Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Réunion du mardi 21 juillet 2020 à 18h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE RELATIVE A LA LUTTE CONTRE LES FRAUDES AUX PRESTATIONS SOCIALES

Mardi 21 juillet 2020

La séance commence à dix-huit heures dix

Présidence de M. Patrick Hetzel, président

La commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales procède à la table ronde, ouverte à la presse, réunissant des services d'enquête : la direction générale de la police nationale (DGPN) (Mme le commissaire divisionnaire Anne Sophie Coulbois, chef de l'office central pour la répression de la grande délinquance financière, sous-direction de la lutte contre la criminalité financière, direction centrale de la Police judiciaire), la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) (colonel Philippe Thuries, chef de l'office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI)), et l'office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre (OCRIEST) (M. Jean Arvieu, adjoint au chef de l'office central).

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes chers collègues, nous terminons nos auditions par une table ronde consacrée aux services d'enquête.

Nous avons le plaisir d'accueillir cet après-midi Mme le commissaire divisionnaire Anne-Sophie Coulbois, chef de l'office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), organisme qui relève de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), M. le colonel Philippe Thuries, chef de l'office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI), organisme rattaché à la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), et M. Jean Arvieu, adjoint au chef de l'office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre (OCRIEST).

Madame, messieurs, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Nous serons heureux de vous entendre sur la place que prend la fraude aux prestations sociales dans les activités illégales que vous avez la charge de réprimer, la typologie et la géographie de cette fraude, les méthodes que vous employez pour la détecter et en identifier les auteurs, et enfin sur la coordination entre les services d'enquête et les autres services de l'État et organismes sociaux prestataires.

La semaine dernière, outre nos auditions, nous nous sommes rendus à la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF), qui est un lieu d'expertise forte en matière de détection de la fraude documentaire, ainsi qu'au service administratif national d'immatriculation des assurés (SANDIA), qui attribue les numéros d'immatriculation aux Français nés à l'étranger ainsi qu'aux étrangers et où nous avons pu constater quelques trous dans la raquette. Ceux-ci tiennent sans doute à des problématiques réglementaires, par exemple d'accès limités à certains fichiers puisqu'il arrive que le SANDIA ne puisse accéder ne serait-ce qu'à une photo d'identité.

Nous nous sommes rendu compte de la limite qu'il y a à travailler sur des photocopies de documents. Cela rend les fausses pièces d'identité plus difficiles à détecter, et il est également difficile d'opérer une vérification fiable à partir de photocopies d'extraits d'actes d'état civil venant de l'étranger.

Comment évolue cette criminalité, qui dans certains cas est organisée ? De toute évidence, elle cherche à se porter là où les possibilités de répression sont plus difficiles. C'est une course permanente entre ceux qui représentent l'autorité de l'État et les fraudeurs, qui peuvent avoir recours à des méthodes sophistiquées.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(Mme Anne-Sophie Coulbois, M. Philippe Thuries et M. Jean Arvieu prêtent serment.)

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Anne-Sophie Coulbois, chef de l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF)

Merci d'avoir bien voulu inviter la direction générale de la police nationale (DGPN) à cette table ronde, et en l'occurrence l'office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) que j'ai le plaisir de diriger.

L'office est rattaché à la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), mais également à la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière créée au sein de la DCPJ en juillet 2019, un des objectifs étant justement de mettre l'accent sur les différents aspects de la lutte contre la criminalité financière et de faciliter l'action de l'État en la matière.

C'est un service constitué d'environ soixante-dix effectifs : des policiers, des gendarmes et aussi un agent venant de la direction générale des finances publiques (DGFiP). Il y a une cinquantaine d'enquêteurs, une quinzaine de personnels affectés à des missions de surveillance et d'interpellation – ce qu'on appelle une brigade de recherche et d'intervention (BRI) financière –, et cinq effectifs affectés à des missions de coopération internationale et à des tâches administratives.

Notre domaine d'activité est la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, l'identification et la saisie des avoirs criminels, et la lutte conte les escroqueries d'envergure. Comme tout office central, nous centralisons le renseignement criminel, nous sommes le point de contact pour la coopération internationale et nous représentons la France dans différentes instances. Nous collaborons avec les services territoriaux, parce que les offices centraux en général et l'OCRGDF en particulier peuvent diligenter des enquêtes, soit seuls soit en co-saisine, notamment avec des services territoriaux, et nous collaborons aussi avec des partenaires institutionnels : la sous-direction a ainsi un protocole d'accord avec la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Nous participons à différentes task force, notamment à celle créée dans le cadre du groupe d'action financière (GAFI), l'organisme international qui promeut la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme et pour lequel la France est en train d'être évaluée. Un audit qui devait avoir lieu en juillet a été reporté à cause de la crise au mois d'octobre, et, en vue de la préparation de cette évaluation, une task force interministérielle a été mise en place auquel l'OCRGDF participe activement. Nous avons créé pendant la crise une nouvelle task force plus spécifiquement dédiée à la criminalité financière et à toutes les fraudes ou infractions qui pourraient être facilitées dans ce contexte. Nous prenons part également à la task force instaurée par la DGCCRF dans ce domaine.

Nous avons environ 300 dossiers en portefeuille. Tous les ans, nous arrivons à mettre en cause un petit peu moins de 200 personnes et nous saisissons entre 23 et 45 millions d'euros d'avoirs criminels.

L'OCRGDF traite la fraude aux prestations sociales selon trois axes. Le premier est notre travail classique de lutte contre les escroqueries. Le deuxième est notre action de lutte contre le blanchiment. Enfin, le troisième axe est en lien avec le financement du terrorisme.

