Vous avez parfaitement résumé les faits.
J'ai été l'avocat des trois enfants du Docteur Sarah Halimi du 4 avril 2017 jusqu'à la mi-juillet 2018. J'évoquerai donc uniquement les faits dont j'ai connaissance.
J'ai été saisi le matin même du meurtre, de l'assassinat, de Mme Sarah Halimi parce que je suis notamment l'avocat du Consistoire central et l'avocat du Consistoire de Paris depuis une quinzaine d'années. J'interviens également pour d'autres rabbinats, notamment le rabbinat orthodoxe de Paris.
Ce matin du 4 avril, le rabbin de la communauté orthodoxe, le rabbin Rottenberg, m'informe qu'une femme de sa communauté a été assassinée. Malgré son émotion, je parviens finalement à comprendre que sa première demande consiste à éviter l'autopsie. Je lui explique que, malheureusement, en matière criminelle, ce n'est pas possible. Il me demande alors d'intervenir afin que l'inhumation puisse être réalisée dans les plus brefs délais. Le jour même, j'informe la substitut du procureur de la République du souhait de la famille. Mme Sarah Halimi a été inhumée le 6 avril, en Israël. L'obtention d'un permis d'inhumer dans un délai aussi bref à la suite d'un meurtre est unique dans les annales de la justice.
Les enfants de la victime m'ont alors sollicité pour assurer la défense de leurs intérêts. J'ai accédé au dossier. J'ai rencontré la juge d'instruction qui m'a reçu « comme un chien dans un jeu de quilles ». J'ai été d'autant plus surpris que je représentais les trois enfants d'une femme assassinée – j'insiste sur ce terme. Dans les jours suivants, j'ai rédigé un rapport de synthèse et je le lui ai adressé afin de l'inciter à traiter ce dossier rapidement.
Les trois enfants de Sarah Halimi, juifs de très stricte observance, tout à leur deuil, ne s'intéressaient absolument pas au dossier. En revanche, leur oncle, M. William Attal, s'est immédiatement activement préoccupé de connaître la vérité. J'ai respecté la volonté de mes clients et j'ai travaillé seul. Près de deux mois après le meurtre, la fille aînée de la malheureuse victime m'a informé de son désir de vérité et de justice.
Le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) avait organisé une marche blanche le dimanche suivant l'assassinat, rassemblant alors un millier de personnes. Pourtant, la presse est restée totalement muette sur cette affaire. Sceptique quant à son succès, j'ai donc organisé un point de presse à mon cabinet, le 27 mai, afin que cette affaire sorte de l'anonymat. Étonnamment, un nombre très important de journalistes de la presse écrite, de la radio, de la télévision, les plus grandes signatures, a répondu à mon invitation. Le jour même, l'AFP a publié une dépêche, plusieurs articles sont parus dans divers journaux et magazines, des radios et des chaînes de télévision ont évoqué l'affaire. L'affaire a suscité l'intérêt de la presse, mais cela a surtout déclenché les foudres de la juge d'instruction et mes relations avec elle en ont pâti. Il en fut d'ailleurs de même pour mes confrères qui se sont heurtés au même mépris.
La juge a finalement mis le criminel en examen, plusieurs mois après les faits, parce qu'elle attendait le rapport d'expertise psychiatrique du docteur Zagury.
À la page 67 de ce rapport, figure cette phrase : « Un crime tel que celui-là peut être à la fois délirant et antisémite ». Le Docteur Zagury avait longuement entendu l'assassin et concluait que cette rage antisémite avait été déclenchée par la vision d'une Torah et de chandeliers dans l'appartement de la victime où il était entré « par hasard ». Je ne comprends pas que la justice ait été à ce point bernée.
En effet, depuis dix ans, Traoré habitait à l'étage au-dessus de Mme Halimi. Il la côtoyait régulièrement et savait parfaitement qui elle était. Cette dame juive religieuse était facilement identifiable puisqu'elle portait des robes longues et une perruque. Traoré savait parfaitement qu'elle et sa famille étaient de confession juive et qu'ils étaient pratiquants puisque les enfants portaient la kippa et les gendres portaient un chapeau. Il est donc totalement faux d'affirmer que Traoré est entré par hasard dans cet appartement et que sa barbarie antisémite a été déclenchée par une Torah et des chandeliers. En effet, d'une part, la Torah se trouve uniquement dans les synagogues et personne n'en possède chez soi. D'autre part, les bougeoirs trouvés dans l'appartement étaient ordinaires et ne présentaient aucun signe religieux distinctif. Je regrette que le Docteur Zagury ait été à ce point leurré.
Je regrette qu'on ait occulté l'évidence. En effet, pour commettre son assassinat, Traoré est passé de l'immeuble du 30 rue de Vaucouleurs, où il habitait, à l'immeuble contigu situé au 26, pour se rendre au troisième étage, chez les Diarra. Il connaissait parfaitement cette famille, issue du même village que sa famille et dont le père était un référent de la communauté. Traoré ne s'est pas rendu par hasard chez les Diarra, mais parce que le balcon de leur appartement jouxtait celui de Sarah Halimi. J'affirme donc avec force que Traoré a élaboré ce stratagème pour avoir accès au balcon de Mme Halimi. En outre, il a fait preuve d'un discernement indéniable, car s'il avait été victime d'une bouffée délirante susceptible de le pousser à attenter à la vie d'autrui, il aurait agressé la première personne venue. Or la famille Diarra n'a subi aucune violence.
