COMMISSION D'ENQUÊTE RELATIVE A LA LUTTE CONTRE LES FRAUDES AUX PRESTATIONS SOCIALES
Lundi 27 juillet 2020
La séance commence à quatorze heures trente.
Présidence de M. Patrick Hetzel. Président
La commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales procède à l'audition de M. Franck Von Lennep, directeur de la sécurité sociale, accompagné de M. Laurent Gallet, chef de service, adjoint au directeur, et de Mme Dorastella Filidori, cheffe de la mission comptable permanente.
Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui M. Franck Von Lennep, directeur de la sécurité sociale, accompagné de M. Laurent Gallet, chef de service, adjoint au directeur, et de Mme Dorastella Filidori, cheffe de la mission comptable permanente.
Monsieur le directeur, vous avez succédé le 12 juin à Mme Mathilde Lignot-Leloup, qui avait été auditionnée par notre commission d'enquête au tout début de nos travaux, le 11 février.
Alors que la série de nos auditions touche à sa fin, nous serons heureux de vous entendre sur les sujets que nous avons eu l'occasion d'approfondir au cours des derniers mois, d'autant que, dans vos précédentes fonctions, vous étiez responsable du pôle « santé, protection sociale, politiques sociales » au cabinet du Premier ministre.
C'est ainsi que reviendrons sur la question du nombre de cartes Vitale actives en circulation, sur celle du répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS), sur les chiffres de la fraude sociale en 2019 ou encore sur le rôle de la direction de la sécurité sociale (DSS) dans le pilotage de la lutte contre la fraude.
Vous êtes par ailleurs économiste de formation et pourrez sans doute nous apporter des éclairages sur l'impact économique de la fraude aux prestations sociales.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je signale que votre prédécesseure nous a indiqué, sous serment, certains chiffres, mais que, quarante-huit heures plus tard, un communiqué de presse faisait état de données différentes. Cela nous a évidemment surpris et fait douter de la véracité et des propos de votre prédécesseure et du contenu du communiqué. Sur la forme, il nous a semblé que la représentation nationale avait été traitée de manière curieuse.
Je vous le dis tout de go : nous ne souhaitons pas que pareille mésaventure se reproduise. Vous parlerez sous serment, et si nous vous demandons des chiffres, j'espère que ce seront cette fois les bons. La représentation nationale a le droit de les connaître.
Si nous n'avons pas demandé à votre prédécesseure de revenir devant notre commission, c'est que la pandémie est passée par là, mais je peux vous dire que les commissaires ont été choqués par la manière indigne dont les choses se sont passées.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, madame, messieurs, à lever la main droite et à dire « Je le jure. »
(M. Franck Von Lennep, M. Laurent Gallet et Mme Dorastella Filidori prêtent successivement serment.)
En prenant mes fonctions de directeur de la sécurité sociale, j'ai conscience de l'importance de la juste prestation. Son montant doit découler d'un calcul précis et son versement doit écarter toute fraude potentielle. Cela suppose de lutter contre la fraude, depuis la prévention jusqu'à la détection, la sanction et le recouvrement des sommes dues.
Pour avoir suivi ces sujets dans mes différentes fonctions, j'ai noté que nous avions largement enrichi l'arsenal juridique et opérationnel ces quinze dernières années. Mais je sais – vos travaux et ceux de la Cour des comptes le montrent – que nous ne sommes pas au bout du chemin.
Je souhaite compléter les éléments que vous a donnés Mme Mathilde Lignot-Leloup en évoquant les avancées obtenues depuis le mois de février.
Nous disposons désormais du montant du préjudice subi ou évité en 2019 : il est de 1,5 milliard d'euros, contre 1,2 milliard l'année précédente. La hausse est donc notable.
Par ailleurs, le ministre de l'économie, des finances et de la relance a annoncé il y a une quinzaine de jours une évolution institutionnelle importante : la mission interministérielle de coordination anti-fraude (MICAF) remplacera la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF). Cette structure permettra de structurer des groupes opérationnels nationaux anti-fraude – nous les appelons déjà « GONAF » –, animés par des administrations centrales et réunissant l'ensemble des acteurs concernés sur chaque thème. Ces lieux d'échanges permettront de définir des stratégies et des plans d'action, ce qui manquait certainement dans la période précédente. En effet, s'il y avait des plans d'action aux niveaux local et départemental, on était davantage dans un échange sur les bonnes pratiques au niveau national. La DSS est membre d'un grand nombre de ces groupes et pilote le groupe de travail dédié à la fraude à la résidence. Ces groupes, installés pour la plupart en juin, auront défini les premiers plans d'action dans les tout prochains mois.