En ce qui concerne les escroqueries, l'OCRGDF s'occupe plus particulièrement des escroqueries commises par des groupes criminels organisés. Pendant la crise du Covid, nous sommes beaucoup intervenus sur de tels groupes qui contactaient des pharmacies, des EHPAD, des hôpitaux pour leur vendre des masques qui en réalité n'existaient pas. À côté de cela, c'est une typologie d'escroquerie classique qui existe depuis une dizaine d'années : ce sont des groupes professionnels qui utilisent des méthodes permettant une anonymisation de leurs actions et qui sont en général suffisamment aguerris pour convaincre leurs victimes.

Concernant les fraudes aux prestations sociales, les dossiers que nous avons eus à traiter ne relevaient pas forcément de la criminalité organisée mais plutôt de la bande organisée. Nous avons notamment diligenté plusieurs dossiers en partenariat avec la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) sur des fraudes aux « kits ASSEDIC » qui ont pu ensuite entraîner des fraudes à l'assurance maladie. Ce qui est intéressant dans les dossiers que nous avons traités, c'est qu'il y avait une sorte de contrepartie à l'achat du kit ASSEDIC : la personne qui achetait le kit était aussi « tamponnée » pour accepter la gérance ou la multigérance de sociétés coquilles vides pouvant servir à perpétuer le système.

Nous sommes également confrontés à ces fraudes de manière incidente quand nous diligentons des dossiers classiques. Il nous arrive ainsi, dans le cadre d'écoutes ou de surveillances, de découvrir que nos cibles montent de faux dossiers pour permettre la fraude aux prestations sociales. S'il s'agit d'une fraude assez ciblée. Nous contactons alors Pôle emploi ou la Caisse d'assurance maladie.

Le deuxième axe porte sur la lutte contre le blanchiment. Le système français de lutte contre le blanchiment étant assez performant, la bancarisation des fonds issus de la criminalité est très difficile et, de ce fait, un marché parallèle de l'espèce s'est créé, les malfaiteurs arrivant difficilement à faire entrer leurs fonds dans l'économie légale. Nous constatons qu'il y a parfois une rencontre entre deux besoins complémentaires, avec, d'un côté, les malfaiteurs, notamment les trafiquants de stupéfiants, qui ont beaucoup d'espèces qu'ils aimeraient bien blanchir et, de l'autre, des entrepreneurs, souvent de secteurs un peu à risque comme le bâtiment ou les sociétés de sécurité privées, qui cherchent des espèces pour payer leurs employés ou les heures supplémentaires non déclarées. Nous relevons de plus en plus cette complémentarité entre les trafiquants de stupéfiants et des chefs d'entreprise, avec, au milieu, des intermédiaires qui permettent la mise en relation et ensuite le blanchiment de ces sommes. Dans les dossiers de ce type, nous intervenons en étroite collaboration avec l'URSSAF pour caractériser toute la partie relative au travail dissimulé. Nous avons là une sectorisation par thématique plutôt que géographique.

Le troisième axe est le financement du terrorisme. À la suite des événements de 2015, nous avons noté que certains combattants partis sur zone continuaient à percevoir des prestations sociales. Un partenariat étroit a depuis lors été mis en place, notamment avec la caisse d'allocations familiales (CAF), pour s'assurer que les mis en cause soient bien déchus de leurs droits aux prestations. Il arrive aussi que l'on puisse judiciariser cette information et, le cas échéant, opérer des saisies sur salaire qui représentent le montant des prestations sociales indûment versées.

Dans toutes nos enquêtes, et pas uniquement celles liées aux prestations sociales, nous employons un peu les mêmes techniques d'investigation. Vous parliez de l'accès aux fichiers. C'est vrai qu'il est parfois problématique, même si nous avons, nous, la chance d'avoir accès à de nombreux fichiers. Le plus pénible, pas seulement pour les prestations sociales mais pour notre action en général, c'est qu'il existe maintenant une kyrielle de fichiers : quand on veut faire ce qu'on appelle en langage policier une gamme de recherche, on est obligé de passer la même personne dans plusieurs fichiers différents, qui ne sont pas tous forcément très modernes, il faut parfois essayer avec plusieurs identités ou plusieurs dates de naissance ; si l'on pouvait entrer la personne dans un logiciel unique, pour qu'elle aille ensuite « taper » les différentes bases de recherche, cela nous ferait gagner du temps.

Notre travail est basé sur des surveillances, puisque nous avons la chance d'avoir dans notre service une unité de BRI, ainsi que sur des techniques spéciales d'enquête, car les malfaiteurs sont de plus en plus chevronnés et utilisent souvent les systèmes d'anonymisation.

Un point fort, dans nos investigations, est l'existence de la brigade nationale d'enquêtes économiques (BNEE), qui rassemble quarante-cinq agents de la DGFiP intégrés au sein de la DCPJ et qui permet, pour chaque dossier, d'avoir l'œil d'un agent des finances publiques. Ces agents peuvent aussi communiquer à leur administration d'origine des informations issues de notre procédure. En 2019, la BNEE a ainsi pu faire 500 propositions de redressement à partir de dossiers diligentés par la police judiciaire, qui ont donné lieu à la mise en recouvrement de plus de 185 millions d'euros.

Dans tous nos dossiers, la saisie des avoirs criminels est évidemment une priorité. Au sein de l'OCRGDF, la plateforme d'identification des avoirs criminels (PIAC), constituée de policiers et de gendarmes, promeut la saisie des avoirs criminels au sein du ministère de l'intérieur. Depuis 2016, nous avons saisi tous les ans plus de 500 millions d'euros d'avoirs criminels, avec un pic en 2018 de 645 millions d'euros. Malheureusement, nous n'aurons qu'à la fin de l'année l'outil informatique qui permettra de faire le tri par infraction sous-jacente, et donc de déterminer la part issue de la fraude aux prestations sociales.

