Intervention de Jean-François Dumas

Réunion du mercredi 22 juillet 2020 à 11h00
Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Jean-François Dumas, secrétaire général du conseil national de l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes :

Pour ce qui concerne les masseurs-kinésithérapeutes fraudeurs, contrefaçons de prescription et actes fictifs sont souvent associés, en tout cas dans les escroqueries les plus graves, portant sur plusieurs centaines de milliers d'euros. Soit les fraudeurs falsifient la prescription initiale, soit ils créent des faux en récupérant des prescriptions et en les modifiant pour en faire de prétendues prescriptions initiales, jamais rédigées par le prescripteur supposé.

J'illustrerai mon propos sur la tolérance de la CNAM par deux exemples. Le premier concerne les dépassements d'honoraires, que la nomenclature n'autorise pas, sauf en cas d'exigence particulière d'horaire ou de lieu : si un patient exige d'être pris en charge à 20 h 30, heure à laquelle son train le dépose à la gare, le kinésithérapeute contraint de l'attendre aussi tard peut pratiquer un dépassement, et il le peut aussi si un patient demande à être pris en charge à trente kilomètres du cabinet. Ce sont les deux seuls cas licites. Or, les dépassements se multiplient à Paris et dans de nombreuses grandes agglomérations. À raison de 16,13 euros l'acte en moyenne, l'activité libérale n'est pas viable économiquement là où les loyers sont très élevés. Soit les kinésithérapeutes ferment leur cabinet et s'installent en banlieue ou à la campagne, et alors se posera un problème d'offre de soins sur le territoire concerné, soit la Caisse accepte un dépassement systématique.

D'autre part, la nomenclature impose aux kinésithérapeutes libéraux de passer une demi-heure avec le patient. C'est si peu viable économiquement que les jeunes qui, démarrant une clientèle, ont forcément des patients uniques successifs, sont obligés de trouver une activité parallèle. Comme c'est un suicide économique pour un cabinet libéral de respecter cette exigence de la nomenclature, la CNAM est nécessairement tolérante, sinon on ne s'en sort pas… sauf à pratiquer des dépassements systématiques, autre tolérance irrégulière.

L'augmentation de la rémunération s'impose. Mais, étant donné le volume considérable d'actes de kinésithérapie pratiqués, laisser un petit nombre de professionnels frauder de manière magistrale coûte beaucoup moins cher à l'assurance maladie que d'augmenter la rémunération des 78 000 kinésithérapeutes libéraux qui exercent correctement. D'ailleurs, il faudrait faire davantage, et en rémunérer correctement 90 000 plutôt que 78 000.

Cette forme de tolérance arrange tout le monde, même les patients, qui font très peu de signalements. Même ceux qui sont pris en charge dans des cabinets dont l'activité est très excessive ne se plaignent pas. Pourtant, si les soins dispensés ne lui conviennent pas, tout patient peut interrompre les séances, récupérer son dossier médical et aller chez un concurrent. Or, les plaintes des patients sont très peu fréquentes, et la CNAM y est très sensible : si les patients sont heureux d'aller dans ce cabinet, il y a peut-être des raisons à cela.

Enfin, la CPAM a engagé, un jour, une action à l'encontre d'un kinésithérapeute d'un département du Nord accusé de fraude par actes fictifs ; il s'est suicidé avec son épouse. Ce drame exceptionnel a durablement marqué les esprits des agents de la Caisse. Cela n'excuse en rien les fraudes, que je ne justifie pas, mais tout fraudeur est un être humain qui s'est trouvé pris dans une spirale et pour qui l'interdiction d'exercer sera une mise à mort économique. C'est un argument supplémentaire en faveur de la prévention de la fraude.

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