COMMISSION D'ENQUÊTE RELATIVE A LA LUTTE CONTRE LES FRAUDES AUX PRESTATIONS SOCIALES
Mercredi 22 juillet 2020
La séance commence à neuf heures trente-cinq
Présidence de M. Patrick Hetzel, président
La commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales procède à la table ronde, ouverte à la presse, réunissant des organismes luttant contre la fraude documentaire : la direction générale des étrangers en France (M. Olivier Marmion, sous-directeur de la lutte contre l'immigration irrégulière) et le ministère de l'intérieur (M. Jean-Marc Galland, chef de la mission « délivrance sécurisée des titres »).
La première des deux tables rondes de ce matin est consacrée à la fraude documentaire, dont nous avons vu qu'elle est une porte d'entrée majeure pour la fraude aux prestations sociales, par usage de faux documents ou usurpation d'identité.
Nous avons le plaisir d'accueillir deux représentants du ministère de l'intérieur : M. Olivier Marmion, sous-directeur de la lutte contre l'immigration irrégulière à la direction générale des étrangers en France, et M. Jean-Marc Galland, chef de la mission « délivrance sécurisée des titres ».
Messieurs, merci d'avoir répondu à notre invitation. Nous serons heureux de vous entendre sur les différentes typologies de la fraude documentaire, sur sa géographie en France et à l'étranger, et sur les liens possibles avec la fraude aux prestations sociales.
Avant de vous laisser la parole pour des interventions liminaires, je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(M. Olivier Marmion et M. Jean-Marc Galland prêtent successivement serment.)
La direction de l'immigration de la direction générale des étrangers en France (DGEF) comporte trois sous-directions : celle du séjour et du travail, qui est en charge de la délivrance des titres, celle des visas et celle de la lutte contre l'immigration irrégulière, dont j'ai la responsabilité. Cette dernière sous-direction, qui compte quatre bureaux et regroupe une cinquantaine d'agents, a trois missions principales.
La première est de nature normative. Elle concerne le droit de l'éloignement, la lutte contre la fraude documentaire et la fraude à l'identité mais aussi, plus largement, tout ce qui a trait aux négociations conduites au niveau européen ou international, notamment en ce qui concerne la formalisation des accords de réadmission, en appui au ministère des affaires étrangères et en lien avec lui.
Nous sommes également chargés du pilotage de la rétention administrative, en lien avec la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF).
Enfin, nous animons les réseaux d'acteurs – essentiellement celui des préfectures, sur lequel M. Jean-Marc Galland aura l'occasion de revenir, mais aussi celui des consulats, avec la sous-direction des visas. Il s'agit d'assurer la meilleure coordination possible entre ces deux réseaux, notamment en matière d'interopérabilité des fichiers et de consultation croisée, afin de détecter la fraude documentaire le plus en amont possible.
La lutte contre les « fraudes à l'identité » – c'est désormais le terme consacré – relève plus particulièrement d'un bureau de ma sous-direction. Je vous prie d'excuser son chef, M. Philippe Conduché, qui est actuellement en congé. Ce bureau, outre son chef, compte quatre agents. Il est désormais chargé uniquement de la lutte contre les fraudes à l'identité, et non plus de la lutte contre le travail illégal, cette mission ayant été transférée à la sous-direction du séjour et du travail afin d'assurer une meilleure cohérence entre les missions.
La lutte contre la fraude en matière de titres de séjour recouvre deux champs d'action. Le premier est la fraude à l'identité pour entrer sur le territoire français. Il s'agit, très concrètement, de titres falsifiés ou usurpés qui servent à un ressortissant d'un pays tiers pour obtenir un visa ou un titre de séjour. Les investigations, dans ce domaine, sont conduites en lien avec le réseau consulaire. Le deuxième champ d'action est relatif à la fraude à l'identité pour se maintenir sur le territoire. Cela peut concerner des personnes entrées régulièrement en France, mais dont le titre de séjour a expiré et qui se maintiennent irrégulièrement sur le territoire en recourant à des titres usurpés ou falsifiés, ou des personnes qui ont faux depuis le départ, si je puis dire, c'est-à-dire qui sont entrées irrégulièrement et qui cherchent à se maintenir tout aussi irrégulièrement sur le territoire français.
Ces deux actions se sont progressivement structurées : nous sommes dans un contexte de montée en puissance depuis une dizaine d'années, ce qui correspond peu ou prou à la création de la DGEF sous sa forme antérieure. La lutte contre la fraude à l'identité a été marquée par cinq jalons principaux.
La première étape, et la pierre angulaire, est la réalisation, à partir de 2009, d'un bilan annuel des fraudes à l'obtention des titres de séjour, qui résulte d'un récolement statistique des informations transmises par l'ensemble des préfectures. Ce travail est en cours pour l'année 2019, les chiffres étant transmis à la fin du premier semestre de l'année n+1. L'intérêt de ce bilan est de caractériser le phénomène, de voir ses évolutions, la typologie des fraudes et leur localisation géographique – vous avez évoqué ces questions dans votre propos liminaire, monsieur le président – en faisant notamment le point sur les nationalités les plus liées à des risques de fraude. Le travail porte aussi sur les bonnes pratiques et les actions correctives à mener, afin d'orienter d'aussi près que possible les préfectures et les consulats. Par définition, le bilan ne porte que sur les chiffres collectés, mais son contenu s'améliore d'année en année. C'est un outil au service de tous, au niveau central et local, pour améliorer collectivement notre action. Nous sommes passés en dix ans d'environ 1 000 situations de fraudes détectées à plus de 5 000.
