Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Réunion du mercredi 22 juillet 2020 à 11h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE RELATIVE A LA LUTTE CONTRE LES FRAUDES AUX PRESTATIONS SOCIALES

Mercredi 22 juillet 2020

La séance commence à onze heures.

Présidence de M. Patrick Hetzel, président

La commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales procède à la table ronde, ouverte à la presse, réunissant les ordres des professionnels de santé : le conseil national de l'Ordre des médecins (Dr François Simon, président de la section exercice professionnel et M. Francisco Jornet, directeur des services juridiques), le conseil national de l'Ordre des infirmiers (M. Patrick Chamboredon, président), le conseil national de l'Ordre des masseurs- kinésithérapeutes (M. Jean-François Dumas, secrétaire général), et le conseil national de l'Ordre des pharmaciens (M. Alain Delgutte, membre du conseil national, représentant la section A pharmaciens titulaires d'officine et chargé de mission exercice professionnel, et M. Louis Potez, directeur adjoint des affaires juridiques).

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Les secteurs que vous représentez, messieurs, connaissent d'importantes fraudes aux prestations sociales. Elles sont le fait de professionnels de santé, d'établissements de santé, de patients ou de faux patients, voire de bandes organisées usurpant des identités multiples pour capter les ressources qui financent ces prestations. Savoir comment vous appréhendez ce phénomène aidera la commission d'enquête à formuler des recommandations d'améliorations législatives ou réglementaires et des suggestions d'organisation.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qui imposent aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, je vous invite à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(MM. François Simon, Francisco Jornet, Patrick Chamboredon, Jean-François Dumas, Alain Delgutte et Louis Potez prêtent serment).

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François Simon, président de la section « Exercice professionnel » du conseil national de l'Ordre des médecins

Pour l'Ordre des médecins comme pour les autres ordres, la fraude aux prestations sociales est une faute déontologique, une atteinte au principe de probité indispensable à l'exercice de la médecine comme l'énoncent l'article L. 4121-2 du code de santé publique et l'article 3 de notre code de déontologie.

Le conseil national de l'Ordre a assez peu d'informations relatives à la fraude aux prestations sociales. Il les apprend par quelques signalements ponctuels de patients et surtout par la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM). Vous avez d'ailleurs reçu à ce sujet M. Nicolas Revel, qui en était alors le directeur, et Mme Catherine Bismuth, directrice de l'audit, du contrôle contentieux et de la lutte contre la fraude.

Nous avons donc connaissance de ces fraudes dans un second temps, fréquemment par l'assurance maladie et par les sollicitations de nos conseils départementaux, relais des chambres disciplinaires, et de notre section des assurances sociales. Cette section siège à l'Ordre ; présidée par un juge administratif – un conseiller d'État quand elle siège en chambre d'appel –, elle comprend deux médecins-conseils de l'assurance maladie et deux conseillers ordinaux. Comme le montre le document que je vous remettrai et qui retrace l'activité de la section des affaires sociales entre 2017 et 2019, ces sollicitations sont peu nombreuses. C'est que, comme M. Revel vous l'a indiqué, les dossiers de fraude sont pour beaucoup réglées en amont par le contrôle médical, qui peut décider de pénalités financières et de la récupération des sommes indûment perçues dans une négociation à l'amiable. Le directeur de l'assurance maladie a dû vous remettre son rapport annuel sur les fraudes pour l'ensemble des professions considérées.

Les fraudes consistent souvent en une interprétation de la nomenclature plutôt avantageuse pour le fraudeur, en des cumuls d'actes, voire en des actes fictifs. C'est souvent d'actes fictifs que traite la section des assurances sociales. Les documents que je vous ai apportés montrent l'évolution constatée au niveau national, mais nous n'en avons qu'une faible idée parce que nous ne pouvons la quantifier. Souvent, la fraude reprochée à une personne participe d'autres griefs qui lui sont faits et il est difficile de l'extraire de l'ensemble, en tout cas au stade des chambres disciplinaires de première instance.

L'Ordre des médecins ne reçoit aucune information sur le sujet des fraudes aux cotisations, ni de l'URSSAF ni de la caisse autonome de retraite des médecins de France ; je vois d'ailleurs mal de quoi il pourrait s'agir.

Nos liens avec la CNAM se font aux niveaux départemental et national. Nous rencontrons Mme Bismuth trois ou quatre fois par an et nous abordons ces problèmes avec elle et son équipe. Nous rencontrons avec la même fréquence le professeur Olivier Lyon-Caen, médecin-conseil national, avec lequel nous nous attachons à améliorer et à aplanir ce qui doit l'être, puisque les médecins de contrôle ont un rôle de conseil à l'égard des médecins praticiens.

Les pratiques en matière de remplacement nous paraissent parfaitement sécurisées : une déclaration de remplacement doit être faite à l'Ordre, et un contrat est rédigé où doivent figurer le numéro identifiant le remplaçant dans le répertoire partagé des professions de la santé (RPPS) et son numéro d'URSSAF.

Supprimer la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) pour les praticiens fraudeurs permettrait-il de réduire la fraude, nous avez-vous demandé. Ce n'est pas notre point de vue, puisque la ROSP indemnise de bonnes pratiques.

