Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Réunion du lundi 13 septembre 2021 à 14h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • antisémite
  • antisémitisme
  • halimi
  • instruction
  • irresponsabilité
  • traoré
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Commission d'enquête Chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Lundi 13 septembre 2021

La séance est ouverte à quatorze heures.

Présidence de M. Meyer Habib, président

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Me Goldnadel, vous êtes avocat de renom à la Cour et vous avez été très rapidement l'avocat d'une des parties civiles dans les suites pénales de cette terrible et triste affaire de Sarah Halimi.

Il ne s'agit en aucun cas de rejuger cette affaire. L'objectif de cette commission consiste à identifier d'éventuels dysfonctionnements au niveau de la police, de la justice, des expertises médicales, etc., de sorte à éviter qu'un tel drame se reproduise.

Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, Me Gilles-William Goldnadel, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Me Gilles-William Goldnadel prête serment).

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Gilles-William Goldnadel, avocat à la Cour

J'ai juré de dire la vérité, mais il s'agira de ma vérité parce que je ne suis pas objectif. Je tenterai néanmoins d'être honnête intellectuellement. En outre, je m'exprimerai sous réserve de l'observance de mon secret professionnel.

Cette affaire m'a profondément navré. Je suis sûr qu'elle a fait l'objet de graves dysfonctionnements, notamment judiciaires, mais je suis incapable de faire la distinction entre les dysfonctionnements survenus dans l'affaire Halimi et les dysfonctionnements judiciaires généraux auxquels je suis confronté de plus en plus fréquemment. J'affirme, sans exagérer, que j'ai pratiquement vu la justice française mourir sous mes yeux depuis trente ans. Toutefois, comme dans toutes les autres, on ne peut pas faire l'économie d'un regard culturel et psychologique sur cette affaire.

Je n'ai pas été désigné par une partie des membres de la famille éplorée au hasard ou uniquement parce que je suis un avocat relativement connu, mais parce qu'au cours de ma vie judiciaire, intellectuelle et d'essayiste, j'ai été confronté à cette question lancinante de l'antisémitisme « nouveau », qui n'est pas nouveau.

Je considère que le déni de justice auquel nous avons assisté provient d'un déni de réalité qui ne peut pas être compris sans porter un regard culturel et psychologique sur l'état de notre société.

L'antisémitisme que j'ai connu dans ma jeunesse était généralement l'œuvre de petits catholiques ou des ouvriers. Il s'agissait d'un antisémitisme traditionnel, pas uniquement issu de l'extrême droite, mais sociologiquement partagé par une partie de l'opinion et basé sur la théorie du peuple déicide ou sur celle selon laquelle les juifs détiennent l'argent. En revanche, mes enfants ont connu à l'école, et pas dans des quartiers pauvres, l'antisémitisme d'origine islamique. Telle est la réalité d'aujourd'hui, bien que la précédente n'ait pas disparu malgré une certaine atténuation.

J'ai donc passé une partie de ma vie intellectuelle et judiciaire, dans les livres et dans les prétoires, à essayer de lutter contre ce déni du réel qui consistait à contester la réalité, la vigueur, la progression de l'antisémitisme d'origine islamique.

La vérité m'oblige à dire que le déni du réel est plus puissant à gauche, parmi ceux qui, dans le passé, luttaient avec le plus d'ardeur contre l'antisémitisme d'extrême-droite. J'ai vécu ce constat comme une sorte de trahison.

Sur les plans judiciaire et intellectuel, je me suis efforcé de regarder la vérité en face sans jubilation. N'étant pas non plus un spécialiste de l'antisémitisme islamique, je suis incapable de distinguer l'antisémitisme islamique d'origine coranique de la question israélo-palestinienne, dans laquelle d'ailleurs une partie de l'extrême-gauche a jeté de l'huile sur le feu, et aussi d'une sorte d'antisémitisme social ou de conspirationnisme.

Quoi qu'il en soit, j'ai rencontré un déni du réel tellement puissant à l'époque, que ceux qui arguaient d'antisémitisme islamique sentaient le soufre, étaient classés à l'extrême-droite ou considérés comme racistes, non seulement probablement pour des raisons électoralistes, mais également parce que le musulman immigré incarnait – et incarne toujours – le réprouvé social auquel il est répréhensible d'en vouloir. Dans ce cadre, j'ai affronté un déni du réel, notamment au plan judiciaire, extrêmement puissant.

