Commission d'enquête Chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement
Lundi 13 septembre 2021
La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.
Présidence de M. Meyer Habib, président
C'est avec beaucoup d'émotion et de gravité que j'ouvre nos travaux relatifs à la triste affaire dite « Sarah Halimi ». Cette commission s'affirme trans-partisane et sans intention politique. Elle ne constitue pas un troisième degré de juridiction. La justice a tranché en première instance, en appel, en cassation et elle nous oblige. En revanche, il nous appartient de faire toute la lumière sur les dysfonctionnements éventuels de la justice, de la police et d'autres acteurs afin d'éviter qu'un tel drame se reproduise.
Cette affaire est une immense tragédie. En 2017, une femme a été torturée pendant de très longues minutes et défenestrée, rue de Vaucouleurs à Paris, parce qu'elle était juive. Cette affaire est passée sous silence jusqu'en juillet 2017, date à laquelle l'opinion publique et les médias s'y sont enfin intéressés. Le Président de la République a lui-même rappelé, en janvier 2020, lors de son voyage à Jérusalem, le « besoin de procès ».
Le 14 avril dernier, la Cour de cassation, tout en entérinant le caractère antisémite du crime, a confirmé l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 19 décembre 2019, retenant l'irresponsabilité pénale de Kobili Traoré, en raison d'une « bouffée délirante aiguë », due à la consommation de cannabis. Le meurtrier ne sera donc pas renvoyé devant la cour d'assises de la République.
Cette affaire a suscité une vive émotion non seulement en France, mais également à l'étranger. Après quatre années de souffrance pour la famille, je formule le vœu que cette commission puisse apporter des éclairages sur les éventuels dysfonctionnements.
Je vous rappelle succinctement les faits. Dans la nuit du 4 avril 2017, à quatre heures vingt-et-une, l'opérateur en charge des appels du 17 informe la salle de commandement du deuxième district de l'appel d'un membre de la famille Diarra qui se dit séquestrée par une connaissance, un nommé Kobili, dans son appartement du troisième étage du 26, rue de Vaucouleurs, dans le onzième arrondissement. Après avoir ouvert volontairement la porte, la famille se retranche dans la chambre des parents.
La BAC arrive sur les lieux à quatre heures vingt-cinq et un membre de la famille Diarra lui lance un badge d'accès à l'immeuble par la fenêtre donnant sur la rue. Les policiers entrent immédiatement et se positionnent devant la porte d'entrée des Diarra. Ils se signalent, demandant d'ouvrir la porte. Ils n'obtiennent pas de réponse, mais ils entendent une voix masculine prononcer des prières en arabe. À quatre heures trente, la BAC confirme une possible séquestration en cours.
Dans l'intervalle, après ses prières et après s'être probablement changé, l'auteur est passé du balcon des Diarra à celui de Sarah Halimi, qui dormait.
À quatre heures trente-huit, une deuxième équipe de la BAC arrive sur place. À quatre heures quarante-huit, un équipage de la BAC N75 arrive en renfort.
Plusieurs voisins, témoins directs de la scène, réveillés par les cris, appellent les secours et renseignent les forces de police en direct. Ils affirment notamment que l'homme n'est pas armé et frappe la victime avec une violence extrême de ses poings. La scène se déroule sur le balcon.
À quatre heures quarante-et-une, un témoin appelle les pompiers pour les informer qu'une femme venait d'être défenestrée. Ils arrivent avec le SAMU à quatre heures cinquante-et-une.
Kobili Traoré est interpellé sans la moindre résistance, chez les Diarra, à cinq heures trente-cinq, par la colonne d'assaut de la BAC N75, arrivée sur place entre quatre heures cinquante-deux et quatre heures cinquante-trois.
Traoré arrive au commissariat à sept heures. Il est calme et après quelques heures d'attente sur un banc, et sans la moindre résistance, il est placé en UMD (Unité pour Malades Difficiles).
Lucie Attal, connue sous le nom de Sarah Halimi, sera rapidement identifiée comme la victime.
Pour l'ouverture de cette commission d'enquête, nous auditionnerons ce jour les avocats des parties civiles. Dans les prochaines semaines, nous entendrons les familles des victimes, les fonctionnaires de police, la chaîne de commandement, des témoins, les magistrats du siège et du parquet, l'auteur des faits, les ministres concernés, les autorités religieuses et toute personne qui pourrait être utile à nos travaux.