La dématérialisation des ordonnances, qui aurait un effet massif sur la fraude, nous tient à cœur, comme aux pharmaciens. Nous y avons travaillé avec eux en 2011 déjà et je vous ai apporté la note d'orientation rédigée à ce sujet en janvier 2012. Sur la téléprescription, nous avons réalisé un travail commun avec l'ASIP-Santé, après nous être rendus à Séville et Barcelone observer ce qui se pratiquait – très bien ! – à l'époque déjà. Les choses n'ont guère avancé depuis lors. Actuellement, c'est l'assurance maladie qui gère le dossier et nous espérons que ce système se mettra en place rapidement car pour lutter contre la fraude, l'ordonnance doit être sécurisée.

Nous avons eu à connaître d'au moins une fraude en réseau associant plusieurs professionnels de santé mais de tels cas sont inhabituels. Je n'ai pas d'idée précise sur la géographie des fraudes.

Vous nous demandez enfin si certains praticiens envisagent la fraude comme une compensation au gel des tarifs ; on peut le penser, mais je n'ai pas d'avis étayé à vous soumettre à ce sujet.

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Patrick Chamboredon, président du conseil national de l'Ordre des infirmiers

La fraude est aussi une faute déontologique pour les infirmiers, par atteinte au principe de probité, mais notre profession connaît des problèmes spécifiques. Le premier est que, depuis des années, l'Ordre des infirmiers ne parvient pas à obtenir la nomination de magistrats. L'année dernière encore, six postes étaient vacants sur un effectif théorique de douze, et il en manque encore un ; il en va de même pour les assesseurs, notamment ceux que devrait nommer la MSA. Une autre difficulté tient à ce que tous les infirmiers ne sont pas inscrits au tableau de l'Ordre. C'est le cas, selon les derniers chiffres de la CNAM, d'un peu plus de 10 000 infirmiers délivrant des soins en libéral, soit un peu moins de 10 % des 120 000 infirmiers exerçant sous ce régime, alors même que, conventionnellement, on est tenu d'être inscrit à l'Ordre pour pouvoir exercer. On ignore donc de quel diplôme ces gens sont titulaires, et ils perçoivent de l'argent public sans répondre aux exigences de l'exercice de la profession d'infirmier en France. La loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, dite OTSS, en permettant l'exercice mixte, salarié et libéral, amplifiera le problème, la moitié seulement des quelque 700 000 infirmiers hospitaliers étant inscrits au tableau de l'Ordre. Enfin, la question, pendante, de l'entrée des infirmiers inscrits à l'Ordre dans le RPPS devrait être résolue au premier semestre 2021 et c'est heureux.

Pour des raisons que j'ignore, les suspicions de fraude sont pour l'essentiel traitées au pénal, sans que la section des assurances sociales soit saisie, si bien que nous avons le plus grand mal à apprécier quels infirmiers ont une pratique dysfonctionnelle. D'autre part, ceux des infirmiers qui passent devant la section des assurances sociales font valoir en défense que les enquêtes conduisent à demander à des patients si l'infirmier est vraiment passé assurer des soins d'hygiène et s'il a vraiment fait certains actes deux ou trois ans auparavant, observant que la circonspection s'impose quand on fait appel à la mémoire d'une patientèle assez âgée. Sur la forme, disent-ils aussi, la CPAM est à la fois juge et partie, puisqu'elle verse les cotisations mais qu'elle est aussi à la manœuvre en tant qu'assesseur. M. Revel a d'ailleurs rédigé une directive rappelant les règles de bonnes pratiques.

En résumé, les problèmes structurels que nous connaissons, liés à l'histoire de l'Ordre, nous empêchent de dresser l'état des lieux géographique de la fraude, faute de magistrats et d'assesseurs en nombre suffisant.

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Jean-François Dumas, secrétaire général du conseil national de l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes

La pratique de la kinésithérapie a pour spécificité la très faible rémunération des actes les plus fréquemment pratiqués dans un cabinet – elle est de 16,13 euros. Considérant que le taux de charges est de 50 %, les revenus dégagés sont des plus limités. Cela nous incite à penser que l'augmentation des fraudes malheureusement constatée est pour partie liée à l'extrême faiblesse de cette rémunération. Nous constatons également le très petit nombre de saisines de nos sections des assurances sociales. Les documents que nous vous transmettrons montrent qu'en 2019 les sections des assurances sociales placées auprès des chambres disciplinaires de première instance ont été saisies quatorze fois et qu'il y a eu cinq appels au niveau national. Outre que la sous-utilisation de ces sections est manifeste, la coordination est mauvaise entre l'Ordre, qui reçoit des signalements assez fréquents, et les caisses primaires d'assurance maladie. J'ajoute que de nombreux signalements sont anonymes ou que leurs auteurs, ne voulant pas dénoncer le kinésithérapeute concerné, n'en donnent pas le nom ; il nous est donc très difficile d'engager des actions.

La pratique de la kinésithérapie peut se décrire en trois niveaux. Le niveau le plus fréquent est une pratique rigoureusement licite et régulière, respectant tous les textes. À un autre niveau, certains textes, notamment la nomenclature, ne sont pas respectés, mais il y a une absolue tolérance de toutes les caisses primaires d'assurance maladie à ce sujet, un accord tacite en vertu duquel, au regard de la très grande faiblesse de rémunération des actes, l'assurance maladie accepte que la profession se soit engagée depuis plus de quinze ans dans une course infernale à l'augmentation du volume d'actes.

