Commission d'enquête Chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement
Mardi 9 novembre 2021
La séance est ouverte à dix-sept heures cinq
Présidence de M. Meyer Habib, président
Nous poursuivons les auditions de cette commission dite « Sarah Halimi » sur les éventuels dysfonctionnements de cette affaire. La semaine dernière, nous avons auditionné les policiers primo-intervenants. Dr Daniel Zagury, vous êtes expert auprès de la cour d'appel de Paris. Vous avez été le premier – après une première expertise menée quelques heures après le drame au commissariat de police à réaliser une expertise psychiatrique de M. Kobili Traoré. Nous auditionnerons également le Dr Joachim Müllner, qui fut le premier psychiatre à avoir examiné M. Kobili Traoré et qui décida à l'époque de la non-compatibilité de son état avec le régime de la garde à vue.
Vous êtes un éminent psychiatre, vous exercez depuis de nombreuses années, vous êtes reconnu par vos pairs et vos expertises sont systématiquement reçues par le corps judiciaire avec beaucoup d'intérêt et de considération. Dans cette affaire, vous aviez conclu, après un long travail, à l'altération du jugement de M. Kobili Traoré et à son accessibilité à une sanction pénale. Toutefois, votre expertise ne sera pas suivie par la juge d'instruction, Mme Anne Ihuellou, qui a mandaté d'autres confrères pour réaliser une expertise psychiatrique de l'accusé. Ces derniers ont conclu à l'abolition du discernement de l'assassin. Dans une tribune du journal Le Monde en date du 1er mai 2021, vous déclariez : « Le troisième collège a estimé qu'il était habituel dans de tels cas de conclure à l'abolition. Le docteur Roland Coutanceau affirme ultérieurement dans un article de l'Express que la conclusion contraire aurait été également possible. C'était une manière de dire que la question n'est pas uniquement clinique, mais eu égard aux multiples conséquences en chaîne de cet avis, on en reste pantois. Quoi qu'il en soit, on a connu des querelles plus tranchées. Il est très habituel, dans de telles situations que les débats soient renvoyés devant la juridiction de jugement. Ce ne fut pas le cas. Dont acte. […] On pourrait multiplier les exemples de situations superposables à l'affaire Halimi qui ont conduit à des conclusions strictement inverses. »
Nous ne sommes pas un troisième niveau de juridiction. Il nous appartient simplement de faire la lumière sur les éventuels dysfonctionnements de la justice.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(Le Dr Daniel Zagury prête serment.)
Les faits remontent au 4 avril 2017. Lors de la mission mise en place le 21 avril 2017, j'ai rencontré M. Kobili Traoré trois fois, en date du 20 mai, du 23 juin et du 15 juillet 2017, dans de bonnes conditions d'examen à l'unité pour malades difficiles (UMD) Henri Colin. J'ai rédigé un premier rapport daté du 4 septembre 2017. J'ai examiné de nouveau M. Kobili Traoré le 27 octobre 2017 à la suite d'une demande de précisions formulée par Me Caroline Toby sur le sujet des bouffées délirantes aiguës et des propos de M. Kobili Traoré qui aurait déclaré : « C'est un suicide. » Ces propos tendaient à laisser penser qu'il pouvait y avoir une part de lucidité chez M. Kobili Traoré.
J'ai effectué une troisième mission avec un nouvel examen de M. Kobili Traoré le 5 janvier 2018 en prévision d'une éventuelle reconstitution. La symptomatologie qu'il présentait comportait un début brutal après une phase prodromique de deux jours marqués par des troubles du sommeil ; une insomnie totale ; une angoisse massive ; un vécu de possession ; des idées délirantes d'empoisonnement et de sorcellerie, et une polarisation idéique avec la recherche d'une issue dans la religion. M. Kobili Traoré avait ressenti un danger de mort à domicile et une instabilité comportementale avec des moments d'agitation, puis d'accalmie. Ce vécu diffus l'a entraîné vers une quête projective : il a cherché l'origine du mal à l'extérieur (vaudou, sorcellerie). Tous les témoignages de ses amis et de proches indiquent une rupture de conduite. Lui-même dira : « Je n'étais plus moi-même. » M. Kobili Traoré a vécu une fuite délirante et une succession de moments d'abattement et d'agitation. Il parlait de cet épisode comme s'il s'était agi d'un film. Les signes étaient francs : une variabilité des humeurs ; un chaos psychique avec un bouleversement des repères ; une thématique délirante mal structurée à coloration persécutrice dominée par le mysticisme ; la démonopathie et le manichéisme. Le diagnostic de bouffées délirantes aiguës demeure irrécusable. Les sept experts ont conclu aux mêmes résultats à la suite de leurs évaluations. Par conséquent, le problème qui subsiste est d'ordre médico-légal, il n'est pas clinique.
Sur le plan clinique, tous les spécialistes s'accordent et concluent à une bouffée délirante aiguë. Nous disposons de plusieurs sources d'informations : sa propre description, les témoignages, son passage à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police, où il a été examiné longuement. Nous disposons également des certificats médicaux des psychiatres de l'hôpital Esquirol et de ceux de l'UMD Henri Colin. Le diagnostic est unanime. Vous allez entendre ce jour le Dr Joachim Müllner, que je connais, car il participe à mon séminaire. Il a été dit à son sujet qu'il s'agissait d'un jeune psychiatre non expérimenté qui aurait, à défaut, orienté M. Kobili Traoré vers la psychiatrie. Le Dr Joachim Müllner a indiqué, après examen, que l'état de M. Kobili Traoré était incompatible avec la garde à vue. Ce dernier a ensuite été longuement examiné, comme le requiert la procédure en vigueur, à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police.