Je précise, à l'intention de la presse, que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 sera appliqué tout au long de cette commission d'enquête et que certaines séances pourront se dérouler à huis clos, auquel cas un compte rendu total ou partiel sera publié a posteriori.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, Me Jean-Alex Buchinger, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
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(Maître Jean-Alex Buchinger prête serment)
L'objet de cette commission d'enquête ne consiste pas davantage à traiter l'ensemble des exactions liées à l'appartenance à une confession qu'à statuer sur la problématique de l'irresponsabilité pénale. Nous sommes réunis pour décrypter précisément le déroulement des faits et le comportement de M. Traoré dans l'ignoble meurtre de Mme Halimi.
Vous avez parfaitement résumé les faits.
J'ai été l'avocat des trois enfants du Docteur Sarah Halimi du 4 avril 2017 jusqu'à la mi-juillet 2018. J'évoquerai donc uniquement les faits dont j'ai connaissance.
J'ai été saisi le matin même du meurtre, de l'assassinat, de Mme Sarah Halimi parce que je suis notamment l'avocat du Consistoire central et l'avocat du Consistoire de Paris depuis une quinzaine d'années. J'interviens également pour d'autres rabbinats, notamment le rabbinat orthodoxe de Paris.
Ce matin du 4 avril, le rabbin de la communauté orthodoxe, le rabbin Rottenberg, m'informe qu'une femme de sa communauté a été assassinée. Malgré son émotion, je parviens finalement à comprendre que sa première demande consiste à éviter l'autopsie. Je lui explique que, malheureusement, en matière criminelle, ce n'est pas possible. Il me demande alors d'intervenir afin que l'inhumation puisse être réalisée dans les plus brefs délais. Le jour même, j'informe la substitut du procureur de la République du souhait de la famille. Mme Sarah Halimi a été inhumée le 6 avril, en Israël. L'obtention d'un permis d'inhumer dans un délai aussi bref à la suite d'un meurtre est unique dans les annales de la justice.
Les enfants de la victime m'ont alors sollicité pour assurer la défense de leurs intérêts. J'ai accédé au dossier. J'ai rencontré la juge d'instruction qui m'a reçu « comme un chien dans un jeu de quilles ». J'ai été d'autant plus surpris que je représentais les trois enfants d'une femme assassinée – j'insiste sur ce terme. Dans les jours suivants, j'ai rédigé un rapport de synthèse et je le lui ai adressé afin de l'inciter à traiter ce dossier rapidement.
Les trois enfants de Sarah Halimi, juifs de très stricte observance, tout à leur deuil, ne s'intéressaient absolument pas au dossier. En revanche, leur oncle, M. William Attal, s'est immédiatement activement préoccupé de connaître la vérité. J'ai respecté la volonté de mes clients et j'ai travaillé seul. Près de deux mois après le meurtre, la fille aînée de la malheureuse victime m'a informé de son désir de vérité et de justice.
Le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) avait organisé une marche blanche le dimanche suivant l'assassinat, rassemblant alors un millier de personnes. Pourtant, la presse est restée totalement muette sur cette affaire. Sceptique quant à son succès, j'ai donc organisé un point de presse à mon cabinet, le 27 mai, afin que cette affaire sorte de l'anonymat. Étonnamment, un nombre très important de journalistes de la presse écrite, de la radio, de la télévision, les plus grandes signatures, a répondu à mon invitation. Le jour même, l'AFP a publié une dépêche, plusieurs articles sont parus dans divers journaux et magazines, des radios et des chaînes de télévision ont évoqué l'affaire. L'affaire a suscité l'intérêt de la presse, mais cela a surtout déclenché les foudres de la juge d'instruction et mes relations avec elle en ont pâti. Il en fut d'ailleurs de même pour mes confrères qui se sont heurtés au même mépris.
La juge a finalement mis le criminel en examen, plusieurs mois après les faits, parce qu'elle attendait le rapport d'expertise psychiatrique du docteur Zagury.
À la page 67 de ce rapport, figure cette phrase : « Un crime tel que celui-là peut être à la fois délirant et antisémite ». Le Docteur Zagury avait longuement entendu l'assassin et concluait que cette rage antisémite avait été déclenchée par la vision d'une Torah et de chandeliers dans l'appartement de la victime où il était entré « par hasard ». Je ne comprends pas que la justice ait été à ce point bernée.