J'en viens à la question du nombre de cartes Vitale. La comparaison entre le nombre de cartes Vitale et la population susceptible de disposer d'une carte montre qu'il y a environ 3 millions de cartes manquantes, tous régimes confondus. Pour une raison ou une autre, et alors qu'elles sont éligibles, trois millions de personnes ne détiennent pas de carte. En revanche, certains régimes sont excédentaires : il y a davantage de cartes que de personnes éligibles. C'est sur ce chiffre qu'a pu se focaliser le débat.
Le nombre de cartes surnuméraires est en forte diminution, des plans d'action, ciblés sur des petits régimes, ayant été engagés depuis l'année dernière. À ce jour, il n'en reste plus que 152 000 – c'est le chiffre de ce matin –, chiffre qui devrait encore baisser dans les prochains mois. C'est d'abord une question de gestion opérationnelle dans de petits régimes.
Vous avez déploré, lors de l'audition de ma prédécesseure, que le montant des prestations versées ne figurait pas dans le RNCPS alors que la loi le prévoyait. C'est désormais le cas, nous l'alimentons depuis juin : cela permettra de multiplier les usages que peuvent en tirer les différents organismes.
La mise en œuvre du dispositif de prise en compte contemporaine des ressources dans le calcul des aides personnelles au logement a été repoussée ces derniers mois, mais je considère déjà cette réforme comme un progrès. Elle permettra de réduire les erreurs de calcul, d'abord pour la prime d'activité, ensuite pour le revenu de solidarité active (RSA). Cela constituera probablement une avancée majeure dans la gestion de ces prestations qui font l'objet du plus grand nombre de fraudes, comme le montrent les enquêtes de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF).
J'ai conscience qu'il reste beaucoup de progrès à accomplir. Premièrement, il faut continuer à investir dans la lutte contre la fraude, à la fois en moyens humains – 4 300 équivalents temps plein (ETP) dans l'ensemble des caisses de sécurité sociale sont dédiés à la lutte contre la fraude – et dans les systèmes d'information. Il nous semble que le « retour sur investissement » est positif, puisque les sommes recouvrées sont plus élevées que les coûts. Il faudra poursuivre ces investissements, si possible dans les deux prochaines années, dans le cadre des conventions d'objectifs et de gestion (COG). Le retour sur investissement sera d'autant plus élevé que l'on saura mieux cibler et détecter les fraudes à enjeux.
Nous devons mieux évaluer la fraude. Je sais que les parlementaires et la Cour des comptes regrettent souvent le manque d'évaluation dans ce domaine. La CNAF et l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) se prêtent à l'exercice, même si les évaluations sont moins complètes pour les branches vieillesse et maladie. Par ailleurs, les enquêtes effectuées sur la base de sondages majorent potentiellement la fraude existante. Il faut pouvoir disposer, dans un avenir qui ne soit pas trop lointain, d'une vision stabilisée du montant des fraudes dans les différentes branches.
Il ne suffit pas de détecter les fraudes, encore faut-il réussir à recouvrer les montants. En la matière, des avancées ont été obtenues, mais elles sont sans doute insuffisantes. Nous espérons que le groupe opérationnel consacré au recouvrement des créances frauduleuses pourra, dans les prochains mois, déterminer des plans d'action très concrets pour progresser sur ce sujet.
Enfin, nous devons harmoniser les procédures entre l'ensemble des branches, avoir une vision transversale plus cohérente des sanctions administratives et relever certaines d'entre elles. Même si leur montant doit laisser un reste-à-vivre, il est important qu'elles soient appliquées lorsque la fraude est avérée. Nous prévoyons une harmonisation et un texte, d'ici le début de l'année prochaine.
J'approuve pleinement l'ensemble des recommandations faites au travers des travaux parlementaires sur le renforcement des échanges de données, l'accès aux fichiers, le meilleur ciblage des fraudes à enjeux et des fraudes en bande organisée, ainsi que sur l'évolution du RNCPS.