Cependant, les journées continuant de n'avoir que 24 heures, les professionnels les moins probes peuvent être incités à outrepasser toute limite et à s'engager dans les fraudes les plus fréquentes que sont les actes fictifs, pratique qui nous est malheureusement de plus en plus souvent signalée. Les actes fictifs sont essentiellement pratiqués dans des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EPHAD), où les personnes prises en charge sont moins aptes à contrôler la réalité des actes réalisés et remboursés par l'Assurance maladie. Les actes fictifs s'observent aussi dans de prétendues prises en charge d'accidentés du travail et de bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU) : que ces catégories de patients ne payent aucun acte favorise la fraude, le professionnel étant seul responsable de l'envoi d'une feuille de soins pour remboursement.

Nous dénonçons aussi une pratique de plus en plus fréquente, celle des professionnels « fantômes ». Entre 76 000 et 78 000 kinésithérapeutes libéraux exercent en France, auxquels s'ajoutent quelque 4 000 remplaçants. Comme le statut de remplaçant n'existe pas pour l'assurance maladie, ils peuvent passer à travers les mailles du filet. Pour augmenter le volume d'activité de leur cabinet, certains kinésithérapeutes font appel à des remplaçants qui exercent avec la carte de professionnel de santé du titulaire. Pour l'assurance maladie, ces remplaçants n'apparaissent pas, et comme aucun contrat n'est envoyé à l'Ordre, nous ne les connaissons pas davantage. Ainsi le volume d'activité d'un cabinet augmente-t-il grâce à une deuxième personne exerçant de manière irrégulière puisqu'elle devrait avoir un contrat et alors que l'on ne peut théoriquement remplacer une personne présente dans le cabinet.

Un autre type de fraude gagne en fréquence depuis deux ou trois ans : la présence dans des cabinets de non-professionnels, des étudiants qui suivent en général des études dans des universités étrangères, notamment espagnoles, roumaines et polonaises. Venus officiellement dans le cadre d'un stage de formation initiale, ils sont en réalité recrutés comme assistants, ce qui est une autre manière de faire grossir le chiffre d'affaires. Sauf si des signalements nous sont faits, nous n'avons aucun moyen d'appréhender ces agissements, et parce qu'ils sont souvent anonymes ils nous est très difficile de lutter contre ces pratiques.

Enfin, depuis un peu plus d'un an, des professionnels de santé souvent ressortissants de pays non européens, bien que n'ayant pas reçu du préfet de région l'autorisation d'exercer, sont embauchés dans des cabinets de kinésithérapie comme autant d'autres fantômes. Ils n'apparaissent nulle part mais permettent eux aussi de faire grossir le chiffre d'affaires du cabinet considéré.

Ces fraudes nous inquiètent. Á la suite d'une tolérance initiale, elles s'aggravent et le manque de coordination entre les CPAM et l'Ordre entrave la lutte. De plus, nous avons le sentiment qu'il n'existe pas de doctrine nationale harmonisée : pour un même type de fraude, certaines CPAM n'engagent pas d'enquêtes, ni donc d'actions contentieuses éventuelles, alors que d'autres le font. Les interventions des CPAM nous semblent principalement fondées sur l'analyse de la moyenne départementale du chiffre d'affaires des kinésithérapeutes, les dix ou quinze professionnels dont le chiffre d'affaires dépasse un certain plateau étant systématiquement contrôlés. Ce procédé n'est pas très efficient.

La CPAM a pourtant deux voies d'action : la saisine de la section des assurances sociales, fort peu utilisée, je l'ai dit, mais aussi la saisine des commissions professionnelles départementales, qui pourraient déconventionner les fraudeurs. Or, je n'ai jamais entendu parler d'aucun déconventionnement dans mon département – non plus que le président d'un des deux syndicats représentatifs, pourtant fort d'une longue expérience dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur où exercent plus de 10 000 kinésithérapeutes.

Cela donne à penser que puisque l'on ne peut rémunérer les kinésithérapeutes à due hauteur, on tolère un volume d'activité important qui permet aussi de répondre à une demande de soins. Nous agissons sur prescription : il est nécessaire de dispenser des soins aux patients mais le financement permettant de les prendre en charge correctement n'est pas là. La comparaison de la rémunération des kinésithérapeutes libéraux en France avec ce qu'elle est dans les autres pays de l'Union européenne, comme celle du nombre de kinésithérapeutes, est éclairante. La France est dans la moyenne européenne, qui est de quatorze kinésithérapeutes pour 10 000 habitants, quand les pays du Benelux ou les pays nordiques, qui ont fait le choix de la rééducation et de la réadaptation, en comptent vingt-cinq. C'est un choix sociétal : on a le sentiment que l'assurance maladie se contente d'une spirale infernale conduisant à augmenter le nombre d'actes alors qu'une politique bien plus efficiente consisterait à mieux rémunérer des kinésithérapeutes beaucoup plus nombreux, qui seraient alors en mesure de dispenser des soins de meilleure qualité qu'actuellement.