En effet, depuis dix ans, Traoré habitait à l'étage au-dessus de Mme Halimi. Il la côtoyait régulièrement et savait parfaitement qui elle était. Cette dame juive religieuse était facilement identifiable puisqu'elle portait des robes longues et une perruque. Traoré savait parfaitement qu'elle et sa famille étaient de confession juive et qu'ils étaient pratiquants puisque les enfants portaient la kippa et les gendres portaient un chapeau. Il est donc totalement faux d'affirmer que Traoré est entré par hasard dans cet appartement et que sa barbarie antisémite a été déclenchée par une Torah et des chandeliers. En effet, d'une part, la Torah se trouve uniquement dans les synagogues et personne n'en possède chez soi. D'autre part, les bougeoirs trouvés dans l'appartement étaient ordinaires et ne présentaient aucun signe religieux distinctif. Je regrette que le Docteur Zagury ait été à ce point leurré.
Je regrette qu'on ait occulté l'évidence. En effet, pour commettre son assassinat, Traoré est passé de l'immeuble du 30 rue de Vaucouleurs, où il habitait, à l'immeuble contigu situé au 26, pour se rendre au troisième étage, chez les Diarra. Il connaissait parfaitement cette famille, issue du même village que sa famille et dont le père était un référent de la communauté. Traoré ne s'est pas rendu par hasard chez les Diarra, mais parce que le balcon de leur appartement jouxtait celui de Sarah Halimi. J'affirme donc avec force que Traoré a élaboré ce stratagème pour avoir accès au balcon de Mme Halimi. En outre, il a fait preuve d'un discernement indéniable, car s'il avait été victime d'une bouffée délirante susceptible de le pousser à attenter à la vie d'autrui, il aurait agressé la première personne venue. Or la famille Diarra n'a subi aucune violence.
Entré chez les Diarra, Traoré récite des sourates du Coran et enfile des vêtements qu'il aurait déposés la veille chez les Diarra, comme agissent les terroristes islamistes avant de commettre un crime, et se rend sur le balcon voisin. La manœuvre est périlleuse et impose une agilité et une dextérité dont n'aurait pas disposé une personne dépourvue de son discernement au risque de chuter. Il a ensuite forcé la porte-fenêtre et surpris la malheureuse Sarah Halimi dans son sommeil.
Pendant seize mois, j'ai œuvré en vain pour faire reconnaître la préméditation. Une telle reconnaissance aurait écarté la thèse de l'abolition du discernement, tout au plus eût-on évoqué son éventuelle atténuation. Or tout a été mis en œuvre pour occulter cette préméditation et pour éviter que le parquet requalifie ce meurtre en assassinat.
À l'issue du rapport du Docteur Zagury, le parquet a rédigé un réquisitoire supplétif et sollicité du juge d'instruction la mise en examen de Traoré, avec la circonstance aggravante d'antisémitisme. La juge a obtempéré, non sans mal, puisqu'elle aurait dû indiquer la circonstance aggravante d'antisémitisme dès la mise en examen. Cependant, il est possible que le parquet ne l'ait pas précisé dans son réquisitoire introductif. Dans des affaires où l'antisémitisme est évident, il s'avère toujours complexe de le faire reconnaître parce que l'antisémitisme constitue une circonstance aggravante qui double les peines, conformément à la loi votée en 2002, à la suite des événements survenus au début de l'année 2000. La logique aurait voulu que cet article du code pénal soit immédiatement appliqué. Or il a fallu attendre une seconde mise en examen en supplétif.
J'aurais souhaité que les faits soient alors également requalifiés en assassinat, mais on a maintenu cette thèse, fantaisiste, d'un homme qui pénètre dans un appartement dont il ne connaît absolument pas l'occupante et qui, pris d'une fureur antisémite à la vue d'une Torah et de chandeliers, la torture et la défenestre. Il est absolument anormal de ne pas avoir reconnu l'évidence de la préméditation, pourtant absolument incontestable.
Le rôle trouble tenu par la famille Diarra a également été totalement occulté dans cette affaire et elle a été considérée par la justice comme une victime de séquestration. Traoré a donc été également mis en examen pour séquestration de la famille Diarra.
