Intervention de Dr Daniel Zagury

Réunion du mardi 9 novembre 2021 à 17h00
Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Dr Daniel Zagury, psychiatre :

Je ne sais pas, il est nécessaire d'interroger la juge à ce sujet. Pour l'opinion publique même éclairée, un acte délirant ne peut pas être antisémite. Or c'est un préjugé. L'acte délirant est supposé absurde et irrationnel. Nous retrouvons cette problématique pour le terrorisme, où sont opposés maladies mentales et terrorisme. Selon moi, dans les cas de terrorisme, ce n'est qu'à partir d'une instruction et d'un établissement des faits que certains des auteurs seront orientés vers les services sanitaires. La thématique antisémite est fréquemment repérée dans les efflorescences délirantes des sujets musulmans. J'ai été psychiatre en Seine-Saint-Denis pendant trente ans, c'est un fait d'observation. Le Juif est du côté du mal, du diabolique.

S'agissait-il, dans le cas de M. Kobili Traoré d'un préjugé qui se serait transformé en haine délirante ? Ou s'agissait-il d'un antisémitisme franc ? Je ne peux pas répondre à cette question, je ne suis que psychiatre. Des éléments manquent au dossier pour qu'une telle évaluation soit envisageable. J'ai lu dans la presse qu'il tenait des propos antisémites lorsqu'il croisait Mme Sarah Halimi ou des membres de sa famille. Or ces éléments ne figuraient pas au dossier. Cette thématique délirante était en partie empruntée à l'univers des films Marvel dont il avait visionné The Punisher. Dans son bouleversement délirant, il se serait comporté comme un «  punisher islamiste » terrassant le diable. Ce déchaînement paroxystique, cette destructivité et l'horreur du massacre ne peuvent pas être compris en dehors du contexte des bouleversements délirants qui, à mon sens, sont également antisémites.

Dans une hypothèse minimaliste, il s'agit d'un préjugé qui, dans l'exaltation du délire, l'angoisse de mort et la mégalomanie, s'est mué en crime antisémite, dans un combat délirant du bien contre le mal. Selon une hypothèse maximaliste, ces actes sont empreints d'un antisémitisme plus important.

M. Kobili Traoré a emprunté le balcon pour accéder à l'appartement de Mme Sarah Halimi. D'après ses propos, nous pouvons conclure à une fuite anxio-persécutrice. M. Kobili Traoré indique ne pas savoir qu'il se rendait chez Mme Sarah Halimi. Il dit avoir vu la Torah et les chandeliers dès son entrée dans l'appartement. Ces éléments auraient déclenché ce déchaînement de violence. A-t-elle été délibérément recherchée parce que juive ? Ou bien sa confession l'a-t-elle immédiatement diabolisée dans ce contexte délirant. Je ne peux pas trancher. Ces propos : «  Allah akbar  », « j'ai tué le Sheitan  », etc. laissent peu de doute sur l'antisémitisme au moment des faits. Dans mon rapport, j'indique que ces actes sont à la fois délirants et antisémites.

Quelle conséquence médico-légale fallait-il en tirer ? À mon sens, il s'agit d'abord d'une intoxication au cannabis chronique volontaire. Il ne doit pas subsister de doute sur la maladie qui demeure irrécusable. Tout se résume dans une phrase : peut-on traiter de la même manière la maladie mentale que l'on subit et celle que l'on induit ? Dans le cas de M. Kobili Traoré, il existe une prise régulière et consciente de cannabis en très grande quantité. Il n'a pas consommé du cannabis pendant quinze ans dans le but de tuer Mme Sarah Halimi. C'est un sujet délinquant, consommateur, trafiquant. J'ai entendu dire qu'il ne pouvait pas connaître les effets indésirables. Effectivement, n'étant pas psychiatre, il ne peut pas connaître toute la sémiologie. Le raisonnement de mes collègues repose sur une fiction médico-légale qui est : s'il avait su, il ne l'aurait pas fait. Pourtant, lorsqu'il était en UMD, alors que les psychiatres lui répétaient que le cannabis était un produit dangereux pour lui, il est parvenu à en consommer. Par conséquent, nous ne pouvons pas affirmer que, même en toute connaissance des risques, il se serait abstenu.

En termes de santé publique, de morale, de bon sens ou de logique médico-légale, nous ne pouvons pas faire abstraction de ces éléments. Je critique la conception biopsique de l'expertise depuis des années. Cette dernière se contente de regarder ce qui se déroule au moment des faits. La Cour de cassation dit : peu importe les origines de la folie. Si nous passons du domaine de la drogue à celui du terrorisme, nous constatons, lors des actes terroristes, que les sujets sont délirants et hallucinés. Ne tenons-nous pas compte de la radicalisation, de la haine de la France, de la préparation ? Considérons-nous de manière biopsique les événements au moment des faits ? Cette logique me semble extrêmement dangereuse. L'absence de jugement est une impasse, d'autant que M. Kobili Traoré est actuellement hospitalisé sans trouble qui le justifie. Ne pas prendre en compte qu'il s'agit d'un effet inattendu et non celui qui a été recherché me semblerait également inéquitable. Dans le débat actuel, seuls deux cas sont semblables depuis dix ans. Or, au cours de mon expérience récente, j'ai constaté que le même raisonnement pouvait s'appliquer dans cinq affaires. Dans chaque cas, les sujets ont été condamnés. Aucune affaire n'est superposable à une autre, cependant ces éléments ont un intérêt pour notre débat, d'autant que ces condamnations ont été lourdes peut-être même trop.

Une reconstitution était-elle possible ? Dans le rapport, je notais qu'il n'existait pas de contre-indication médicale. M. Kobili Traoré disait en espérer un apaisement pour lui, la justice et les parties civiles, et une contribution à l'émergence de la vérité des faits. J'ai toutefois indiqué dans mon rapport qu'il existait un risque de résurgence délirante. J'ajoutais que M. Kobili Traoré devait être encadré par des soignants et protégé contre un éventuel climat hostile.

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