Le diagnostic de bouffée délirante aiguë est irréfutable. Pouvons-nous retenir sur le plan clinique la consommation de cannabis comme inductrice de cette psychose aiguë ? Il n'est pas question de maladie mentale en amont ou en aval de cet épisode. En outre, je cite dans mon rapport un article des Docteurs Lisa Blecha et Amine Benyamina intitulé « Cannabis et troubles psychotiques » qui résume en quelques phrases la question. Ils indiquent : « L'analyse de la littérature permet de distinguer quelques caractéristiques. Ce sont des épisodes brefs de quelques semaines à quatre mois au maximum. Ils surviennent chez des consommateurs réguliers brutalement, au décours d'un facteur précipitant psychologique ou somatique sur des personnalités sans trouble manifeste. »
À 27 ans, M. Kobili Traoré ne présentait aucun antécédent psychiatrique. Il avait été incarcéré cinq fois sans jamais être examiné par un psychiatre. En 2017, M. Kobili Traoré a augmenté sa consommation de cannabis, qui était chronique. Il a expliqué à l'un des psychiatres de l'hôpital Esquirol qu'il fumait cinq à six joints par jour jusqu'en janvier 2017. Puis, à la recherche de produits plus forts, il a changé de fournisseur. Il cherchait des produits qui le « défoncent ». Au mois de mars 2017, il fumait alors quinze joints par jour. Cette consommation a d'abord engendré une irritabilité, puis l'éclosion d'une bouffée délirante aiguë.
Sur le plan clinique, des éléments corroborent une origine toxique de cette bouffée délirante aiguë, tels que le caractère vécu et agi sans aucune distanciation ; le début brutal ; la résolution rapide ; la dimension onirique ; le vécu d'une métamorphose de la victime et l'extrême brutalité des conduites agressives. M. Kobili Traoré a réussi à se procurer du cannabis pendant son hospitalisation en UMD en harcelant sa sœur. Or il s'agit là d'un point important sur le plan clinique et médico-légal pour conclure à sa responsabilité ou à son irresponsabilité. Après avoir fumé du cannabis, une résurgence symptomatique a eu lieu.
Dans les expertises ultérieures dont j'ai pris connaissance par la presse, de manière générale, le dosage n'est pas informatif. Le dosage des produits dérivés du cannabis chute rapidement et devient insignifiant au bout d'une heure. Existe-t-il des arguments en faveur d'une affection psychiatrique ? Une bouffée délirante aiguë « peut être sans lendemain », selon la formule consacrée du psychiatre Valentin Magnan ? Dans un quart des cas, celui qui subit une bouffée délirante aiguë n'en subira plus d'autres. Dans un quart des cas, celui qui subit une bouffée délirante aiguë en connaîtra d'autres sans passage à une maladie mentale chronique. Dans la moitié des cas, la bouffée délirante évolue vers une schizophrénie, des troubles de l'humeur ou un autre type de psychose.
Je ne sais pas exactement. Elle a débuté brutalement après un prodrome de deux jours.
M. Kobili Traoré avait été interpelé la veille. Vivait-il déjà une bouffée délirante aiguë ?
Oui, et il est regrettable de ne pas l'avoir orienté vers la psychiatrie à ce moment-là, car il était dans un état manifeste de délire. Les témoins indiquent qu'il avait changé de comportement.
Par rapport à cette question de maladie mentale chronique, il est nécessaire de noter l'absence totale d'antécédent et l'âge de 27 ans, qui paraît tardif pour commencer une schizophrénie. La cinétique évolutive n'a pas confirmé la possibilité d'une maladie mentale chronique. À la chambre de l'instruction, le Dr Paul Bensussan a été entendu. Il indique une erreur et l'absence d'évolution vers une maladie chronique. Qu'il en soit tout de même question dans l'arrêt de la chambre de l'instruction m'a surpris. Selon moi, cette bouffée délirante aiguë n'évolue pas vers une maladie mentale chronique et elle demeure sans antécédent psychiatrique. Ce phénomène est d'autant plus important que la question qui se pose aujourd'hui est le maintien dans un hôpital psychiatrique d'un sujet dépourvu de trouble psychiatrique.
En raison du secret médical, je pense que la prise en charge des psychiatres chargés de ce cas ne doit pas être parasitée. Il n'en demeure pas moins que, sous réserve d'erreur de ma part et d'informations erronées, M. Kobili Traoré étant sorti de sa bouffée délirante, il est passé rapidement d'une UMD vers un service ordinaire. Comment peut-on imaginer aujourd'hui la sortie d'un sujet qui n'est peut-être maintenu en hôpital psychiatrique que par la raison d'État. Quel projet concevoir avec lui compte tenu de l'intérêt qui lui est porté ? Comment construire un projet de réinsertion ? Comment élaborer un projet thérapeutique avec lui ? Ces interrogations sont problématiques, car maintenir dans une unité psychiatrique quelqu'un qui est susceptible de ne plus avoir aucun trouble est un problème.
S'agissait-il d'un acte antisémite ? La question ne m'était pas posée. J'ai répondu à une question que je me suis posée à moi-même.