La fille Diarra appelle le 17 à quatre heures vingt-et-une. Les policiers de la BAC arrivent devant l'immeuble à quatre heures vingt-cinq et elle leur jette le badge pour rentrer dans l'immeuble. Les trois policiers pénètrent dans l'immeuble et ils se trouvent derrière la porte de l'appartement des Diarra lorsque Traoré fait ses incantations. Ils entendent parler fort en arabe et comprennent qu'il s'agit de prières. Ils appellent la centrale qui leur suggère de forcer la porte s'ils sentent la famille en danger. Ils ne le font pas, mais appellent du renfort. Ils ne sont pas intervenus alors qu'ils en avaient parfaitement la possibilité, disposant de l'instrument nécessaire pour forcer la porte. Sachant que Traoré n'était pas armé, ils auraient parfaitement pu l'appréhender, mais ils ont perdu un temps considérable à discuter avec les Diarra. Ils étaient en contact téléphonique avec cette famille qui a prétendu qu'un individu du quartier avait frappé chez eux en pleine nuit et les avaient séquestrés dans une chambre.
Cependant, la réalité est différente. M. Diarra père a ouvert la porte en pleine nuit à Kobili Traoré, ce filleul qu'il connaissait bien et dont il s'occupait. D'ailleurs, la veille, il était intervenu dans un conflit chez les Traoré. M. Diarra a constaté que Traoré était très excité. Les versions données par les différents membres de la famille Diarra sont discordantes. Dans un premier temps, ils ont prétendu une séquestration. Ensuite, ils ont affirmé s'être réfugiés dans la chambre parce que l'individu était menaçant. Le père a affirmé avoir disposé un buffet devant la porte de la chambre que Traoré aurait tenté en vain de forcer. A contrario, l'un des fils a confirmé que Traoré n'avait proféré aucune menace et qu'ils s'étaient réfugiés dans cette chambre, peut-être – c'est une supposition – parce qu'ils savaient que Traoré était un trafiquant de drogue notoire et qu'ils redoutaient un danger s'il avait été poursuivi par d'autres dealers. Dès lors, la thèse de la séquestration ne tenait pas parce que la famille n'a jamais été menacée. Cependant, la fable racontée par la famille Diarra a été tellement bien prise au sérieux qu'elle est considérée comme victime dans ce dossier.
Pour l'anecdote, M. William Attal s'est rendu chez les Diarra, quelques jours après les faits. Le père Diarra l'a non seulement mal reçu, mais il a également appelé la police. M. Attal s'est vu menacé de représailles par les policiers de la deuxième DPJ s'il revenait chez les Diarra. Une telle hostilité de la part des Diarra semble incompréhensible.
En résumé, selon moi, les points à retenir sont :
- la non-reconnaissance de la préméditation, y compris par les experts psychiatres ;
- la reconnaissance en tant que victime de la famille Diarra malgré des contradictions évidentes et une non-assistance manifeste à personne en péril de la part de cette famille qui s'est comportée comme si elle n'avait rien vu et rien entendu alors que les autres voisins ont été traumatisés par la scène d'horreur qui s'est déroulée sur ce balcon.
Ils ont appelé la police parce que Traoré n'était pas dans un état normal. Cependant, ils auraient pu ouvrir la porte aux policiers quand Traoré a quitté leur appartement. Ils ne pouvaient pas ignorer ce qui se déroulait à côté, mais ils n'ont pas ouvert la porte.
À plusieurs reprises, vous avez indiqué avoir été mal reçu par la juge d'instruction et évoqué son mépris total. Sur quels faits précis fondez-vous ces propos ? Comment expliquez-vous ces rapports tendus avec cette juge ?
Je ne l'explique pas. Je suis convaincu qu'elle ne faisait preuve d'aucun a priori, de quelque ordre que ce soit. Par nature probablement, cette juge d'instruction n'était simplement pas ouverte au dialogue. Néanmoins, après un an de défense des intérêts des trois enfants Halimi, j'ai été rejoint par Me Francis Szpiner et son associée, Me Caroline Toby. Me Szpiner m'a indiqué entretenir d'excellentes relations avec cette juge d'instruction et qu'il n'aurait aucune difficulté à dialoguer avec elle. J'ai donc estimé préférable, dans l'intérêt de nos clients, de me retirer totalement du dossier en juillet 2018.
