Intervention de Pascal Brindeau

Réunion du mardi 8 septembre 2020 à 9h45
Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascal Brindeau, rapporteur :

Si l'on synthétise les interventions des collègues qui se sont succédé, et pour reprendre un mot que M. le président vient de prononcer, le principal enjeu qui est devant nous est de créer ou de renforcer une culture de la lutte contre la fraude. Cette culture existe et a été renforcée à la CNAF mais n'existe pas dans les autres organismes de versement de prestations. Les différentes auditions que nous avons menées nous l'ont démontré : lorsqu'un directeur général de la CNAM déclare qu'il n'est pas nécessaire ni possible ni souhaitable d'évaluer la fraude au sein de son administration, nous touchons là à un problème de culture. Certains en viennent à minimiser la réalité de cette fraude – c'était d'ailleurs l'objet de certains débats et polémiques qui ont pu avoir lieu –, alors qu'il faut au contraire la montrer telle qu'elle est, pour pouvoir ensuite prendre des mesures visant à la réduire.

Il est clair néanmoins que nous n'atteindrons jamais un objectif de « zéro fraude », car la fraude s'actualise, se modifie, et tire parti des points faibles de nos systèmes d'immatriculation, de versement et de déclaration. Il y aura toujours une fraude. L'exemple récent du chômage partiel le montre. Certaines mesures très utiles, de bon sens, visant à sauvegarder des entreprises, créent des effets d'aubaine et des mécanismes organisés de fraude massive. Si l'on crée un dispositif de chômage partiel long, des organisations criminelles s'y intéresseront et en tireront profit.

L'objectif de notre commission d'enquête et de son rapport n'était pas, bien sûr, de s'intéresser uniquement aux sujets qui « font le buzz » ou qui font polémique – nombre de cartes Vitale en circulation, nombre d'assurés surnuméraires par rapport à telle caisse de prévoyance sociale (CPS), etc. Nous en venons néanmoins à ces sujets, car ils montrent la faillibilité du système. Ils montrent qu'il existe des « trous dans la raquette » à toutes les étapes, de l'immatriculation jusqu'au versement de prestations. Cela choque nos concitoyens de savoir qu'il existe 400 000 retraités en Algérie qui touchent 1,2 milliard d'euros de prestations chaque année, alors que nous savons pertinemment que nombre d'entre eux sont morts. Cela est choquant au plan des principes, même si ce volume peut paraître anecdotique au regard des sommes colossales versées chaque année. Ce n'est plus acceptable dans les circonstances que nous vivons.

La difficulté du rapport est de trouver un équilibre – en pointant ces sujets-là, car l'on ne peut les ignorer, tout en essayant d'être complet sur la façon dont la fraude s'organise en France, d'où qu'elle provienne. La fraude des professionnels de santé, par exemple, est une réalité. Une minorité de professionnels peu scrupuleux y tombe. Cela n'entache pas la profession. Pour autant, il faut agir là-dessus au même titre que sur les autres types de fraude.

Je réponds à présent à Carole Grandjean concernant le lien que je fais avec le financement du terrorisme. Là encore, la volonté n'est pas d'être dans le sulfureux, le dramatique, ni de se focaliser sur ce qui peut être exploité médiatiquement. Comme l'a rappelé le président, ce sont les services de la police aux frontières qui nous ont alertés sur ce point. Ce phénomène n'est pas nouveau. Il existe depuis longtemps, mais concerne des organisations criminelles dont les activités sont multiples. Or la DCPAF se concentrait jusqu'à présent sur le trafic d'armes ou sur le trafic migratoire. La sanction pénale relative à la fraude sociale étant assez anecdotique, ce sujet était peu ou moins traité. Les parquets et les tribunaux ne le traitaient pas davantage. Cependant, un phénomène grandissant s'observe. Parallèlement aux activités criminelles classiques, il y a toujours un réseau qui intègre le système des prestations sociales. Un rapport de l'ONU chiffre ainsi la fraude aux prestations sociales à hauteur de 6 % du financement du terrorisme au plan international. Ce pourcentage peut paraître assez faible, mais il n'est pas nul.