Enfin, je souhaite évoquer la coordination nationale des groupes d'intervention régionaux (GIR), puisqu'il est prévu qu'à très court terme, ils rejoignent la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière. Ils travaillent beaucoup avec les comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF) et ont comme ambition d'optimiser leur partenariat avec la CAF et les CPAM. En 2019, ils ont pu procéder à 200 opérations pour travail dissimulé et à cinquante-huit opérations pour fraude aux organismes sociaux.

Voilà brièvement tracée notre action en matière de lutte contre les fraudes aux prestations sociales. Si je peux me permettre une suggestion, il nous semble que les fraudes et certaines autres infractions sont largement facilitées par l'existence de sociétés plus ou moins fictives, qui ressemblent souvent à des coquilles vides, ou avec une multigérance importante – le même gérant va successivement ou concomitamment être à la tête de nombreuses sociétés différentes, ce qui facilite la distribution de kits ASSEDIC ou les fraudes fiscales. Certes, l'impératif économique implique de faciliter la création de sociétés par les citoyens. Néanmoins, si quelques garde-fous limitaient la multigérance, pour s'assurer par exemple de l'existence fiscale des individus qui souhaitent créer une société, cela pourrait à terme, pas forcément réduire la fraude aux prestations sociales, mais au moins faciliter le travail d'investigation pour rechercher les responsabilités de chacun.

Une autre piste consisterait à favoriser la participation du ministère de l'intérieur à la rédaction de certains textes. En effet, la lutte contre la fraude aux prestations sociales est maintenant bien ancrée dans toutes les administrations, mais il faut prendre en compte aussi l'utilisation de certains dispositifs par des groupes criminels organisés, ce qui implique des réflexes différents que toutes les administrations n'ont pas encore forcément acquis. On l'a vu très récemment avec la fraude au chômage partiel : si la fraude classique – des employés déclarés au chômage partiel mais qui travaillant – a été largement prise en compte par la direction générale du travail (DGT), je ne suis pas sûre que l'action de groupes criminels organisés qui usurpaient l'identité de sociétés réelles l'ait été tout autant.

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Philippe Thuries, chef de l'office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI)

Je vais rapidement présenter l'office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI), ainsi que le réseau de lutte contre le travail illégal mis en place depuis 2013 par la gendarmerie nationale.

L'OCLTI, subordonné à la sous-direction de la police judiciaire, est relativement jeune puisqu'il a été créé en 2005. C'est un des quatre offices de la gendarmerie. Il a une compétence nationale et est composé de quarante personnels, à savoir trente-trois officiers et sous-officiers de la gendarmerie, trois policiers détachés de la police de l'air et des frontières, trois inspecteurs du travail et un inspecteur de l'URSSAF. À compter du deuxième semestre de cette année, nous bénéficierons en outre du renfort de quatre officiers de police judiciaire (OPJ) qui nous ont été attribués dans le cadre de la politique des effectifs 2020.

Le champ de compétence de l'office est le travail illégal sous toutes ses formes, les fraudes aux prestations et cotisations sociales, et les formes graves d'exploitation au travail qui en découlent : conditions de travail, de rémunération et d'hébergement contraires à la dignité humaine, traite des êtres humains aux fins d'exploitation par le travail.

Ses missions sont les missions traditionnelles d'un office central : la collecte et l'analyse du renseignement criminel afin de dégager les tendances criminogènes en vue d'animer, orienter et coordonner si nécessaire l'action des unités de la gendarmerie nationale, l'investigation, en prenant en compte la direction des enquêtes techniques ou sensibles qui touchent à notre contentieux, l'appui technique et tactique apporté aux unités, qui peut passer par une réponse téléphonique – nous avons une plateforme à Agen qui peut être contactée H24 et est en mesure de répondre à toutes les sollicitations des unités –, ou un déplacement effectif pour un appui technique à l'unité sollicitatrice – cela peut être aussi un appui opérationnel dans le cadre d'enquêtes pour lesquelles des unités de gendarmerie sont saisies par un magistrat. L'office participe également à la définition des politiques de prévention et de répression en prenant part à l'élaboration du plan national de lutte contre la fraude (PNLF), du plan national de lutte contre le travail illégal (PNLTI) et du plan national de lutte contre la traite des êtres humains (PNLTH). Il est par ailleurs l'interlocuteur de la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) pour le contentieux qui le concerne.

Une mission très importante de l'office est la formation. Pour permettre à l'ensemble des intervenants d'être en mesure de prendre en compte le contentieux du travail illégal, de la fraude sociale et de la traite des êtres humains aux fins d'exploitation par le travail, l'office assure la formation des enquêteurs de la gendarmerie, de la police et des douanes dans ce domaine. L'an dernier, nous avons ainsi formé 300 enquêteurs. Nous organisons deux stages : un stage de premier niveau réalisé en présentiel et en visioconférence, qui permet de former 250 personnels, et un stage de deuxième niveau en présentiel, réunissant une soixantaine d'enquêteurs pendant quinze jours au centre national de formation de la police judiciaire à Rosny-sous-Bois, où l'on insiste surtout sur les cas pratiques, l'objectif étant que les stagiaires soient à l'issue de la formation en mesure de prendre des enquêtes de petite ou de moyenne importance concernant le travail illégal, la fraude sociale et la traite des êtres humains aux fins d'exploitation par le travail.