J'ai déposé une demande à la juge d'instruction visant à organiser une reconstitution. L'expert psychiatre, le Docteur Zagury, a alors examiné à nouveau Traoré et a déposé un rapport aux termes duquel il estimait que cette reconstitution pouvait parfaitement avoir lieu et que Traoré lui-même acceptait d'y participer, mais qu'il importait de prévoir la présence, d'une part, d'infirmiers psychiatriques, de sorte à éviter une récidive de bouffée délirante, et, d'autre part, d'une protection policière. La juge d'instruction a refusé cette reconstitution arguant qu'elle ne présentait aucun intérêt puisque les faits étaient reconnus. Pour ma part, j'étais convaincu qu'une reconstitution permettrait de parvenir à la manifestation de la vérité.
Une reconstitution est presque systématiquement ordonnée en matière criminelle. Il est exceptionnel de ne pas l'ordonner.
J'ai fait appel de cette ordonnance de refus de reconstitution et, le lendemain, le procureur de la République de Paris a également fait appel. L'affaire a alors été présentée devant la chambre de l'instruction. Les nombreux avocats des parties civiles, l'avocat de la défense, l'avocat général et le procureur général de la République, rassemblés devant la chambre d'instruction, étaient majoritairement favorables à la reconstitution, à l'exception de Me Szpiner, qui la considérait sans intérêt. Logiquement, la chambre d'instruction, juridiction d'appel du juge d'instruction, aurait dû ordonner cette reconstitution pour une bonne administration de la justice et pour une manifestation de la vérité. Curieusement, malgré l'unanimité qui lui était opposée, la chambre de l'instruction a confirmé ce refus de reconstitution. Cette décision demeure pour moi un mystère.
S'agissant de l'intervention de la police, de nombreux témoignages ont signalé sa lenteur. Comment expliquez-vous qu'arrivés rapidement sur les lieux, les policiers n'entrent pas chez les Diarra alors qu'ils entendent Traoré faire ses prières ?
Discernez-vous des dysfonctionnements et quelles en ont été les conséquences ?
Avez-vous identifié des dispositions législatives qui vous sembleraient nécessaires afin d'améliorer l'intervention des forces de l'ordre ?
Une reconstitution aurait permis d'éclairer le rôle trouble des Diarra et de comprendre le dysfonctionnement policier. Pour ma part, je n'accablerai pas les policiers. Ils ont été pris de court et je pense que certains d'entre eux ont eu peur. Une reconstitution aurait éclairé ce dysfonctionnement policier et permis de comprendre le comportement des policiers, mais elle n'a pas été ordonnée.
Pourquoi le caractère antisémite du meurtre du docteur Halimi a-t-il été introduit si tardivement dans la qualification des faits ? Quarante-huit heures après les faits, M. Attal, que je ne connaissais pas, m'a appelé à l'Assemblée nationale. Il s'est confié à moi pendant près d'une heure et demie. Il a évoqué l'éventualité d'un acte antisémite. Cependant, le grand rabbin de France et le président du Consistoire m'ont appelé pour me dire qu'à ce stade, rien ne confirmait le caractère antisémite. Quels faits précis vous ont confirmé ce caractère antisémite ? Pourquoi, selon vous, a-t-il été reconnu aussi tardivement ?
Il semble que cette reconnaissance tardive soit liée, selon certains, à la proximité de l'élection présidentielle. Certains ont prétendu qu'en 2002, un meurtre odieux avait pesé dans l'élection, apportant des arguments à M. Le Pen. La presse n'aurait pas évoqué cette affaire afin qu'elle ne soit pas utilisée par le Front national. En réalité, je n'en sais rien ; c'est une supposition que j'ai lue et entendue.
Selon moi, le caractère antisémite était évident. Cet individu ne s'est pas introduit par hasard dans l'appartement de Mme Attal. Ses propos de terroriste islamiste étaient clairs (« Allahou akbar », « Tu vas payer pour mon frère », etc.).
Je l'ignore. Je crois que le fils aîné de la famille a disparu.
Par ailleurs, on a prétendu que Traoré avait massivement consommé du cannabis, ce qui aurait aggravé son état et aboli son discernement.