Le numérique en santé peut avoir un impact positif sur la lutte contre la fraude avec le développement et la généralisation des prescriptions électroniques. Certes, cela prendra encore un peu de temps, mais j'espère que cela se fera le plus vite possible. Quant à la e-carte Vitale sur smartphone, encore en cours d'évaluation, elle pourrait apporter des garanties supplémentaires de sécurité.
Le champ d'action est large. Je serai très attentif aux recommandations de la Cour des comptes ainsi qu'à celles de votre commission d'enquête, sur notre arsenal juridique, mais aussi sur nos organisations et nos processus.
Je souhaite revenir sur le RNCPS. Combien de numéros d'inscription au répertoire (NIR) étaient-ils enregistrés au 30 juin 2020 ?
Sachant que la population résidant en France est de 67 millions, le delta est de l'ordre de 6,7 millions, soit près de 10 %. Qu'est-ce qui peut justifier cet écart ? Peut-il y avoir des doublons et ceux-ci peuvent-ils être liés à l'affiliation d'un assuré à différents régimes ?
Nous avons fait le rapprochement avec l'écart de 7 millions annoncé par la Cour des comptes. Nous sommes partis de l'estimation de la population faite par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), qui était, au 1er janvier 2020, de 67 millions. Pour avoir un périmètre comparable, on ajoute les pensionnés et rentiers vivant à l'étranger, 1,2 million, les assurés auprès de la caisse des Français de l'étranger (CFE), 200 000, les frontaliers étrangers travaillant en France, 10 000, les personnes détachées continuant à cotiser en France, 217 000, les ayants droit de cette population, 180 000, enfin les situations diverses, 20 000, soit un total de 69 millions de personnes. Ensuite, nous avons comparé ce chiffre aux ouvertures de droits qui étaient, au 1er janvier, de 72,4 millions, auxquelles il convient de retrancher 1,5 % – 1,1 million –, qui correspond au délai de mise à jour entre les bases internes de la CNAM.
On ajoute les personnes ne résidant plus en France, et qui continuent à avoir des droits.
Puis on compare avec les ouvertures de droits, qui sont de 72,4 millions.
Il faut en retrancher le nombre correspondant au délai de mise à jour, ce qui donne 71,3 millions. L'écart n'est plus de 7 millions, mais de 2,4 millions.
Nous investiguons. Nous avons déjà exclu une hypothèse : ce ne sont pas des personnes retraitées, des centenaires. Nous savons que c'est la tranche d'âge des 24-60 ans, autrement dit la population active, qui est concernée. Nous cherchons à comprendre les raisons d'un tel écart, et comment on peut le résorber.
Ces 2 millions sont un ordre de grandeur puisque le chiffre de départ, 67 millions, n'est pas un chiffre administratif précis.
Ce sont tout de même les données de l'INSEE ! Comme tout le monde, nous nous basons sur les chiffres de l'INSEE, nous n'y arriverons pas si nous partons dans un relativisme intégral.
Je précise que c'est un ordre de grandeur, sans me focaliser sur la virgule. Nous ne savons pas qui sont ces personnes, mais il doit probablement s'agir d'individus qui ne résident pas en France, ou qui ont quitté le territoire depuis plusieurs mois ou plusieurs années. Nous devons définir le plus clairement possible le champ des personnes concernées et élaborer des plans de contrôle permettant de fermer leurs droits, afin d'empêcher tout abus ou fraude ultérieurs. Il peut s'agir de personnes qui n'ont pas forcément compris qu'elles n'avaient plus de droits ouverts. Nous allons y travailler très activement dans les prochaines semaines, mais nous ne pouvons pas fournir de réponse précise aujourd'hui.
Je retiens que ces 2,4 millions de personnes, probablement, ne résident pas ou plus en France. Savez-vous quand la DSS sera en mesure de documenter tout cela ?
Je n'ai pas pu échanger avec le directeur de la CNAM, puisqu'il n'est pas encore nommé. L'un de ses chantiers sera de définir un plan de contrôle de la protection universelle maladie (PUMA). Actuellement, des contrôles sont menés sur la condition de résidence, et, comme je l'ai dit, nous y travaillons dans le groupe national. Il faudra définir un plan de contrôle de la condition de résidence, mais pas seulement sur les bénéficiaires de la PUMA.