Le deuxième jalon a été la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers, qui a consacré un droit de communication au bénéfice des préfets – c'est très important pour les échanges avec les organismes de sécurité sociale. Ce texte a eu pour effet de lever le secret professionnel : les services des étrangers des préfectures peuvent effectuer des vérifications auprès des organismes de protection sociale – le système fonctionne aussi à front renversé, mais je reviendrai sur ce point – pour vérifier l'adresse des familles ou la composition des foyers. Nous n'avions pas accès à ces informations auparavant.
Ensuite, la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, dite loi IMDAEIR, a eu beaucoup d'incidences pour nous puisqu'elle a permis de renforcer tous les dispositifs de lutte contre la fraude, notamment la fraude mimétique, qui consiste à usurper l'identité d'une personne en utilisant une ressemblance physique. Il a été précisé que cette fraude peut porter sur les titres de séjour, et non plus seulement sur les passeports ou les pièces d'identité. Une autre évolution majeure concerne les reconnaissances frauduleuses de paternité : les officiers d'état civil peuvent désormais faire directement un signalement au procureur de la République lorsqu'il existe un faisceau d'indices – il arrivait que des officiers d'état civil soient convaincus du caractère frauduleux de certains titres présentés mais ils étaient dépourvus de moyen d'action. En matière de lutte contre la fraude à la minorité, la loi IMDAEIR a créé un traitement automatisé de données qui permet, en lien avec les conseils départementaux, de s'assurer qu'il y a une correspondance, d'un point de vue biométrique et photographique, entre les éléments recueillis et ceux qui figurent dans le fichier Visabio, dès lors qu'un consulat a instruit une demande, ou dans l'application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF), si la préfecture a traité une demande de titre de séjour.
Quatrième jalon, une circulaire a été signée en septembre dernier par les ministres de l'intérieur, des outre-mer et de l'Europe et des affaires étrangères pour renforcer la coordination entre le réseau préfectoral et le réseau consulaire. Des directives ont été données pour systématiser les consultations croisées, chaque fois qu'une demande est adressée, en vue de détecter des étrangers qui auraient déjà fait l'objet d'un renvoi dans leur pays parce qu'ils étaient en situation irrégulière, de démanteler des filières et de s'assurer, s'agissant de la véracité et de l'authenticité des titres, qu'il y a une parfaite coordination entre les informations dont disposent les préfectures et les consulats. Nous sommes très attentifs à la montée en puissance de ce dispositif.
Enfin, nous allons enfoncer le clou, si je puis dire, avec la désignation d'un correspondant fraude dans chaque préfecture avant le 30 septembre prochain. Il existe déjà des référents dans les préfectures, mais ils sont compétents pour toutes les fraudes. Cela ne permet pas, même avec la meilleure implication possible des référents, d'assurer une spécialisation suffisante en matière de fraude documentaire et de fraude à l'identité. L'objectif commun de la direction de la modernisation et de l'administration territoriale (DMAT) et de la DGEF – il s'agit d'une circulaire conjointe – est d'adjoindre au référent fraude un correspondant qui sera notre tête de pont, notre animateur de réseau au niveau local, en matière de fraude documentaire et de fraude à l'identité.
L'enjeu, pour nous, est désormais de poursuivre la montée en puissance à trois niveaux. Il s'agit tout d'abord de renforcer la coordination entre les différents réseaux, de s'approprier les outils juridiques, tous les décrets de la loi IMDAEIR ayant été adoptés, et de systématiser la consultation croisée des fichiers. Nous devons ensuite poursuivre le travail mené au niveau bilatéral avec les pays qui constituent nos principaux centres d'intérêt en matière de fraude documentaire, afin de corriger certaines situations, ce qui peut se traduire par des appuis, notamment financiers, pour la fiabilisation de l'état civil, mais aussi par des discussions politiques, des échanges à haut niveau, qui permettent de rappeler, parfois, qu'il peut exister un lien entre la délivrance des visas et des garanties supplémentaires quant à l'authenticité des titres, en particulier les actes d'état civil. Le dernier enjeu est de continuer, dans une logique de veille, à améliorer les outils juridiques. Un rapport parlementaire et un rapport de l'inspection générale de l'administration (IGA) ont très récemment fait état de difficultés relatives à la mise en œuvre de l'article 47 du code civil, ce qui pourrait conduire à certaines adaptations. Nous sommes attentifs à cette question et nous pourrons être amenés à faire des propositions, sous la responsabilité du cabinet.
La mission « délivrance sécurisée des titres » fait partie de la direction de la modernisation et de l'administration territoriale du ministère de l'intérieur, laquelle a la responsabilité du corps préfectoral et de la gestion des préfectures. La mission est chargée d'assurer une coordination de l'ensemble des services du ministère de l'intérieur en matière de lutte contre la fraude, le dispositif de détection étant déconcentré au niveau préfectoral. Les référents fraude départementaux, dont la désignation est devenue systématique à partir de 2017 – ce réseau est donc très récent –, sont placés sous l'autorité directe des secrétaires généraux des préfectures.
Le réseau préfectoral de lutte contre la fraude est constitué des référents fraude départementaux, qui ont une compétence générale, des correspondants fraude dans les services des étrangers, dont M. Olivier Marmion vient de parler et qui sont en cours de désignation, et des centres d'expertise et de ressources des titres (CERT), qui ont été créés au niveau interdépartemental à partir de 2017, lors de la dématérialisation de la délivrance des titres par le ministre de l'intérieur. Les CERT, qui assurent l'instruction des demandes et la délivrance des titres, comportent des cellules fraudes.