Entré chez les Diarra, Traoré récite des sourates du Coran et enfile des vêtements qu'il aurait déposés la veille chez les Diarra, comme agissent les terroristes islamistes avant de commettre un crime, et se rend sur le balcon voisin. La manœuvre est périlleuse et impose une agilité et une dextérité dont n'aurait pas disposé une personne dépourvue de son discernement au risque de chuter. Il a ensuite forcé la porte-fenêtre et surpris la malheureuse Sarah Halimi dans son sommeil.
Pendant seize mois, j'ai œuvré en vain pour faire reconnaître la préméditation. Une telle reconnaissance aurait écarté la thèse de l'abolition du discernement, tout au plus eût-on évoqué son éventuelle atténuation. Or tout a été mis en œuvre pour occulter cette préméditation et pour éviter que le parquet requalifie ce meurtre en assassinat.
À l'issue du rapport du Docteur Zagury, le parquet a rédigé un réquisitoire supplétif et sollicité du juge d'instruction la mise en examen de Traoré, avec la circonstance aggravante d'antisémitisme. La juge a obtempéré, non sans mal, puisqu'elle aurait dû indiquer la circonstance aggravante d'antisémitisme dès la mise en examen. Cependant, il est possible que le parquet ne l'ait pas précisé dans son réquisitoire introductif. Dans des affaires où l'antisémitisme est évident, il s'avère toujours complexe de le faire reconnaître parce que l'antisémitisme constitue une circonstance aggravante qui double les peines, conformément à la loi votée en 2002, à la suite des événements survenus au début de l'année 2000. La logique aurait voulu que cet article du code pénal soit immédiatement appliqué. Or il a fallu attendre une seconde mise en examen en supplétif.
J'aurais souhaité que les faits soient alors également requalifiés en assassinat, mais on a maintenu cette thèse, fantaisiste, d'un homme qui pénètre dans un appartement dont il ne connaît absolument pas l'occupante et qui, pris d'une fureur antisémite à la vue d'une Torah et de chandeliers, la torture et la défenestre. Il est absolument anormal de ne pas avoir reconnu l'évidence de la préméditation, pourtant absolument incontestable.
Le rôle trouble tenu par la famille Diarra a également été totalement occulté dans cette affaire et elle a été considérée par la justice comme une victime de séquestration. Traoré a donc été également mis en examen pour séquestration de la famille Diarra.
La fille Diarra appelle le 17 à quatre heures vingt-et-une. Les policiers de la BAC arrivent devant l'immeuble à quatre heures vingt-cinq et elle leur jette le badge pour rentrer dans l'immeuble. Les trois policiers pénètrent dans l'immeuble et ils se trouvent derrière la porte de l'appartement des Diarra lorsque Traoré fait ses incantations. Ils entendent parler fort en arabe et comprennent qu'il s'agit de prières. Ils appellent la centrale qui leur suggère de forcer la porte s'ils sentent la famille en danger. Ils ne le font pas, mais appellent du renfort. Ils ne sont pas intervenus alors qu'ils en avaient parfaitement la possibilité, disposant de l'instrument nécessaire pour forcer la porte. Sachant que Traoré n'était pas armé, ils auraient parfaitement pu l'appréhender, mais ils ont perdu un temps considérable à discuter avec les Diarra. Ils étaient en contact téléphonique avec cette famille qui a prétendu qu'un individu du quartier avait frappé chez eux en pleine nuit et les avaient séquestrés dans une chambre.
Cependant, la réalité est différente. M. Diarra père a ouvert la porte en pleine nuit à Kobili Traoré, ce filleul qu'il connaissait bien et dont il s'occupait. D'ailleurs, la veille, il était intervenu dans un conflit chez les Traoré. M. Diarra a constaté que Traoré était très excité. Les versions données par les différents membres de la famille Diarra sont discordantes. Dans un premier temps, ils ont prétendu une séquestration. Ensuite, ils ont affirmé s'être réfugiés dans la chambre parce que l'individu était menaçant. Le père a affirmé avoir disposé un buffet devant la porte de la chambre que Traoré aurait tenté en vain de forcer. A contrario, l'un des fils a confirmé que Traoré n'avait proféré aucune menace et qu'ils s'étaient réfugiés dans cette chambre, peut-être – c'est une supposition – parce qu'ils savaient que Traoré était un trafiquant de drogue notoire et qu'ils redoutaient un danger s'il avait été poursuivi par d'autres dealers. Dès lors, la thèse de la séquestration ne tenait pas parce que la famille n'a jamais été menacée. Cependant, la fable racontée par la famille Diarra a été tellement bien prise au sérieux qu'elle est considérée comme victime dans ce dossier.
Pour l'anecdote, M. William Attal s'est rendu chez les Diarra, quelques jours après les faits. Le père Diarra l'a non seulement mal reçu, mais il a également appelé la police. M. Attal s'est vu menacé de représailles par les policiers de la deuxième DPJ s'il revenait chez les Diarra. Une telle hostilité de la part des Diarra semble incompréhensible.
En résumé, selon moi, les points à retenir sont :
- la non-reconnaissance de la préméditation, y compris par les experts psychiatres ;
- la reconnaissance en tant que victime de la famille Diarra malgré des contradictions évidentes et une non-assistance manifeste à personne en péril de la part de cette famille qui s'est comportée comme si elle n'avait rien vu et rien entendu alors que les autres voisins ont été traumatisés par la scène d'horreur qui s'est déroulée sur ce balcon.