Intervention de Kristel Meiffret-Delsanto

Réunion du mercredi 15 juillet 2020 à 14h00
Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Kristel Meiffret-Delsanto, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l'université de Lorraine :

Si vous m'y autorisez, je répondrai d'abord à votre seconde question.

J'ai en effet constaté la réticence des organismes à emprunter la voie pénale mais cela tient, me semble-t-il, à certaines confusions et à une méconnaissance du droit. L'article L. 114-9 du code de la sécurité sociale impose à l'organisme, au-delà d'un certain seuil de fraude fixé par décret, de déposer plainte en se constituant partie civile, ce qui est un moyen de saisir directement le juge d'instruction et donc de « forcer » les réticences des procureurs. Une amende sera alors prononcée dans le cadre de la procédure pénale, peut-être même une peine d'emprisonnement – même si c'est assez peu le cas en pratique. Mais, parallèlement, il y aura l'action en responsabilité qui permettra de demander la réparation de l'intégralité du préjudice subi. Il ne s'agit pas d'une logique de restitution, mais d'une logique de réparation.

La jurisprudence de la Cour de cassation témoigne que les juges se montrent assez compréhensifs et considèrent, notamment dans le cadre d'infractions continues, que l'infraction est un tout et qu'elle doit donc être intégralement réparée, sans pertes ni profits. Il appartient à l'organisme qui s'est constitué partie civile de chiffrer son préjudice et d'en exiger la réparation. Or, d'après ce que j'ai entendu, certains organismes se censurent, prétextant par exemple une prescription biennale sur la restitution de l'indu ; or nous sommes dans une logique non de restitution, mais de réparation du préjudice – réparation intégrale, sans perte ni profit. Je le répète : la jurisprudence de la Cour de cassation est assez favorable. Il est même arrivé qu'un calcul par voie d'extrapolation ait été validé.

Les organismes ne doivent donc pas avoir peur de la voie pénale, même si elle est lourde. De surcroît, le juge peut prononcer des sursis avec mise à l'épreuve, des sanctions-réparations où l'auteur de l'infraction, sous la menace d'une sanction plus ferme, sera tenu de restituer : cela peut être un gage de recouvrement.

Enfin, la voie pénale implique des enquêtes, ce qui permettra aux organismes de bénéficier de preuves étayant le préjudice subi.

Cela étant, il est vrai que les prétoires sont encombrés et qu'il ne serait pas opportun de se rendre systématiquement devant le juge pénal. L'article L. 114-9, les décrets, les circulaires offrent d'autres possibilités, notamment en fonction des seuils ; mais, dans le cadre d'une fraude dont le procédé mériterait d'être rendu public, la voie pénale présente aussi l'intérêt de la publicité. Lorsque le dossier est assez costaud, il peut être intéressant d'aller au pénal et d'essayer de doper ses chances de recouvrement par voie de réparation ; et lorsqu'on est en deçà, non seulement des pénalités financières pourront être prononcées au terme d'une procédure encadrée, mais il sera possible d'essayer de recouvrer les sommes. L'un n'exclut pas l'autre.

La situation que vous avez décrite s'explique donc par une certaine méconnaissance du droit et des évolutions qui ont eu lieu depuis quinze ans.

S'agissant de votre première question, il est vrai que mon propos était très largement axé sur les fraudes dans le droit de la protection sociale. Il est également vrai que la fraude documentaire est une porte d'entrée vers la fraude aux prestations sociales, mais j'ai été contrainte de faire des choix. Ainsi, je ne me suis pas interrogée, par exemple, sur l'étendue des prérogatives de la police aux frontières ; je me suis concentrée sur les prérogatives dont les organismes ont besoin compte tenu des conditions d'octroi des prestations.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.