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Vous entendre dire que les CPAM n'ont pas toutes la même doctrine contredit ce que nous a dit Mme Bismuth, chargée, à la CNAM, de la lutte contre la fraude à l'échelon national. Le rapport annuel de la CNAM mentionne la typologie des fraudes dont vous avez fait état. Elles concernent une petite portion de professionnels dans chacune des professions de santé, et ces dérives ne donnent pour le moment lieu, hélas, qu'à d'assez peu nombreux déconventionnements. Tout texte de loi doit comporter une dimension dissuasive, et vos propos tendent à montrer que ce volet est absent. Apprendre, de plus, que vous éprouvez pour certains des difficultés à obtenir la nomination de juges montre que des améliorations sont possibles dans l'organisation des services de l'État puisque, sans magistrats, les commissions ad hoc ne peuvent pas siéger.

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Alain Delgutte, membre du conseil national de l'Ordre des pharmaciens représentant la section A pharmaciens titulaires d'officine et chargé de mission exercice professionnel

Les fraudes, qui portent sur de très faibles volumes, sont de trois types. Elles nous remontent par la caisse d'assurance maladie. Je citerai en premier lieu les anomalies de facturation relatives à des médicaments assimilés stupéfiants et substituts d'opiacés. En de tels cas, la section des assurances sociales du conseil national de l'Ordre prononce, après enquête, des peines qui peuvent aller de l'avertissement à l'interdiction de servir des prestations aux assurés sociaux ; au cours des cinq dernières années, une peine de dix ans d'interdiction de service des prestations a notamment été prononcée. Le deuxième type de plainte concerne des anomalies de facturation et de délivrance de médicaments relatives à des molécules vendues sur prescription médicale obligatoire et qui, si elles sont délivrées à des doses inappropriées, peuvent entraîner un mésusage. Les interdictions d'exercer prononcées en ces cas, un peu plus légères, s'étagent de trois à cinq mois. Le troisième type de fraude consiste en des surfacturations, que la prescription médicale électronique permettrait d'éviter. En 2019, une surfacturation évaluée à 105 000 euros a donné lieu à l'interdiction d'exercer la pharmacie pendant cinq ans ; dans une autre affaire, portant sur 670 000 euros, a été prononcée une interdiction d'exercer pendant quatre ans.

Le nombre de saisines de la section des assurances sociales par la CNAM baisse car la Caisse, qui vise la récupération plus rapide des sommes indues, éventuellement assortie de pénalités financières, privilégie d'autres voies. Il est vrai que la procédure disciplinaire ordinale prend entre un an et dix-huit mois ; quand elle est suivie d'appel, elle trouve son terme en trois ans sinon quatre. Nous ne sommes pas informés des accords conclus entre la CNAM et les pharmaciens dans ce cadre. Nous n'avons pas de pouvoirs d'instruction ou de police : dans les plaintes pour fraude, nous sommes uniquement des juges. Comme nous n'avons pas d'indications sur les accords conclus, nous ne pouvons vous en dire plus.

Un pharmacien peut être poursuivi devant trois juridictions : la section des assurances sociales, la chambre de discipline pour les manquements à la déontologie, la juridiction pénale. Les peines vont du blâme à l'interdiction définitive d'exercer et ne sont pas cumulatives. La section des assurances sociales peut publier une décision d'interdiction d'exercer, mais nous regrettons que cette publicité soit limitée aux locaux de la CPAM. On pourrait envisager une publication dans la presse locale ou encore l'affichage de la peine prononcée sur la vitrine de la pharmacie concernée.

L'extrême faiblesse du nombre des saisines des sections des assurances sociales est préoccupante. Au cours des douze années pendant lesquelles j'ai siégé au conseil régional de l'Ordre de Bourgogne-Franche-Comté, j'ai présidé une de ces sections ; j'ai eu à connaître d'une seule saisine… Nous avons engagé une réflexion visant à modifier le dispositif pour en venir à une section des assurances sociales nationale unique.

En 2019, au niveau régional, nous avons reçu dix plaintes du directeur de la CPAM relatives à des fraudes ; elles sont en cours de traitement. Même si, chaque année, nous rencontrons nos interlocuteurs de la CNAM pour traiter de cette question, le conseil national de l'Ordre des pharmaciens n'est pas associé à la définition de la politique de lutte contre la fraude menée par la Caisse. Le conseil national mène une action de prévention par des articles de sensibilisation dans les publications ordinales. Nous serions très favorables au développement de cet axe de travail avec la CNAM.

Le conventionnement étant négocié entre la CNAM et les syndicats des pharmaciens, le conseil national de l'Ordre n'est pas informé des déconventionnements éventuels et ne reçoit aucune explication à ce sujet.

La généralisation du tiers-payant est évidemment un facteur de fraude puisque le patient, ne payant plus rien, ne surveille plus la dépense. Je souligne cependant que le pharmacien, lorsqu'il fait une demande de remboursement à la caisse d'assurance maladie, envoie pour pièce justificative le scan de l'ordonnance du médecin. La CNAM est donc parfaitement capable de contrôler la réalité des prescriptions facturées ; c'est d'ailleurs ainsi que les surfacturations sont avérées et les pharmaciens coupables convaincus de fraude. La dématérialisation des prescriptions serait un progrès majeur. La pandémie a montré que c'est possible : des médecins, de plus en plus nombreux, ont travaillé par téléconsultation et nous ont envoyé des prescriptions par voie électronique, en l'espèce non sécurisées. Je sais qu'un projet de relance de dématérialisation des prescriptions a vu le jour. Un des rares effets bénéfiques de la crise due au Covid-19 sera donc peut-être de nous permettre d'avancer dans la mise en œuvre d'un système qui est en vigueur depuis longtemps en Espagne et ailleurs.