Parmi les 25 millions de titres délivrés chaque année, on dénombre entre 5 et 6 millions de cartes nationales d'identité (CNI) – il y a eu une augmentation au cours des dernières années –, plus de 4 millions de passeports – on assiste également à une hausse en la matière – et un peu plus d'un million de titres de séjour, le reste étant constitué des cartes grises, ou certificats d'immatriculation des véhicules, et des permis de conduire. Je précise que la question de la fraude à l'identité inclut notamment, pour le ministère de l'intérieur, les permis de conduire, qui restent très souvent utilisés par les Français comme justificatifs d'identité.
En ce qui concerne la lutte contre fraude, l'activité du réseau préfectoral – qui, je l'ai dit, est très récent – monte très vite en charge. On est passé d'un peu plus de 8 000 cas de fraude détectés en 2017 à plus de 21 000 en 2019, ce qui représente presque un quasi-triplement. La part des CNI et des passeports est restée relativement stable, ce qui est plutôt rassurant ; celle des titres de séjour a augmenté, mais dans une moindre proportion que celle des certificats d'immatriculation des véhicules et des permis de conduire – vous connaissez les conditions de délivrance des CNI, des passeports et des titres de séjour.
Je crois qu'il faut bien différencier la fraude documentaire à proprement parler et la fraude à l'identité. Ce sont deux concepts complémentaires mais de plus en plus distincts, qui sont utilisés dans le cadre des statistiques de la délinquance, en particulier de l'état 4001. La fraude documentaire concerne les documents sources, qui sont très divers. Sa part a tendance à régresser par rapport à celle de la fraude à l'identité ou des fraudes à l'identité. Nous sommes confrontés à plusieurs phénomènes.
La fraude à l'identité est parfois qualifiée d'« intellectuelle ». Elle peut reposer sur un titre faussé ou contrefait mais c'est de moins en moins le cas. On distingue d'abord l'usurpation d'identité définie par l'article 226-4-1 du code pénal, qui figure dans son livre II, relatif aux crimes et délits contre les personnes. Dans cette hypothèse, on ne se fait pas seulement passer pour un tiers : on s'approprie une autre identité. Une deuxième forme de fraude, que l'on rencontre de plus en plus et dont la fraude mimétique fait partie, est l'utilisation d'un titre qui n'est pas nécessairement faux en lui-même. On exploite un look alike, un effet de ressemblance. C'est une technique que des réseaux, et même des individus, exploitent de plus en plus – on utilise un titre en s'appuyant sur une similitude des traits du visage.
Il existe aussi des formes beaucoup plus retorses qui font appel à des techniques numériques, comme le morphing, lequel consiste à créer une photographie à partir de plusieurs visages – le titre peut alors être utilisé par plusieurs personnes –, et qui nécessiteront sans doute des contre-mesures beaucoup plus fortes à l'avenir. Ces techniques numériques avancées évoluent très vite. L'utilisation indue d'un titre fait l'objet d'infractions pénales prévues dans une autre partie du code pénal.
L'examen de l'état 4001 montre que la part des infractions relevant de la fraude documentaire et de la fraude à l'identité est passée entre 2017 et 2019 de 1,80 % à 1,98 % du total des infractions constatées en France, ce qui représente une hausse de 10 %. La part de la fraude à l'identité, quant à elle, est passée de 1,02 % à 1,19 %, soit une augmentation encore plus forte, de 17 %. Le phénomène le plus significatif est maintenant la fraude à l'identité : il y a une augmentation extrêmement forte des infractions en la matière. Beaucoup de chiffres circulent. L'état 4001, pour sa part, recense environ 30 000 infractions par an. Dans le total, la fraude par usurpation d'identité sur internet est en hausse : on est passé, en gros, de 3 000 à 5 000 cas entre 2016 et 2018 – pour 2019, les chiffres n'ont pas encore été établis par le service statistique ministériel de la sécurité intérieure.
Vous avez dit qu'un certain nombre de chiffres circulent. Selon les estimations dont nous disposons, 200 000 de nos concitoyens seraient, chaque année, victimes d'une fraude à l'identité. Vos éléments permettent-ils de corroborer ce chiffre, qui paraît assez crédible ?
Ce chiffre fait suite à des études du début des années 2010 qui ont été utilisées dans le cadre de la préparation de la loi de 2012 relative à la protection de l'identité. Il s'agissait d'enquêtes de victimation, basées sur des éléments déclaratifs et non sur des dépôts de plainte. On ne peut pas mettre en cause ces enquêtes, mais elles ont été menées il y a plusieurs années.
Sans être nécessairement faux, le chiffre que vous avez cité ne correspond pas exactement, ce qui est normal, à celui qui résulte des dépôts de plainte et de l'activité des services, c'est-à-dire à l'état 4001 – la base des statistiques de la délinquance, cogérée par les ministères de l'intérieur et de la justice. Les deux chiffres ne sont pas en opposition : ils correspondent à deux réalités différentes.
Je retiens que le chiffre de 200 000 cas est fondé sur une enquête datant d'une dizaine d'années et que ce type de fraude a évolué depuis…
L'autre problématique est que certaines victimes d'une fraude à l'identité peuvent ne pas se rendre compte de ce qui s'est passé. Il existe des cloisonnements entre certains fichiers, notamment en ce qui concerne les prestations sociales. On peut usurper l'identité de quelqu'un pour bénéficier du revenu de solidarité active (RSA) à l'autre bout de la France.
En ce qui concerne la manière de comptabiliser la fraude à l'identité dans le cadre des statistiques de la délinquance, j'ajoute qu'il s'agit généralement d'une infraction accessoire : la qualification retenue par la caisse de sécurité sociale, la police, la gendarmerie ou le procureur de la République sera celle de l'infraction principale, l'obtention d'un avantage indu. Cela peut contribuer à expliquer la différence entre les deux chiffres – 30 000 cas d'un côté, 200 000 de l'autre – même s'il faudrait réaliser des études très longues pour le montrer vraiment.
