Intervention de Nathanaël Majster

Réunion du mercredi 29 septembre 2021 à 17h00
Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Nathanaël Majster, avocat à la Cour :

Je considère cette commission comme extrêmement importante, tant l'affaire Sarah Halimi est grave pour la communauté juive française comme pour la communauté nationale dans son ensemble ; tant aussi ce dossier apparaît comme un cas d'école, qui continuera, j'en suis persuadé, d'être étudié dans vingt ans.

Je suis un ancien magistrat, et j'ai aussi été enquêteur à la Commission des opérations de Bourse. Retraitée à 66 ans lors des faits tragiques, Sarah Halimi avait été pédiatre et directrice de crèche. Une amie, Mme Sitanova, l'avait connue, et m'a alerté sur cette affaire en m'expliquant que Sarah Halimi était une juive orthodoxe, et que les Juifs orthodoxes ne placent pas de chandelier chez eux. Or, il est expliqué dans ce dossier que Kobili Traoré serait devenu fou en voyant des chandeliers. Étonné, je me suis procuré le dossier chez un confrère, et j'ai essayé de le lire aussi objectivement que possible. Je me suis également rendu sur place et j'ai rencontré quelques témoins. Mon objectif était simplement de traiter ce dossier en magistrat pour indiquer à mon amie si la justice avait bien fait son travail ou non. Mon amie m'avait également alerté sur le rôle de la police ce soir-là, et je souhaitais aussi l'examiner.

Or, lorsqu'on ouvre ce dossier, tout paraît dysfonctionnel.

Pour commencer, l'ouverture de l'information judiciaire se fait sur la qualification d'homicide volontaire. Pourtant, Sarah Halimi a été torturée en étant battue pendant près de quinze minutes, tout en étant insultée, et en hurlant. L'ensemble du voisinage y a assisté. C'est un aspect extrêmement pénible et important du dossier, et qui précède le moment où Kobili Traoré va défenestrer Sarah Halimi, c'est-à-dire la mettre à mort. Il est très important pour un procureur de rechercher si un crime est précédé ou suivi d'un autre crime, parce qu'alors la peine passe à la réclusion criminelle à perpétuité. Le procureur de la République qui ouvre cette information dispose du dossier d'autopsie. Il sait que tous les os du visage de Sarah Halimi ont été brisés. Néanmoins, ces actes de torture, qui sont un crime autonome, ne sont pas visés dans la prévention. Pourquoi ne retient-on que le meurtre, et fait-on l'impasse sur les actes de torture ?

Pourquoi la circonstance aggravante de meurtre en raison de l'appartenance de Sarah Halimi à la communauté juive n'est-elle pas non plus retenue ? Tout le quartier sait pourtant qu'elle est une juive religieuse, et elle est la voisine du dessus de Kobili Traoré. Ce point méritait au moins une recherche. Le parquet n'en tient pas compte.

La préméditation n'est pas non plus visée, puisqu'il n'est pas mentionné un assassinat. Depuis les attentats du 13 novembre 2015, la qualification d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste est pourtant systématiquement retenue dans tous les dossiers comportant un passage à l'acte aux cris de « Allahu akbar » (le Carroussel du Louvre, Levallois-Perret, Magnanville, les Champs-Elysées, etc.) : c'est ce qui permet qu'ils soient alors adressés à la justice antiterroriste. La veille des faits, Kobili Traoré s'est rendu trois fois dans une mosquée salafiste. Je vous montrerai qu'il semble avoir suivi un rituel très précis au moment du passage à l'acte. Dans ce cas, pourtant, cette qualification n'est pas visée. Par conséquent, la police et le juge d'instruction ne recherchent pas l'infiltration de Kobili Traoré par l'idéologie islamiste.

De plus, le parquet saisit un service de police de proximité, et non un service d'élite comme la brigade criminelle. L'IGPN non plus n'est pas saisie malgré les nombreux problèmes posés par l'intervention policière. L'affaire est donc réduite à sa qualification la plus minimale, et les investigations limitées au minimum. Pourquoi ?

Nous sommes en avril 2017. Le parquet a-t-il été mal informé par les forces de police ? Effectivement, les premiers procès-verbaux de la police frappent par leur amateurisme. L'ami chez qui Kobili Traoré a passé la nuit, Kader, y est appelé par son prénom. Les personnes avec qui il s'est rendu la veille à la mosquée ne font l'objet d'aucune perquisition ni garde à vue. La famille Traoré et la famille Diarra sont traitées avec une bienveillance constante. La thèse selon laquelle Kobili Traoré pense être « possédé » est validée. Les policiers adoptent donc eux aussi un « comportement a minima » dans leur enquête.

Mes confrères ont beaucoup insisté sur le comportement de la juge d'instruction : son refus d'une reconstitution ; l'audition de Kobili Traoré où elle lui souffle presque toutes les réponses ; la désignation du Dr Zagury puis, dès lors que ses conclusions à une « altération de la responsabilité », impliquant un procès aux assises, ne conviennent pas à la juge, sa désignation de six experts pour réduire à néant l'opinion de cette autorité pourtant reconnue en France.

De tous côtés, le traitement de ce dossier est donc orienté vers une absence d'investigation, une absence de prise en compte de la gravité de l'affaire, et l'irresponsabilité de Kobili Traoré, qui vaut aussi irresponsabilité des forces de police, des voisins, des Diarra et de tout l'entourage de Kobili Traoré.

C'est évidemment ce qui me frappe en premier lieu à la lecture de ce dossier. Je décide alors de partir à la recherche d'éléments qui auraient pu être oubliés.

Toute la dialectique qui se met en place à partir des expertises psychiatriques va dans le sens d'une « bouffée délirante aiguë » sous l'emprise du haschisch, qui aurait conduit Kobili Traoré à une suite de comportements irrationnels, aléatoires et violents, cette errance canabique le menant chez les Diarra puis, fuyant une menace qu'il n'identifie pas lui-même, sur un balcon qu'il ne reconnaît pas, mais d'où il aperçoit des objets juifs qui activeraient un antisémitisme, dit « social » par l'expertise (parce que Kobili Traoré n'est pas reconnu coupable d'être antisémite), provoquant alors son passage à l'acte criminel. En parlant d'altération de responsabilité, Daniel Zagury a toutefois l'honnêteté de considérer que Kobili Traoré, ayant pris volontairement un toxique, doit en assumer les conséquences devant une cour d'assises.

Que savons-nous du parcours de Kobili Traoré dans les 24 heures ayant précédé son crime ? D'après les procès-verbaux de constatation de la police établis par MM. Priour et Jaquel (cotes D1 à D20 du dossier), le père Diarra a expliqué aux policiers que Kobili Traoré avait laissé des vêtements derrière lui : une paire de chaussures (très bien rangées), une serviette de bain, un slip, deux paires de chaussettes (l'une dans les chaussures, l'autre à côté), un T-shirt, un blouson. Voici comment ils sont trouvés chez les Diarra.

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