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Plusieurs pays étrangers appliquant avec succès la dématérialisation des prescriptions, le blocage n'est visiblement pas d'ordre technique ; à quoi, selon vous, tient le retard pris par la France ? Vous avez mentionné des anomalies de facturation relatives aux substituts d'opiacés, mais que savez-vous des trafics de médicaments onéreux, les anti-cancéreux notamment, que des organisations criminelles semblent organiser ? Au sujet des actes fictifs et des surfacturations d'actes par des kinésithérapeutes, M. Dumas interprète le laxisme de la CNAM comme la contrepartie d'une faible rémunération. J'aimerais en entendre davantage à ce sujet, car un système où la CNAM tolère, voire encourage, des fraudes pose un problème. J'ai aussi noté que vous jugez les ordres insuffisamment associés à la politique de lutte contre la fraude menée par la Caisse ; avez-vous des propositions concrètes à faire sur ce point ?

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Jean-François Dumas, secrétaire général du conseil national de l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes

Pour ce qui concerne les masseurs-kinésithérapeutes fraudeurs, contrefaçons de prescription et actes fictifs sont souvent associés, en tout cas dans les escroqueries les plus graves, portant sur plusieurs centaines de milliers d'euros. Soit les fraudeurs falsifient la prescription initiale, soit ils créent des faux en récupérant des prescriptions et en les modifiant pour en faire de prétendues prescriptions initiales, jamais rédigées par le prescripteur supposé.

J'illustrerai mon propos sur la tolérance de la CNAM par deux exemples. Le premier concerne les dépassements d'honoraires, que la nomenclature n'autorise pas, sauf en cas d'exigence particulière d'horaire ou de lieu : si un patient exige d'être pris en charge à 20 h 30, heure à laquelle son train le dépose à la gare, le kinésithérapeute contraint de l'attendre aussi tard peut pratiquer un dépassement, et il le peut aussi si un patient demande à être pris en charge à trente kilomètres du cabinet. Ce sont les deux seuls cas licites. Or, les dépassements se multiplient à Paris et dans de nombreuses grandes agglomérations. À raison de 16,13 euros l'acte en moyenne, l'activité libérale n'est pas viable économiquement là où les loyers sont très élevés. Soit les kinésithérapeutes ferment leur cabinet et s'installent en banlieue ou à la campagne, et alors se posera un problème d'offre de soins sur le territoire concerné, soit la Caisse accepte un dépassement systématique.

D'autre part, la nomenclature impose aux kinésithérapeutes libéraux de passer une demi-heure avec le patient. C'est si peu viable économiquement que les jeunes qui, démarrant une clientèle, ont forcément des patients uniques successifs, sont obligés de trouver une activité parallèle. Comme c'est un suicide économique pour un cabinet libéral de respecter cette exigence de la nomenclature, la CNAM est nécessairement tolérante, sinon on ne s'en sort pas… sauf à pratiquer des dépassements systématiques, autre tolérance irrégulière.

L'augmentation de la rémunération s'impose. Mais, étant donné le volume considérable d'actes de kinésithérapie pratiqués, laisser un petit nombre de professionnels frauder de manière magistrale coûte beaucoup moins cher à l'assurance maladie que d'augmenter la rémunération des 78 000 kinésithérapeutes libéraux qui exercent correctement. D'ailleurs, il faudrait faire davantage, et en rémunérer correctement 90 000 plutôt que 78 000.

Cette forme de tolérance arrange tout le monde, même les patients, qui font très peu de signalements. Même ceux qui sont pris en charge dans des cabinets dont l'activité est très excessive ne se plaignent pas. Pourtant, si les soins dispensés ne lui conviennent pas, tout patient peut interrompre les séances, récupérer son dossier médical et aller chez un concurrent. Or, les plaintes des patients sont très peu fréquentes, et la CNAM y est très sensible : si les patients sont heureux d'aller dans ce cabinet, il y a peut-être des raisons à cela.

Enfin, la CPAM a engagé, un jour, une action à l'encontre d'un kinésithérapeute d'un département du Nord accusé de fraude par actes fictifs ; il s'est suicidé avec son épouse. Ce drame exceptionnel a durablement marqué les esprits des agents de la Caisse. Cela n'excuse en rien les fraudes, que je ne justifie pas, mais tout fraudeur est un être humain qui s'est trouvé pris dans une spirale et pour qui l'interdiction d'exercer sera une mise à mort économique. C'est un argument supplémentaire en faveur de la prévention de la fraude.

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Alain Delgutte, membre du conseil national de l'Ordre des pharmaciens représentant la section A pharmaciens titulaires d'officine et chargé de mission exercice professionnel

Le trafic concerne différents médicaments. J'ai évoqué les opiacés, mais à une époque on notait un trafic d'hormones de croissance et de corticoïdes destiné à certains sportifs et culturistes ; la gendarmerie y a mis un terme et désormais ces gens s'approvisionnent surtout dans les pays étrangers. Actuellement, les pharmaciens d'officine constatent une vague de prescriptions de médicaments anticancéreux émanant d'hôpitaux parisiens. Cela conduit à penser que des ordonnances stockées en des lieux insuffisamment sécurisés sont volées.