Quoi qu'il en soit, la fraude à l'identité constituant un aspect important de la fraude aux prestations sociales, il a été décidé, en concertation avec la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) devenue la mission interministérielle de coordination anti-fraude (MICAF), de constituer un groupe interministériel que j'ai l'honneur de coanimer avec M. Éric Belfayol et qui réunit les organismes de protection sociale, des administrations du secteur financier et la DGEF.
Nous travaillons sur la fraude documentaire et la fraude à l'identité en matière d'état civil. C'est une problématique très importante pour le service administratif national d'identification des assurés (SANDIA). Les organismes de protection sociale sont très demandeurs d'outils pour contrer ce type de fraude, étant entendu qu'elle peut concerner tous les titres, qu'ils soient détenus par des ressortissants français ou par des ressortissants étrangers.
Ces travaux devraient aboutir à l'adoption d'un protocole interministériel reposant sur plusieurs principes. Le premier est de réaliser autant que possible les échanges d'information que la loi permet, notamment le code de la sécurité sociale et, s'agissant du sous-sujet des titres de séjour, la loi de 2016. Il devra ainsi permettre de fournir aux organismes de protection sociale de nouvelles méthodes de travail que le ministère de l'intérieur peut mettre à leur disposition, comme DOCVERIF – vous nous avez d'ailleurs adressé des questions à ce sujet.
Si vous le souhaitez, je pourrai présenter plus en détail DOCVERIF, notamment son lien avec la base des titres électroniques sécurisés (TES) et son intérêt – même si ce n'est pas l'outil absolu ou universel – pour améliorer la détection de la fraude à l'identité par les organismes de protection sociale. Pôle emploi a testé ce dispositif et est en train de généraliser son usage. Nous avons, par ailleurs, des contacts avancés avec les trois grandes caisses nationales de sécurité sociale.
Outre DOCVERIF, il existe une réflexion d'ensemble sur l'utilisation, ou non, de l'identité numérique au sens large du terme. Je suis en charge de cette question au sein de la DMAT, en lien avec les autres directions du ministère.
Un autre sujet, que nous abordons notamment avec la sécurité sociale, est l'extension possible, à terme, du dispositif Justif'Adresse, c'est-à-dire l'automatisation de la vérification du domicile pour les demandes de titres gérées par le ministère de l'intérieur – hormis les titres de séjour, qui pourraient être concernés dans un second temps. Vous avez prévu ce dispositif lorsque vous avez adopté l'article 44 de la loi pour un État au service d'une société de confiance (ESSOC) et une généralisation est prévue par le projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP).
Les organismes de protection sociale s'intéressent aussi à COMEDEC (communication électronique des données de l'état civil), qui est placé sous la responsabilité du ministère de la justice et cogéré avec celui de l'intérieur. Cet outil est utilisé pour consulter à distance des actes d'état civil dans le cadre de la délivrance des CNI et des passeports.
Je voudrais enfin insister sur la spécificité de la délivrance des CNI, des passeports et des titres de séjour. Une partie de la délivrance de ces titres a pour point commun de faire appel à un face-à-face physique et à l'utilisation de la biométrie, qui sont des garanties pour lutter contre l'usurpation d'identité, les données concernées étant extrêmement sensibles. TES et AGDREF reposent en grande partie sur des outils de lutte contre l'usurpation d'identité – le principe du face-à-face et la prise des empreintes digitales, qui servent au moment du renouvellement.
Nous nous sommes déplacés au SANDIA la semaine dernière et nous avons constaté quelques difficultés opérationnelles. Ce service travaille sur des photocopies d'actes d'état civil et de pièces d'identité : ce n'est pas la même chose qu'un travail sur des originaux, qui permet généralement de voir si on a affaire à un faux. Une autre problématique est liée aux actes d'état civil en tant que tels. Il n'y a pas nécessairement de normalisation au sein des mairies françaises, et la question est encore plus compliquée quand on traite des documents venant du monde entier. Enfin, nous avons pu regarder in situ quels sont les accès informatiques dont dispose le SANDIA : s'agissant du fichier des titres de séjour, les photos d'identité ne sont pas consultables, ce qui expose à un risque de fraude.
J'aimerais aussi revenir sur l'application de l'article 47 du code civil, à laquelle vous avez fait référence, monsieur Marmion. Pouvez-vous préciser les réponses qui pourraient ou devraient être apportées ?
Comme vous le savez, on retrouve les dispositions prévues par l'article 47 du code civil, à savoir la présomption de l'authenticité, dans l'ensemble des pays européens. Ce n'est donc pas une spécificité française. En ce qui concerne les pays où il existe des enjeux en matière de manque de fiabilité, nous sommes confrontés à une difficulté pour les actes d'acte civil ou les jugements supplétifs.
Nous privilégions, dans un premier temps, une approche bilatérale avec les pays concernés, qui se trouvent essentiellement en Afrique subsaharienne, notamment dans le golfe de Guinée. La Guinée est le pays le plus en retard sur le plan de la fiabilisation de l'état civil – ce n'est pas un jugement de valeur, c'est un simple constat –, mais on pourrait également citer le Sénégal, la Côte d'Ivoire et le Mali, où des difficultés perdurent à différents degrés. Nous sommes engagés dans un dialogue bilatéral, en lien avec d'autres ministères, pour soutenir ces États qui sont demandeurs d'une fiabilisation de leur état civil et où les résultats peuvent être extrêmement encourageants. La Tunisie est ainsi parvenue, dans le cadre du système d'identification automatique à partir des empreintes digitales (AFIS), désormais effectif, à dématérialiser l'ensemble de son état civil, ce qui constitue une avancée majeure. Je pourrais également citer l'exemple du Maroc ou celui du Mali, où des améliorations sont en cours.
