Le procès-verbal d'audition du père Diarra mentionne un « trousseau de clés ». La fille Diarra, quant à elle, parle d'un badge Vigik. Puisqu'aucune confrontation ni aucune réaudition n'ont eu lieu, nous n'avons pas pu demander de précisions à cet égard. Nous n'avons donc pas de réponse à cette troisième question, qui est importante, car si les forces de police avaient la clé de l'appartement de la famille Diarra, elles pouvaient y pénétrer et empêcher le calvaire de Sarah Halimi de commencer. En effet, au moment où les forces de police sont arrivées sur place, Kobili Traoré était encore dans l'appartement des Diarra : il n'avait pas encore franchi le balcon pour accéder au domicile de Sarah Halimi.
Que font les trois officiers de police présents sur place entre 4 heures 25 et 4 heures 40 ? Pourquoi n'interviennent-ils pas ? Il suffit en fait de reprendre les auditions des personnes concernées à ce sujet. Toutes n'ont pas été auditionnées, mais, dans des verbaux d'audition datés du 4, 12 et 13 avril, donc très proches des faits, les trois personnes présentes sur place du moins expliquent attendre alors les ordres de la hiérarchie. Le 4 avril, à 14 heures 50, un capitaine de police affirme avoir attendu l'autorisation d'intervenir du chef d'agglomération, M. Buitrong. Nous ne savons pas si ce dernier a donné l'autorisation d'intervenir.
Il est placé sous l'égide du préfet de police, M. Cadot, qui sera en charge de la préfecture de Paris jusqu'au 19 avril 2017, soit encore 15 jours après les faits. Il sera ensuite remplacé dans cette fonction par Michel Delpuech (en mars 2017) puis Didier Lallement (en mars 2019). Une autorisation d'intervenir aurait-elle été demandée par le chef d'agglomération au préfet, ou au sous-préfet d'astreinte ce soir-là ? Une telle demande a-t-elle été adressée au parquet ? Le dossier d'instruction, de plusieurs milliers de pages, ne contient pas la moindre information à ce sujet. Nous pouvons seulement constater la présence de forces de police derrière l'appartement des Diarra au moment où Sarah Halimi est encore en plein sommeil. Les voisins et différents témoins indiquent que Kobili Traoré est alors en train de réciter des sourates. La commission nous a adressé un certain nombre de questions relatives au caractère tardif de l'interpellation. La configuration problématique des lieux est importante à cet égard, mais elle nous paraît secondaire. Pour William Attal, la question majeure dans ce dossier est de savoir pourquoi aucune intervention n'a eu lieu tant que Sarah Halimi était encore en vie.
Un officier de police judiciaire présent sur place a indiqué en audition que des négociations avaient été entreprises avec Kobili Traoré, mais nous ne disposons d'aucun procès-verbal de négociation. Il est légitime de se demander si cette absence d'intervention a pu tenir à la crainte d'un attentat terroriste. Les derniers attentats étaient encore récents. Si tel est le cas, toutefois, pourquoi les forces spécialisées du RAID ne sont-elles pas intervenues ? Une information a-t-elle été transmise concernant la possibilité d'un attentat terroriste ? Toutes les forces de police nécessaires, notamment le RAID et le GIGN, ont-elles été jointes ?
Au moment où Kobili Traoré a été interpellé, vous avez demandé s'il était calme ou agité. Des contradictions apparaissent à ce propos dans les rapports des divers enquêteurs. Tout le monde s'accorde à dire qu'il était calme lors de son interpellation. Il n'a vraisemblablement commencé à s'agiter qu'en étant amené au commissariat dans la matinée : certains procès-verbaux font état de son calme à ce moment, mais d'autres mentionnent déjà son agitation, au point qu'il aurait été nécessaire de recourir à des clés d'étranglement pour le maîtriser. Or, ces points posent question, car c'est précisément le comportement de Kobili Traoré qui conduira à saisir les unités médico-judiciaires (UMJ) puis à le placer à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police (I3P).
Le premier médecin à avoir dressé un certificat médical attestant que l'état de Kobili Traoré n'était pas compatible avec une garde à vue est le Dr Roland Istria, un expert médical que nous connaissons avec Oudy, mais qui est généralement appelé pour des problèmes de rhumatologie, plutôt que pour des problèmes psychiatriques. Deux sapiteurs psychiatres examineront ensuite Kobili Traoré, qui sera adressé vers 14 heures aux services de l'I3P.
Je traiterai maintenant des dysfonctionnements de l'instruction. Ils concernent prioritairement le régime de la circonstance aggravante d'antisémitisme, prévu par une loi de 2002, et qui permet de doubler les peines, mais qui n'a pas toujours été simple à mettre en œuvre. Le réquisitoire introductif de l'affaire Sarah Halimi, daté du 14 avril 2017 (soit moins de dix jours après l'assassinat), a été pris par la substitut du procureur, section P 12, et non par le procureur général, ce qui peut être assez classique. Or, il ne retient pas la circonstance aggravante d'antisémitisme. C'est une première difficulté majeure, car les éléments du dossier ne laissent aucun doute quant au caractère antisémite de cet assassinat.