Je ne dispose d'aucun chiffre relatif à ce type de trafic ; peut-être la CNAM en a-t-elle, et aussi l'office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique. Il se dit que les médicaments ainsi détournés partent ensuite à l'étranger, puisqu'en France ils sont dispensés sans que le malade doive les payer. Cela étant, la traçabilité existe puisque ces médicaments ne sont jamais payés directement mais toujours avec une carte Vitale. Tout repose donc sur la diligence des pharmaciens : quand leur est présentée une prescription de médicament anti-cancéreux émanant d'un hôpital, sans interlocuteur précisé, leur vigilance s'aiguise car des alertes aux fausses ordonnances circulent sur les réseaux sociaux, certaines CPAM refusent maintenant de rembourser ces prescriptions frauduleuses, et quand un médicament de plus de 800 euros délivré n'est pas remboursé, le coup est rude.

Les conseillers ordinaux régionaux sensibilisent leurs confrères à ces trafics de médicaments, de même que l'inspection de la pharmacie des agences régionales de santé, qui joue un rôle prépondérant en cette matière. La CNAM a mis au point une procédure assez lourde : un courrier recommandé avec accusé de réception adressé à chaque pharmacien pour signaler que si M. Untel, dont le numéro de sécurité sociale est indiqué, présente une prescription pour tel médicament, le médecin doit être contacté avant la délivrance du produit qui, éventuellement, ne sera pas remboursé.

On pourrait imaginer qu'un blocage s'active lors de l'usage de la carte Vitale, qui renseigne déjà sur l'ouverture des droits des assurés : la consultation de la base de données de la CNAM provoquerait une alerte invitant, dans le respect du règlement général sur la protection des données, à ne pas délivrer certains produits. Plus largement, la dématérialisation de la prescription réglerait radicalement ce type de fraude, comme d'autres. Peut-être le Dr Simon nous indiquera-t-il pourquoi les choses traînent.

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François Simon, président de la section « Exercice professionnel » du conseil national de l'Ordre des médecins

Je vous l'ai dit, tout nous semblait prêt en 2012 déjà mais cela ne s'est pas fait en raison d'un problème manifeste de pilotage ; peut-être l'harmonie n'était-elle pas parfaite entre l'ASIP-Santé, chargée du pilotage de ce projet à l'époque, et la CNAM. Aussi en est-on toujours au même point, alors que presque tous les problèmes abordés aujourd'hui tournent autour de la sécurisation de la prescription et que la note d'orientation de janvier 2012 avait été élaborée par CLIO, le comité de liaison des institutions ordinales.

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Nous ne manquerons pas d'alerter une nouvelle fois, dans notre rapport, sur la surprenante absence de progression de ce chantier depuis huit ans, en dépit du consensus au sein des Ordres et alors que nous devons nous inspirer des bonnes pratiques mises en œuvre à l'étranger.

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Patrick Chamboredon, président du conseil national de l'Ordre des infirmiers

Surfacturations et actes indus concernent aussi certains infirmiers. La nomenclature, pour ce qui concerne les infirmiers, est également dépassée. La question avait été abordée lors de l'élaboration de la loi OTSS, et le directeur de la DREES – direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques – avait poussé à un nouveau mode de facturation. La CNAM va faire un bilan d'étape. Le forfait de prise en charge pourrait éviter les surfacturations ou l'optimisation de la facturation. Mieux vaudrait prévenir que réprimer, mais les relations entre l'Ordre des infirmiers et la CNAM sont inexistantes, à tous les niveaux. Nous n'avons qu'une voix consultative en commissions paritaires départementales et régionales, de même qu'au niveau national ; en bref, nous n'avons pas voix au chapitre, ce qui entraîne des situations délicates. Ainsi, pour donner suite à l'adoption de la dernière loi santé, qui prévoyait le partage d'honoraires alors que ce n'était pas prévu initialement, nous avons été contraints de modifier notre code de déontologie ; bien que nous ayons transmis la demande de modification de ce code il y a dix-sept mois, il n'est toujours pas publié.

Commencer par établir des relations fluides avec la CNAM éviterait la situation actuelle, dans laquelle l'Ordre n'est pas informé des transactions intervenues entre la Caisse et les infirmiers convaincus de fraude. La CNAM a dépisté des professionnels coupables de fautes déontologiques et l'Ordre n'en est pas informé ; les bras m'en tombent ! Nous voulons bien faire tout ce que l'on nous demande, mais il faut nous en donner les moyens. De meilleures relations rendraient plus efficace la lutte contre la fraude, grâce à la prévention. En fixant un plafond de chiffre d'affaires annuel au-dessus duquel l'assurance maladie frappe, sans tenir compte de ce que le chiffre d'affaires litigieux est peut-être justifié par le fait que certains infirmiers travaillent la nuit et prennent en charge des populations particulières, la Caisse ramène la lutte contre la fraude à une politique du chiffre au lieu de privilégier la prévention et les signalements en amont.