Le dialogue bilatéral peut reposer sur des financements, notamment européens, dans le cadre de coopérations organisées par Civipol. On peut également mettre en balance les enjeux liés aux visas. Il est de la responsabilité de la France de souligner qu'elle ne peut accorder des visas s'il n'y a pas suffisamment de garanties s'agissant des documents produits en appui des demandes.
Nous apportons aussi une expertise technique. En Guinée, nous conduisons depuis un an, au niveau interministériel, une expérimentation concernant plusieurs tribunaux – il s'agit de s'assurer des conditions dans lesquelles les jugements supplétifs sont rendus. Par ailleurs, la police aux frontières locale est étroitement associée. Nous tirerons tous les enseignements de cette phase d'expérimentation. Notre volonté est d'accompagner, pour permettre d'avancer.
D'autres pistes ont été évoquées – j'ai mentionné un rapport parlementaire et un rapport de l'IGA. L'exemple de l'Allemagne a été avancé dans une logique de parangonnage, nos voisins appliquant à certains pays une version un peu dégradée de leur équivalent de l'article 47 du code civil. D'autres États membres y réfléchissent, et nous pourrions aussi envisager de le faire au niveau européen. Nous n'en sommes pas là pour l'instant, mais nous ne nous interdisons rien pour ce qui est de l'exploration de solutions. Aujourd'hui, nous avons un dialogue qui produit des résultats encourageants. Nous ne sommes pas dans une logique de renoncement, bien au contraire.
Selon vous, l'article 47 du code civil doit-il faire l'objet d'une adaptation législative ?
Une analyse des travaux menés sur cette question est en cours pour évaluer les différentes possibilités. Ce qui est certain, c'est que la rédaction de cet article constitue une difficulté dans la mesure où il accorde une présomption d'authenticité aux actes d'état civil étrangers, y compris à ceux que nous savons douteux, qu'ils aient été transcrits ou aient fait l'objet de jugements supplétifs. Dès lors, peut-être une réflexion pourrait-elle être menée sur l'inversion de la charge de la preuve dans certaines situations. Encore une fois, nous sommes dans une phase d'examen et, le cas échéant, de proposition. Mais nous avons pris bonne note des travaux que j'évoquais il y a quelques instants.
Merci pour vos explications très précises qui corroborent ce qui nous a été dit lors de la plupart des auditions que nous avons réalisées, à savoir que la fraude documentaire et la fraude à l'identité sous ses différentes formes, en particulier l'usurpation, sont la clé d'entrée de la fraude sociale.
Monsieur Galland, vous avez indiqué qu'entre 2017 et 2019, le nombre des cas de fraude répertoriés était passé de 8 000 à 21 000, en précisant que l'augmentation des fraudes portant sur les titres de séjour était moindre que celle concernant les certificats d'immatriculation automobile, par exemple. Quelle est la part des fraudes au titre de séjour dans ces cas avérés ?
Par ailleurs, comment qualifieriez-vous le niveau de sécurité de nos titres de séjour ? S'ils sont soumis à une certaine procédure d'établissement – prise d'empreintes digitales et face-à-face, notamment – et sont sécurisés, ce ne sont pas des documents biométriques. Ils sont donc falsifiables ou modifiables par des professionnels de la fraude documentaire ou de la fraude à l'usurpation. Je vous pose cette question, car les organismes sociaux et le SANDIA nous ont indiqué que l'ouverture des droits reposait sur la production de deux documents dont, pour les personnes étrangères résidant en France, un titre de séjour. Ces organismes considèrent qu'étant soumis à une procédure extrêmement sécurisée, ce titre ne peut pas a priori être un faux document. Ils affirment ainsi – ce n'est pas faux, mais ce n'est pas vrai non plus – qu'en définitive, le niveau des fraudes aux prestations sociales liées à la fraude documentaire et à l'identité est assez anecdotique et qu'il n'est donc pas besoin de remuer ciel et terre pour renforcer les moyens actuellement utilisés pour lutter contre cette fraude. Pourtant, à chaque fois que nous sommes face à des représentants du ministère de l'intérieur, notamment de la direction centrale de la police aux frontières, nous constatons que le phénomène demeure très prégnant et que sa progression n'est pas négligeable.
Les fraudes portant sur des titres de séjour représentent un quart des 21 000 cas de fraude avérée détectés en 2019 dans les préfectures. Mais, en 2017, compte tenu du fait que la détection était bien moins efficace pour les autres titres, hormis les CNI et les passeports, ce taux dépassait 40 % – la fraude porte ici sur les documents sources puisque le titre n'existe pas encore.
L'augmentation s'explique par la professionnalisation de l'ensemble du réseau : il n'y a pas forcément plus de fraudes, mais leur détection est plus efficace. En tout cas, on ne peut pas considérer que le phénomène augmente massivement. Pourquoi ? Parce que le titre de séjour et le passeport – je ne parle pas de la CNI, qui n'est pas comparable – ont pour caractéristique d'être soumis aux normes de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), lesquelles s'appliqueront également à la carte nationale d'identité électronique (CNIE) lorsque le règlement européen relatif à celle-ci entrera en application. Ces normes sont solides, reconnues internationalement et gérées, tant au plan européen qu'au plan international, par des groupes de travail techniques très pointus. La contrefaçon est très difficile à quantifier, mais il est évident qu'elle existe. Toutefois, on en détecte très peu : du fait de l'application de ces normes et de l'interopérabilité des contrôles qu'elles permettent, on a atteint, à technologie constante, un bon niveau de sécurité. Cependant, l'évolution des dispositifs numériques, notamment sur le plan de l'image, permettrait d'améliorer encore la qualité de nos processus de création de titres.
