Intervention de Francis Szpiner

Réunion du mardi 19 octobre 2021 à 17h05
Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Francis Szpiner :

Je ne pense pas que nous puissions poser cette question, qui relève de l'indépendance de la justice. Je note simplement un fait qui m'interpelle et m'étonne.

Ensuite, le choix des experts pose question. En effet, à partir du moment où la justice pénale délègue, ou abandonne, son pouvoir d'appréciation à des experts, encore faut-il s'assurer de la qualité de ces derniers. Or il existe une obscurité absolue dans le choix, le recrutement et l'évaluation des experts.

Souvent, les juges font appel à leurs experts. Ainsi, une promiscuité se crée entre le corps d'expertise et les juges. Je ne dis pas que l'expert veut déplaire au juge ou ne souhaite pas aller dans le sens éventuellement souhaité par le juge dans un dialogue, qui n'est pas scandaleux, entre les deux. Néanmoins, cette situation constitue un réel problème.

Si j'observe cette affaire sur le plan purement psychiatrique, il existe deux questions auxquelles les experts n'ont jamais répondu de façon satisfaisante.

Premièrement, comment serait-il possible d'être dans un état d'absence de conscience de ses actes tout en choisissant une victime parce qu'elle est juive ? Choisir une cible consciemment, c'est ne pas être irresponsable pénalement.

Deuxièmement, au moment où M. Traoré défenestre Mme Sarah Halimi, il dit aux policiers placés en bas de l'immeuble qu'elle vient de se suicider. Une personne qui tente de maquiller son crime en suicide a bien conscience d'avoir commis un crime. Aucun expert n'a répondu sur ce point, si ce n'est cette phrase merveilleuse : « ça n'est pas incompatible ». Les magistrats ont démissionné.

Par ailleurs, aucun des experts n'a vu M. Traoré immédiatement après le crime. La première expertise de M. Zagury a eu lieu plus de cinq mois et demi après le crime tandis que celle de l'inénarrable Dr Bensussan a eu lieu plus d'un an après. Ces deux experts ne pouvaient donc pas se baser sur des signes cliniques. Ces expertises sont des reconstitutions de l'état mental du mis en examen à partir des auditions des familiers de M. Traoré. La bouffée délirante serait donc définie cliniquement par les témoignages de proches de celui qui est accusé du crime.

Notons que les experts de l'unité médico-judiciaire (UMJ) ont indiqué que la garde à vue n'était pas compatible avec son audition, ce qui n'était pas forcément l'avis des policiers. Je pense que, si la commission auditionne les policiers ayant procédé à l'interpellation et à la garde à vue, ils auront peut-être une opinion différente de celle des experts de l'UMJ.

Enfin, bien que le crime ait été jugé, j'aimerais ajouter un élément qui montre que les métiers de magistrat et d'expert sont parfois confortables car, même en cas de grande méprise, aucune sanction n'est appliquée. M. Bensussan avait décidé que M. Traoré souffrait de troubles laissant présager une schizophrénie. Lorsque M. Bensussan a témoigné devant la chambre de l'instruction, il était difficile et même insoutenable, compte tenu de l'état de M. Traoré, de dire que nous avions affaire à un schizophrène. L'expert a alors dit qu'il s'était trompé, tentant de passer pour un homme formidable prêt à reconnaître ses erreurs, qui devenaient par ailleurs très visibles. Cet aveu n'a pas empêché la chambre de l'instruction de recopier intégralement dans l'arrêt, avec un manque d'imagination et peut-être une facilité de plume, un rapport d'expertise stipulant que M. Traoré était dangereux car il présentait des problèmes de schizophrénie, alors que l'expert avait affirmé le contraire quelques jours auparavant à la barre.

L'importance accordée à l'expertise psychiatrique constitue un problème. Concernant les affaires criminelles, une multitude de questions se pose. Qui établit la liste des experts ? Comment pouvons-nous être certains que ces derniers sont bien formés ? Comment pouvons-nous être sûrs qu'ils se tiennent à jour ? Comment le choix de l'expert par le juge peut-il être problématique ?

J'imagine que la commission auditionnera M. Bensussan. Je ne peux que vous inviter à regarder son site Internet, assez étonnant puisque M. Bensussan y indique toutes les affaires criminelles dans lesquelles il a été expert — ce qui m'apparaît déontologiquement discutable. Nous voyons bien qu'être expert dans des affaires criminelles est, pour certains, une source de notoriété et de médiatisation. Cela permet à la chaîne BFM, qui est une cour de justice et un Parlement parallèles, d'inviter régulièrement les experts médiatiques des affaires criminelles sur son plateau. Être désigné par les juges d'instruction présente un intérêt pour certains experts. Se pose alors la question de l'impartialité et de l'indépendance de celui qui dépend du juge qui le désigne régulièrement. Dans cette affaire, je pense que M. Bensussan n'a pas été choisi par hasard. Notons, en outre, les conflits personnels qui peuvent l'opposer à M. Zagury, dans une sorte de querelle d'égo. Ce contexte donne la catastrophe judiciaire que nous connaissons.

Si, à l'issue de vos travaux, la commission pouvait s'interroger sur le recrutement, la formation en matière criminelle, le contrôle régulier et la désignation par le juge des experts criminels, la justice aura fait un grand progrès.

J'ai dit qu'on avait volé la justice aux enfants de Sarah Halimi. Je le maintiens.

J'ai lu que nous voulions juger les fous. Il n'est aucunement question de juger les fous.

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