Et que penser d'enquêtes menées auprès d'octogénaires – l'essentiel de la patientèle des infirmiers libéraux – deux ou trois ans après que les actes contestés ont eu lieu ? C'est une procédure inquisitoriale que de se rendre chez des personnes très âgées pour leur demander si tel infirmier est venu, s'il a bien fait tel acte, alors qu'il est bien souvent le seul lien social de ces gens, qui auront peur de se trouver complétement abandonnés.

D'autre part, la CNAM a indiqué qu'elle ne déconventionnerait pas les infirmiers libéraux qui ne sont pas inscrits au tableau de l'Ordre, car cela poserait un problème d'offre de soins. Il s'agit pourtant d'argent public, et l'on ne déconventionne pas des gens qui ne sont pas inscrits au tableau de l'Ordre ? Or la question assurantielle n'a pas été abordée : un assureur ne couvrira pas quelqu'un qui n'est pas inscrit à l'Ordre, si bien que l'on prive le patient d'un recours. J'estime, vous l'aurez compris, que les relations entre la CNAM et les Ordres devraient être très différentes de ce qu'elles sont.

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Jean-François Dumas, secrétaire général du conseil national de l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes

La semaine dernière encore, le conseil national de l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes a reçu un appel du président du conseil régional de l'Ordre d'une grande région, qui avait été contacté par l'autorité judiciaire dans le cadre d'une enquête pour fraude à l'assurance maladie. Étant donné le silence du conseil départemental considéré et le silence pesant de la CPAM, l'officier de police judiciaire s'est tourné vers le président du conseil régional qui, démuni, a lui-même pris l'attache du conseil national. Or, nous ne disposons d'aucun élément relatif à l'activité d'un professionnel. Pour en avoir, nous devons prendre langue avec l'assurance maladie mais si, pour des raisons que nous ignorons, elle ne veut pas nous communiquer ce dossier, nous ne pouvons le faire prospérer. Or, selon l'officier de police judiciaire, le kinésithérapeute en question réaliserait quelque 120 actes par jour ; il s'agit à l'évidence d'une activité frauduleuse, mais j'ignore ce que ce dossier pourra devenir.

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François Simon, président de la section « Exercice professionnel » du conseil national de l'Ordre des médecins

Ma position sur les rapports avec la CNAM est plus nuancée, en raison, peut-être, de l'ancienneté des relations entre l'Ordre des médecins et l'assurance maladie. M. Dumas juge floue la stratégie nationale de lutte contre la fraude. Pour notre part, nous avons le sentiment que Mme Bismuth expose une stratégie assez claire au niveau national. Elle a commencé d'être appliquée sur le plan local avec une certaine homogénéité, en tout cas dans le contrôle médical. Il importe que nous soyons informés des déconventionnements. En matière de récupération d'indus, la discussion porte sur l'interprétation de la nomenclature ; il ne s'agit pas d'actes fictifs. M. Revel vous a dit lui-même que l'assurance maladie est en discussion avec des établissements hospitaliers publics et privés sur la nomenclature qui, encore floue, est à parfaire. Des discussions ont donc lieu en amont et tout ne passe pas devant l'Ordre car ce n'est pas sa vocation. C'est aux syndicats professionnels qu'il revient de traiter du volet conventionnel, et les instances ordinales n'ont aucune intention de se mêler de ces questions. Notre rôle a été précisé, il est consultatif ; les missions ordinales ne sont pas celles des syndicats, et chacun doit rester dans son rôle, c'est la meilleure manière de fonctionner.

Enfin, le service du contrôle médical connaît quelques difficultés. Si l'on constate, en médecine aussi, la diminution des saisines de la section des assurances sociales, c'est qu'il s'agit de dossiers énormes qui mobilisent des médecins-conseils pendant des mois, car ils finiront probablement en appel, voire devant le Conseil d'État.

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Francisco Jornet, directeur des services juridiques du conseil national de l'Ordre des médecins

Les saisines des sections des assurances sociales de tous les Ordres ont diminué ; pour nous, la fracture a eu lieu il y a une douzaine d'années. Mais si les saisines sont peu nombreuses, elles ont des résultats impressionnants : 100 % de sanctions, et 100 % d'interdictions d'exercice d'un an, de deux ans, permanentes… Ces dossiers très rigoureux portent leurs fruits. Le fait est que la politique publique privilégie désormais les sanctions et les amendes administratives plutôt que la saisine du juge. Cela vaut pour les fraudes aux prestations sociales comme dans bien d'autres domaines, dont les infractions à la réglementation sur les prix en matière de santé : là aussi, on est passé des poursuites devant le tribunal correctionnel à des amendes administratives prononcées par les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. C'est un mouvement de fond dont les Ordres ont subi le contrecoup.

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Louis Potez, directeur adjoint des affaires juridiques de l'Ordre des pharmaciens

Je partage ce point de vue. Une audience est prévue en septembre prochain par le conseil national de l'Ordre des pharmaciens, après quoi le stock de saisines sera à zéro. Les dossiers traités conduisent presque systématiquement à des interdictions d'exercer. Préparés par les médecins-conseils des caisses d'assurance maladie, ils sont très volumineux, tous les dossiers des patients étant repris.