Je ne peux que confirmer les propos de M. Galland. S'agissant de la délivrance des titres de séjour, la procédure est très sécurisée. Certes, nul ne peut garantir une herméticité absolue, mais la détection de la fraude montre que celle-ci consiste en une falsification, non pas du titre de séjour lui-même, mais au moment de la phase documentaire qui intervient en amont, notamment – pardonnez-moi d'insister – en ce qui concerne l'acte d'état civil. Ainsi, pour l'année 2018, le bilan des fraudes sur les titres de séjour révèle que plus des trois quarts des documents frauduleux étaient des actes d'état civil.
Vous parlez d'or ! Votre remarque rejoint – et ce n'est pas une surprise, fort heureusement – les travaux de notre commission. De fait, nous avons pu constater, lorsque nous nous sommes rendus au SANDIA, que c'est à ce niveau-là que se situe le trou dans la raquette le plus important. On entre par la porte qui s'ouvre le plus facilement : en l'espèce, on falsifie le document dont l'origine est le plus difficilement contrôlable, surtout si ce document est rédigé dans une langue étrangère. Certes, sa traduction est assurée par un traducteur assermenté, mais celui-ci n'a pas pour mission de vérifier son authenticité. Existe-t-il des exemples de pays qui sont parvenus à être plus efficaces en la matière ?
Le contrôle des titres de séjour s'opère aussi au niveau européen, au sein de l'espace Schengen. L'ensemble des titres de séjour européens font l'objet d'un processus parfaitement sécurisé. Surtout, l'ensemble des garde-côtes et des gardes-frontières ont connaissance de toute la typologie de ces titres, de façon à exercer le meilleur contrôle possible. C'est un élément extrêmement important car il permet de garantir, dans le cadre de la liberté de circulation, l'absence de « maillon faible ».
J'ajoute que si la dématérialisation a apporté beaucoup de fiabilité, donc de sécurité au processus de délivrance des titres, il ne faut pas pour autant faire l'économie de la rencontre physique du requérant, qui demeure importante compte tenu notamment de l'évolution des techniques de morphing.
Tout à l'heure, vous avez évoqué les avancées rendues possibles par les modifications législatives intervenues ces dernières années. Puisque vous parlez à des législateurs, pouvez-vous nous dire si vous jugez nécessaire que, sur certains points, les textes évoluent encore ?
Nous disposons, avec la loi de mars 2012 relative à la protection de l'identité, d'un outil important car, au-delà de son article 1er, qui organise la preuve de l'identité, ce texte a prévu la création de ce qui est devenu DOCVERIF et la plateforme COMEDEC. Le cadre général est donc défini. Il convient d'y ajouter, si l'on parle d'identité numérique par exemple, l'article L. 102 du code des postes et communications électroniques, introduit par la loi pour une République numérique, qui fixe le cadre de développement de l'identification électronique. Ce dispositif doit être analysé en lien avec une réglementation européenne de plus en plus complète et d'application directe ; je pense aux règlements relatifs aux titres de séjour, aux passeports et aux CNI ou, en matière d'identité numérique, au règlement de 2014, dit eIDAS, sur l'identification électronique et les services de confiance. En l'état, nous disposons donc, du point de vue du travail administratif, des outils pour agir, dans le cadre des lois sur la protection des données personnelles organisant le développement des applications qui nous permettent de travailler. Encore une fois, je parle ici de travail administratif, c'est-à-dire du développement d'applications dans le domaine de la sécurisation à proprement parler.
Quel peut être l'apport, dans le cadre de vos missions, de la transformation très récente de la DNLF en MICAF ?
Par ailleurs, comment qualifieriez-vous le niveau actuel des moyens mis à disposition des communes pour que les actes d'état civil français présentent le meilleur niveau de sécurité possible ? Ces actes ne sont pas des documents CERFA et ne sont pas soumis à des normes particulières. Leur sécurisation est-elle une piste qu'il vous paraîtrait intéressant de suivre ?
En l'état, pour ce qui relève du ministère de l'intérieur – car l'état civil relève du ministère de la justice – nous avons parié – et ce pari est gagnant, pour l'instant – sur la diffusion de l'application COMEDEC, dont je précise qu'elle est sous maîtrise d'ouvrage du ministère de la justice et qu'elle est développée et maintenue par l'agence nationale des titres sécurisés. Pourquoi ce pari est-il gagnant ? Dans le cadre de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, le dispositif a été rendu obligatoire dans toutes les communes qui disposent ou ont disposé d'une maternité. Ainsi, il couvre actuellement 89 % des demandes de titres concernés, ce qui correspond à 1 238 communes. Certes, les 11 % restants sont, s'agissant par exemple de la délivrance des CNI et des passeports, un élément de risque. Mais plus ce taux se réduit, plus nous ciblons notre travail sur les actes d'état civil provenant de ces communes. En ce qui concerne le dispositif d'état civil français, COMEDEC est considérée comme un outil permettant d'assurer une sécurisation optimale. Autre signe de la fiabilité de ce dispositif : les notaires l'utilisent de plus en plus pour certifier l'état civil dans le cadre de la rédaction d'un certain nombre d'actes.
Par comparaison avec les autres États d'Europe, la France dispose certainement, en la matière, du système le plus déconcentré. Mais lorsqu'on analyse finement les différents dispositifs existant en Europe, on s'aperçoit qu'il n'y a pas de modèle unique, loin de là, et qu'il existe une gradation très forte entre des États comme la France, très déconcentrés, et des États qui vont jusqu'à constituer une base de population nationale qui porte l'état civil, lequel peut d'ailleurs faire l'objet de déclarations ailleurs que dans une mairie. Le modèle français est ce qu'il est ; mais, en l'état, la fiabilité de COMEDEC nous permet de travailler dans de bonnes conditions.
