourraient être développées. L'activité propre de la DACG consiste à accompagner et à suivre attentivement la jurisprudence développée par la Cour de justice de l'Union européenne en ce qui concerne la fraude aux travailleurs détachés, qui constitue une fraude complexe pour laquelle des décisions importantes sont rendues ; nous nous attachons en la matière à informer les juridictions sur les conditions de répression de cette activité délictueuse tout à fait préoccupante.

La DACG a à cœur d'accompagner les parquets pour qu'ils puissent mettre en œuvre le mieux possible les dispositions légales existantes en matière de fraude aux prestations, car celles-ci peuvent être complexes ; le fait d'agir comme une tour de contrôle par rapport à l'évolution de la législation et de la jurisprudence européennes participe de cet objectif.

Nous évoquions par ailleurs des enquêtes parfois assez complexes ; nous nous sommes attachés à élaborer au profit des juridictions des canevas d'enquêtes décrivant les diligences à effectuer, et nous allons prochainement diffuser des fiches pratiques sur la question de la fraude au détachement, qui n'est pas toujours simple à appréhender.

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