À titre d'exemple, j'ai défendu le rabbin Sarfati, président de l'association judéo-musulmane – qu'on ne peut donc pas taxer d'islamophobie –, qui, au sortir de la synagogue dans laquelle il œuvrait, s'était fait rouer de coups par quelques Maghrébins. Le procureur d'Evry de l'époque m'a expliqué que l'acte n'était pas antisémite. À cette même époque, Lionel Jospin, pourtant philosémite et tout à fait respectable, considérait que ce à quoi nous assistions ne relevait pas de l'antisémitisme.

Cette dénégation du réel perdure dans une partie de ce qu'on appelle les élites, se partageant entre les médias, les politiques et le monde judiciaire. Dans sa prééminence, elle me reste d'autant plus mystérieuse qu'elle émanait de gens qui avaient fait montre d'un philosémitisme ardent et militant. Dans l'affaire du petit Rudy Haddad, je me suis heurté à la même résistance du judiciaire. En outre, le déni du réel implique étrangement le déni d'empathie qui constitue probablement un positionnement défensif ou protecteur.

Je ne suis pas un juif imaginaire, je suis un juif du réel. Je suis aussi un avocat et dans le cadre de ma profession, je fais en sorte de m'extraire de cette vision parfois épidermique des situations.

S'agissant de la tragique affaire Halimi, j'ai assisté non seulement à un déni du réel, mais également à un déni de justice et à un déni d'empathie ; ces trois dénis étant, selon moi, totalement liés. À titre d'exemple le plus frappant, alors que je représentais une partie de la famille éplorée, j'ai sollicité à plusieurs reprises, une rencontre avec la juge d'instruction. Chaque fois, il m'a été répondu que Mme la juge d'instruction ne recevait pas. De guerre lasse, je lui ai adressé un courrier en lui indiquant qu'en trente ans d'exercice de ma profession, aucun magistrat ne m'avait refusé un entretien. J'ignorais qu'elle avait rencontré Me Buchinger. Dès lors, j'en viens à conclure, qu'à ses yeux, j'incarnais peut-être très exactement ce qu'idéologiquement elle déteste. En effet, je suis connu pour avoir été l'un des contempteurs principaux de l'antisémitisme « nouveau ». Je regrette de devoir vous livrer cette explication, mais je n'en vois pas d'autres. En effet, au regard du déni d'empathie et du déni du réel que je soupçonne, son refus réitéré de me rencontrer me laisse à penser que je ne suis pas très loin de la vérité.

De la même manière, lorsque le parquet a décidé de requérir en matière d'antisémitisme, le magistrat a traîné de manière totalement anormale avant d'apporter cette réponse. J'ai honte à vous dire que j'ai dû lui adresser une lettre extrêmement circonstanciée pour lui faire des reproches appropriés et lui reprocher également de ne pas vouloir répondre à cette question élémentaire posée par le procureur de Paris. Il a fallu que je fasse publier cette lettre dans un organe important de la presse parisienne pour obtenir une réponse. C'était la première fois que j'étais contraint d'agir ainsi.

Par ailleurs, le refus d'organiser une reconstitution du drame m'a beaucoup surpris. Il s'agissait pourtant d'un drame. Il est très rare qu'une reconstitution soit refusée d'autant plus quand la partie adverse et le Parquet ne s'y opposent pas. Je dois avouer que j'en veux tout autant à la cour d'appel qui a finalement suivi les décisions du magistrat instructeur. Mon regard se porte donc au-delà de cette juge d'instruction que je n'ai pas l'heur de connaître et que je suis incapable de vous décrire, physiquement ou psychologiquement.

L'avocat de Traoré, mon confrère Bidnic, est un avocat de haute tenue auquel je tiens à rendre un hommage appuyé. Il n'est jamais entré en guerre contre nous et il ne s'est pas opposé à nos demandes.

C'est la première fois que je constate de tels dysfonctionnements.

Il existe une tendance politique, judiciaire et médiatique lourde de déresponsabiliser les attentats islamistes qui consiste à considérer que leurs auteurs sont fous. Certes, ils ne sont pas des modèles d'équilibre. Un individu qui se fait sauter lui-même, qui sacrifie sa vie n'est pas un modèle d'équilibre. Cependant, j'observe une tendance lourde à mettre en exergue la piste psychologique. Je constate que, s'agissant des suprémacistes blancs, par exemple, qui ne sont pas tous des modèles d'équilibre, ou de M. Breivik, le Norvégien dont on a douté de la santé mentale, cela n'a empêché personne de les considérer, à juste titre, comme très responsables. Dans la tendance lourde à vouloir excuser ou nier l'antisémitisme lorsqu'il n'est pas d'origine française, au sens classique du terme, la piste psychologique est privilégiée.

