En prenant mes fonctions de directeur de la sécurité sociale, j'ai conscience de l'importance de la juste prestation. Son montant doit découler d'un calcul précis et son versement doit écarter toute fraude potentielle. Cela suppose de lutter contre la fraude, depuis la prévention jusqu'à la détection, la sanction et le recouvrement des sommes dues.
Pour avoir suivi ces sujets dans mes différentes fonctions, j'ai noté que nous avions largement enrichi l'arsenal juridique et opérationnel ces quinze dernières années. Mais je sais – vos travaux et ceux de la Cour des comptes le montrent – que nous ne sommes pas au bout du chemin.
Je souhaite compléter les éléments que vous a donnés Mme Mathilde Lignot-Leloup en évoquant les avancées obtenues depuis le mois de février.
Nous disposons désormais du montant du préjudice subi ou évité en 2019 : il est de 1,5 milliard d'euros, contre 1,2 milliard l'année précédente. La hausse est donc notable.
Par ailleurs, le ministre de l'économie, des finances et de la relance a annoncé il y a une quinzaine de jours une évolution institutionnelle importante : la mission interministérielle de coordination anti-fraude (MICAF) remplacera la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF). Cette structure permettra de structurer des groupes opérationnels nationaux anti-fraude – nous les appelons déjà « GONAF » –, animés par des administrations centrales et réunissant l'ensemble des acteurs concernés sur chaque thème. Ces lieux d'échanges permettront de définir des stratégies et des plans d'action, ce qui manquait certainement dans la période précédente. En effet, s'il y avait des plans d'action aux niveaux local et départemental, on était davantage dans un échange sur les bonnes pratiques au niveau national. La DSS est membre d'un grand nombre de ces groupes et pilote le groupe de travail dédié à la fraude à la résidence. Ces groupes, installés pour la plupart en juin, auront défini les premiers plans d'action dans les tout prochains mois.
J'en viens à la question du nombre de cartes Vitale. La comparaison entre le nombre de cartes Vitale et la population susceptible de disposer d'une carte montre qu'il y a environ 3 millions de cartes manquantes, tous régimes confondus. Pour une raison ou une autre, et alors qu'elles sont éligibles, trois millions de personnes ne détiennent pas de carte. En revanche, certains régimes sont excédentaires : il y a davantage de cartes que de personnes éligibles. C'est sur ce chiffre qu'a pu se focaliser le débat.
Le nombre de cartes surnuméraires est en forte diminution, des plans d'action, ciblés sur des petits régimes, ayant été engagés depuis l'année dernière. À ce jour, il n'en reste plus que 152 000 – c'est le chiffre de ce matin –, chiffre qui devrait encore baisser dans les prochains mois. C'est d'abord une question de gestion opérationnelle dans de petits régimes.
Vous avez déploré, lors de l'audition de ma prédécesseure, que le montant des prestations versées ne figurait pas dans le RNCPS alors que la loi le prévoyait. C'est désormais le cas, nous l'alimentons depuis juin : cela permettra de multiplier les usages que peuvent en tirer les différents organismes.
La mise en œuvre du dispositif de prise en compte contemporaine des ressources dans le calcul des aides personnelles au logement a été repoussée ces derniers mois, mais je considère déjà cette réforme comme un progrès. Elle permettra de réduire les erreurs de calcul, d'abord pour la prime d'activité, ensuite pour le revenu de solidarité active (RSA). Cela constituera probablement une avancée majeure dans la gestion de ces prestations qui font l'objet du plus grand nombre de fraudes, comme le montrent les enquêtes de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF).
J'ai conscience qu'il reste beaucoup de progrès à accomplir. Premièrement, il faut continuer à investir dans la lutte contre la fraude, à la fois en moyens humains – 4 300 équivalents temps plein (ETP) dans l'ensemble des caisses de sécurité sociale sont dédiés à la lutte contre la fraude – et dans les systèmes d'information. Il nous semble que le « retour sur investissement » est positif, puisque les sommes recouvrées sont plus élevées que les coûts. Il faudra poursuivre ces investissements, si possible dans les deux prochaines années, dans le cadre des conventions d'objectifs et de gestion (COG). Le retour sur investissement sera d'autant plus élevé que l'on saura mieux cibler et détecter les fraudes à enjeux.
Nous devons mieux évaluer la fraude. Je sais que les parlementaires et la Cour des comptes regrettent souvent le manque d'évaluation dans ce domaine. La CNAF et l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) se prêtent à l'exercice, même si les évaluations sont moins complètes pour les branches vieillesse et maladie. Par ailleurs, les enquêtes effectuées sur la base de sondages majorent potentiellement la fraude existante. Il faut pouvoir disposer, dans un avenir qui ne soit pas trop lointain, d'une vision stabilisée du montant des fraudes dans les différentes branches.
Il ne suffit pas de détecter les fraudes, encore faut-il réussir à recouvrer les montants. En la matière, des avancées ont été obtenues, mais elles sont sans doute insuffisantes. Nous espérons que le groupe opérationnel consacré au recouvrement des créances frauduleuses pourra, dans les prochains mois, déterminer des plans d'action très concrets pour progresser sur ce sujet.
Enfin, nous devons harmoniser les procédures entre l'ensemble des branches, avoir une vision transversale plus cohérente des sanctions administratives et relever certaines d'entre elles. Même si leur montant doit laisser un reste-à-vivre, il est important qu'elles soient appliquées lorsque la fraude est avérée. Nous prévoyons une harmonisation et un texte, d'ici le début de l'année prochaine.
J'approuve pleinement l'ensemble des recommandations faites au travers des travaux parlementaires sur le renforcement des échanges de données, l'accès aux fichiers, le meilleur ciblage des fraudes à enjeux et des fraudes en bande organisée, ainsi que sur l'évolution du RNCPS.
Le numérique en santé peut avoir un impact positif sur la lutte contre la fraude avec le développement et la généralisation des prescriptions électroniques. Certes, cela prendra encore un peu de temps, mais j'espère que cela se fera le plus vite possible. Quant à la e-carte Vitale sur smartphone, encore en cours d'évaluation, elle pourrait apporter des garanties supplémentaires de sécurité.
Le champ d'action est large. Je serai très attentif aux recommandations de la Cour des comptes ainsi qu'à celles de votre commission d'enquête, sur notre arsenal juridique, mais aussi sur nos organisations et nos processus.