Intervention de Anne-Sophie Coulbois

Réunion du mardi 21 juillet 2020 à 18h00
Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Anne-Sophie Coulbois, chef de l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) :

Merci d'avoir bien voulu inviter la direction générale de la police nationale (DGPN) à cette table ronde, et en l'occurrence l'office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) que j'ai le plaisir de diriger.

L'office est rattaché à la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), mais également à la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière créée au sein de la DCPJ en juillet 2019, un des objectifs étant justement de mettre l'accent sur les différents aspects de la lutte contre la criminalité financière et de faciliter l'action de l'État en la matière.

C'est un service constitué d'environ soixante-dix effectifs : des policiers, des gendarmes et aussi un agent venant de la direction générale des finances publiques (DGFiP). Il y a une cinquantaine d'enquêteurs, une quinzaine de personnels affectés à des missions de surveillance et d'interpellation – ce qu'on appelle une brigade de recherche et d'intervention (BRI) financière –, et cinq effectifs affectés à des missions de coopération internationale et à des tâches administratives.

Notre domaine d'activité est la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, l'identification et la saisie des avoirs criminels, et la lutte conte les escroqueries d'envergure. Comme tout office central, nous centralisons le renseignement criminel, nous sommes le point de contact pour la coopération internationale et nous représentons la France dans différentes instances. Nous collaborons avec les services territoriaux, parce que les offices centraux en général et l'OCRGDF en particulier peuvent diligenter des enquêtes, soit seuls soit en co-saisine, notamment avec des services territoriaux, et nous collaborons aussi avec des partenaires institutionnels : la sous-direction a ainsi un protocole d'accord avec la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Nous participons à différentes task force, notamment à celle créée dans le cadre du groupe d'action financière (GAFI), l'organisme international qui promeut la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme et pour lequel la France est en train d'être évaluée. Un audit qui devait avoir lieu en juillet a été reporté à cause de la crise au mois d'octobre, et, en vue de la préparation de cette évaluation, une task force interministérielle a été mise en place auquel l'OCRGDF participe activement. Nous avons créé pendant la crise une nouvelle task force plus spécifiquement dédiée à la criminalité financière et à toutes les fraudes ou infractions qui pourraient être facilitées dans ce contexte. Nous prenons part également à la task force instaurée par la DGCCRF dans ce domaine.

Nous avons environ 300 dossiers en portefeuille. Tous les ans, nous arrivons à mettre en cause un petit peu moins de 200 personnes et nous saisissons entre 23 et 45 millions d'euros d'avoirs criminels.

L'OCRGDF traite la fraude aux prestations sociales selon trois axes. Le premier est notre travail classique de lutte contre les escroqueries. Le deuxième est notre action de lutte contre le blanchiment. Enfin, le troisième axe est en lien avec le financement du terrorisme.

En ce qui concerne les escroqueries, l'OCRGDF s'occupe plus particulièrement des escroqueries commises par des groupes criminels organisés. Pendant la crise du Covid, nous sommes beaucoup intervenus sur de tels groupes qui contactaient des pharmacies, des EHPAD, des hôpitaux pour leur vendre des masques qui en réalité n'existaient pas. À côté de cela, c'est une typologie d'escroquerie classique qui existe depuis une dizaine d'années : ce sont des groupes professionnels qui utilisent des méthodes permettant une anonymisation de leurs actions et qui sont en général suffisamment aguerris pour convaincre leurs victimes.

Concernant les fraudes aux prestations sociales, les dossiers que nous avons eus à traiter ne relevaient pas forcément de la criminalité organisée mais plutôt de la bande organisée. Nous avons notamment diligenté plusieurs dossiers en partenariat avec la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) sur des fraudes aux « kits ASSEDIC » qui ont pu ensuite entraîner des fraudes à l'assurance maladie. Ce qui est intéressant dans les dossiers que nous avons traités, c'est qu'il y avait une sorte de contrepartie à l'achat du kit ASSEDIC : la personne qui achetait le kit était aussi « tamponnée » pour accepter la gérance ou la multigérance de sociétés coquilles vides pouvant servir à perpétuer le système.

Nous sommes également confrontés à ces fraudes de manière incidente quand nous diligentons des dossiers classiques. Il nous arrive ainsi, dans le cadre d'écoutes ou de surveillances, de découvrir que nos cibles montent de faux dossiers pour permettre la fraude aux prestations sociales. S'il s'agit d'une fraude assez ciblée. Nous contactons alors Pôle emploi ou la Caisse d'assurance maladie.

Le deuxième axe porte sur la lutte contre le blanchiment. Le système français de lutte contre le blanchiment étant assez performant, la bancarisation des fonds issus de la criminalité est très difficile et, de ce fait, un marché parallèle de l'espèce s'est créé, les malfaiteurs arrivant difficilement à faire entrer leurs fonds dans l'économie légale. Nous constatons qu'il y a parfois une rencontre entre deux besoins complémentaires, avec, d'un côté, les malfaiteurs, notamment les trafiquants de stupéfiants, qui ont beaucoup d'espèces qu'ils aimeraient bien blanchir et, de l'autre, des entrepreneurs, souvent de secteurs un peu à risque comme le bâtiment ou les sociétés de sécurité privées, qui cherchent des espèces pour payer leurs employés ou les heures supplémentaires non déclarées. Nous relevons de plus en plus cette complémentarité entre les trafiquants de stupéfiants et des chefs d'entreprise, avec, au milieu, des intermédiaires qui permettent la mise en relation et ensuite le blanchiment de ces sommes. Dans les dossiers de ce type, nous intervenons en étroite collaboration avec l'URSSAF pour caractériser toute la partie relative au travail dissimulé. Nous avons là une sectorisation par thématique plutôt que géographique.