Je ne sais pas, il est nécessaire d'interroger la juge à ce sujet. Pour l'opinion publique même éclairée, un acte délirant ne peut pas être antisémite. Or c'est un préjugé. L'acte délirant est supposé absurde et irrationnel. Nous retrouvons cette problématique pour le terrorisme, où sont opposés maladies mentales et terrorisme. Selon moi, dans les cas de terrorisme, ce n'est qu'à partir d'une instruction et d'un établissement des faits que certains des auteurs seront orientés vers les services sanitaires. La thématique antisémite est fréquemment repérée dans les efflorescences délirantes des sujets musulmans. J'ai été psychiatre en Seine-Saint-Denis pendant trente ans, c'est un fait d'observation. Le Juif est du côté du mal, du diabolique.
S'agissait-il, dans le cas de M. Kobili Traoré d'un préjugé qui se serait transformé en haine délirante ? Ou s'agissait-il d'un antisémitisme franc ? Je ne peux pas répondre à cette question, je ne suis que psychiatre. Des éléments manquent au dossier pour qu'une telle évaluation soit envisageable. J'ai lu dans la presse qu'il tenait des propos antisémites lorsqu'il croisait Mme Sarah Halimi ou des membres de sa famille. Or ces éléments ne figuraient pas au dossier. Cette thématique délirante était en partie empruntée à l'univers des films Marvel dont il avait visionné The Punisher. Dans son bouleversement délirant, il se serait comporté comme un « punisher islamiste » terrassant le diable. Ce déchaînement paroxystique, cette destructivité et l'horreur du massacre ne peuvent pas être compris en dehors du contexte des bouleversements délirants qui, à mon sens, sont également antisémites.
Dans une hypothèse minimaliste, il s'agit d'un préjugé qui, dans l'exaltation du délire, l'angoisse de mort et la mégalomanie, s'est mué en crime antisémite, dans un combat délirant du bien contre le mal. Selon une hypothèse maximaliste, ces actes sont empreints d'un antisémitisme plus important.
M. Kobili Traoré a emprunté le balcon pour accéder à l'appartement de Mme Sarah Halimi. D'après ses propos, nous pouvons conclure à une fuite anxio-persécutrice. M. Kobili Traoré indique ne pas savoir qu'il se rendait chez Mme Sarah Halimi. Il dit avoir vu la Torah et les chandeliers dès son entrée dans l'appartement. Ces éléments auraient déclenché ce déchaînement de violence. A-t-elle été délibérément recherchée parce que juive ? Ou bien sa confession l'a-t-elle immédiatement diabolisée dans ce contexte délirant. Je ne peux pas trancher. Ces propos : « Allah akbar », « j'ai tué le Sheitan », etc. laissent peu de doute sur l'antisémitisme au moment des faits. Dans mon rapport, j'indique que ces actes sont à la fois délirants et antisémites.
Quelle conséquence médico-légale fallait-il en tirer ? À mon sens, il s'agit d'abord d'une intoxication au cannabis chronique volontaire. Il ne doit pas subsister de doute sur la maladie qui demeure irrécusable. Tout se résume dans une phrase : peut-on traiter de la même manière la maladie mentale que l'on subit et celle que l'on induit ? Dans le cas de M. Kobili Traoré, il existe une prise régulière et consciente de cannabis en très grande quantité. Il n'a pas consommé du cannabis pendant quinze ans dans le but de tuer Mme Sarah Halimi. C'est un sujet délinquant, consommateur, trafiquant. J'ai entendu dire qu'il ne pouvait pas connaître les effets indésirables. Effectivement, n'étant pas psychiatre, il ne peut pas connaître toute la sémiologie. Le raisonnement de mes collègues repose sur une fiction médico-légale qui est : s'il avait su, il ne l'aurait pas fait. Pourtant, lorsqu'il était en UMD, alors que les psychiatres lui répétaient que le cannabis était un produit dangereux pour lui, il est parvenu à en consommer. Par conséquent, nous ne pouvons pas affirmer que, même en toute connaissance des risques, il se serait abstenu.
En termes de santé publique, de morale, de bon sens ou de logique médico-légale, nous ne pouvons pas faire abstraction de ces éléments. Je critique la conception biopsique de l'expertise depuis des années. Cette dernière se contente de regarder ce qui se déroule au moment des faits. La Cour de cassation dit : peu importe les origines de la folie. Si nous passons du domaine de la drogue à celui du terrorisme, nous constatons, lors des actes terroristes, que les sujets sont délirants et hallucinés. Ne tenons-nous pas compte de la radicalisation, de la haine de la France, de la préparation ? Considérons-nous de manière biopsique les événements au moment des faits ? Cette logique me semble extrêmement dangereuse. L'absence de jugement est une impasse, d'autant que M. Kobili Traoré est actuellement hospitalisé sans trouble qui le justifie. Ne pas prendre en compte qu'il s'agit d'un effet inattendu et non celui qui a été recherché me semblerait également inéquitable. Dans le débat actuel, seuls deux cas sont semblables depuis dix ans. Or, au cours de mon expérience récente, j'ai constaté que le même raisonnement pouvait s'appliquer dans cinq affaires. Dans chaque cas, les sujets ont été condamnés. Aucune affaire n'est superposable à une autre, cependant ces éléments ont un intérêt pour notre débat, d'autant que ces condamnations ont été lourdes peut-être même trop.
Une reconstitution était-elle possible ? Dans le rapport, je notais qu'il n'existait pas de contre-indication médicale. M. Kobili Traoré disait en espérer un apaisement pour lui, la justice et les parties civiles, et une contribution à l'émergence de la vérité des faits. J'ai toutefois indiqué dans mon rapport qu'il existait un risque de résurgence délirante. J'ajoutais que M. Kobili Traoré devait être encadré par des soignants et protégé contre un éventuel climat hostile.