Les effectifs sont répartis en deux divisions, indiquées dans l'organigramme que je vous ai apporté. Tout d'abord, une division d'appui, avec trois groupes. Un premier groupe assure la veille juridique, l'analyse, l'information et l'élaboration de l'information. C'est également le groupe qui traite toutes les sollicitations à l'international pour les trois matières que j'évoquais précédemment. Le deuxième groupe assure l'appui opérationnel aux unités et est constitué de huit enquêteurs. Le troisième groupe assure l'appui technique, avec la mise en œuvre des techniques spéciales d'enquête ; c'est un groupe d'observation et de surveillance comme en ont tous les offices. Ensuite, une division en charge de l'exécution des enquêtes judiciaires confiées à l'OCLTI, divisée en deux groupes. L'un traite plus particulièrement des thématiques du travail illégal et de la fraude aux cotisations sociales, l'autre des fraudes aux prestations sociales et des formes graves d'exploitation par le travail.

En 2019, l'office a traité cinquante enquêtes, trente-deux en qualité de directeur d'enquête et dix-huit en appui. Quinze saisines provenaient de juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), et nous avons à l'heure actuelle deux équipes communes d'enquête avec les pays de l'Est, qui concernent la fraude au détachement mais également un dossier de fraude.

Nous avons réalisé soixante-dix-sept évaluations. Nous sommes régulièrement saisis par les magistrats. Sur les dossiers qui nous sont transmis, nous procédons, car nous ne pouvons pas tous les prendre en compte, à des analyses et nos conclusions proposent des modalités pratiques de prise en compte du dossier : soit l'office prend le dossier parce que c'est de son niveau, soit il est confié à une unité locale avec l'appui en co-saisine de l'office, soit à une unité locale avec l'appui uniquement technique de l'office. Nous avons assuré également 500 appuis au niveau de la plateforme au profit des unités.

L'an dernier, nous avons identifié, tous préjudices confondus, 47 675 000 euros de préjudice et saisi 9 207 746 euros.

Nos partenaires sont, pour la sphère travail, la DGT, le groupe national de veille, d'appui et de contrôle (GNVAC) de la DGT, les URSSAF, la MSA, et la division nationale d'investigations financières et fiscales (DNIFF) et, pour la sphère fraude sociale, la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM), les caisses primaires d'assurance maladie, la Caisse nationale d'assurance vieillesse, l'association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS) et la mission interministérielle de coordination anti-fraude (MICAF).

La lutte contre la fraude nécessite également des échanges d'information constants, avec un ciblage des objectifs. Nous participons au CODAF Paris et nous sommes associés au groupe mis en place par la MICAF.

En 2013, la gendarmerie a mis en place un véritable réseau de lutte contre la fraude sociale, le travail illégal et les formes graves d'exploitation par le travail, qui s'appuie au niveau départemental sur des cellules de lutte contre le travail illégal et la fraude (CELTIF). Ces cellules sont au nombre de quarante-trois et composées de deux à six enquêteurs spécialisés dans le travail illégal. Elles sont en mesure de traiter les enquêtes de niveau départemental, donc de la petite et moyenne délinquance relative au travail illégal, aux formes graves d'exploitation par le travail et aux fraudes sociales. Ces unités départementales permettent de répondre aux objectifs définis au sein des CODAF. Pour les départements dépourvus de ces cellules, ont été positionnés auprès des commandants de groupement des référents travail illégal et fraude qui peuvent s'appuyer sur les brigades de recherche au sein desquelles on trouve des enquêteurs formés au travail illégal.

Au niveau régional, ces thématiques sont prises en compte par les sections de recherche, qui disposent toutes en leur sein de groupes ou de divisions « délinquance économique et financière », composées de quatre à dix enquêteurs qui sont également tous formés au travail illégal. Elles prennent en compte les enquêtes de niveau régional, interrégional, national, voire international, souvent en co-saisine avec l'OCLTI.

Au niveau national, l'OCLTI a pour mission d'animer ce réseau. Pour tout ce qui concerne la fraude documentaire, nous nous appuyons sur le service central de renseignement criminel du pôle judiciaire de la gendarmerie nationale (PJGN).

S'agissant de la captation des avoirs criminels, nous nous appuyons beaucoup sur les GIR. Ils prennent, dans le cadre de nos dossiers, du moins pour ce qui concerne l'office, le volet patrimonial dans la perspective de saisies d'avoirs criminels.

Pour la gendarmerie, 1 300 enquêteurs sont formés aux problématiques du travail illégal, dont trente au sein de l'OCLTI et 177 au sein des CELTIF. Par ailleurs, la gendarmerie s'appuie également sur 970 enquêteurs ayant la qualification pour constituer des groupes « délinquance économique et financière ».

La statistique est assez compliquée en matière de fraude car nous souffrons de l'absence d'index statistiques propres à la fraude sociale. Le suivi des infractions est réalisé par l'OCLTI à partir de deux sources d'information : les faits marquants portés à sa connaissance – ce sont les chiffres d'enquêtes judiciaires qui nous remontent des unités – mais également les infractions « NATINF ». C'est donc relativement lourd.

En 2019 – les chiffres à prendre avec des pincettes –, les unités de gendarmerie ont relevé 1 613 infractions relatives à la fraude sociale, contre 1 986 en 2018. Concernant les préjudices et les captations d'avoirs criminels, en 2019 la fraude totale aux finances publiques évaluée par la gendarmerie s'élevait à 90 579 809 euros, générant 42 924 511 euros de saisies d'avoirs criminels. Le préjudice causé par la fraude aux cotisations sociales était établi à 36 046 485 euros. Les saisies pour fraude aux cotisations sociales représentaient pour la gendarmerie 17 488 864 euros, les fraudes aux prestations sociales 2 156 115 euros.

