La direction de l'immigration de la direction générale des étrangers en France (DGEF) comporte trois sous-directions : celle du séjour et du travail, qui est en charge de la délivrance des titres, celle des visas et celle de la lutte contre l'immigration irrégulière, dont j'ai la responsabilité. Cette dernière sous-direction, qui compte quatre bureaux et regroupe une cinquantaine d'agents, a trois missions principales.
La première est de nature normative. Elle concerne le droit de l'éloignement, la lutte contre la fraude documentaire et la fraude à l'identité mais aussi, plus largement, tout ce qui a trait aux négociations conduites au niveau européen ou international, notamment en ce qui concerne la formalisation des accords de réadmission, en appui au ministère des affaires étrangères et en lien avec lui.
Nous sommes également chargés du pilotage de la rétention administrative, en lien avec la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF).
Enfin, nous animons les réseaux d'acteurs – essentiellement celui des préfectures, sur lequel M. Jean-Marc Galland aura l'occasion de revenir, mais aussi celui des consulats, avec la sous-direction des visas. Il s'agit d'assurer la meilleure coordination possible entre ces deux réseaux, notamment en matière d'interopérabilité des fichiers et de consultation croisée, afin de détecter la fraude documentaire le plus en amont possible.
La lutte contre les « fraudes à l'identité » – c'est désormais le terme consacré – relève plus particulièrement d'un bureau de ma sous-direction. Je vous prie d'excuser son chef, M. Philippe Conduché, qui est actuellement en congé. Ce bureau, outre son chef, compte quatre agents. Il est désormais chargé uniquement de la lutte contre les fraudes à l'identité, et non plus de la lutte contre le travail illégal, cette mission ayant été transférée à la sous-direction du séjour et du travail afin d'assurer une meilleure cohérence entre les missions.
La lutte contre la fraude en matière de titres de séjour recouvre deux champs d'action. Le premier est la fraude à l'identité pour entrer sur le territoire français. Il s'agit, très concrètement, de titres falsifiés ou usurpés qui servent à un ressortissant d'un pays tiers pour obtenir un visa ou un titre de séjour. Les investigations, dans ce domaine, sont conduites en lien avec le réseau consulaire. Le deuxième champ d'action est relatif à la fraude à l'identité pour se maintenir sur le territoire. Cela peut concerner des personnes entrées régulièrement en France, mais dont le titre de séjour a expiré et qui se maintiennent irrégulièrement sur le territoire en recourant à des titres usurpés ou falsifiés, ou des personnes qui ont faux depuis le départ, si je puis dire, c'est-à-dire qui sont entrées irrégulièrement et qui cherchent à se maintenir tout aussi irrégulièrement sur le territoire français.
Ces deux actions se sont progressivement structurées : nous sommes dans un contexte de montée en puissance depuis une dizaine d'années, ce qui correspond peu ou prou à la création de la DGEF sous sa forme antérieure. La lutte contre la fraude à l'identité a été marquée par cinq jalons principaux.
La première étape, et la pierre angulaire, est la réalisation, à partir de 2009, d'un bilan annuel des fraudes à l'obtention des titres de séjour, qui résulte d'un récolement statistique des informations transmises par l'ensemble des préfectures. Ce travail est en cours pour l'année 2019, les chiffres étant transmis à la fin du premier semestre de l'année n+1. L'intérêt de ce bilan est de caractériser le phénomène, de voir ses évolutions, la typologie des fraudes et leur localisation géographique – vous avez évoqué ces questions dans votre propos liminaire, monsieur le président – en faisant notamment le point sur les nationalités les plus liées à des risques de fraude. Le travail porte aussi sur les bonnes pratiques et les actions correctives à mener, afin d'orienter d'aussi près que possible les préfectures et les consulats. Par définition, le bilan ne porte que sur les chiffres collectés, mais son contenu s'améliore d'année en année. C'est un outil au service de tous, au niveau central et local, pour améliorer collectivement notre action. Nous sommes passés en dix ans d'environ 1 000 situations de fraudes détectées à plus de 5 000.