J'ai été interrogé d'un point de vue psychiatrique et c'est sur ce plan que j'ai répondu. Ensuite, des précisions m'ont été demandées sur les bouffées délirantes et les propos de M. Kobili Traoré indiquant qu'il s'agissait d'un suicide. Pour le commun des mortels, il demeure difficile de concevoir que, bien que subissant une affection psychiatrique irrécusable, le sujet demeurait dans le même monde que nous. La première erreur est d'accorder trop de raisonnement et de logique à ses propos. Le sujet peut tenir ce type de propos tout en vivant une bouffée délirante. La rationalité d'une telle parole dans ce contexte reste problématique. Pour reprendre les propos d'un collègue : « Le délirant ne boit pas du Coca-cola par l'oreille. » Y compris dans l'état le plus pathologique, il peut y avoir des actes à peu près coordonnés.
Il me semble que l'une des difficultés rencontrées dans cette affaire est celle de se représenter en même temps l'existence de troubles sévères et le maintien de facteurs qui ne relèvent pas de la maladie. L'antisémitisme, la possible radicalisation, des préoccupations religieuses, la préparation de l'acte, une intrication de facteurs religieux et délirants sont tous présents dans cette affaire. Ce n'est pas parce que le sujet est délirant qu'il n'est pas nécessaire d'interroger ces facteurs lors d'une instruction. Il faut tenir compte de la réalité de la pathologie, qui n'est pas incompatible avec un certain nombre de questionnements. Quelle que soit l'hypothèse échafaudée, nous devons tenir compte de ce tableau psychiatrique irrécusable. La question demeure de savoir si un état pathologique subi est du même ordre qu'un état pathologique provoqué.
Je ne suis ni psychiatre ni médecin. Par conséquent, certaines des notions évoquées ne me sont pas familières.
Par rapport aux faits, M. Kobili Traoré a fumé du cannabis deux heures avant le meurtre de Mme Sarah Halimi. Il entre, en pleine nuit chez la famille Diarra, de lointains parents. Il est calme, il leur indique qu'il ne leur arrivera rien et qu'il s'installe uniquement pour passer la nuit chez eux. Pensant que M. Kobili Traoré était poursuivi, les Diarra lui ont ouvert la porte de leur domicile à 4 heures du matin. La famille se retranche alors dans une chambre. Pendant ce temps, M. Kobili Traoré se change, il suit un rituel salafiste, il se rend sur le balcon au péril de sa vie et il entre chez Mme Sarah Halimi avec une certaine maîtrise de lui-même et un calme apparent. Contrairement à ce qu'il a déclaré, il n'y a ni Torah ni chandelier chez Mme Sarah Halimi, mais uniquement des bougeoirs et des livres. N'est-ce pas la preuve que M. Kobili Traoré a commis un acte antisémite ? En effet, il savait que la personne chez qui il pénétrait était juive. Il a donc minutieusement préparé son acte.
Le calme apparent de M. Kobili Traoré correspond à l'alternance de moments d'accalmie et de moments de grand bouleversement. Sonner chez des voisins à 4 heures du matin n'est pas un comportement normal. Dans les bouleversements de la bouffée délirante, y a-t-il eu des actes rituels ou pseudo-rituels ? Je ne peux pas le savoir. M. Kobili Traoré dit qu'en arrivant dans l'appartement de Mme Sarah Halimi, sans avoir voulu aller chez elle spécifiquement, il a constaté des signes extérieurs de judéité qui auraient embrasé sa bouffée délirante. Il s'agit de ses propos. En tant que psychiatre, je ne peux pas trancher sur cette question.
La question se pose, car ces objets n'étaient pas présents. Aurait-il menti aux psychiatres pour motiver son déchaînement de violence ?
En dehors de l'hypothèse du mensonge pur, il existe des signes extérieurs de judaïsme.
Lorsqu'il est à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police, le médecin de garde rédige une note de synthèse au sujet de M. Kobili Traoré. Il y fait part d'un doute sur un certain théâtralisme de la présentation et du discours sans aucun élément délirant ou discordant. Dans une autre note de synthèse réalisée à l'hôpital Esquirol, le médecin en charge de M. Kobili Traoré indique, après lui avoir administré 325 mg de loxapine et 400 mg de diazépam : « Il nous semble qu'il sursimule la sédation. » Ne pensez-vous pas qu'il pourrait s'agir d'une comédie ? M. Kobili Traoré aurait alors échappé à la justice et pourrait, dans quelque temps, sortir libre de l'hôpital psychiatrique où il se trouve actuellement.
Non, je ne pense pas. Le certificat de ce docteur est ambivalent et très riche sur le plan de la symptomatologie. Les patients qui théâtralisent la sédation ne simulent pas sur tout. Ils se donnent à voir comme plus sédatés qu'ils ne le sont en réalité. Beaucoup de patients agissent ainsi. Cela étant, ils sont bel et bien malades. Nous nous fourvoierions à formuler des hypothèses naïves. Nous avons l'habitude d'entendre que nous nous sommes fait avoir. Or, dans ce cas, M. Kobili Traoré a été vu par différents confrères.