Nous ne pouvons donc pas éluder cette question, d'autant que la complexification de la fraude – notamment celle relative à l'usurpation d'identité – est une clé d'organisation fondamentale pour les réseaux criminels, particulièrement pour les réseaux terroristes. L'usurpation d'identité constitue pour eux une barrière de protection. Nous l'avons expérimenté. Nous nous sommes rendus au SANDIA munis d'une liste d'identités dont nous savons qu'elles sont frauduleuses – puisqu'elles nous ont été confiées par les services de la police aux frontières – et avons fait entrer quelques-unes d'entre elles dans le système, dont une correspondant à un membre d'une organisation terroriste connue. Or le NIR est sorti, assorti de prestations de caisses d'allocations familiales, alors que l'individu concerné se trouve en Syrie. Il s'agit certes là d'un exemple, anecdotique, mais la police aux frontières n'en est pas moins mobilisée sur le sujet et a tenu à nous alerter sur le mécanisme consistant, pour une même organisation criminelle, à cumuler différents types d'actes criminels dont la fraude.

J'en viens aux propositions de Michel Zumkeller. Le système relatif à la preuve de vie est effectivement totalement désuet, car il consiste à fournir un certificat de vie authentifié par une autorité locale. Nous avons auditionné une société mandatée par l'Association générale des institutions de retraite complémentaire des cadres et l'Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (AGIRC-ARRCO) pour estimer la réalité des certificats de vie sur un millier de dossiers. Or il est apparu que 40 % des dossiers relatifs à des retraités âgés de plus de 85 ans concernaient des personnes décédées, pour lesquelles l'administration locale a fourni ensuite des certificats de décès comportant des dates falsifiées ! Les organismes prennent cela pour argent comptant, ce qui est regrettable.

La question de la preuve de vie se pose également pour les organismes de prestations sociales qui demandent parfois des immatriculations au SANDIA sans voir la personne concernée. Cela pose des difficultés. Certes, il n'est pas toujours facile pour certaines personnes de se rendre physiquement à un guichet, et l'on a en outre de plus en plus recours à des procédures dématérialisées qui exonèrent de la présence physique. Néanmoins, la dématérialisation, qui constitue pourtant un progrès dans la gestion de nombreux dossiers, peut aussi être une porte d'entrée pour la fraude.

La biométrie ne constitue pas quant à elle un enjeu majeur. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas tenu à accorder une place importante à cette histoire de cartes Vitale dans le rapport. Il est certes anormal que la CNAM nous dise qu'il n'y a plus que 152 000 cartes surnuméraires alors que l'on en trouve plus de 1,8 million. Pour autant, une carte Vitale n'est pas une clé de fraude. Une carte Vitale seule ne permet pas de frauder. Il faut trouver un praticien de santé complaisant, ou un pharmacien peu regardant, et voler une ordonnance papier – ce qui est extrêmement facile. Je l'ai expérimenté tout récemment, en me rendant aux urgences. Je n'ai pas volé d'ordonnances, mais j'aurais pu en prendre une grande quantité ! Lorsque vous vous trouvez dans un box des urgences, et que le médecin est parti, vous avez accès sur le bureau à un casier comportant des arrêts de travail, des ordonnances, etc. Il suffit de se servir ! La question de la dématérialisation des ordonnances médicales est donc cruciale, et nous aurions dû la trancher depuis longtemps. Je rappelle que l'Espagne dispose d'ordonnances médicales dématérialisées depuis 2007.

La biométrie peut contribuer néanmoins à sécuriser encore davantage le système de cartes Vitale, mais elle ne constitue pas un élément prégnant dans l'ensemble du dispositif.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.