Les fraudes, qui portent sur de très faibles volumes, sont de trois types. Elles nous remontent par la caisse d'assurance maladie. Je citerai en premier lieu les anomalies de facturation relatives à des médicaments assimilés stupéfiants et substituts d'opiacés. En de tels cas, la section des assurances sociales du conseil national de l'Ordre prononce, après enquête, des peines qui peuvent aller de l'avertissement à l'interdiction de servir des prestations aux assurés sociaux ; au cours des cinq dernières années, une peine de dix ans d'interdiction de service des prestations a notamment été prononcée. Le deuxième type de plainte concerne des anomalies de facturation et de délivrance de médicaments relatives à des molécules vendues sur prescription médicale obligatoire et qui, si elles sont délivrées à des doses inappropriées, peuvent entraîner un mésusage. Les interdictions d'exercer prononcées en ces cas, un peu plus légères, s'étagent de trois à cinq mois. Le troisième type de fraude consiste en des surfacturations, que la prescription médicale électronique permettrait d'éviter. En 2019, une surfacturation évaluée à 105 000 euros a donné lieu à l'interdiction d'exercer la pharmacie pendant cinq ans ; dans une autre affaire, portant sur 670 000 euros, a été prononcée une interdiction d'exercer pendant quatre ans.
Le nombre de saisines de la section des assurances sociales par la CNAM baisse car la Caisse, qui vise la récupération plus rapide des sommes indues, éventuellement assortie de pénalités financières, privilégie d'autres voies. Il est vrai que la procédure disciplinaire ordinale prend entre un an et dix-huit mois ; quand elle est suivie d'appel, elle trouve son terme en trois ans sinon quatre. Nous ne sommes pas informés des accords conclus entre la CNAM et les pharmaciens dans ce cadre. Nous n'avons pas de pouvoirs d'instruction ou de police : dans les plaintes pour fraude, nous sommes uniquement des juges. Comme nous n'avons pas d'indications sur les accords conclus, nous ne pouvons vous en dire plus.
Un pharmacien peut être poursuivi devant trois juridictions : la section des assurances sociales, la chambre de discipline pour les manquements à la déontologie, la juridiction pénale. Les peines vont du blâme à l'interdiction définitive d'exercer et ne sont pas cumulatives. La section des assurances sociales peut publier une décision d'interdiction d'exercer, mais nous regrettons que cette publicité soit limitée aux locaux de la CPAM. On pourrait envisager une publication dans la presse locale ou encore l'affichage de la peine prononcée sur la vitrine de la pharmacie concernée.
L'extrême faiblesse du nombre des saisines des sections des assurances sociales est préoccupante. Au cours des douze années pendant lesquelles j'ai siégé au conseil régional de l'Ordre de Bourgogne-Franche-Comté, j'ai présidé une de ces sections ; j'ai eu à connaître d'une seule saisine… Nous avons engagé une réflexion visant à modifier le dispositif pour en venir à une section des assurances sociales nationale unique.
En 2019, au niveau régional, nous avons reçu dix plaintes du directeur de la CPAM relatives à des fraudes ; elles sont en cours de traitement. Même si, chaque année, nous rencontrons nos interlocuteurs de la CNAM pour traiter de cette question, le conseil national de l'Ordre des pharmaciens n'est pas associé à la définition de la politique de lutte contre la fraude menée par la Caisse. Le conseil national mène une action de prévention par des articles de sensibilisation dans les publications ordinales. Nous serions très favorables au développement de cet axe de travail avec la CNAM.
Le conventionnement étant négocié entre la CNAM et les syndicats des pharmaciens, le conseil national de l'Ordre n'est pas informé des déconventionnements éventuels et ne reçoit aucune explication à ce sujet.
La généralisation du tiers-payant est évidemment un facteur de fraude puisque le patient, ne payant plus rien, ne surveille plus la dépense. Je souligne cependant que le pharmacien, lorsqu'il fait une demande de remboursement à la caisse d'assurance maladie, envoie pour pièce justificative le scan de l'ordonnance du médecin. La CNAM est donc parfaitement capable de contrôler la réalité des prescriptions facturées ; c'est d'ailleurs ainsi que les surfacturations sont avérées et les pharmaciens coupables convaincus de fraude. La dématérialisation des prescriptions serait un progrès majeur. La pandémie a montré que c'est possible : des médecins, de plus en plus nombreux, ont travaillé par téléconsultation et nous ont envoyé des prescriptions par voie électronique, en l'espèce non sécurisées. Je sais qu'un projet de relance de dématérialisation des prescriptions a vu le jour. Un des rares effets bénéfiques de la crise due au Covid-19 sera donc peut-être de nous permettre d'avancer dans la mise en œuvre d'un système qui est en vigueur depuis longtemps en Espagne et ailleurs.