Nous ne remettons pas en cause le fait qu'il ait vécu une bouffée délirante. Vous dites que M. Kobili Traoré est accessible à une sanction pénale. Il aurait pu être envoyé devant une cour d'assises de la République où des experts et des journées d'audience auraient permis de répondre à toutes ces questions. La juge a décidé, après votre diagnostic, de nommer un collège de six experts qui concluent à l'inverse de votre compte rendu. Cette nouvelle expertise n'a pas été demandée par la défense. Il s'agit d'une initiative propre de la juge. Ce processus est-il courant ? Quels sont vos rapports avec la juge ? Vos collègues concluent à l'inverse de votre expertise. Nous avons auditionné Me Francis Szpiner, qui nous a indiqué que vous entreteniez des rapports tendus avec le Dr Paul Bensussan. La juge pourrait avoir nommé ce nouvel expert en sachant qu'elle obtiendrait un diagnostic inverse. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Ma présence ici, lors de cette commission, n'a pas pour objectif de vous faire part de sentiments ou d'intuitions. Je me dois d'établir des faits objectifs. Mes rapports avec la juge étaient courtois. Mme la juge Anne Ihuellou pensait avoir affaire à un malade mental en la personne de M. Kobili Traoré. Elle a suscité la contre-expertise alors que toutes les parties étaient d'accord et que l'avocat de l'accusé ne l'avait pas demandée. Elle en a la possibilité, bien que cela ne soit pas fréquent.
Généralement, lorsque toutes les parties sont satisfaites, une contre-expertise n'est pas requise. Le Dr Paul Bensussan et moi-même n'avons pas la même sensibilité, mais il n'est pas mon ennemi.
Qu'entendez-vous par une différence de sensibilité ? S'agit-il d'une différence dans l'approche du diagnostic médical ?
Il ne s'agit pas d'une question d'école, mais de sensibilité. Je suis davantage psycho-dynamique. Le Dr Paul Bensussan a d'autres orientations. Toutefois, cela importe peu. Il demeure important de comprendre qu'il ne s'agit pas d'un désaccord clinique, mais médico-légal.
Dans son audition, Me Francis Szpiner indique : « Je pense que le Dr Paul Bensussan n'a pas été choisi par hasard. Notons en outre les conflits personnels qui peuvent l'opposer au Dr Daniel Zagury dans une sorte de querelle d'égos sous contexte de la catastrophe judiciaire que nous connaissons. » Notre commission d'enquête vous interroge sur ce point.
Je suis le dernier à pouvoir répondre à cette question. Il y a eu plusieurs approximations. Le deuxième collège a conclu essentiellement à l'existence d'une maladie mentale chronique. Il a reconnu devant la chambre de l'instruction s'être trompé sur ce point.
Le troisième collège conclut à un diagnostic identique au mien, mais sa conclusion médico-légale diffère puisqu'il indique que M. Kobili Traoré ne pouvait pas connaître ou anticiper les effets rares de la prise de produit. La divergence est médico-légale et juridique. Des juristes et des professeurs de droit se sont interrogés sur ce point en déclarant la responsabilité ou non, en fonction de leur conception du droit. La juge d'instruction a demandé une contre-expertise, ce qui est relativement rare lorsque toutes les parties s'accordent.
Vous avez évoqué le fait que M. Kobili Traoré avait visionné un film, qu'il serait devenu le « punisher islamiste ». Selon vous, M. Kobili Traoré est-il un terroriste ?
Ce n'est pas dans ces termes que la question se pose. Existe-t-il un travail de radicalisation antérieure ? Cet intérêt pour l'islam, la fréquentation quotidienne de la mosquée étaient récents. Le dernier mois, M. Kobili Traoré se rendait trois fois par jour à la mosquée. Les préoccupations religieuses s'inscrivent-elles dans le cadre de cette bouffée délirante ou étaient-elles antérieures ? Avec les éléments dont je disposais, mon hypothèse était que ces préoccupations religieuses n'étaient pas antérieures à la bouffée délirante.
M. Kobili Traoré est passé de l'UMD à un secteur ordinaire. Il semble être en pleine forme. Il ne prend aucun traitement. Nous savons qu'un collège d'expert se réunit tous les six mois.
Non. Lorsqu'il était en UMD, les psychiatres ont estimé qu'il pouvait être transféré en secteur ordinaire. Le collège d'experts a été réuni pour examiner cette question.
L'hôpital psychiatrique n'est pas une prison. M. Kobili Traoré pourrait sortir une fois que son état sera normalisé.
Sauf si la psychiatrie est utilisée pour des raisons de défense sociale.
Oui. En tant que chef de service, il m'est arrivé de subir des pressions pour conserver un patient dans mon établissement.
J'ai été saisi par la mère de Sébastien Selam. Vous aviez indiqué à l'époque que l'accusé avait de graves antécédents psychiatriques. J'ai interpelé le président de la République, qui m'a longuement répondu. Ce drame ne donnera, malheureusement pas lieu à un procès. Nous cherchons donc à améliorer la législation afin que de tels événements ne puissent se reproduire, car Mme Selam rencontre tous les jours l'assassin de son fils.
La loi a été modifiée en ce sens. Désormais, lorsque la chambre de l'instruction décide définitivement de l'irresponsabilité pénale d'une personne, elle assortit sa décision d'un certain nombre d'interdits, notamment celui de ne pas fréquenter le voisinage des lieux du crime.
Vous avez abordé des notions importantes au cours de votre intervention, notamment concernant les maladies mentales induites ou subies. Vous avez cité le terme d'expertise biopsique, c'est-à-dire d'un examen à un instant T. Pensez-vous que des modifications devraient être apportées quant aux modalités de l'expertise psychiatrique pour éviter ce type de dysfonctionnement à l'avenir ?