Les unités départementales sont confrontées à des infractions qui résultent plus de l'omission de déclaration volontaire ou de déclarations erronées, sans qu'il y ait forcément de falsification de documents. Dans le cas contraire, il s'agit plus souvent d'attestations en tous genres, fiches de paye, contrats de travail ou faux baux locatifs permettant d'obtenir des prestations. Là, les mis en cause sont la plupart du temps connus, identifiés et font souvent l'objet de mesures de recouvrement.

Les enquêtes mettant en lumière les fraudes à l'identité sont moins nombreuses pour la gendarmerie et ont trait soit à des usurpations d'identité soit à des falsifications de pièces d'identité ou à l'usage de documents d'identité étrangers, frauduleux ou falsifiés. À ce niveau, nous avons rarement des dossiers avec de gros préjudices en lien avec de la fraude organisée.

En ce qui concerne les enquêtes traitées par l'OCLTI et les sections de recherche, nous constatons que les fraudes complexes aux prestations sociales peuvent être le fait de délinquants professionnels évoluant parfois au sein d'une communauté qui utilise de faux documents et des manœuvres frauduleuses en se jouant de vulnérabilités existantes dans le dispositif de délivrance des prestations. On est là dans le cadre de la société éphémère : des individus spécialisés dans la création de ce type de structures avec des gérants de paille.

On retrouve de plus en plus dans nos dossiers des individus issus de la délinquance de droit commun, voire du crime organisé, qui sont attirés par ce type de fraude qui permet des gains financiers très importants pour un risque pénal peu élevé. En 2017, à la suite d'un signalement de l'AGS, l'OCLTI a détecté une escroquerie organisée par les membres d'une même famille, au préjudice d'une CPAM et des régimes de protection du BTP et du secteur automobile. Au sein d'un groupe familial, certains créaient des sociétés puis employaient d'autres membres de leur parentèle en les rémunérant sans rapport avec leur fonction ; ces derniers développaient alors une maladie psychique et percevaient des indemnités pendant trois ans avant d'être déclarés invalides. Au préalable, ils avaient contracté des prêts immobiliers, depuis recouvrés par les assurances. De leur côté, les employeurs liquidaient les sociétés afin de ne pas payer les passifs. L'enquête de l'office a révélé un préjudice social de 3 millions d'euros et a permis de suspendre le remboursement de prêts à hauteur de 7 millions. Sur cette enquête, nous avons également saisi 3 millions d'euros d'avoirs criminels.

Pour ce qui est de la fraude aux cotisations sociales, nous traitons beaucoup d'enquêtes visant des schémas de fraude au détachement intra-européen de travailleurs pour profiter du différentiel des cotisations sociales entre les États de l'Union européenne. Les secteurs concernés sont le BTP, les transports et l'agriculture. Cela peut être des situations de fausse sous-traitance où l'on constate une délocalisation fictive d'entreprises françaises ayant préalablement licencié leurs salariés pour se réimplanter dans des pays à bas coûts sociaux où est créée une nouvelle société sans autre activité que de détacher en France des salariés locaux, sous couvert de fausse sous-traitance. Ce peut être également des entreprises de travail temporaire étrangères qui détachent en permanence des saisonniers étrangers sur le territoire national. On le rencontre souvent dans l'agriculture. L'office a eu à traiter d'une enquête où un suspect en lien avec des entreprises de travail temporaire de droit étranger organisait la mise à disposition de cette main-d'œuvre bon marché dans des exploitations agricoles n'acquittant pas de charges sociales en France. Les salariés sont ici souvent soumis à des conditions de travail, de rémunération et d'hébergement contraires à la dignité humaine.

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Jean Arvieu, adjoint au chef de l'office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre (OCRIEST)

L'office central de répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre (OCRIEST) a été créé en 1996 et a la particularité d'appartenir à la DCPAF.

Une partie de mon intervention s'inscrira dans la droite ligne de ce que vous a exposé, lors de son audition, mon directeur central, M. Fernand Gontier, accompagné de mon collègue M. Didier Martin, en charge de la division d'expertise.

Je rappelle brièvement les trois grandes missions de la DCPAF. La première consiste à garder la frontière, à travers le contrôle des documents d'identité et de voyage, la deuxième est l'éloignement des étrangers en situation irrégulière et la troisième est la lutte contre l'immigration irrégulière sous toutes ses formes, et c'est là le cœur de métier de l'OCRIEST.

On peut, à travers le décret de 1996 complété en décembre 2016, retrouver les trois grandes actions de l'office. La première est le démantèlement des réseaux et filières agissant en bande organisée et favorisant l'immigration irrégulière à travers l'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour d'étrangers. La deuxième est la lutte conte l'emploi d'étrangers sans titre. La troisième, relativement nouvelle pour nous, est la lutte contre la fraude documentaire et à l'identité, et ce pas toujours en lien avec l'immigration irrégulière puisqu'en 2016, nous avons récupéré de l'office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO) la compétence générale sur le trafic de faux documents.

Les différentes entités de l'office regroupent environ 120 agents, dont 70 enquêteurs, répartis en plusieurs groupes thématiques. Une vingtaine d'enquêteurs composent l'unité de coordination opérationnelle de la lutte contre le trafic et l'exploitation des migrants (UCOLTEM), créée en 2011. Ils recueillent et traitent le renseignement criminel sur les filières, en animant un réseau de partenaires qui comprend notamment des organismes de prestations sociales. Une quinzaine de personnes composent le pôle d'analyse des politiques migratoires, chargé d'analyser les flux d'immigration irréguliers. Enfin, l'OCRIEST, qui utilise des techniques spéciales d'enquête, dispose d'une section d'appui technique.