L'examen toxicologique a été pratiqué assez tardivement, plusieurs heures après les faits. Toutefois, les amis de Traoré ont affirmé à plusieurs reprises qu'il n'avait pas fumé plus que d'habitude.
Je vous confirme ces propos et il semblerait par ailleurs que l'analyse toxicologique n'ait pas révélé une absorption massive de cannabis.
Après avoir torturé cette malheureuse victime, lorsqu'il a constaté la présence de la police dans la cour, Traoré a eu une réaction qui n'est pas celle d'un homme sans discernement puisqu'il a crié à deux reprises : « Attention ! Une femme va se suicider ! ». Il a donc simulé un suicide ce qui impose de disposer d'une once de conscience.
Les faits se sont déroulés le 4 avril et le premier tour de l'élection présidentielle le 23 avril. J'ignore si ce rapprochement présente un intérêt, mais puisque vous le faites, nous le notons. Traoré a été mis en examen le 10 juillet, mais il faudra attendre le 27 février 2018 pour une mise en examen complémentaire du fait de la reconnaissance du crime antisémite. In fine, la justice reconnaît le caractère antisémite du crime.
Vous considérez que ce caractère antisémite a été masqué en raison du contexte électoral. Pour autant, Traoré n'est mis en examen que le 10 juillet. Comment, selon vous, la justice aurait-elle pu prêter la main à une forme d'opération de banalisation dans ce contexte politique particulier, au point de prévoir la mise en examen trois mois et demi après les faits ? Cela paraît difficile à concevoir.
Par ailleurs, l'irresponsabilité est au cœur d'une partie du débat. Un texte de loi est en cours de rédaction. Il traite la question non pas de l'irresponsabilité en tant que telle, mais de l'origine de l'irresponsabilité liée à la prise de produits stupéfiants, puisque la loi actuelle n'en tient pas compte. Vos explications laissent à penser que la parole des experts a été prépondérante sur la manifestation de la vérité. Qu'en est-il selon vous ?
La question de l'intervention de la police se pose. Les policiers arrivent très rapidement après avoir été avertis, mais ils n'interviennent que beaucoup plus tard. Vous affirmez qu'ils disposaient de moyens d'intervention. Cela pourra faire l'objet d'une discussion, car ce n'est pas aussi certain. Selon vous, pour quelle raison les policiers ne sont-ils pas intervenus ? La situation ne présentait apparemment pas de danger particulier. Ils entendaient simplement quelqu'un dire des sourates du Coran. Ils n'ont aucune conscience, à leur arrivée, des faits qui se dérouleront par la suite. Selon l'enquête, ils constateront que Mme Halimi a été défenestrée uniquement lorsqu'ils redescendront dans la cour. Qu'est-ce qui pourrait justifier que les policiers aient autant tardé ? Le contexte familial des Diarra est-il en cause ? L'ignorance du fait que la victime potentielle soit juive est-elle en cause ? Comment interprétez-vous ces constats ?
En matière de justice, le délai de quatre mois n'est pas anormal lorsque l'auteur des faits est placé en hôpital psychiatrique. Mes propos ne remettent pas en cause le fonctionnement de la justice. En revanche, la presse est restée silencieuse sur cette affaire pendant deux mois en raison, selon certains, du contexte électoral.
Pensez-vous que la presse se serait autocensurée dans ce contexte-là ? Ce serait tout de même très inhabituel en regard de l'histoire de chaque élection présidentielle qui a vu surgir des faits qui, au demeurant, ont sans aucun doute eu une incidence sur les votes.
Votre question ne me concernait pas directement. Je vous ai répondu au vu de ce que j'ai lu dans la presse ou dans les livres. Je n'ai aucune certitude quant au bien-fondé de ces allégations qui sortent du cadre de ma compétence.
La qualification de caractère antisémite semble, selon vous, résulter davantage du travail du premier expert psychiatre intervenant que de la manifestation d'une vérité issue de l'enquête.
Le rapport du Docteur Zagury a effectivement permis la requalification en crime avec la circonstance aggravante d'antisémitisme, notamment la phrase que j'ai relevée et que je vous ai citée. C'est une certitude. Le parquet a alors pris la décision de requalifier les faits et la juge d'instruction a été obligée de prononcer une mise en examen.