Je ne peux pas me prononcer s'agissant du cours de l'instruction. Il me semble que le point de vue du procureur de la Cour de cassation et celui de la rapporteure étaient convergents. Ils laissaient au législateur la possibilité de modifier les textes. À mon sens, la réforme en cours est positive. L'absence de jugement dans ce type d'affaires est inéquitable. Tout comme je considère comme inique l'absence de prise en compte de la présence de produits stupéfiants. La peine serait de dix ans maximum, durée cohérente avec ce type d'affaires. L'idée selon laquelle cela se présenterait de façon rarissime est fausse. Dans le débat, la maladie mentale et la prise de stupéfiant sont régulièrement associées, à raison. Toutefois, il est nécessaire que le juge et l'expert analysent les facteurs en l'espèce. La loi ne doit pas figer les choses, une certaine souplesse est indispensable. Cette réforme me paraît donc justifiée.
Cette commission cherche à comprendre s'il a existé des dysfonctionnements de la police et de la justice dans cette affaire dite Sarah Halimi. Dans la discussion se pose la question de la place des psychiatres dans l'étude du dossier, car votre jugement a « orienté » le cours de l'enquête pris par la juge d'instruction. À votre avis, pourquoi d'autres expertises ont-elles été demandées après la vôtre, qui semblait pourtant emporter l'unanimité ? Pourquoi ne vous a-t-on pas interrogé sur le caractère antisémite de ce crime ? Auriez-vous pu avoir un jugement orienté ?
La juge n'a pas posé la question de l'antisémitisme. J'essaye de séparer ce que je peux ressentir comme citoyen de ma pratique d'expert. La juge considérait qu'il s'agissait d'un crime de malade mental. Tous ceux qui se sont penchés sur ce dossier ont noté qu'il existait une réticence à reconnaître l'antisémitisme. Je l'ai évoqué dans mon expertise, c'est ce qui a permis qu'il soit retenu dans un deuxième temps.
Concernant le recours à d'autres experts, il vous appartient de poser la question à la juge. Je ne peux pas répondre à sa place. Nous pouvons penser qu'elle n'était pas satisfaite de mon expertise ou bien qu'elle souhaitait des éclairages supplémentaires, éventuellement contradictoires.
J'ai lu avec attention les deux rapports que vous avez remis à la juge d'instruction. Vos conclusions sont limpides. Concernant l'antisémitisme, vous ne disposiez pas d'une vision intégrale de l'affaire. Cependant, dans votre rapport du 12 juin 2017, vous indiquez que M. Kobili Traoré a, en voyant la Torah et le chandelier, compris qu'il était en face du diable. Lorsqu'on compare quelqu'un de confession juive au diable, il me semble qu'il s'agit d'antisémitisme. Qu'est-ce qui a déterminé votre conclusion d'un acte avec une bouffée délirante à caractère antisémite ?
Il y a quinze ans, j'ai été expert dans l'affaire Sébastien Selam que vous évoquiez. J'ai alors eu une formule malheureuse : « Ce n'est pas un crime antisémite, mais un crime délirant. » Le délirant s'abreuve de l'antisémitisme, mais la vague délirante dominait. L'antisémitisme était secondaire par rapport à l'importance du délire. Dans le cas de M. Kobili Traoré, il existe une part d'indétermination. En effet, je ne dispose ni des outils ni des arguments pour indiquer qu'il avait un préjugé antisémite à l'origine de sa phase délirante ou qu'il s'agissait d'un antisémitisme qui a perduré pendant la bouffée délirante. Je ne peux pas trancher. L'expert se plonge dans un dossier et lit dans la presse que la question de l'antisémitisme est soulevée, mais pas pour son expertise. Il m'a semblé important de m'interroger sur l'antisémitisme. En toute hypothèse, il s'agit d'un crime délirant et antisémite. Je ne peux toutefois pas statuer sur la profondeur du sentiment antisémite.
Vous avez remis un premier rapport en juin 2017, puis un deuxième en janvier 2018. Entre ces deux rapports, avez-vous eu une discussion avec la juge d'instruction ?
Nos relations étaient courtoises. Je n'ai reçu, de sa part, aucun reproche ni aucune critique. La juge ne m'a pas indiqué si elle était en accord ou non avec mes conclusions. J'ai appris l'existence d'une nouvelle expertise par la presse. Après avoir rendu mes rapports, je ne participais plus à la procédure.
Lors de la remise d'un rapport n'y a-t-il pas un dialogue d'explication du document avec le juge ?
Toutes les possibilités existent. Dans le cas présent, je n'ai pas eu de suite. Pour la juge d'instruction, il s'agissait d'un malade mental.
Les relations de Mme la juge Anne Ihuellou avec les avocats n'étaient pas bonnes. Je ne procéderai pas à une expertise psychiatrique de la juge, tout autant que je n'évoquerai pas ici mes intuitions ou mes sentiments.
Je trouve vos précisions importantes. La lecture de vos trois rapports offre une vision synoptique précise. En effet, vous détaillez les contacts que vous avez eus et vous fournissez des éléments supplémentaires. Toutefois, je ne suis pas sûr de comprendre les conclusions de votre premier rapport, qui est le document essentiel, les deux autres constituant des compléments. Vous considérez que le caractère indiscutable du trouble mental aliénant est en lien avec la consommation volontaire de cannabis et qu'on ne peut pas dégager M. Kobili Traoré de sa responsabilité. Pourtant, vous évoquez l'idée d'une responsabilité altérée en raison de la nature des troubles, qui dépasse de loin les effets attendus. Je ne saisis pas le sens de cette phrase. Pouvez-vous réexpliquer à la commission ce que vous vouliez exprimer ?