Effectivement, la nomination de M. Thomas Fatome n'est pas encore intervenue juridiquement. Nous auditionnerons jeudi son prédécesseur, M. Nicolas Revel, sans manquer de l'interroger sur ce delta de 2,4 millions.
Vous aurez bien compris que notre objectif n'est pas d'embêter les administrations publiques, qui luttent contre la fraude, mais de vérifier que ces approximations ne révèlent pas une fraude qui n'aurait pas été détectée. Il s'agit aussi de mettre fin à la polémique qui a fait suite au rapport de la mission confiée aux parlementaires Carole Grandjean et Nathalie Goulet. Il était question il y a deux ans de 6 millions de cartes Vitale surnuméraires ; je suis heureux d'apprendre qu'il n'en reste plus que 152 000 en circulation, mais cela interroge sur les méthodes de calcul précédentes, comme sur la façon de communiquer.
Sur l'écart de 2,4 millions entre le nombre d'assurés possible et les immatriculations, j'ai compris, madame, qu'il s'agissait de catégories actives et très probablement de personnes parties à l'étranger. Personne, à commencer par le GIE SESAM-Vitale, n'est capable de donner la répartition du nombre de cartes Vitale par tranche d'âge. Disposez-vous de ces chiffres qui permettraient de corroborer le fait que cette sur-immatriculation concerne les catégories en âge de travailler ? Par ailleurs, savez-vous si ces sur-immatriculations font l'objet de droits versés par la CNAM ?
La Cour des comptes a précisé que, pour cette population, la consommation de soins était inférieure à celle de la population INSEE. Ce sont les chiffres de 2018, ceux de 2019 doivent être encore affinés.
La CNAM va renforcer les contrôles sur les prestations versées au titre de la PUMA. D'autres contrôles ont été menés : sur la base d'échanges de données avec la direction générale des finances publiques (DGFIP), la condition de résidence a été vérifiée et confirmée dans 6 millions de cas, tandis que 320 000 contrôles et 164 000 contrôles, respectivement en 2018 et en 2019, portaient sur la consommation de soins. La CNAM se propose de lancer l'année prochaine 500 000 contrôles supplémentaires sur les non-consommants – des personnes dont les droits sont ouverts mais qui ne consomment pas. Cela nous permettra de renforcer notre plan d'action et de voir s'il y a lieu de renforcer davantage les contrôles sur les consommants par rapport aux contrôles déjà menés sur la PUMA et sur la condition de résidence.
Les chiffres qui figurent dans le communiqué n'ont pas été modifiés, ils découlent simplement d'une approche différente : nous n'avons pas comptabilisé les mêmes choses.
Nous avons ajouté à la population INSEE de 54,2 millions de personnes âgées de plus de 16 ans, et donc censées détenir une carte Vitale, 1,16 million de pensionnés et rentiers vivant à l'étranger, 200 000 assurés auprès de la caisse des Français de l'étranger (CFE), 10 000 frontaliers, 217 000 travailleurs détachés, 365 000 porteurs de cartes âgés de moins de 16 ans, ainsi que les personnes classées dans la catégorie « divers ». Cela donne un total de 56,2 millions de personnes.
Le parc de cartes Vitale était estimé à 58,3 millions en février, mais les travaux de fiabilisation ont conduit à le réduire de 1,6 million, pour atteindre 56,8 millions. La différence s'établit donc à 600 000.
Par ailleurs, et comme l'a expliqué M. Von Lennep, lorsque l'on compare les bases du répertoire national interrégimes des bénéficiaires de l'assurance maladie (RNIAM) – tous régimes confondus – et le dénombrement des cartes Vitale émises par le GIE, on constate un déficit. Il existe néanmoins quelques régimes excédentaires, avec 152 000 cartes environ.
Il est pour le moins dommage que des explications aussi précises n'aient pas été apportées lors de l'audition du mois de février. Le communiqué a créé le trouble car il semblait contredire le contenu de l'audition, d'une part, et le travail de la commission d'enquête, d'autre part. Je note que les éléments que vous venez de nous donner n'y figurent pas.
