Cependant, selon certains experts, sa forte consommation antérieure aurait pu générer l'équivalent d'un delirium tremens en matière d'alcoolisme et expliquerait la bouffée délirante. Je suis incapable de fournir un avis éclairé sur cette question.
Pour autant, pour de nombreuses raisons, je ne peux pas accepter cette thèse. En effet, imaginons qu'un individu en proie à un delirium tremens écrase deux enfants sur un passage protégé, j'aurais beaucoup de difficultés à considérer qu'il n'est pas responsable d'avoir ingurgité de l'alcool, vingt-quatre ou quarante-huit heures avant les faits. Le désir de se faire du mal et de pouvoir faire du mal aux autres est volontaire. La modification de la loi est peut-être pertinente, mais en la circonstance, elle n'aurait rien changé.
J'aurais souhaité, comme cela se passait d'ailleurs autrefois systématiquement, plaider ce dossier devant la cour d'assises. J'aurais souhaité opposer le rapport Zagury à l'autre rapport devant la cour d'assises. Ensuite, ce dossier aurait fait l'objet d'une décision populaire.
M. Traoré est un délinquant notoire qui a été condamné à de multiples reprises pour avoir consommé de la drogue. De mémoire, en 2015, il a été condamné à une peine de sursis pour conduite sans permis sous l'emprise de substances toxiques ; une peine de sursis, alors même qu'il avait déjà un casier judiciaire très chargé. Si, à la dixième condamnation, alors même qu'il est gravissime de conduire sans permis et sous l'effet de substances toxiques, il avait été condamné à une peine appropriée, peut-être que Sarah Halimi serait encore vivante. Il n'est donc pas possible de séparer les dysfonctionnements judiciaires généraux de ce dysfonctionnement judiciaire particulier.
Devant la chambre de l'instruction, j'ai demandé à Traoré si, selon lui, il était accessible à une décision pénale, s'il était prêt à comparaître devant la cour d'assises pour répondre de son crime. Il m'a répondu « oui », tranquillement, calmement. Pour autant que je puisse, en quelques minutes, juger de l'état psychologique d'un individu, je vous assure que cet homme comprenait mes questions et répondait parfaitement. Cela signifie que, dès lors qu'il est sevré, Traoré est normal et je ne vois aucune raison pour qu'il ne soit pas libéré de son établissement psychiatrique quand il ne sera plus sous l'effet de la drogue. Certes, cela ne se produira pas demain, mais peut-être dans quelques mois.
Les choses passent vite, M. le président, tellement vite que je ne constate pas l'intérêt national que votre commission devrait susciter. Dans deux ou trois ans, l'affaire Halimi aura été chassée des esprits. Il n'y aura aucune raison de ne pas considérer que M. Traoré est tout à fait normal puisqu'il est normal.
Pour toutes ces raisons, je n'accepte pas cette décision. Ma cliente, franco-israélienne, a porté l'affaire devant les juridictions israéliennes puisque la loi israélienne autorise les justiciables israéliens à porter plainte pour des faits commis hors du territoire israélien lorsqu'il s'agit d'attentats antisémites.
La chambre de l'instruction a constaté qu'il s'agissait d'un crime antisémite. Intellectuellement, j'ai des difficultés à comprendre comment une instance judiciaire peut concilier l'antisémitisme et l'irresponsabilité. Quoi qu'il en soit, cette décision a permis de rendre la juridiction israélienne d'autant plus compétente que la loi israélienne considère que l'absorption volontaire d'une substance susceptible de rendre fou n'efface pas le châtiment pénal.
En 2018, dans une affaire similaire à la nôtre, la cour d'appel de Versailles a considéré que, loin d'être une circonstance exonératoire, l'absorption de drogue constituait une circonstance aggravante et la Cour de cassation a rejeté le pourvoi diligenté contre cette décision de justice. Cela signifie que l'arsenal juridique et judiciaire français permettait de traduire Traoré devant une cour d'assises.