Le deuxième jalon a été la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers, qui a consacré un droit de communication au bénéfice des préfets – c'est très important pour les échanges avec les organismes de sécurité sociale. Ce texte a eu pour effet de lever le secret professionnel : les services des étrangers des préfectures peuvent effectuer des vérifications auprès des organismes de protection sociale – le système fonctionne aussi à front renversé, mais je reviendrai sur ce point – pour vérifier l'adresse des familles ou la composition des foyers. Nous n'avions pas accès à ces informations auparavant.
Ensuite, la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, dite loi IMDAEIR, a eu beaucoup d'incidences pour nous puisqu'elle a permis de renforcer tous les dispositifs de lutte contre la fraude, notamment la fraude mimétique, qui consiste à usurper l'identité d'une personne en utilisant une ressemblance physique. Il a été précisé que cette fraude peut porter sur les titres de séjour, et non plus seulement sur les passeports ou les pièces d'identité. Une autre évolution majeure concerne les reconnaissances frauduleuses de paternité : les officiers d'état civil peuvent désormais faire directement un signalement au procureur de la République lorsqu'il existe un faisceau d'indices – il arrivait que des officiers d'état civil soient convaincus du caractère frauduleux de certains titres présentés mais ils étaient dépourvus de moyen d'action. En matière de lutte contre la fraude à la minorité, la loi IMDAEIR a créé un traitement automatisé de données qui permet, en lien avec les conseils départementaux, de s'assurer qu'il y a une correspondance, d'un point de vue biométrique et photographique, entre les éléments recueillis et ceux qui figurent dans le fichier Visabio, dès lors qu'un consulat a instruit une demande, ou dans l'application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF), si la préfecture a traité une demande de titre de séjour.
Quatrième jalon, une circulaire a été signée en septembre dernier par les ministres de l'intérieur, des outre-mer et de l'Europe et des affaires étrangères pour renforcer la coordination entre le réseau préfectoral et le réseau consulaire. Des directives ont été données pour systématiser les consultations croisées, chaque fois qu'une demande est adressée, en vue de détecter des étrangers qui auraient déjà fait l'objet d'un renvoi dans leur pays parce qu'ils étaient en situation irrégulière, de démanteler des filières et de s'assurer, s'agissant de la véracité et de l'authenticité des titres, qu'il y a une parfaite coordination entre les informations dont disposent les préfectures et les consulats. Nous sommes très attentifs à la montée en puissance de ce dispositif.
Enfin, nous allons enfoncer le clou, si je puis dire, avec la désignation d'un correspondant fraude dans chaque préfecture avant le 30 septembre prochain. Il existe déjà des référents dans les préfectures, mais ils sont compétents pour toutes les fraudes. Cela ne permet pas, même avec la meilleure implication possible des référents, d'assurer une spécialisation suffisante en matière de fraude documentaire et de fraude à l'identité. L'objectif commun de la direction de la modernisation et de l'administration territoriale (DMAT) et de la DGEF – il s'agit d'une circulaire conjointe – est d'adjoindre au référent fraude un correspondant qui sera notre tête de pont, notre animateur de réseau au niveau local, en matière de fraude documentaire et de fraude à l'identité.
L'enjeu, pour nous, est désormais de poursuivre la montée en puissance à trois niveaux. Il s'agit tout d'abord de renforcer la coordination entre les différents réseaux, de s'approprier les outils juridiques, tous les décrets de la loi IMDAEIR ayant été adoptés, et de systématiser la consultation croisée des fichiers. Nous devons ensuite poursuivre le travail mené au niveau bilatéral avec les pays qui constituent nos principaux centres d'intérêt en matière de fraude documentaire, afin de corriger certaines situations, ce qui peut se traduire par des appuis, notamment financiers, pour la fiabilisation de l'état civil, mais aussi par des discussions politiques, des échanges à haut niveau, qui permettent de rappeler, parfois, qu'il peut exister un lien entre la délivrance des visas et des garanties supplémentaires quant à l'authenticité des titres, en particulier les actes d'état civil. Le dernier enjeu est de continuer, dans une logique de veille, à améliorer les outils juridiques. Un rapport parlementaire et un rapport de l'inspection générale de l'administration (IGA) ont très récemment fait état de difficultés relatives à la mise en œuvre de l'article 47 du code civil, ce qui pourrait conduire à certaines adaptations. Nous sommes attentifs à cette question et nous pourrons être amenés à faire des propositions, sous la responsabilité du cabinet.