Dans cette affaire, je pense que les magistrats ont été très largement les jouets de leur propre psychologie et de leur propre univers culturel. C'est l'unique explication que je trouve à l'inexplicable.

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La juge d'instruction a-t-elle répondu à vos courriers ?

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Gilles-William Goldnadel, avocat à la Cour

Jamais le magistrat instructeur ne m'a fait l'honneur d'une réponse. Parfois, la greffière nous faisait savoir que le magistrat instructeur n'avait pas coutume de recevoir les avocats.

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Cela correspond-il à une réalité dans les autres affaires que vous avez traitées ?

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Gilles-William Goldnadel, avocat à la Cour

Il ne m'est jamais arrivé de me voir opposer ce refus, a fortiori lorsque j'insiste.

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Les policiers sont arrivés trois ou quatre minutes après l'entrée de Traoré chez les Diarra. Avez-vous identifié un dysfonctionnement lié à cette intervention ?

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Gilles-William Goldnadel, avocat à la Cour

Mon esprit critique n'est pas très aiguisé envers les forces de police qui se trouvent confrontées à une situation épouvantable. Pour autant, dans cette affaire, force est de constater que certains faits s'avèrent inexplicables. Je considère en effet qu'ils relèvent d'un dysfonctionnement, mais je suis incapable de vous l'expliquer réellement.

Je ne pense pas que les policiers aient fait preuve de mauvaise volonté. Ils sont arrivés avec une grande célérité et ils se sont trouvés sur les lieux pendant au minimum une vingtaine de minutes avant que l'irréparable soit commis. Les cris de la malheureuse ont réveillé les voisins alors que les faits se déroulaient en pleine nuit. L'immeuble en face est très proche de la scène du crime. Un habitant de cet immeuble a tout entendu et il a enregistré la scène. Il a été sidéré que les forces de sécurité qui se trouvaient sur place ne soient pas intervenues.

J'ai porté plainte auprès du procureur de la République, une plainte simple dans laquelle j'expliquais mon incompréhension et à laquelle il n'a jamais donné suite. Les policiers eux-mêmes ont livré des témoignages contradictoires. De mémoire, l'un d'eux a expliqué qu'ils attendaient les forces antiterroristes. Un autre a livré une explication différente. Je crois – mais c'est une pure spéculation intellectuelle de ma part – qu'ils ont craint d'être confrontés à un terroriste, qu'ils attendaient des renforts et que leur attente a été fatale. Ils auraient peut-être pu sauver la malheureuse avant qu'elle soit défenestrée. C'est mon explication, mais je n'ai aucune certitude. Quoi qu'il en soit, il est totalement invraisemblable qu'alors que les forces de police sont sur place depuis vingt minutes, elles n'interviennent pas en flagrant délit. Cette invraisemblance ne s'explique que par l'incompétence.

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S'agissant de la prise de stupéfiants, plusieurs versions divergent. Les amis de Traoré prétendent qu'il a très peu fumé. Lui-même indique avoir fumé dix à quinze « joints », ce qui a conduit les experts à trancher pour une altération ou une abolition du discernement.

L'Assemblée nationale examine un projet de loi qui modifiera la responsabilité pénale des personnes qui ont volontairement assimilé des stupéfiants. Toutefois, je souhaiterais connaître votre sentiment sur ce point.

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Gilles-William Goldnadel, avocat à la Cour

D'abord, je ne peux pas m'empêcher de relier cette décision funeste avec le contexte culturel et psychologique que je vous ai décrit, au moins dans l'inconscient de certains magistrats. La dénégation du crime, au sens pénal du terme, constitue une manière, au moins inconsciente, de l'excuser.

Par ailleurs, j'ignore totalement qu'elle était la consommation de Traoré.

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L'analyse toxicologique faite quelques heures après les faits a montré de faibles traces de drogue.