Vous avez évoqué la transformation de la DNLF en MICAF et la création de groupes nationaux opérationnels. Comment voyez-vous l'articulation entre leur mission et le travail mené par les services judiciaires et la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) pour lutter contre la fraude documentaire et la fraude à l'identité ? Ces fraudes, en constante évolution, souvent commises en lien avec des organisations criminelles, sont compliquées à appréhender. Elles constituent une porte d'entrée à une fraude plus massive, notamment sur les prestations.
Nous avons souhaité associer le maximum de partenaires, l'ensemble des ministères et des organismes de sécurité sociale à cette nouvelle cellule en créant une dizaine de groupes de travail, coordonnés par la DSS et la MICAF : la DSS sera chef de file du groupe de travail sur la fraude à la résidence ; la DGFIP pilotera les groupes de travail sur le coût de la fraude fiscale et sociale commise via le e-commerce et via la constitution de sociétés éphémères ; la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) sera chef de file du groupe de travail consacré à la justice pénale et au recouvrement des créances frauduleuses ; le ministère de l'intérieur pilotera le groupe de travail dédié à l'adaptation des moyens d'enquête aux enjeux du numérique. Ce sont les pistes d'action qui ont été identifiées, en fonction de ce que la Commission nationale de l'informatique et des liberté (CNIL) nous autorisait à faire. Ces groupes de travail ont été lancés avant l'été ; à la rentrée, chacun aura cerné les enjeux, identifié les difficultés et exprimé ses souhaits d'évolution. La MICAF est une structure plus légère que la DNLF ; elle pourra suivre de façon rapprochée les comités départementaux, les CODAF, et sera davantage opérationnelle.
Pouvez-vous me dire pourquoi mon décompte diffère du vôtre ? Selon l'INSEE, il y a en France 54,2 millions de personnes âgées de plus de 16 ans, population à laquelle il convient d'ajouter les 150 000 jeunes entre 12 et 15 ans qui détiennent une carte Vitale : 54,35 millions de personnes sont donc censées détenir une carte, étant entendu que les retraités qui résident à l'étranger n'y ont pas droit. Si le chiffre de 58,3 millions de cartes Vitale en circulation est correct, le delta est bien de 4 millions. J'aimerais comprendre en quoi ce raisonnement n'est pas celui que vous suivez.
Le nombre de résidents âgés de plus de 16 ans s'élève bien à 54,2 millions, mais celui des détenteurs de carte Vitale âgés de moins de 16 ans atteint 365 000. En outre, il faut intégrer dans ce calcul les pensionnés et rentiers vivant à l'étranger – 1,16 million – les assurés auprès de la CFE – 200 000 –, les travailleurs frontaliers étrangers – 10 000 –, les travailleurs détachés qui continuent de cotiser en France – 217 000 – et d'autres situations encore. Le nombre de personnes censées détenir une carte Vitale atteint alors 56,2 millions de personnes. Si on le compare au parc de cartes Vitale, estimé à 56,8 millions, l'écart est de 600 000 cartes environ. Nous vous communiquerons ces chiffres.
Nous vous en remercions. Notre commission a manifestement besoin d'être éclairée sur un autre point, puisque nous sommes partis de l'idée que les personnes qui résidaient à l'étranger, notamment les retraités, ne pouvaient détenir de carte Vitale.
Les retraités du système français qui résident à l'étranger ont le droit de conserver leur carte Vitale s'ils ont cotisé au moins cinq ans dans le système français – la durée de cotisation sera portée à dix ans en juillet 2022. Ils continuent de cotiser sur leur pension, ce qui leur permet d'avoir des droits ouverts pour les soins dispensés en France, et uniquement en France. Une deuxième catégorie de population a le droit de conserver sa carte Vitale en partant à l'étranger : ce sont les personnes qui adhèrent à la CFE.
Il faut y ajouter les travailleurs détachés, qui continuent de cotiser en France, ainsi que leurs ayants droit.
Avez-vous une idée du moment où l'écart entre la population INSEE et le nombre de NIR est apparu et des périodes où il s'est creusé ?
Nous savons que vous prenez à bras-le-corps ce problème, et nous vous en remercions, mais comment expliquez-vous que l'on ne s'emploie à résorber le phénomène que maintenant ? Les rapports parlementaires en ont fait état et, il y a dix ans déjà, le rapport de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale alertait sur le lien possible avec l'existence de fraudes. Faut-il penser que le travail des parlementaires n'est pas efficace et que leurs recommandations ne sont pas suivies ?