Les effectifs de l'OCRIEST s'appuient en outre sur un maillage territorial composé de 46 brigades mobiles de recherche, réparties sur le territoire, en métropole et dans les outre-mer, soit 650 enquêteurs dédiés aux trois principales missions de l'OCRIEST.

L'office est chargé du comptage statistique des filières d'immigration démantelées sur le plan national. En 2019, 328 filières d'immigration irrégulière ont été démantelées en France, par les services de la police aux frontières dans 80 % des cas, et par les autres services de la police nationale, de la préfecture de police et de la gendarmerie nationale. Parmi celles-ci, près d'un quart, soit 72 filières, ont eu recours à titre principal à la fraude documentaire, et 63 étaient spécialisées dans le travail illégal.

Ces filières sont essentiellement démantelées par les brigades mobiles de recherche, composées de deux groupes : l'un spécialisé dans le démantèlement des filières d'immigration irrégulière ; l'autre, dans celui des filières de travail illégal. Leurs représentants participent très régulièrement à des CODAF.

Je souhaitais revenir plus particulièrement sur la façon dont l'UCOLTEM anime son réseau de partenaires. Cette unité chargée du recueil, du traitement et de l'exploitation du renseignement criminel en matière de lutte contre les filières, suit et traite également les demandes de coopération internationale émanant de pays tiers ou que la France adresse à ses partenaires, notamment européens. Elle se réunit plusieurs fois par an en séance plénière, en plus des nombreux échanges quotidiens. Comme le décret de création le mentionne, différentes organisations partenaires lui communiquent des informations et des renseignements sur les filières d'immigration et les criminalités connexes, en particulier Pôle emploi, la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) ou l'URSSAF.

Ces communications font l'objet d'un décompte statistique : l'UCOLTEM traite environ 2 000 informations et saisines par an en vue de rédiger des notes opérationnelles qui ont vocation à être transmises à des services d'enquête à des fins de judiciarisation. Les groupes opérationnels de l'OCRIEST en sont les principaux destinataires, mais nous alimentons également les brigades mobiles de recherche, ainsi que les autres services de police et de gendarmerie. Il s'agit d'une source importante d'informations sur les saisines et les activités des filières.

Les organismes de sécurité sociale sont relativement peu nombreux à être parties prenantes du réseau de l'UCOLTEM. Les échanges sont assez fluides, bien que peu organisés. Des améliorations pourraient y être apportées.

Comme l'a expliqué Didier Martin, responsable de la division de l'expertise en fraude documentaire et à l'identité (DEFDI), à la commission d'enquête, nous nous appuyons sur l'expertise des fonctionnaires de cette division, associée systématiquement aux opérations de police judiciaire de l'OCRIEST, dès lors que nous suspectons la présence d'une officine de fabrication de faux. Cela a été le cas dans un dossier sur lequel la brigade mobile de recherche zonale de Marseille, que nous avons assistée en région parisienne, a enquêté en juin.

La DEFDI est également associée aux activités du groupe cyber de l'OCRIEST, spécialisé dans la traque des faussaires sévissant sur internet, notamment sur le dark web. Nous nous appuyons sur le savoir-faire de cette division. Notre objectif, avec Didier Martin, est de renforcer davantage notre interaction.

Enfin, l'OCRIEST, en complément ou non avec la DEFDI, s'implique dans différents projets européens du cycle politique de la plateforme pluridisciplinaire européenne contre les menaces criminelles (EMPACT, pour European Multidisciplinary Platform against Criminal Threats ). Ces projets permettent de lever des fonds européens pour mener à bien des opérations de police judiciaire. Nous sommes notamment partie prenante de l'action opérationnelle JOT (Joint Operational Team) Dunqett, qui traite exclusivement des filières d'immigration irrégulière, et de JOT Doc Fraud, dernier né de ces programmes, pour lequel nous nous appuyons sur l'action de la DEFDI en matière de détection de fraude documentaire. Dès qu'une action judiciaire implique plusieurs pays européens, l'OCRIEST est associé et peut lever des fonds visant à financer le déplacement d'enquêteurs pour procéder à des recoupements et agir au niveau européen.

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Quels travaux avez-vous menés avec la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DLNF) ces dernières années ?

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Anne-Sophie Coulbois, chef de l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF)

L'OCRGDF n'a pas mené d'actions très formalisées avec la DLNF. Nous avons des contacts informels en cas de besoin.

En revanche, l'OCRGDF et, plus globalement, la sous-direction de lutte contre la criminalité financière, participent à plusieurs des groupes opérationnels nationaux anti-fraude (GONAF) dans le cadre de la MICAF.

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Philippe Thuries, chef de l'office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI)

L'OCLTI a participé à l'élaboration du plan national de lutte contre la fraude. Il a en outre été associé au groupe visant à favoriser l'accès des services aux fichiers sociaux, qui a trouvé sa conclusion dans la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.

Nous sommes aussi associés à plusieurs des GONAF qui viennent d'être constitués. Nous participons notamment à la rédaction d'un fascicule sur les sociétés éphémères visant à sensibiliser les unités non seulement aux modalités de mise en place de ces sociétés, mais également aux moyens opérationnels permettant de lutter plus efficacement contre ce type de fraude.

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Jean Arvieu, adjoint au chef de l'office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre (OCRIEST)

La DCPAF, et plus particulièrement l'OCRIEST ou l'UCOLTEM, ont été associés aux travaux de la DNLF, en participant à deux groupes de travail.

