Intervention de Jean-Claude Barboul

Réunion du mercredi 15 juillet 2020 à 17h00
Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Jean-Claude Barboul, président de l'AGIRC-ARRCO :

Nous vous remercions de nous donner l'occasion d'expliquer l'action de l'AGIRC-ARRCO en matière de fraude.

Le régime AGIRC-ARRCO fonctionne par répartition, c'est-à-dire que la somme des cotisations de l'année finance les prestations de l'année. L'équilibre est plus ou moins difficile à atteindre, mais c'est un autre sujet. Le régime est piloté par les partenaires sociaux. Chaque année, il verse environ 80 milliards d'euros de prestations. L'ensemble des salariés du secteur privé, ou presque, sont affiliés à l'AGIRC-ARRCO : 97 % d'entre eux, quel que soit leur statut – cadres ou non-cadres, en contrat à durée déterminée (CDD) ou à durée indéterminée (CDI) – ont, un jour ou l'autre, cotisé auprès de lui. À titre de comparaison, et pour vous donner une idée des ordres de grandeur, nos collègues de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) versent, quant à eux, 140 milliards par an. Le régime des salariés du privé représente donc 220 milliards sur les 316 milliards versés chaque année au titre des retraites.

En 2019, nous avons détecté 110 cas de fraude, pour un montant de 1,9 million d'euros. La CNAV, quant à elle, a subi un préjudice de 23 millions. Comme vous l'avez dit en introduction, monsieur le président, nous avons mandaté la société Excellcium, que vous avez auditionnée le 25 juin, pour mener deux enquêtes : l'une au Portugal, pour 500 dossiers, l'autre en Algérie, pour 1 000 dossiers. Nous vous présenterons les résultats de ces recherches, ainsi que les suites d'une autre démarche

Pour la bonne compréhension de l'ensemble, nous avons préparé un document à votre intention ; nous vous le ferons parvenir dès la fin de l'audition, de même que les réponses au questionnaire que vous nous aviez envoyé, ce qui nous évitera d'entrer trop dans le détail des chiffres – à moins, bien sûr, que vous ne souhaitiez que nous le fassions dès maintenant.

Trois paramètres sont déterminants dans la politique que mène l'AGIRC-ARRCO en matière de lutte contre la fraude.

Premièrement, notre régime est très contributif : on perçoit une allocation de retraite de la part de notre organisme parce qu'on a cotisé. La question de la cotisation et le lien entre la prestation et la cotisation sont très importants : nous y reviendrons.

Deuxièmement, les fraudes à la retraite sont des opérations réalisées sur le très long terme, car une quarantaine d'années s'écoule entre le moment de la cotisation et celui du versement de la prestation. L'AGIRC-ARRCO a donc mis en place des moyens de contrôle permettant de les détecter au fil de l'eau.

Troisièmement – cet élément nous différencie fortement du régime général –, nos prestations sont exportables et sans condition de ressources, à l'exception évidemment des prestations d'action sociale, mais celles-ci ne représentent qu'un budget annuel de 350 millions d'euros, à comparer aux 80 milliards que j'évoquais.

Il s'agit d'un régime par points : la masse des cotisations est transformée en points qui viennent s'incrémenter sur le compte du cotisant. Là aussi, le contrôle au fil de l'eau est déterminant.

Comme tout organisme privé, nous devons faire certifier nos comptes. Cette année encore, nos commissaires aux comptes les ont certifiés sans observation particulière. J'ajoute que, dans le champ de leurs investigations, figure l'évaluation de notre système de management des risques et de contrôle interne. C'est ce système qui permet à la gouvernance de l'organisme, que je représente, d'apprécier la qualité des prestations versées et de s'assurer de leur caractère non frauduleux.

Par ailleurs, notre régime s'appuie, à travers des délégations de gestion, sur des groupes de protection sociale, parmi lesquels figurent des institutions de retraite complémentaire comme Malakoff Humanis et AG2R La Mondiale. Ces groupes participent au contrôle interne de la fédération, font eux aussi l'objet d'une certification et possèdent leur propre système de management des risques, ce qui permet de croiser les informations. La lutte contre la fraude fait partie des obligations de ces institutions. Vous trouverez, dans le document que j'évoquais, un certain nombre d'explications relatives au fonctionnement de notre système de management des risques.