Je ne peux pas dater ce décrochage, mais il est certain que nous ne sommes pas restés inactifs ces dix dernières années. À la suite de l'audit du service national d'identification des assurés (SANDIA) de 2010, qui avait permis de détecter un taux de fraude de 10 %, nous avons mis en place un guide d'identification précis, dont la dernière mise à jour remonte à 2018. Pour obtenir un NIR 99, il faut désormais fournir un document d'identité – carte d'identité ou passeport – et un acte d'état civil authentifié avec filiation. La DSS est régulièrement sollicitée lorsqu'un pays pose problème sur une certification. Vous mesurerez les efforts consentis en lisant le rapport du sénateur Jean-Marie Vanlerenberghe, qui a mis en évidence une baisse sensible du taux de fraude à l'immatriculation – celle-ci représente désormais moins de 150 millions d'euros. Pour autant, nous devons poursuivre nos efforts.
Je vous remercie pour la clarté de vos explications. Je vous demande de bien vouloir nous communiquer le détail des chiffres afin que nous puissions les comparer à ceux qui nous ont été annoncés.
La dématérialisation des prescriptions médicales est le meilleur moyen de lutter contre la fraude à l'ordonnance. Les ordres professionnels que nous avons auditionnés attendent beaucoup de cette dématérialisation mais ils ne comprennent pas qu'elle mette tant de temps à se concrétiser – en Espagne, elle est une réalité depuis 2007.
Avec des centaines de milliers de professionnels libéraux qui s'adaptent progressivement et utilisent plusieurs éditeurs de logiciels, il est compliqué de la mettre en œuvre ! Nous déployons actuellement les systèmes de dématérialisation pour les prescriptions d'arrêt de travail, nous basculerons bientôt de l'expérimentation à la mise en œuvre pour les prescriptions de transports. S'agissant des prescriptions pharmaceutiques en ville, nous devrions tenir l'objectif de décembre 2022, conformément aux engagements du Gouvernement.
La dématérialisation est un volet de la stratégie déployée par la délégation ministérielle du numérique en santé (DNS), qui englobe notamment l'espace numérique de santé. C'est tout l'écosystème qui est en cours de refondation : cette vision d'ensemble manquait jusque-là, nous venons de gravir une marche.
Sur le site ameli.fr, il est expliqué aux personnes prêtes à s'expatrier : « Du fait de votre départ de France, vos frais de santé ne sont plus couverts par l'assurance maladie française. Néanmoins des dispositifs existent pour vous permettre de bénéficier d'une prise en charge de vos soins dans votre nouveau pays de résidence. Certains États ont signé une convention de sécurité sociale avec la France pour permettre aux retraités affiliés au régime français et résidant sur leur territoire de se faire rembourser leurs frais sur leur lieu de résidence. » Si j'en crois ameli.fr, toute personne qui réside à l'étranger, hors Union européenne, ne devrait donc plus avoir de carte Vitale.
Ce qui est écrit sur ameli.fr ne contredit pas ce que je vous ai dit : les personnes qui partent à l'étranger ne sont plus prises en charge par la sécurité sociale française pour les soins qui interviennent dans leur pays de résidence ; elles doivent s'affilier localement ou recourir à une assurance privée. En revanche, ces retraités ont des droits ouverts pour les soins reçus en France. C'est à ce titre qu'ils peuvent conserver leur carte Vitale.
Cela signifie-t-il que la quasi-totalité des retraités résidant à l'étranger conservent leur carte Vitale et peuvent continuer de bénéficier du système de soins français ?
Ces retraités du système français cotisent sur leur pension ; ils peuvent donc être pris en charge pour les soins dispensés en France. Mais un Français retraité d'un système allemand, par exemple, ne peut pas obtenir de carte Vitale.
Je vous remercie pour cet échange et vous demande de bien vouloir nous transmettre par écrit les données chiffrées ; elles nous permettront d'avoir une discussion « normalisée » avec M. Nicolas Revel.
L'audition s'achève à quinze heures vingt-cinq.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales
Réunion du lundi 27 juillet 2020 à 14 h 30
Présents. - M. Pascal Brindeau, M. Patrick Hetzel, M. Alain Ramadier
Excusés. - Mme Josette Manin, M. Thomas Mesnier