Pouvez-vous me donner votre avis sur la transformation de la DNLF en MICAF ? Nous avons appris cette transformation récemment et nous cherchons à apprécier l'objectif poursuivi.
Cette transformation a surtout pour objet de resserrer les travaux de la nouvelle mission sur un certain nombre d'objectifs. Le décret fait référence à des groupes de travail interministériels, parmi lesquels celui sur la fraude à l'identité dans la protection sociale. La DNLF, qui a peut-être eu tendance à se disperser ou qui a, en tout cas, insuffisamment ciblé ses actions, a elle-même souhaité procéder différemment. Les cibles sont donc désormais définies régulièrement par « bleu » interministériel – le groupe que je viens de citer fait partie d'un ensemble ainsi défini au début de l'année 2020. Les groupes de travail seront suivis de très près par le comité interministériel anti-fraude. L'objectif est de raisonner en termes de politiques publiques, de se concentrer sur des cibles précises pendant un temps donné et de procéder à une évaluation en fin de mission.
Je reviens sur les statistiques de la fraude à l'identité. Ce qui intéresse notamment notre commission d'enquête, c'est le lien qui peut exister entre la fraude aux prestations ou cotisations sociales et des organisations criminelles – ou, en tout cas, la commission d'une multiplicité d'infractions –, y compris terroristes puisqu'un lien, certes ténu, existe entre fraude sociale et financement du terrorisme. Les statistiques dont vous disposez et votre connaissance de la fraude documentaire vous permettent-elles de savoir dans quelle mesure celle-ci est organisée par des groupes et, le cas échéant, de connaître ses liens avec d'autres formes de criminalité ?
Des éléments assez précis nous sont fournis par la direction centrale de la police aux frontières sur les filières de délinquance organisée, mais nous ne disposons pas d'informations aussi détaillées. Il s'agit d'une question dont nous nous efforçons d'améliorer le traitement. Nous devons en effet parvenir à une comptabilisation fine des infractions liées à la fraude à l'identité et à mettre en relation ladite fraude avec d'autres données, notamment pour identifier des filières ou l'obtention d'avantages indus en matière de prestations sociales.
J'ai évoqué, au titre du bilan 2018, le nombre de 5 000 fraudes à l'obtention des titres de séjour, soit un quintuplement en une dizaine d'années, qui témoigne notamment de l'amélioration du processus de détection. Il convient de noter que la moitié de ces 5 000 cas ont fait l'objet de signalements par les préfectures au titre de l'article 40 du code de procédure pénale. Bien entendu, cela ne préjuge pas de l'existence d'une organisation criminelle, car il peut s'agir de comportements strictement individuels, mais il est très important de souligner qu'au niveau local, on s'approprie les moyens mis à disposition et qu'on s'inscrit véritablement dans une logique d'action. Sur les suites judiciaires, je n'ai pas de commentaires à faire et je ne dispose pas des chiffres, mais il me paraît important d'insister sur l'articulation entre, d'une part, la détection et, d'autre part, la logique de sanction, dans le cadre d'enquêtes.
On a vu que la fraude à l'identité est souvent une fraude primaire qui en permet d'autres, notamment dans le domaine des prestations sociales. L'articulation de vos services avec les organismes sociaux est-elle suffisante et fonctionne-t-elle correctement ? Par ailleurs, les sanctions vous paraissent-elles suffisamment dissuasives ?
De façon globale, les relations entre les organismes de protection sociale et les services du ministère de l'intérieur, opérationnels ou administratifs, méritent clairement d'être approfondies – hormis peut-être dans le domaine spécifique du droit des étrangers, auquel s'applique une disposition particulière de la loi de 2016.
Jusqu'à présent, en effet, la prise en compte de la notion de fraude à l'identité n'était pas prégnante dans les organismes de protection sociale, non pas par ignorance mais peut-être parce que le lien n'avait jamais été fait. Il y a eu une prise de conscience, qui a débouché, par exemple, sur une rencontre entre les représentants de ces organismes et la police aux frontières, notamment l'office central de répression de l'immigration et de l'emploi d'étrangers sans titre (OCRIEST), qui est chargé de la répression des filières et organisations délinquantes.
Nous avons besoin d'agir, premièrement, sur l'échange d'informations, deuxièmement, sur les techniques, la connaissance et la détection de la fraude à l'identité et, troisièmement, sur l'amélioration de l'efficacité de la sanction. Avant même qu'il y ait une sanction, nous produisons des signalements en faisant en sorte qu'ils soient efficaces. D'où l'intérêt, et ce sera très certainement l'un des volets du protocole, d'une amélioration de l'échange d'informations non seulement au plan administratif mais aussi avec les offices centraux de police judiciaire ou les services de police et de gendarmerie. Les organismes de protection sociale pourraient ainsi être destinataires de fiches « alerte » sur les modes opératoires de fraude par exemple, et les offices centraux ou les officiers de police judiciaire pourraient recevoir le signalement de certains types d'infraction qui leur permettrait ensuite d'agir.
S'agissant des titres de séjour mais aussi des CNI et des passeports, un nouveau dispositif est en cours d'installation dans les préfectures sur instruction conjointe des directeurs de la DMAT et de la DCPAF. Il a pour objectif de rapprocher les services de police des préfectures pour l'échange de renseignements sur les cas de fraudes avérés et d'instituer des protocoles tripartites regroupant le préfet, le procureur de la République et la force de sécurité intérieure concernée, afin de permettre des saisines directes avec l'accord du procureur de la République. Ce système, qui a été expérimenté par la police aux frontières dans un certain nombre de départements, a montré son efficacité. Cela peut faire partie des outils que nous proposerons aux organismes de protection sociale au plan local.