Nous travaillons sur la base de la déclaration sociale nominative (DSN), établie chaque mois. Nous vérifions la concordance entre ce qui a été déclaré par l'entreprise et ce qui a été inscrit dans le compte du cotisant. Nous sommes pour ainsi dire les seuls à pouvoir faire ce calcul. Chaque année, nous procédons à un certain nombre de régularisations, dont le montant s'élève à 1,2 milliard d'euros – rapportée aux 80 milliards de prestations annuelles que nous versons, cette somme n'est pas négligeable. Nous remboursons environ 400 millions d'euros aux entreprises ayant trop versé – car cela arrive aussi – et réclamons 800 millions à celles qui n'ont pas assez payé. Cette démarche est déterminante : elle permet de détecter des cas de fraude au fil de l'eau et de réagir rapidement. Il est plus facile de retracer ce qui s'est passé quand les acteurs sont encore en activité, ce qui n'est pas forcément le cas quand on s'intéresse à une fraude intervenue dix ou quinze ans plus tôt.

Un certain nombre d'allocataires résident à l'étranger : ils touchent une retraite calculée à partir des droits qu'ils ont accumulés en travaillant pour des entreprises françaises, soit sur le territoire national soit à l'étranger. Pour ces personnes, nous procédons, avec nos collègues de la CNAV – puisque, pour l'essentiel, les allocataires sont les mêmes – au contrôle des certificats d'existence.

Nous effectuons également, chaque année, un contrôle auprès de Pôle emploi, puisque les périodes de chômage permettent elles aussi de valider des droits – non contributifs, pour le coup. Nous étudions les prestations versées et les points inscrits sur le compte du « participant » – c'est le terme que nous utilisons pour désigner la personne qui cotise.

Par ailleurs, nous faisons partie du groupement d'intérêt public (GIP) Union retraite. Dans ce cadre, nous avons mis en place le dispositif permettant de formuler la demande de retraite en ligne, y compris pour la pension de réversion. À l'origine, il s'agissait d'éviter que les allocataires ne perdent des droits ou n'oublient de solliciter une retraite, mais cet outil nous permet aussi d'avoir assez rapidement une vue globale sur un dossier.

Nous avons des échanges réguliers avec la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF). Enfin, nous participons à un certain nombre de groupes de travail.

Comme vous l'avez rappelé, nous avons fait appel à la société Excellcium pour procéder à des vérifications concernant le Portugal et l'Algérie. En ce qui concerne plus spécifiquement les participants résidant en Algérie, nous avons aussi mis en place un dispositif en partenariat avec la BRED.

Pour des raisons informatiques, nous sommes obligés de créer dans notre système certains droits penitus extranei. Ces éléments sont vérifiés systématiquement une fois par an, car ils pourraient constituer une source de fraudes internes.

Comme vous le savez, la France prononce un certain nombre de mesures de gels d'avoirs, dont la liste est établie par la direction du Trésor et publiée au Journal officiel. Lorsque ces mesures concernent des personnes touchant des prestations, notamment sur des comptes à l'étranger, nous sommes obligés d'obtempérer : les versements sont suspendus et nous contrôlons les assurés en question. À titre indicatif, en 2019, 153 personnes ont été contrôlées ; 28 avaient des droits inscrits à l'AGIRC-ARRCO.

Vous nous avez interrogés également sur les fraudes en bande organisée. Nous en avons relevé deux.

La première affaire, dite de l'écrivain public, portait pour l'essentiel sur de faux certificats de travail et relevés de carrière de la CNAV ; certains bulletins de paie et d'autres documents, censés avoir été émis par des caisses de retraite et de sécurité sociale – pour le remboursement de frais de santé et l'indemnisation d'accidents du travail –, étaient eux aussi douteux. Il s'agissait donc d'une fraude reposant sur de faux documents.

La seconde, localisée dans le département de l'Eure, était organisée autour d'un expert-comptable. Dix-sept personnes présentaient des carrières de nature à susciter le doute, avec des cumuls de rémunérations pendant plusieurs années, qui plus est dans des secteurs d'activité très variés, allant du bâtiment à la restauration en passant par l'informatique. Au total, les salaires en question étaient trois à quatre fois supérieurs au plafond du régime général. Comme je le disais, notre régime est très contributif : l'assiette des cotisations retenues va jusqu'à huit fois le plafond de la sécurité sociale, soit huit fois 3 428 euros par mois. En cumulant les employeurs, on peut donc obtenir un nombre de points important. Dans l'affaire en question, nous avons annulé 44 000 points ARRCO et 334 000 points AGIRC. Il s'agissait souvent d'entreprises en liquidation. Les cotisations n'avaient pas été versées.

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