Le fait que ces juridictions soient parfois saisies moins d'une fois tous les dix ans entraîne une difficulté à rendre une justice de qualité, comme l'a relevé, en 2017, la mission d'inspection des juridictions administratives. Le conseil national n'est pas opposé à la révision de la procédure, mais sur le fond, quel est l'avenir d'une juridiction si peu saisie ? Quelle place a la section des assurances sociales dans la politique de la CNAM présentée chaque année à l'Ordre et comment s'articule-t-elle avec les instances disciplinaires et pénales ?

On note aussi des difficultés de saisine entre les juridictions. Ainsi, des fraudes assez importantes, portant sur des montants compris entre 100 000 et 200 000 euros, peuvent être jugées comme des manquements déontologiques, passibles de la saisine d'une chambre de discipline, mais la chambre ignore si un accord a été passé avec les caisses d'assurance maladie. Dans d'autres cas, les caisses font un signalement au conseil régional de l'Ordre pour que soit saisie une juridiction disciplinaire et non la section des assurances sociales. Des signalements sont faits qui ne visent pas tant à obtenir le remboursement de sommes indues que la reconnaissance qu'une fraude a été commise. En reprenant les saisines des dernières années, on se rend compte que dans la plupart des cas les caisses ne demandent pas le remboursement de l'indu devant la section des assurances sociales de l'Ordre, sinon dans des cas particuliers qui entraînent un dépôt de plainte. Et même quand des demandes de remboursement ont été faites devant la section des assurances sociales, plusieurs désistements ont eu lieu pour ce volet des dossiers en cours de procédure, le remboursement ayant été obtenu soit par un accord soit auprès d'une juridiction civile. Les sections des assurances sociales ne sont donc pas utilisées comme le prévoit le code de la sécurité sociale. Ces points ont été relevés plusieurs fois, notamment lors du contrôle de la mission d'inspection des juridictions administratives.

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Patrick Chamboredon, président du conseil national de l'Ordre des infirmiers

Je précise mon propos : l'Ordre des infirmiers ne souhaite pas être partie à la négociation conventionnelle. En revanche, nous devons être plus informés que nous ne le sommes et avoir avec la CNAM une relation beaucoup plus fluide : celle qu'entretiennent avec elle les Ordres des médecins et des pharmaciens. Peut-être la situation insatisfaisante actuelle tient-elle à ce qu'il n'y a de paramédicaux ni dans les agences régionales de santé ni au sein des CPAM. Des élèves infirmiers sont recrutés pour contrôler au niveau départemental, mais tout dépend du bon vouloir de la CPAM considérée. Là est peut-être l'écueil. Pour renforcer la prévention de la fraude, il serait bon que des auxiliaires médicaux figurent dans les rangs du contrôle médical de l'assurance maladie. L'Ordre recense 700 000 professionnels mais la DREES 900 000. Alors que le développement de l'exercice mixte va encore renforcer le nombre d'infirmiers exerçant en libéral, nous devrions avoir des correspondants dans les différents organes. Voilà ce que je voulais dire, non que l'Ordre voudrait être partie à la convention.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

C'est bien ainsi que nous avions interprété vos propos. De manière générale, vous appelez à une bonne articulation entre l'assurance maladie et les ordres. M. Revel, lors de son audition, a indiqué que la CNAM privilégie d'autres voies que la saisine des sections des assurances sociales. Toute fraude appelle sanction, mais il faut aussi récupérer l'argent public indûment versé, et l'on peut entendre qu'une caisse, ayant détecté un problème, s'attache à optimiser cette récupération. L'arbitrage est difficile, mais le choix d'une voie permettant de récupérer les sommes indues dans des délais raisonnables plutôt que d'attendre tout en courant le risque de ne pas récupérer l'argent capté se justifie. Cette volonté de bonne gestion des deniers publics n'est pas choquante en soi.

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François Simon, président de la section « Exercice professionnel » du conseil national de l'Ordre des médecins

Le Pr Lyon-Caen et Mme Bismuth nous ont dit, et nous l'avons répété, que certaines voies d'intervention sont très compliquées. La voie disciplinaire est longue, singulièrement en cas d'appel ; le recours à la section des assurances sociales est d'une mise en œuvre difficile et demande aussi du temps ; la voie judiciaire, que la CNAM utilisait en cas de fraudes portant sur des sommes colossales, entraînait parfois des non-saisines et toujours des délais d'exécution insupportables et des coûts importants pour l'assurance maladie. Les explications de M. Revel sont de bon sens.

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Jean-François Dumas, secrétaire général du conseil national de l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes

Comme l'Ordre des infirmiers, l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes et les deux syndicats représentatifs de la profession sont favorables à l'intégration de kinésithérapeutes-conseils dans les services de contrôle médical de l'assurance maladie. Les kinésithérapeutes dispensent deux millions d'actes par jour. En l'état actuel de la composition des services de contrôle médical, il est excessivement difficile de contrôler ces actes.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Messieurs, je vous remercie pour vos réponses très directes à nos questions.

L'audition s'achève à midi vingt-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Réunion du mercredi 22 juillet 2020 à 11 heures

Présents. - M. Pascal Brindeau, M. Patrick Hetzel, M. Michel Lauzzana, Mme Blandine Brocard

Excusés. - Mme Josette Manin, M. Thomas Mesnier