Le troisième axe est le financement du terrorisme. À la suite des événements de 2015, nous avons noté que certains combattants partis sur zone continuaient à percevoir des prestations sociales. Un partenariat étroit a depuis lors été mis en place, notamment avec la caisse d'allocations familiales (CAF), pour s'assurer que les mis en cause soient bien déchus de leurs droits aux prestations. Il arrive aussi que l'on puisse judiciariser cette information et, le cas échéant, opérer des saisies sur salaire qui représentent le montant des prestations sociales indûment versées.

Dans toutes nos enquêtes, et pas uniquement celles liées aux prestations sociales, nous employons un peu les mêmes techniques d'investigation. Vous parliez de l'accès aux fichiers. C'est vrai qu'il est parfois problématique, même si nous avons, nous, la chance d'avoir accès à de nombreux fichiers. Le plus pénible, pas seulement pour les prestations sociales mais pour notre action en général, c'est qu'il existe maintenant une kyrielle de fichiers : quand on veut faire ce qu'on appelle en langage policier une gamme de recherche, on est obligé de passer la même personne dans plusieurs fichiers différents, qui ne sont pas tous forcément très modernes, il faut parfois essayer avec plusieurs identités ou plusieurs dates de naissance ; si l'on pouvait entrer la personne dans un logiciel unique, pour qu'elle aille ensuite « taper » les différentes bases de recherche, cela nous ferait gagner du temps.

Notre travail est basé sur des surveillances, puisque nous avons la chance d'avoir dans notre service une unité de BRI, ainsi que sur des techniques spéciales d'enquête, car les malfaiteurs sont de plus en plus chevronnés et utilisent souvent les systèmes d'anonymisation.

Un point fort, dans nos investigations, est l'existence de la brigade nationale d'enquêtes économiques (BNEE), qui rassemble quarante-cinq agents de la DGFiP intégrés au sein de la DCPJ et qui permet, pour chaque dossier, d'avoir l'œil d'un agent des finances publiques. Ces agents peuvent aussi communiquer à leur administration d'origine des informations issues de notre procédure. En 2019, la BNEE a ainsi pu faire 500 propositions de redressement à partir de dossiers diligentés par la police judiciaire, qui ont donné lieu à la mise en recouvrement de plus de 185 millions d'euros.

Dans tous nos dossiers, la saisie des avoirs criminels est évidemment une priorité. Au sein de l'OCRGDF, la plateforme d'identification des avoirs criminels (PIAC), constituée de policiers et de gendarmes, promeut la saisie des avoirs criminels au sein du ministère de l'intérieur. Depuis 2016, nous avons saisi tous les ans plus de 500 millions d'euros d'avoirs criminels, avec un pic en 2018 de 645 millions d'euros. Malheureusement, nous n'aurons qu'à la fin de l'année l'outil informatique qui permettra de faire le tri par infraction sous-jacente, et donc de déterminer la part issue de la fraude aux prestations sociales.

Enfin, je souhaite évoquer la coordination nationale des groupes d'intervention régionaux (GIR), puisqu'il est prévu qu'à très court terme, ils rejoignent la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière. Ils travaillent beaucoup avec les comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF) et ont comme ambition d'optimiser leur partenariat avec la CAF et les CPAM. En 2019, ils ont pu procéder à 200 opérations pour travail dissimulé et à cinquante-huit opérations pour fraude aux organismes sociaux.

Voilà brièvement tracée notre action en matière de lutte contre les fraudes aux prestations sociales. Si je peux me permettre une suggestion, il nous semble que les fraudes et certaines autres infractions sont largement facilitées par l'existence de sociétés plus ou moins fictives, qui ressemblent souvent à des coquilles vides, ou avec une multigérance importante – le même gérant va successivement ou concomitamment être à la tête de nombreuses sociétés différentes, ce qui facilite la distribution de kits ASSEDIC ou les fraudes fiscales. Certes, l'impératif économique implique de faciliter la création de sociétés par les citoyens. Néanmoins, si quelques garde-fous limitaient la multigérance, pour s'assurer par exemple de l'existence fiscale des individus qui souhaitent créer une société, cela pourrait à terme, pas forcément réduire la fraude aux prestations sociales, mais au moins faciliter le travail d'investigation pour rechercher les responsabilités de chacun.

Une autre piste consisterait à favoriser la participation du ministère de l'intérieur à la rédaction de certains textes. En effet, la lutte contre la fraude aux prestations sociales est maintenant bien ancrée dans toutes les administrations, mais il faut prendre en compte aussi l'utilisation de certains dispositifs par des groupes criminels organisés, ce qui implique des réflexes différents que toutes les administrations n'ont pas encore forcément acquis. On l'a vu très récemment avec la fraude au chômage partiel : si la fraude classique – des employés déclarés au chômage partiel mais qui travaillant – a été largement prise en compte par la direction générale du travail (DGT), je ne suis pas sûre que l'action de groupes criminels organisés qui usurpaient l'identité de sociétés réelles l'ait été tout autant.

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