L'ensemble de ces échanges sont-ils diffusés et utiles aux réseaux locaux des organismes de protection sociale ? Ce n'est certainement pas encore le cas, car nous ne sommes qu'au début du processus qui doit aboutir au fameux protocole que j'ai évoqué. En tout cas, la dynamique est lancée, elle est interministérielle et fera l'objet d'une évaluation dans le cadre des instances gouvernementales concernées.
S'agissant des titres de séjour, parmi les enjeux figurent en priorité l'amélioration et l'approfondissement de la consultation croisée des fichiers avec l'ensemble des organismes de sécurité sociale. En instaurant un droit de communication, la loi du 7 mars 2016 a permis aux services « étrangers » des préfectures de consulter un certain nombre d'organismes, dont ceux de sécurité sociale, afin de recueillir des informations, sur la composition des foyers ou les adresses, et de sécuriser ainsi la délivrance des titres. Mais nous avons également permis aux organismes de sécurité sociale d'accéder aux applications AGDREF et Visabio.
La première leur permet d'avoir accès de façon automatique à des informations sur l'état civil, le numéro AGDREF ou le titre de séjour d'une personne, de sorte qu'ils peuvent s'assurer que le requérant est bien en situation régulière et peut donc se voir accorder certaines aides. Le lien avec AGDREF est établi depuis 2012, mais nous souhaitons aller plus loin. Je citerai l'exemple des étrangers qui sont en situation régulière mais dont la demande de maintien sur le territoire a fait l'objet d'un rejet définitif. Nous sommes en train d'étudier la manière dont les organismes de sécurité sociale pourraient avoir accès à cette information, qui peut avoir pour effet de stopper l'éligibilité à d'éventuelles aides.
Quant à l'application Visabio, elle est utilisée par les consulats – je rappelle, à ce propos, que les interactions entre consulats et préfectures, entre Visabio et AGDREF, sont une priorité pour nous. L'enjeu de l'accès des organismes de sécurité sociale à cette application concerne essentiellement l'aide médicale d'État ; ce point a été bien pris en compte dans un décret publié au Journal officiel du 13 juin. Le ministère des solidarités et de la santé et celui de l'intérieur vont prochainement signer une convention qui facilitera les conditions de consultation de l'application par les caisses primaires d'assurance maladie afin de sécuriser les conditions de délivrance de l'aide médicale d'État.
La semaine dernière, le SANDIA nous a indiqué que, pour le moment, il n'a accès qu'à une partie seulement des fonctionnalités d'AGDREF.
Je vérifierai s'il y a des éléments qui ne nous ont pas été signalés. Les conditions d'accès ont été facilitées : le numéro AGDREF permet de s'assurer de la régularité du séjour du requérant. Il est exact que toutes les fonctionnalités ne sont pas accessibles ; je pense au cas où toutes les voies de recours ont été épuisées. C'est la seule difficulté dont j'ai connaissance et nous allons y remédier.
En fait, nous avons assisté à une requête effectuée par le SANDIA dans la base AGDREF, et il est vrai que n'apparaissent sur l'écran que les informations suivantes : nom, prénom, date de naissance et détention d'un titre de séjour. Aucun autre élément – situation familiale, état civil, conditions d'entrée et de séjour sur le territoire… – n'est accessible au SANDIA, ce qui est une limite. Je crois d'ailleurs me souvenir que les organismes de sécurité sociale nous ont fait la même remarque. Quant aux organismes d'assurances, notamment les mutuelles, ils n'ont pas accès à cette base de données, au motif que ce ne sont pas des organismes publics. Or on sait que la fraude documentaire et la fraude à l'identité sont également à l'origine d'importantes fraudes à l'assurance.
Un bilan des consultations est établi deux fois par an dans le cadre du comité d'orientation et de suivi de l'identification (COSI), qui est géré par la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV). Nous avons pour objectif d'apporter systématiquement une réponse aux questions soulevées. Je vérifierai les points que vous m'avez signalés ; je n'avais pas connaissance de cette difficulté en tant qu'élément nécessitant un traitement urgent. Le COSI, j'y insiste, nous permet de disposer deux fois par an d'un retour d'expérience et, le cas échéant, d'apporter des corrections.
La question de l'interopérabilité des outils, dans le respect de la législation en vigueur, est importante. C'est pourquoi nous essayons d'identifier les dispositions législatives susceptibles de créer des blocages.
Nous avons auditionné, il y a deux semaines, des représentants des assurances et de l'Agence de lutte contre la fraude aux assurances (ALFA), chargée par plusieurs sociétés de lutter contre ce type de fraude. Ces interlocuteurs ont souligné qu'il existe assez régulièrement des liens entre la fraude aux prestations sociales et des fraudes à l'assurance – on le voit avec les caisses complémentaires, voire les mutuelles. Par ailleurs, il peut y avoir des fraudes à l'invalidité, qui est prise en compte dans certains contrats d'assurance. En outre, l'action de réseaux de fraudeurs, qui cherchent à capter des indemnités auprès des assureurs, a été décelée. Les méthodes sont récurrentes ; des packs prêts à l'usage sont même utilisés dans certains cas. Ces organismes sont également intéressés par le partage d'informations pour lutter efficacement contre ces pratiques.
Messieurs, merci pour les réponses que vous nous avez apportées et pour votre expertise, qui nous est extrêmement précieuse.
L'audition s'achève à onze heures.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales
Réunion du mercredi 22 juillet 2020 à 9 heures 30
Présents. - M. Pascal Brindeau, M. Patrick Hetzel, M. Michel Lauzzana
Excusés. - Mme Josette Manin, M. Thomas Mesnier