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Gilles-William Goldnadel, avocat à la Cour

Cependant, selon certains experts, sa forte consommation antérieure aurait pu générer l'équivalent d'un delirium tremens en matière d'alcoolisme et expliquerait la bouffée délirante. Je suis incapable de fournir un avis éclairé sur cette question.

Pour autant, pour de nombreuses raisons, je ne peux pas accepter cette thèse. En effet, imaginons qu'un individu en proie à un delirium tremens écrase deux enfants sur un passage protégé, j'aurais beaucoup de difficultés à considérer qu'il n'est pas responsable d'avoir ingurgité de l'alcool, vingt-quatre ou quarante-huit heures avant les faits. Le désir de se faire du mal et de pouvoir faire du mal aux autres est volontaire. La modification de la loi est peut-être pertinente, mais en la circonstance, elle n'aurait rien changé.

J'aurais souhaité, comme cela se passait d'ailleurs autrefois systématiquement, plaider ce dossier devant la cour d'assises. J'aurais souhaité opposer le rapport Zagury à l'autre rapport devant la cour d'assises. Ensuite, ce dossier aurait fait l'objet d'une décision populaire.

M. Traoré est un délinquant notoire qui a été condamné à de multiples reprises pour avoir consommé de la drogue. De mémoire, en 2015, il a été condamné à une peine de sursis pour conduite sans permis sous l'emprise de substances toxiques ; une peine de sursis, alors même qu'il avait déjà un casier judiciaire très chargé. Si, à la dixième condamnation, alors même qu'il est gravissime de conduire sans permis et sous l'effet de substances toxiques, il avait été condamné à une peine appropriée, peut-être que Sarah Halimi serait encore vivante. Il n'est donc pas possible de séparer les dysfonctionnements judiciaires généraux de ce dysfonctionnement judiciaire particulier.

Devant la chambre de l'instruction, j'ai demandé à Traoré si, selon lui, il était accessible à une décision pénale, s'il était prêt à comparaître devant la cour d'assises pour répondre de son crime. Il m'a répondu « oui », tranquillement, calmement. Pour autant que je puisse, en quelques minutes, juger de l'état psychologique d'un individu, je vous assure que cet homme comprenait mes questions et répondait parfaitement. Cela signifie que, dès lors qu'il est sevré, Traoré est normal et je ne vois aucune raison pour qu'il ne soit pas libéré de son établissement psychiatrique quand il ne sera plus sous l'effet de la drogue. Certes, cela ne se produira pas demain, mais peut-être dans quelques mois.

Les choses passent vite, M. le président, tellement vite que je ne constate pas l'intérêt national que votre commission devrait susciter. Dans deux ou trois ans, l'affaire Halimi aura été chassée des esprits. Il n'y aura aucune raison de ne pas considérer que M. Traoré est tout à fait normal puisqu'il est normal.

Pour toutes ces raisons, je n'accepte pas cette décision. Ma cliente, franco-israélienne, a porté l'affaire devant les juridictions israéliennes puisque la loi israélienne autorise les justiciables israéliens à porter plainte pour des faits commis hors du territoire israélien lorsqu'il s'agit d'attentats antisémites.

La chambre de l'instruction a constaté qu'il s'agissait d'un crime antisémite. Intellectuellement, j'ai des difficultés à comprendre comment une instance judiciaire peut concilier l'antisémitisme et l'irresponsabilité. Quoi qu'il en soit, cette décision a permis de rendre la juridiction israélienne d'autant plus compétente que la loi israélienne considère que l'absorption volontaire d'une substance susceptible de rendre fou n'efface pas le châtiment pénal.

En 2018, dans une affaire similaire à la nôtre, la cour d'appel de Versailles a considéré que, loin d'être une circonstance exonératoire, l'absorption de drogue constituait une circonstance aggravante et la Cour de cassation a rejeté le pourvoi diligenté contre cette décision de justice. Cela signifie que l'arsenal juridique et judiciaire français permettait de traduire Traoré devant une cour d'assises.

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Vos explications ne nous simplifient pas la tâche parce que vous faites un vaste détour par des données culturelles complexes à appréhender par une commission d'enquête, bien qu'elle ne refuse pas a priori de les aborder.

Les faits se sont déroulés le 4 avril. Traoré a été mis en examen initialement, hors antisémitisme, le 10 juillet, soit plus de trois mois après les faits. Le 20 septembre, le procureur de la République produit un réquisitoire supplétif intégrant l'antisémitisme comme circonstance aggravante. La mise en examen complémentaire intervient le 27 février 2018.

