Intervention de Jean Arvieu

Réunion du mardi 21 juillet 2020 à 18h00
Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Jean Arvieu, adjoint au chef de l'office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre (OCRIEST) :

L'OCRIEST et le réseau des brigades mobiles de recherche (BMR) ne réalisent malheureusement aucune estimation des préjudices pour les fraudes, notamment sociales, qu'ils sont amenés à constater dans le cadre de leurs activités. Ce sujet ne relève pas directement de leur cœur de métier, qui réside dans la fraude documentaire et à l'identité.

La constatation et le travail sur les fraudes sociales au sens large sont indirects puisqu'ils découlent d'une estimation empirique par l'enquêteur du préjudice pouvant résulter d'un faux document d'identité – carte d'identité, passeport, titre de séjour.

Seules les fraudes à l'URSSAF font l'objet d'une estimation chiffrée plus fine, car le magistrat en charge de l'instruction du dossier l'exige pour demander le recouvrement du préjudice.

Dans une affaire récente, où l'URSSAF était l'une des victimes, la BMR de Metz a travaillé en co-saisine avec l'OCLTI et le GIR de Reims. Une filière spécialisée dans le travail irrégulier avait recruté quarante-cinq migrants. Le préjudice pour l'URSSAF est estimé à un montant situé entre 350 000 euros et plus d'1 million d'euros. Malgré cette fourchette large, la somme est importante.

Plusieurs types de fraudes apparaissent, selon la nature des victimes – URSSAF, Caisse nationale des allocations familiales, Pôle emploi, Caisse nationale d'assurance maladie. L'OCRIEST rencontre les affaires de fraudes sociales de manière indirecte.

Nous constatons bien une multicriminalité et une professionnalisation des réseaux. Les chefs de réseau des filières ayant recours à la fraude documentaire ne sont toutefois pas nécessairement nombreux. Le groupe cyber de l'OCRIEST cible souvent un seul individu, de bonne éducation, qui, derrière son PC, a constitué une véritable officine en s'équipant en matériel auprès de sites de vente en ligne grand public. Par son activité sur les forums du dark web, il a acquis une connaissance sur la confection ou la falsification de différents documents.

Nous avons pu constater le très important degré de professionnalisme de ces individus, dont certains étaient en mesure de produire et d'écouler plusieurs milliers voire dizaines de milliers de documents d'identité de très bonne qualité – carte nationale d'identité (CNI), la plupart du temps, passeports, permis de conduire. Dans une affaire où les documents étaient vendus jusqu'à 350 euros, nous avons estimé le chiffre d'affaires de ces activités délictueuses à 1 ou 2 millions d'euros. Le grand nombre de clients ayant eu recours aux services de ce faussaire laisse à penser que les intéressés, une fois munis d'un document d'identité frauduleux, pouvaient solliciter la délivrance de prestations sociales. Nous sommes toutefois seulement en mesure de le supposer, non de l'estimer.

Cet exemple me conduit au lien éventuel entre la fraude sociale, la captation de l'argent public et le financement du terrorisme. Un faussaire, notamment s'il agit sur le dark web, ne sait pas à qui il vend ses prestations car il vit retranché derrière l'anonymat de ce mode de criminalité. Il peut les fournir aussi bien à des candidats à l'immigration, à des personnes souhaitant escroquer le système, à des membres du grand banditisme, qu'à des terroristes.

La lutte contre la fraude documentaire et à l'identité est donc un enjeu majeur. Il faut plus que jamais investir dans la formation d'enquêteurs dédiés – sur internet, mais pas uniquement car les faussaires classiques existent toujours – et monter en compétence sur certains sujets, tout en améliorant la fluidité dans l'échange d'informations entre ce que nous retrouvons dans le cadre de nos enquêtes judiciaires et la communication de ces informations aux différents organismes. Dans la mesure où nous agissons dans le cadre d'enquêtes judiciaires, tous les éléments que nous pourrons communiquer aux différents organismes sont soumis à l'avis du magistrat. Nos enquêtes fournissent une mine d'informations, qui gagnerait à être mieux exploitée.

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