En octobre 2019, nous avons travaillé ensemble pour élaborer un circuit d'échange d'informations entre le ministère de l'intérieur et les organismes de protection sociale sur les typologies de fraude documentaire ou à l'identité rencontrées. En novembre 2019, après une réunion à la direction de la modernisation et de l'administration territoriale (DMAT), nous avons participé à un second groupe de travail pour définir les modalités d'exploitation des données recueillies lors des perquisitions judiciaires s'agissant d'officines de fabrication de faux documents.

Par ailleurs, pendant la crise sanitaire, l'OCRIEST et la DEFDI ont participé à deux audioconférences dans le cadre du lancement des GONAF. La première, qui portait sur les fraudes à la résidence, concernait l'OCRIEST de façon très marginale ; la seconde abordait la question de l'identité numérique.

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Notre commission d'enquête, qui s'intéresse en effet à la lutte contre la fraude aux prestations et aux cotisations sociales, a pour objectif de comprendre et de chiffrer cette fraude diverse, allant d'une fraude individuelle isolée à la fraude protéiforme, organisée, dont vous avez décrit les mécanismes, en précisant les moyens de lutte de vos directions.

D'après votre expérience de ce champ d'action, qui n'est qu'une partie de votre mission, comment évolue la part de la fraude aux prestations et cotisations sociales ? Je mets de côté les variations annuelles éventuelles, liées au nombre d'affaires traité ou au volume financier que peut représenter une affaire plus importante que d'autres.

Certains dossiers font apparaître une multicriminalité, notamment lorsque la fraude documentaire ou à l'identité sert de base à des actes délictueux voire criminels. Des réseaux peuvent alors utiliser différents moyens pour capter des fonds publics. La fraude sociale représente-t-elle une part importante de cette multicriminalité ? Les représentants de la direction centrale de la police aux frontières ont souligné combien ces pratiques se complexifiaient, les criminels s'adaptant aux techniques de lutte contre la fraude et essayant d'avoir un temps d'avance sur la réponse de l'autorité publique.

Enfin, quel lien, éventuellement ténu, peut-il exister entre, d'une part, l'activité frauduleuse et la captation de prestations indues ou de cotisations, et, d'autre part, le financement d'autres activités criminelles, en particulier terroristes ? Une étude récente de l'Organisation des Nations unies fait état d'un pourcentage non négligeable d'activités financées par la fraude sociale.

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Philippe Thuries, chef de l'office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI)

S'agissant de l'évolution de la fraude sociale, nombre d'unités sont sollicitées pour traiter des dossiers, mais, du fait de leur charge de travail, elles ne sont parfois pas en mesure de traiter les affaires dans leur totalité. Nous constatons toutefois une augmentation du nombre de dossiers pour lesquels les magistrats nous sollicitent, ainsi que des saisies qui en découlent. Cette augmentation apparaît comme la conséquence de l'activité des réseaux criminels sur lesquels nous travaillons.

Actuellement, 50 % du portefeuille de l'office est consacré à la fraude au détachement intraeuropéen de travailleurs. Une fois que ces personnes ont rejoint le territoire national, des fraudes connexes, notamment aux prestations sociales, se mettent en place.

Pour ce qui concerne les prestations sociales, nous enregistrons une augmentation des saisines de la part des magistrats mais nous ne connaissons pas précisément l'activité des unités de terrain, qui traitent de nombreuses affaires. Nous travaillons à l'heure actuelle avec la direction générale de la gendarmerie nationale pour recueillir des éléments statistiques fiables, car, contrairement aux fraudes aux cotisations sociales, nous n'avons pas de vision claire sur les fraudes aux prestations sociales.

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Jean Arvieu, adjoint au chef de l'office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre (OCRIEST)

L'OCRIEST et le réseau des brigades mobiles de recherche (BMR) ne réalisent malheureusement aucune estimation des préjudices pour les fraudes, notamment sociales, qu'ils sont amenés à constater dans le cadre de leurs activités. Ce sujet ne relève pas directement de leur cœur de métier, qui réside dans la fraude documentaire et à l'identité.

La constatation et le travail sur les fraudes sociales au sens large sont indirects puisqu'ils découlent d'une estimation empirique par l'enquêteur du préjudice pouvant résulter d'un faux document d'identité – carte d'identité, passeport, titre de séjour.

Seules les fraudes à l'URSSAF font l'objet d'une estimation chiffrée plus fine, car le magistrat en charge de l'instruction du dossier l'exige pour demander le recouvrement du préjudice.

Dans une affaire récente, où l'URSSAF était l'une des victimes, la BMR de Metz a travaillé en co-saisine avec l'OCLTI et le GIR de Reims. Une filière spécialisée dans le travail irrégulier avait recruté quarante-cinq migrants. Le préjudice pour l'URSSAF est estimé à un montant situé entre 350 000 euros et plus d'1 million d'euros. Malgré cette fourchette large, la somme est importante.

Plusieurs types de fraudes apparaissent, selon la nature des victimes – URSSAF, Caisse nationale des allocations familiales, Pôle emploi, Caisse nationale d'assurance maladie. L'OCRIEST rencontre les affaires de fraudes sociales de manière indirecte.

Nous constatons bien une multicriminalité et une professionnalisation des réseaux. Les chefs de réseau des filières ayant recours à la fraude documentaire ne sont toutefois pas nécessairement nombreux. Le groupe cyber de l'OCRIEST cible souvent un seul individu, de bonne éducation, qui, derrière son PC, a constitué une véritable officine en s'équipant en matériel auprès de sites de vente en ligne grand public. Par son activité sur les forums du dark web, il a acquis une connaissance sur la confection ou la falsification de différents documents.

