Les faits remontent au 4 avril 2017. Lors de la mission mise en place le 21 avril 2017, j'ai rencontré M. Kobili Traoré trois fois, en date du 20 mai, du 23 juin et du 15 juillet 2017, dans de bonnes conditions d'examen à l'unité pour malades difficiles (UMD) Henri Colin. J'ai rédigé un premier rapport daté du 4 septembre 2017. J'ai examiné de nouveau M. Kobili Traoré le 27 octobre 2017 à la suite d'une demande de précisions formulée par Me Caroline Toby sur le sujet des bouffées délirantes aiguës et des propos de M. Kobili Traoré qui aurait déclaré : « C'est un suicide. » Ces propos tendaient à laisser penser qu'il pouvait y avoir une part de lucidité chez M. Kobili Traoré.
J'ai effectué une troisième mission avec un nouvel examen de M. Kobili Traoré le 5 janvier 2018 en prévision d'une éventuelle reconstitution. La symptomatologie qu'il présentait comportait un début brutal après une phase prodromique de deux jours marqués par des troubles du sommeil ; une insomnie totale ; une angoisse massive ; un vécu de possession ; des idées délirantes d'empoisonnement et de sorcellerie, et une polarisation idéique avec la recherche d'une issue dans la religion. M. Kobili Traoré avait ressenti un danger de mort à domicile et une instabilité comportementale avec des moments d'agitation, puis d'accalmie. Ce vécu diffus l'a entraîné vers une quête projective : il a cherché l'origine du mal à l'extérieur (vaudou, sorcellerie). Tous les témoignages de ses amis et de proches indiquent une rupture de conduite. Lui-même dira : « Je n'étais plus moi-même. » M. Kobili Traoré a vécu une fuite délirante et une succession de moments d'abattement et d'agitation. Il parlait de cet épisode comme s'il s'était agi d'un film. Les signes étaient francs : une variabilité des humeurs ; un chaos psychique avec un bouleversement des repères ; une thématique délirante mal structurée à coloration persécutrice dominée par le mysticisme ; la démonopathie et le manichéisme. Le diagnostic de bouffées délirantes aiguës demeure irrécusable. Les sept experts ont conclu aux mêmes résultats à la suite de leurs évaluations. Par conséquent, le problème qui subsiste est d'ordre médico-légal, il n'est pas clinique.
Sur le plan clinique, tous les spécialistes s'accordent et concluent à une bouffée délirante aiguë. Nous disposons de plusieurs sources d'informations : sa propre description, les témoignages, son passage à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police, où il a été examiné longuement. Nous disposons également des certificats médicaux des psychiatres de l'hôpital Esquirol et de ceux de l'UMD Henri Colin. Le diagnostic est unanime. Vous allez entendre ce jour le Dr Joachim Müllner, que je connais, car il participe à mon séminaire. Il a été dit à son sujet qu'il s'agissait d'un jeune psychiatre non expérimenté qui aurait, à défaut, orienté M. Kobili Traoré vers la psychiatrie. Le Dr Joachim Müllner a indiqué, après examen, que l'état de M. Kobili Traoré était incompatible avec la garde à vue. Ce dernier a ensuite été longuement examiné, comme le requiert la procédure en vigueur, à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police.
Le diagnostic de bouffée délirante aiguë est irréfutable. Pouvons-nous retenir sur le plan clinique la consommation de cannabis comme inductrice de cette psychose aiguë ? Il n'est pas question de maladie mentale en amont ou en aval de cet épisode. En outre, je cite dans mon rapport un article des Docteurs Lisa Blecha et Amine Benyamina intitulé « Cannabis et troubles psychotiques » qui résume en quelques phrases la question. Ils indiquent : « L'analyse de la littérature permet de distinguer quelques caractéristiques. Ce sont des épisodes brefs de quelques semaines à quatre mois au maximum. Ils surviennent chez des consommateurs réguliers brutalement, au décours d'un facteur précipitant psychologique ou somatique sur des personnalités sans trouble manifeste. »
À 27 ans, M. Kobili Traoré ne présentait aucun antécédent psychiatrique. Il avait été incarcéré cinq fois sans jamais être examiné par un psychiatre. En 2017, M. Kobili Traoré a augmenté sa consommation de cannabis, qui était chronique. Il a expliqué à l'un des psychiatres de l'hôpital Esquirol qu'il fumait cinq à six joints par jour jusqu'en janvier 2017. Puis, à la recherche de produits plus forts, il a changé de fournisseur. Il cherchait des produits qui le « défoncent ». Au mois de mars 2017, il fumait alors quinze joints par jour. Cette consommation a d'abord engendré une irritabilité, puis l'éclosion d'une bouffée délirante aiguë.
Sur le plan clinique, des éléments corroborent une origine toxique de cette bouffée délirante aiguë, tels que le caractère vécu et agi sans aucune distanciation ; le début brutal ; la résolution rapide ; la dimension onirique ; le vécu d'une métamorphose de la victime et l'extrême brutalité des conduites agressives. M. Kobili Traoré a réussi à se procurer du cannabis pendant son hospitalisation en UMD en harcelant sa sœur. Or il s'agit là d'un point important sur le plan clinique et médico-légal pour conclure à sa responsabilité ou à son irresponsabilité. Après avoir fumé du cannabis, une résurgence symptomatique a eu lieu.
Dans les expertises ultérieures dont j'ai pris connaissance par la presse, de manière générale, le dosage n'est pas informatif. Le dosage des produits dérivés du cannabis chute rapidement et devient insignifiant au bout d'une heure. Existe-t-il des arguments en faveur d'une affection psychiatrique ? Une bouffée délirante aiguë « peut être sans lendemain », selon la formule consacrée du psychiatre Valentin Magnan ? Dans un quart des cas, celui qui subit une bouffée délirante aiguë n'en subira plus d'autres. Dans un quart des cas, celui qui subit une bouffée délirante aiguë en connaîtra d'autres sans passage à une maladie mentale chronique. Dans la moitié des cas, la bouffée délirante évolue vers une schizophrénie, des troubles de l'humeur ou un autre type de psychose.