M. Kobili Traoré n'a pas fumé du cannabis pendant des années pour être en situation de tuer une femme juive mais, en fumant pendant des années, il s'est mis dans cette position. Nul n'est censé ignorer la loi ou que les produits toxiques peuvent provoquer une perte de contrôle. Dans le cas présent, il existe un épisode pathologique authentique. La question se pose pour l'alcool en cas de delirium tremens et d'hallucinations. Traoré dit avoir consommé des produits de plus en plus forts pour « se défoncer » ; pas pour tuer sa voisine. Cette consommation a dépassé les effets escomptés. Il est équitable que ce type de sujet dans cette situation ait à répondre de ses actes, y compris pour lui-même. Cependant, il ne peut être condamné de la même manière que quelqu'un qui aurait commis délibérément le même acte.
Il s'agit d'une affaire compliquée, ce qui peut également expliquer la convocation de plusieurs experts psychiatriques par la juge d'instruction. Vous avez rappelé l'accord des experts sur la bouffée délirante aiguë, le discernement était aboli au moment du crime. Vous avez pointé le problème de la divergence dans l'analyse juridique. Devons-nous considérer uniquement le cliché du meurtre ? Ou devons-nous prendre de la hauteur et nous interroger sur l'avant ? C'est ce que nous avons essayé d'analyser dans le projet de loi en considérant que la consommation volontaire de substances psychoactives place le consommateur en situation d'agir. Il s'agit de la consécration de la faute volontaire. Chacun doit pouvoir répondre de ses actes devant un tribunal. Il m'intéresse de savoir si le crime pouvait être fou et antisémite. La Cour de cassation a répondu à cette interrogation.
Se pose également la question des suites. Que fait-on de ces personnes hospitalisées, qui ne sont pas des malades chroniques et qui vont sortir un jour ? N'existe-t-il pas de liens à resserrer entre la santé et la justice ? Le rapport remis par MM. Houillon et Raimbourg propose aussi de renforcer les mesures de sûreté. Cet aspect requiert un travail avec la santé. Dans ce cadre, la justice doit prendre sa part.
Un autre sujet important relève de votre travail d'expert : l'évaluation de l'individu. Combien de temps après les faits avez-vous pu évaluer M. Kobili Traoré ? Ce temps de latence ne constitue-t-il pas un obstacle pour reconstituer les faits ? Est-ce lié à la maladie en elle-même ou au temps de la justice ? En termes de temporalité, il existe une problématique à régler.
Il existe une représentation qui voudrait que nous puissions procéder à une expertise le plus tôt possible après les faits. Or plus il y a du recul, plus il existe de pièces au dossier, plus l'aspect cinétique évolutif peut être apprécié. Un expert dispose de photographies avec les examens et les certificats. En appréciant tous ces documents et en mettant son examen en perspective, l'expert dispose de plus d'informations. Il est important de réaliser un bon examen clinique, ce qui a été fait à l'infirmerie psychiatrique. C'est une illusion de penser que plus l'expert intervient tôt, plus l'examen sera valable.
L'objectif de cette commission d'enquête est de pointer d'éventuels dysfonctionnements et non de procéder à un nouveau procès. Lorsque nous évoquons l'altération mentale de M. Kobili Traoré, nous ne remettons pas suffisamment en perspective les éléments avancés par certains avocats. En effet, lors des auditions, il a été question des affaires laissées par M. Kobili Traoré avant qu'il ne commette son crime. Lorsqu'il a déposé les enfants dans cette famille voisine, il n'était pas sous l'emprise de stupéfiants. Comment concilier cette altération au moment de l'acte et ces éléments qui n'ont pas été approfondis dans l'enquête ? Ils portent pourtant à croire à l'existence d'une préméditation.
Lors d'auditions précédentes, les avocats nous ont expliqué que la décision du premier expert pouvait avoir une incidence sur l'évaluation du juge et la continuité de la procédure. Pensez-vous que le premier expert disposait de suffisamment d'éléments pour prendre une décision qui peut avoir eu de l'influence sur la suite des événements ?
Vous faites allusion au premier psychiatre de l'Hôtel-Dieu qui a examiné M. Kobili Traoré, le Dr Joachim Müllner. Ce dernier est un bon praticien. Si les députés veulent se pencher sur la situation de la psychiatrie publique, ils le peuvent, elle en a besoin. Le Dr Joachim Müllner est un bon psychiatre et il n'a pas commis d'erreur. Régulièrement, un sujet est emmené à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police, où il est examiné longuement et parfois gardé vingt-quatre heures avant de retourner en garde à vue.
L'un des signes de la bouffée délirante est la variabilité de l'humeur et des émotions. C'est très surprenant cliniquement également pour des personnes qui ont de l'expérience.
La prise de substances toxiques quelques heures avant n'a aucune importance. La maladie fonctionne pour son propre compte. À partir du moment où le processus est déclenché, la bouffée délirante sera au premier plan du tableau, peu importe sa consommation quelques heures avant. M. Kobili Traoré a fumé du cannabis pendant quinze ans. Nous nous sommes posé la question des raisons de l'éclosion de cette bouffée délirante. Il existe un courant toxique et un courant psychogène. Avait-il des soucis particuliers ? Il était question d'un mariage qu'il désirait avec sa cousine. En revanche, compte tenu de son mode de vie marginal, dans la délinquance, le mariage aurait mis fin à ses pratiques.
Ces éléments me sont apparus très secondaires par rapport à la prise de toxiques. L'allure clinique générale de la bouffée délirante était évocatrice d'une bouffée délirante d'origine toxique. D'ailleurs, le troisième collège a répondu en ce sens. Le deuxième collège a conclu à une maladie mentale chronique. Le troisième collège aboutit au même diagnostic que moi, mais estime sur le plan médico-légal que M. Kobili Traoré ne pouvait pas connaître les effets de la prise de toxiques. Il n'est pas exclu que dans le vécu délirant, il existe des schèmes rituels de crimes terroristes.