Vos propos sont empreints d'une certaine gravité. En effet, vous dites en substance vous interroger quant à l'appartenance culturelle de la juge d'instruction qui pourrait, à son corps défendant ou non, avoir agi sur un fond d'antisémitisme.

La justice a finalement reconnu l'antisémitisme. Considérez-vous l'antisémitisme comme une explication ou comme l'origine d'une forme d'inaction transitoire de la police, qui peut également s'expliquer notamment par la crainte d'avoir affaire à un attentat terroriste ? D'autres éléments de l'enquête relatifs au comportement des services de police vous conduisent-ils à cette conclusion culturelle ?

S'agissant des autorités judiciaires, vous avez décrit une chaîne progressive, le procureur ayant lui-même attendu avant de constater le caractère antisémite des faits criminels reprochés à Traoré.

L'expertise peut difficilement être connotée d'antisémitisme. Néanmoins, le déroulement des faits n'amène-t-il pas à écarter les raisons pour lesquelles Traoré a commis son crime au profit de sa folie qui obère les autres analyses ? Cette question est réellement complexe.

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Gilles-William Goldnadel, avocat à la Cour

Le déni farouche de l'antisémitisme ne constitue pas un fait d'antisémitisme. Je ne soupçonne pas la juge d'être antisémite.

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Il importe que vous clarifiiez ce point devant notre commission d'enquête, car vos propos peuvent être ainsi interprétés.

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Gilles-William Goldnadel, avocat à la Cour

Un tel soupçon ne m'est même pas venu à l'esprit. En revanche, je la soupçonne d'un déni de la réalité de l'antisémitisme islamique tel qu'il l'a conduite à une absence d'empathie pour les victimes. C'est tout et je ne vais pas au-delà. Ce déni, dont elle ne détient certes pas le monopole, explique beaucoup de choses.

Le Parquet, qui n'a lui-même pas fait preuve d'une diligence exceptionnelle, pose la question en septembre et il faut attendre le mois de février pour que la juge réponde. C'est tout de même un long délai. Et il a également fallu que j'intervienne.

Je défends les enfants de Mme Knoll dans l'affaire de son meurtre qui représente l'« anti-affaire » Halimi. Ayant probablement tiré des enseignements de la triste affaire Halimi, la police, le Parquet, les juges ont fait leur travail à charge et à décharge normalement, ni plus ni moins. En outre, le déni du réel est infiniment moins fort aujourd'hui qu'il y a dix ans. Il y a dix ans, mes propos auraient eu une odeur beaucoup plus sulfureuse.

La famille Halimi affirme que Traoré avait fait des réflexions antisémites. Traoré lui-même indique que la vision d'objets de culte judaïque l'a troublé.

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L'existence de ces objets de culte n'est pas avérée. Il s'agissait de simples bougeoirs. Néanmoins, Traoré a évoqué la présence de bougeoirs de shabbat.

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Gilles-William Goldnadel, avocat à la Cour

Quoi qu'il en soit, dans son expertise, M. Zagury indique que Traoré est victime d'un délire anti-satanique. Cette explication psychologique me paraît convaincante. Il n'est pas besoin d'être un grand expert de la démonologie religieuse pour comprendre que Traoré attribue la figure de Satan aux juifs. En frappant sa victime, il a prononcé la formule « Allahu Akbar », régulièrement entendue dans les rites sacrificiels mortels antisémites ; pas uniquement antisémites, mais également antisémites. Selon l'explication de M. Zagury, la juive Mme Halimi avait la figure de Satan. Je crois que cet élément a convaincu le parquet de la dimension antisémite.

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Vous avez indiqué que vous auriez aimé plaider les expertises et l'irresponsabilité. Dans notre schéma judiciaire actuel, on ne réunit pas une cour d'assises dans le cas d'une irresponsabilité qui clôt le dossier judiciaire.

Quelles propositions formuleriez-vous ?

Le processus judiciaire prévoit un débat au sein d'une chambre d'instruction, en petit comité, mais on ne réunit pas une formation de jugement dès lors que l'irresponsabilité est constatée. Seriez-vous favorable à la convocation d'une cour d'assises sur une question préjudicielle ou préalable de l'irresponsabilité, quand elle est considérée comme acquise par les juridictions d'instruction ? Pensez-vous que ce serait utile et intéressant ? Plaideriez-vous préférentiellement pour un procès à part entière devant la cour d'assises, quelles que soient les conditions d'irresponsabilité ?

