Intervention de Yann-Gaël Amghar

Réunion du mardi 23 juin 2020 à 18h30
Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Yann-Gaël Amghar, directeur de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) :

Concernant l'évaluation de la fraude, la différence entre la Cour des comptes et nous résulte effectivement de la prise en compte du ciblage. Concernant l'écart entre les 5,2 et 6,5 milliards d'euros d'évaluation de la fraude aux cotisations sociales et les montants détectés, le montant détecté en 2018 n'est pas de 450 millions d'euros, mais de 640 millions d'euros, ce qui signifie que nous détectons et redressons 10 % du total.

Nous ne pouvons pas considérer que les montants détectés de la fraude constituent une cagnotte récupérable, car le modèle économique de ces activités repose sur le non-paiement de cotisations. Si ces activités étaient régulières, beaucoup d'entre elles n'existeraient pas, ou pas avec la même ampleur. Ensuite, dans quelque domaine que ce soit, il n'existe aucune situation où l'infraction est détectée à 100 %.

Cela ne signifie pas que nous ne devons pas renforcer les montants redressés. Dans le cadre de la convention d'objectifs et de gestion (COG) 2018-2022 entre l'État et les URSSAF, nous avons pour objectif d'augmenter de 50 % les redressements par rapport à la période quinquennale précédente. Cette ambition d'augmenter la fraude détectée repose sur le renforcement de moyens et l'apport d'outils.

La part de la fraude en réseau n'est pas forcément évidente à définir. Néanmoins, je peux indiquer le degré de concentration de l'enjeu financier sur les grandes affaires de fraude. Sur plus de 5 000 actions de contrôle réalisées en 2018, les 100 premières affaires concentraient la moitié des rendements. Les situations de fraude de grande ampleur peuvent reposer sur des montants importants. Par exemple, dans le résultat de 2018, un dossier dépassait 100 millions d'euros à lui seul. Certes, il s'agissait d'un dossier particulier concernant une organisation qui exploitait le détachement pour organiser un système d'emploi d'assez grande ampleur reposant sur de l'évasion sociale.

Dans certains cas, le fait d'organiser une activité économique reposant sur l'évasion sociale constitue le cœur du rendement de l'activité délictueuse. D'autres situations peuvent nous être signalées par des partenaires tels que Tracfin, la police, la gendarmerie ou l'office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI) et portent sur des infractions d'autre nature : organisation criminelle, blanchiment, financement d'activités terroristes. Par effet de ricochet, elles peuvent traduire un recours au travail dissimulé ou l'utilisation du travail dissimulé comme élément de valorisation.

Par conséquent, je ne sais pas si nous pouvons donner une évaluation globale de la part de ces fraudes en réseau. S'agissant des fraudes de grande ampleur, les investigations peuvent être extrêmement longues et il peut se passer un certain temps avant que le dossier ne soit conclu par un redressement. En 2018, nous avons exploité 115 signalements de Tracfin qui ont donné lieu à plus de 120 millions d'euros de redressement, soit un montant moyen de 1 million d'euros par affaire.

Concernant la prévalence géographique, nous ne disposons pas actuellement de données permettant d'établir une telle cartographie complète sur l'ensemble du territoire. Nous constatons toutefois que, pour la plupart des secteurs concernés, l'Île-de-France affiche généralement un taux de prévalence de la fraude supérieur à la moyenne nationale.

En revanche, nous disposons de données beaucoup plus fines et précises sur les secteurs les plus exposés à la fraude et nous communiquons sur ces éléments. Une part importante concerne le bâtiment et les travaux publics, plus encore dans les activités de finition, qui sont moins visibles et moins massives. Les cafés et la restauration ainsi que les transports affichent aussi un niveau de prévalence assez élevé. Dans ces secteurs, la fraude peut s'expliquer par le caractère mobile du lieu de travail ou par une forte rotation de la main d'œuvre.

Concernant le détachement, nous menons des actions de coopération avec différentes institutions d'États membres de l'Union européenne pour progresser sur le sujet. Cela peut reposer sur le partage d'une définition des conditions régulières du détachement. En effet, les situations de détachement frauduleux peuvent prospérer car la remise en cause du caractère légitime de détachement est procéduralement extrêmement lourde, du fait du droit et d'une jurisprudence de la Cour de justice de Luxembourg. Celle-ci protégeant fortement la liberté de prestation de services, elle fait peser des obligations extrêmement lourdes sur les corps de contrôle pour démontrer un agissement frauduleux. Ainsi, les corps de contrôle doivent d'abord saisir une institution homologue pour obtenir un retrait du certificat de détachement, ce qui suppose d'avoir des contacts avec ces dernières et de partager avec elles des conditions de conformité du détachement.

Le travail en détachement ne vient pas majoritairement de la partie centrale et orientale de l'Europe. Une part importante des volumes de salariés détachés vient des États frontaliers à la France – Belgique, Allemagne, Italie, Espagne. Certaines de ces situations de détachement, provenant de pays dont nous pouvons penser qu'ils ont un niveau de protection comparable au nôtre, peuvent néanmoins être frauduleuses. Avec l'Italie et la Belgique, nous avons le niveau de coopération le plus avancé, car il existe des signalements réciproques sur des situations de risque de fraude. Nous avons également des échanges avec l'Espagne, le Portugal et la Pologne.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.