Régulièrement, lors d'attentats, les terroristes prennent des drogues. Une part de folie est nécessaire. Il importe de savoir quand la personne sera jugée et quand elle ne le sera pas. Chez un terroriste, il existe probablement toujours une part de folie délirante provoquée ou non par l'absorption de substances.
Le premier texte m'a laissé perplexe, car ce cas de figure est rare. L'étymologie d'assassin serait haschichin qui signifie : ceux qui prennent du haschich pour passer à l'acte. Nous ne sommes pas dans ce cas de figure avec M. Kobili Traoré. En revanche, un crime peut être délirant et prémédité, par exemple chez un paranoïaque.
Effectivement, il ne s'en prend pas à la famille Diarra, mais entre chez cette voisine juive qu'il massacre.
Je parcourais vos conclusions, qui comprennent un descriptif clinique, la symptomatologie et le lien avec le médico-légal. Concernant l'acmé du passage à l'acte, si M. Kobili Traoré traversait un épisode de bouffée délirante, quel était son degré d'adhésion à son délire ? Lorsque vous l'avez revu, M. Kobili Traoré présentait une absence de souvenirs. Vous évoquez alors trois hypothèses : soit l'amnésie organique, soit l'amnésie de sauvegarde défensive pour préserver une forme narcissique du sujet, soit un système de défense, une simulation face à la justice. Aujourd'hui, ces trois hypothèses restent-elles d'actualité ?
Ces hypothèses demeurent d'actualité. Le sujet traverse une phase avec une forte dimension onirique. Il lui en restera des traces. Ces dernières ne sont pas une narration complète du début à la fin. Elles peuvent représenter des flashs, des bribes. Au fur et à mesure du temps qui passe, on s'aperçoit que ces traces deviennent de moins en moins claires pour le sujet. Il va de mieux en mieux et n'a pas envie de se souvenir de son acte terrible. Toutefois, cette volonté ne constitue pas nécessairement un système de défense face à la justice. Dans certains cas, le sujet peut édulcorer ou masquer des éléments de réalité. Il s'agit d'une situation relativement banale.
L'amnésie organique authentique, c'est-à-dire le scotome ou trou noir, existe et dans ce type d'événements nous constatons des flous mnésiques. Des traces demeurent et d'autres ont été oubliées. Celles qui restent sont filmiques, il s'agit d'images sans le son qui disparaissent au fur et à mesure du temps qui passe.
Si le premier collège avait conclu à une abolition du discernement et que votre expertise était arrivée en second lieu, ceux qui se plaignent aujourd'hui se féliciteraient que nous disposions d'une seconde expertise.
Concernant la famille Diarra, cette dernière était enfermée dans une pièce avec un meuble posé devant la porte. M. Kobili Traoré a souhaité entrer dans cette pièce. Vous avez évoqué l'examen clinique. Ce dernier est-il corroboré par des témoins qui ont vu l'auteur des faits ? La combinaison de ces éléments vous amène à donner ensuite votre conclusion sur l'abolition du discernement. Vous avez insisté sur sa détention de cannabis en UMD qui a donné lieu à une autre bouffée délirante. Dans ce cadre, il connaissait l'attendu. Dans vos propos liminaires, il m'a semblé que lors de son crime M. Kobili Traoré connaissait déjà cet attendu.
Je confirme que l'appréciation clinique tient compte des témoignages, des éléments du dossier, du dossier médical et de mes propres constatations. Tous ces éléments sont convergents.
Certaines choses sont incompatibles. On ne peut pas être schizophrène et connaître une bouffée délirante aiguë sans lendemain. Dans le débat qui a suivi l'affaire Sarah Halimi, des juristes, des avocats ont utilisé des arguments cliniques. Or on ne peut pas être affecté d'une bouffée délirante sans lendemain et être simultanément schizophrène.
S'il consomme à nouveau de la drogue, c'est une possibilité. Quel projet envisager pour M. Kobili Traoré ? Comment construire un avenir alors qu'il n'a pas répondu de ses actes ? Avant de subir une bouffée délirante, il n'était pas malade mental et après il ne l'est pas non plus. On ne peut pas demander à la psychiatrie de maintenir dans une unité de soins une personne qui n'en a plus l'utilité.
Au-delà de cette affaire, avez-vous des recommandations pour la représentation nationale ou pour la législation ?
Il me semble que le travail législatif effectué représente un effort conséquent pour répondre aux difficultés suscitées par cette affaire. Des rumeurs, des délires sont apparus chez les journalistes, les avocats ainsi que dans l'opinion publique, car certains éléments n'ont pas été débattus publiquement. L'affaire dite Sarah Halimi milite pour l'existence d'un débat public. S'il me paraît injuste et inéquitable d'esquiver totalement le processus judiciaire – nous constatons d'ailleurs les impasses que cela peut engendrer –, il me paraît également inéquitable de condamner lourdement les sujets. Le projet répond donc à une nécessité.
La réunion se termine à dix-huit heures cinquante . Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement
Présents. - Mme Emmanuelle Anthoine, Mme Aude Bono-Vandorme, Mme Camille Galliard-Minier, M. Victor Habert-Dassault, M. Meyer Habib, M. Brahim Hammouche, M. François Jolivet, M. Sylvain Maillard, Mme Florence Morlighem, Mme Naïma Moutchou, M. Didier Paris, M. François Pupponi.
Excusés. - Mme Sandra Boëlle, Mme Constance Le Grip, M. Julien Ravier.