Cependant, je le répète, il me paraît évident qu'un homme victime d'une bouffée délirante agresserait la première personne venue, sans opérer une sélection aussi méticuleuse de sa victime. Traoré ne s'est pas rendu par hasard chez Mme Halimi ; il est allé la chercher et il l'a trouvée par le seul moyen à sa disposition, à savoir en passant de l'appartement de ses amis à celui de sa victime, en forçant la porte-fenêtre et en la surprenant dans son sommeil.
Les policiers ont été appelés pour une tentative de séquestration. Ils sont donc sur place lorsque des voisins appellent également la police en disant entendre des cris et constater des manifestations de violence. Les policiers confirment-ils avoir entendu ces cris ?
Les policiers constatent ensuite qu'une personne s'est défenestrée ou a été défenestrée alors qu'ils ont été appelés dans un contexte impliquant déjà M. Traoré. Ils peuvent donc déjà imaginer ce qui s'est passé.
Par ailleurs, il semble que le procureur n'ait pas demandé d'autopsie puisque Mme Halimi a été enterrée très rapidement en Israël. Ce constat est surprenant dans un tel contexte.
La famille Diarra a induit la police en erreur en prétendant qu'elle était séquestrée. Si elle avait coopéré comme elle aurait dû le faire, les policiers auraient facilement pu intervenir. Ils ont été appelés pour une séquestration et ils ne pouvaient pas deviner les faits qui se dérouleraient ensuite.
Certains des policiers ont entendu des cris, mais ils affirment ne pas avoir pu déterminer d'où ils provenaient. La configuration des immeubles est particulière. L'appartement de Mme Halimi où se sont déroulés les faits donne sur la cour. Les policiers sont arrivés par le côté rue. Une plainte contre X a été déposée, à laquelle j'ai refusé de m'associer parce que je mesure la difficulté du travail des policiers et je ne souhaitais pas les accabler sans que tout soit mis en œuvre pour accéder à la vérité. Or la reconstitution représentait le seul moyen d'y parvenir, mais elle a été refusée.
Par ailleurs, je me suis probablement mal exprimé s'agissant de l'autopsie puisqu'elle a été réalisée comme il se doit.
Il ne s'agit pas de mettre en cause la responsabilité des policiers. Je souhaitais simplement savoir ce qu'ils avaient entendu dans un contexte effectivement très complexe.
Vous nous avez exposé des éléments qui peuvent totalement emporter notre conviction profonde de l'existence d'une préméditation : connaissance de la victime et de sa confession juive, vraisemblablement, puisqu'il était son voisin ; passage par le balcon du troisième étage afin d'accéder facilement à l'appartement de la victime, etc. Ne pensez-vous pas, d'ailleurs, qu'il aurait peut-être été plus simple de descendre d'un étage ? L'auteur des faits a dit des prières avant d'agir ; il a changé de tenue, etc. Vous avez également évoqué une surconsommation de cannabis, une bouffée délirante, la fureur déclenchée par la vue de chandeliers et d'une Torah – alors, d'ailleurs, qu'il n'y en avait pas chez Mme Halimi. Pouvez-vous nous indiquer quels éléments ont été retenus afin d'écarter vos arguments sur la préméditation ?
Par ailleurs, vous exprimez clairement vos doutes quant au caractère de victime de la famille Diarra. Il semble que la police ait été en contact permanent avec les Diarra durant toute cette triste soirée. Pourquoi les Diarra ne leur ont-ils pas ouvert la porte alors que Traoré avait quitté leur appartement et qu'ils n'étaient plus séquestrés ?
Effectivement, la solution la plus simple eût été de descendre un étage et de sonner chez Mme Halimi, mais elle n'aurait jamais ouvert la porte et aurait appelé la police. Cet homme a donc été suffisamment intelligent et sa préméditation suffisamment sophistiquée pour qu'il comprenne que le seul moyen de l'atteindre consistait à passer par le balcon de l'immeuble contigu et à forcer la porte-fenêtre.
Je ne pense pas qu'il y serait parvenu. En revanche, il aurait peut-être pu passer par la façade, mais je ne connais pas suffisamment la configuration des lieux. Il semble que la solution choisie ait été la plus simple et la plus évidente afin de surprendre sa victime.