Nous avons pu constater le très important degré de professionnalisme de ces individus, dont certains étaient en mesure de produire et d'écouler plusieurs milliers voire dizaines de milliers de documents d'identité de très bonne qualité – carte nationale d'identité (CNI), la plupart du temps, passeports, permis de conduire. Dans une affaire où les documents étaient vendus jusqu'à 350 euros, nous avons estimé le chiffre d'affaires de ces activités délictueuses à 1 ou 2 millions d'euros. Le grand nombre de clients ayant eu recours aux services de ce faussaire laisse à penser que les intéressés, une fois munis d'un document d'identité frauduleux, pouvaient solliciter la délivrance de prestations sociales. Nous sommes toutefois seulement en mesure de le supposer, non de l'estimer.

Cet exemple me conduit au lien éventuel entre la fraude sociale, la captation de l'argent public et le financement du terrorisme. Un faussaire, notamment s'il agit sur le dark web, ne sait pas à qui il vend ses prestations car il vit retranché derrière l'anonymat de ce mode de criminalité. Il peut les fournir aussi bien à des candidats à l'immigration, à des personnes souhaitant escroquer le système, à des membres du grand banditisme, qu'à des terroristes.

La lutte contre la fraude documentaire et à l'identité est donc un enjeu majeur. Il faut plus que jamais investir dans la formation d'enquêteurs dédiés – sur internet, mais pas uniquement car les faussaires classiques existent toujours – et monter en compétence sur certains sujets, tout en améliorant la fluidité dans l'échange d'informations entre ce que nous retrouvons dans le cadre de nos enquêtes judiciaires et la communication de ces informations aux différents organismes. Dans la mesure où nous agissons dans le cadre d'enquêtes judiciaires, tous les éléments que nous pourrons communiquer aux différents organismes sont soumis à l'avis du magistrat. Nos enquêtes fournissent une mine d'informations, qui gagnerait à être mieux exploitée.

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Philippe Thuries, chef de l'office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI)

De manière inédite, des activités criminelles se structurent à présent dans le cadre non seulement de détachements mais également d'emplois directs. Sur le territoire national, des personnes originaires de certains pays organisent le recrutement, le transport, l'alimentation, l'hébergement de saisonniers ou de salariés, en s'octroyant une bonne partie du salaire de ces derniers. Les victimes, qui rentrent chez elles avec très peu d'argent, ne se plaignent qu'une fois arrivées dans leur pays.

Sur le territoire national, d'autres structures criminelles, spécialisées dans le vol de résidences, organisent également le détachement ou la mise à disposition de certaines personnes de leur organisation, notamment auprès des exploitants agricoles lorsque commence la période des vendanges. La France est en effet, avec l'Espagne et l'Italie, l'un des pays qui emploient le plus de saisonniers. Nous retrouvons donc presque toute l'année des individus qui commettent de menus larcins puis que les chefs de réseaux réorientent vers l'emploi saisonnier, en particulier le ramassage des fruits et des légumes.

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Anne-Sophie Coulbois, chef de l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF)

Je souscris aux propos de mes collègues. Nous ne disposons pas d'éléments objectifs sur l'évolution de la fraude aux prestations sociales. Nous constatons en revanche que les trafiquants souhaitant blanchir leurs revenus peuvent trouver assez facilement des chefs d'entreprise ayant besoin de ces espèces. L'évolution de cette fraude est toutefois difficile à évaluer.

Le parcours criminel peut commencer soit par une fraude à l'identité, soit par la création d'une fausse société, avec une « mule » qui servira de gérant de paille contre une rémunération, généralement modique. Ce sont là les deux points d'entrée indispensables pour commettre toutes les infractions, notamment la fraude aux prestations sociales.

S'agissant du financement du terrorisme, en France, pour l'instant, seul le micro-financement a été démontré. Il s'exerce par des individus ou de petites cellules, avec des montants assez faibles, ce qui explique que l'utilisation des prestations sociales, la fraude à ces prestations ou l'escroquerie au crédit soit un moyen fréquent de financement,

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Nous avons également pu le constater lors de notre visite au SANDIA, en consultant une base de données sur les fraudes à l'identité pour l'obtention de crédits bancaires. Grâce à des recoupements pour certaines identités, nous avons pu prouver que des prestations étaient fournies. La criminalité est protéiforme, et utilise aussi bien la fraude aux prestations sociales qu'au crédit bancaire.

Enfin, nous avons auditionné des personnes qui luttent contre la fraude aux assurances. Êtes-vous conduits à nouer des relations avec le secteur des assurances ? Rencontrez-vous également ce type de fraude dans votre activité ?

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Anne-Sophie Coulbois, chef de l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF)

L'OCRGDF entretient des partenariats étroits avec les banques pour les fraudes au crédit, avec Tracfin, ainsi qu'avec les assurances, lorsqu'un dossier décelé revêt une certaine ampleur.

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Philippe Thuries, chef de l'office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI)

L'OCLT n'a pas de relation particulière avec les acteurs du secteur de l'assurance.

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Jean Arvieu, adjoint au chef de l'office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre (OCRIEST)

À ma connaissance, l'OCRIEST et l'UCOLTEM n'ont aucun lien particulier avec les assureurs.

L'audition s'achève à dix-neuf heures vingt-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Réunion du mardi 21 juillet 2020 à 18 heures

Présents. - M. Pascal Brindeau, M. Patrick Hetzel

Excusés. - Mme Josette Manin, M. Thomas Mesnier