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Gilles-William Goldnadel, avocat à la Cour

Je n'ai pas la science infuse, M. le rapporteur. Je suis un juif du réel et je suis un avocat du réel. J'aurais voulu que M. Traoré soit en prison le plus longtemps possible, voire toute sa vie, ne serait-ce que pour l'empêcher de nuire à nouveau. Il sortira un jour de l'hôpital psychiatrique, puisqu'il est normal, et il consommera à nouveau de la drogue. C'est un homme dangereux. Donc, le justiciable, le citoyen, l'avocat, le juif que je suis aurait voulu que Traoré soit en prison.

Ma cliente trouve une forme de réconfort à imaginer que l'État d'Israël reconnaisse la culpabilité pénale de Traoré. C'est symbolique, certes.

Dès lors, très sincèrement, je suis très embarrassé pour vous répondre. La justice n'est pas passée.

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À l'issue d'un examen médical pratiqué par un médecin de la préfecture de police, Traoré a été considéré comme inaccessible à une audition. Il a fallu attendre très longtemps pour l'entendre, ce qui, à mon avis, génère déjà l'idée de cette irresponsabilité. Dès lors qu'un individu est considéré comme irresponsable, il échappe totalement au dispositif judiciaire et passe sous la responsabilité de l'autorité préfectorale. Les conditions de sa sortie relèvent alors du préfet après un double examen psychiatrique, mais sans aucune intervention de l'autorité judiciaire, pas même d'un juge de l'application des peines. Estimez-vous qu'un tel dispositif soit satisfaisant ? Cette situation est-elle suffisamment sécurisée sur le plan de la protection de la société et du non-renouvellement de ce type de comportement ?

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Gilles-William Goldnadel, avocat à la Cour

Je ne me sens aucune autorité intellectuelle ou morale pour vous répondre avec assurance sur une question à laquelle j'ai assez peu réfléchi.

J'affirme néanmoins que, si j'avais parlé à Traoré comme je l'ai fait lors de l'audience devant la chambre d'instruction, et s'il m'avait regardé sans comprendre ce que je lui disais ou en ânonnant des paroles incompréhensibles, j'aurais constaté son irresponsabilité et je me le serais tenu pour dit. Je pense qu'on ne peut pas juger les fous ni les condamner pénalement. Je ne suis pas favorable à l'emprisonnement des fous, mais à leur internement en asile.

Mais Traoré n'est pas fou. Dès lors, la justice n'a pas été rendue.

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Dans son article premier, la réforme en cours prévoit que dès lors qu'un individu prend de la drogue ou des produits stupéfiants dans l'esprit de commettre un crime ou un délit grave, il n'est plus irresponsable. Il s'agit bien d'une consommation de drogue visant à faciliter la réalisation de l'acte, ce qui ne fut pas le cas de Traoré. L'article 2 prévoit la création d'un délit autonome et une reconnaissance pénale d'irresponsabilité des crimes commis dans le cas d'une consommation de produits toxiques qui ont facilité la commission de l'infraction. Cette réforme vous paraît-elle pertinente ?

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Gilles-William Goldnadel, avocat à la Cour

Cette réforme ne me plaît pas. Le raisonnement de la juridiction de Versailles de 2018 me semble plus satisfaisant. Un individu qui consomme de l'alcool ou de la drogue est susceptible de commettre des actes graves. Ce n'est pas une circonstance exonératoire ; c'est une circonstance aggravante.

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Vous considérez donc que toute consommation d'un quelconque produit constitue une circonstance aggravante.

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Gilles-William Goldnadel, avocat à la Cour

Oui et c'est également ce qu'a considéré la cour d'appel de Versailles.

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Me Buchinger a indiqué, sans en apporter la preuve, que certains auraient souhaité étouffer cette affaire en raison du contexte de la campagne présidentielle. Qu'en pensez-vous ?

Par ailleurs, selon vous, ce crime était-il prémédité ?

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Gilles-William Goldnadel, avocat à la Cour

Je ne crois pas que quiconque ait eu le désir d'étouffer cette affaire. Je répète que j'estime que, de manière générale, il existe une tendance lourde de la presse à se saisir de la folie comme excuse aux attentats islamistes afin de ne pas alimenter ce que d'aucuns considèrent comme l'islamophobie. C'est une tendance lourde, politique et médiatique.