S'agissant de la préméditation, le rapport d'expertise du Docteur Zagury a été l'élément majeur sur lequel a été basé le refus de reconnaître la préméditation. Ce dernier a affirmé que lorsque Troaré avait découvert une Torah et des bougeoirs dans l'appartement dans lequel il avait pénétré, il avait alors compris qu'il se trouvait chez une juive, ce qui l'avait rendu fou. Cette assertion a été acceptée pour irréfutable à tous les degrés de la juridiction qui ont considéré qu'il s'agissait de la vérité vraie. Si le Docteur Zagury avait davantage approfondi son analyse afin d'identifier les motivations de cet homme, il aurait compris qu'il n'était pas entré par hasard dans cet appartement, mais qu'il y était allé précisément parce qu'il voulait atteindre Mme Halimi. L'affaire se serait peut-être alors déroulée différemment et aurait connu une autre issue. Traoré aurait peut-être été jugé devant une cour d'assises. Néanmoins, on a simplement voulu nous faire admettre un choix fortuit de la victime. Or il est évident que, dans une telle hypothèse, la victime aurait dû être M. Diarra, sa femme ou ses enfants. La préméditation étant manifeste, l'assassinat est manifeste. Mon plus grand regret dans cette affaire réside dans le fait qu'aucune mise en examen n'ait été prononcée sous le chef d'assassinat et qu'on ait considéré qu'il s'agissait d'un homicide volontaire, donc d'un meurtre, perpétré un peu au hasard.
Traoré avait-il des antécédents psychiatriques ? Il a été condamné à plusieurs reprises et a fait plusieurs séjours en prison. Ces différentes condamnations ont-elles fait l'objet de mentions de non-discernement ?
Par ailleurs, il a indiqué fumer entre quinze et dix-neuf « joints ». Or les analyses toxicologiques ont fait état d'une concentration modérée de tétrahydrocannabinol (THC) dans le sang.
Enfin, un ami intime de Traoré a écrit sur son compte Facebook : « Je savais que tu avais l'esprit tordu et en même temps je ne peux qu'être admiratif sur ton choix d'antisémitisme. Allez, fais ton coming out et, comme moi, tu te sentiras libéré ».
Je crois que Traoré a fait son coming out et qu'il a modifié son nom sur Facebook. Si tel est le cas, c'est grave, car cela confirmerait que nous sommes passés à côté de la vérité.
S'agissant de ses antécédents psychiatriques, j'ai été récemment approché par un professeur en psychiatrie, le professeur Samuel Lepastier, chef de service de psychiatrie à la Salpêtrière. Il s'est intéressé à cette affaire au vu des articles parus dans la presse et il a travaillé sur son volet psychiatrique. Je pense qu'il serait très intéressant que vous puissiez l'entendre en tant qu'expert psychiatre totalement étranger à l'affaire. Il a une vision extrêmement claire de la réalité sur le plan psychiatrique, domaine qui ne relève pas de mes compétences.
Quoi qu'il en soit, Traoré n'a pas d'antécédents de schizophrénie et il ne souffre actuellement d'aucune maladie de ce type. Dès lors, bien qu'il soit hospitalisé, il n'est pas soigné puisqu'il n'est pas malade. D'ailleurs, ce constat interroge, mais je suppose que les psychiatres que vous auditionnerez seront à même de vous éclairer utilement.
Toutefois, Traoré est indéniablement un psychopathe, comme le sont tous les meurtriers. Dans son enfance, il a été placé et s'est montré très turbulent. Il a été renvoyé de plusieurs internats. Il est probable que l'aide sociale à l'enfance dispose d'un dossier relatif à son état mental de l'époque. Or personne n'a eu la curiosité d'investiguer dans cette direction. Traore a été condamné à vingt-quatre reprises, je crois, pour des faits très graves, notamment pour avoir brûlé une des victimes de ses vols. Il a séquestré une voisine vivant au rez-de-chaussée de son immeuble et c'est Mme Halimi qui a secouru cette malheureuse femme d'origine vietnamienne. Pour autant, aucune expertise psychiatrique n'a jamais été ordonnée. Personne n'a considéré qu'il pouvait être atteint d'une pathologie mentale.
La réunion se termine à dix heures cinquante.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement
Réunion du lundi 13 septembre 2021 à 9 h 45
Présents. - M. Meyer Habib, M. François Jolivet, Mme Constance Le Grip, Mme Florence Morlighem, M. Didier Paris, M. François Pupponi, M. Julien Ravier
Excusé. - M. Didier Martin