L'affaire Halimi survient en effet dans le contexte particulier de la campagne présidentielle. D'aucuns ont peut-être pensé que ce fait tragique pouvait favoriser une candidate par rapport à un candidat. Je me souviens qu'en avril, le CRIF lui-même a publié un communiqué assez lénifiant. La position de la communauté juive organisée, et indépendamment du contexte culturel dans lequel j'ai décidé de me situer devant vous, pourrait expliquer cette torpeur médiatique particulière de la presse généraliste qui rejoint cette tendance de psychiatrisation des islamistes.

S'agissant de la préméditation, je n'ai pas d'avis tranché. Dans un premier temps, la sœur de Traoré a déclaré qu'il avait un comportement étrange et qu'il aurait dit : « Ce soir, tout sera fini », ce qui confirmerait la préméditation. Ensuite, elle est revenue sur ses déclarations.

Je ne suis pas dans une jubilation intellectuelle ou politique qui consiste à considérer que, de manière préméditée, les islamistes veulent tuer des juifs. Je me situe dans le réel. Je ne me sens pas autorisé à faire mienne de manière certaine la thèse de la préméditation qui, au demeurant, peut se défendre, mais je ne dispose d'aucun élément qui me permette d'en avoir la certitude.

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Je vous remercie, Me Goldnadel, de vos propos très éclairants, très riches, de ce tour d'horizon qui peut-être, effectivement, dépasse un peu le cadre de la feuille de route de cette commission d'enquête. Cependant, j'estime que cette mise en perspective des faits dans le contexte de la société française d'aujourd'hui s'avérait nécessaire.

Je reviens sur le projet de loi visant à restreindre l'irresponsabilité pénale dont le Parlement a été saisi. J'ai cru comprendre que vous estimiez que le texte adopté en première lecture par le Sénat n'apportait aucune évolution et que son application n'aurait eu aucune conséquence dans l'affaire Halimi. Il me semble pourtant que ce projet de loi comporte des dispositions précises qui pourraient éviter la réédition tragique de ce que nous avons connu avec l'affaire Halimi.

Pensez-vous que ces dispositions puissent constituer une boîte à outils qui permettrait à l'avenir de résoudre d'autres cas, de lever toute restriction à la responsabilité pénale en cas de consommation de stupéfiants ou autres substances ?

Avez-vous identifié des pistes d'amélioration du dispositif tel qu'il est proposé en l'état ou des écritures alternatives de nature à le compléter ou à l'améliorer de manière satisfaisante ?

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Gilles-William Goldnadel, avocat à la Cour

Ce texte est censé remédier à une lacune, mais j'estime que la loi telle qu'elle est ne présente aucune lacune. Elle offrait aux magistrats la possibilité de renvoyer Traoré devant la cour d'assises, notamment sur la base du rapport de l'expert, M. Zagury.

J'ai donc lu ce rapport avec un esprit chagrin. Je vis personnellement cette tentative comme une manière de pointer un vide judiciaire comme justification. Je ne dispose pas d'une hauteur de vue suffisante pour ne pas ruminer les funestes décisions qui ont été prises.

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L'affaire Knoll présente des similitudes avec l'affaire Halimi. Un voisin a massacré une dame rescapée de la Shoah. L'auteur a-t-il fait l'objet d'une expertise psychiatrique ?

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Gilles-William Goldnadel, avocat à la Cour

Les expertises psychiatriques sont systématiques. Dans cette affaire, les deux protagonistes sont considérés comme normaux, bien que l'un des deux fût très alcoolisé. En outre, la circonstance antisémite a été retenue, entre autres en raison du cri « Allahu Akbar ».

L'antisémitisme se marie bien avec la voyoucratie et l'alcoolisme. L'affaire Halimi comporte de nombreux ingrédients. Traoré est un délinquant qui fréquentait parfois une mosquée qui n'était pas d'une modération extrême. Il est également un produit de la société française. La vie est complexe.

La réunion se termine à quinze heures cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Réunion du lundi 13 septembre 2021 à 14 heures

Présents. - Mme Aude Bono-Vandorme, M. Meyer Habib, M. Brahim Hammouche, Mme Constance Le Grip, Mme Florence Morlighem, M. Didier Paris, M. Julien Ravier

Excusé. - M. Didier Martin