Cette commission est importante. Elle permet de s'exprimer et de partager un besoin de vérité pour rétablir les faits. Je note que nous sommes aujourd'hui le 9 novembre. Il s'agit du jour anniversaire de la Nuit de cristal (9 novembre 1938). Je me demande si, à cette époque, certains ont prétendu qu'il ne s'agissait pas d'un acte antisémite. Qu'ont pensé les contemporains de cette Nuit de cristal ?
Cet événement constitue un traumatisme. Le docteur Sarah Halimi renvoyait aussi au nom d'Ilan Halimi créant un sentiment de répétition. Le crime en lui-même et le mode opératoire sont horribles et barbares. Nous avons le sentiment d'une obsession sur ce nom : Halimi. Ma théorie est cependant de ne jamais crier au loup. J'ai appris par le passé que tant que les faits ne sont pas établis, ils ne le sont pas. C'est pourquoi il me paraissait important d'attendre que les magistrats instructeurs définissent les choses. Quand nous avons rencontré des difficultés à entretenir un rapport avec le magistrat instructeur et l'instance judiciaire, l'ensemble des institutions juives a demandé à obtenir un rendez-vous avec le procureur de Paris, le jeudi 7 avril. Nous souhaitions savoir ce qu'il en était. Le communiqué de presse dont parle Me Ariel Goldmann indique que nous ne disposions alors d'aucun élément pour affirmer ou non le caractère antisémite de ce meurtre. Ensuite ont eu lieu la Pâque juive et une manifestation demandant le rétablissement de la vérité. Plus tard, la vérité sera demandée par le président de la République lors de la cérémonie commémorative de la rafle du Vélodrome d'hiver.
Au début de l'affaire, nous ne comprenions pas les événements. Rétroactivement, nous considérons qu'il y a eu beaucoup de lacunes. Les avocats nous ont expliqué la procédure tandis qu'une incompréhension naissait quant à l'absence de reconstitution. Cette somme de faits malheureux pose question. Il est terrible de devoir se battre pour qu'une évidence soit établie.
Le 14 février 2006 a eu lieu l'assassinat d'Ilan Halimi. Suite à ce meurtre, personne ne déclare qu'il s'agit d'un crime antisémite. Puis, Dominique de Villepin, le Premier ministre de l'époque, se déplace devant le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) et annonce que le magistrat a reconnu le caractère antisémite de ce crime. À cette annonce, l'ensemble de la salle a applaudi : la vérité était reconnue. L'image de ces applaudissements à l'annonce d'un crime antisémite est terrible. Nous avons le sentiment que la pulsion de déni est telle dans la société qu'il est nécessaire de se battre pour obtenir la vérité. Ce fut également le cas dans l'affaire dite Mireille Knoll. La répétition de ce schéma constitue un mode de défense de l'institution. Ces éléments s'avèrent lourds à porter pour l'ensemble de la communauté nationale. Lorsqu'on ne peut pas décrire quelque chose, on ne peut pas lutter contre.
J'ai été aumônier militaire et j'ai longtemps travaillé sur le suicide dans l'armée. Dans ce type d'instance, on ne parle pas de suicide, mais d'autolyse, terme moins répandu et donc moins compris. Le simple fait de détourner les mots nous empêche de lutter contre un phénomène. Il existe une forme de tabou pour reconnaître le caractère antisémite de certains crimes, puisque cela signifierait qu'il y a de l'antisémitisme dans la société. J'ai pris une part plus active dans cette affaire lorsque la Cour de cassation a énoncé ce qui, selon moi, est une vérité qui ne peut pas l'être. La Cour de cassation a formulé une injonction paradoxale, car soit le crime est antisémite et il est donc pensé, soit il n'est pas pensé et n'est pas antisémite. C'est ce que j'ai indiqué dans un article paru dans le journal Le Figaro. Quelques jours plus tard, le président de la République a suivi cette ligne en demandant au ministre de la Justice que la législation évolue. Il s'agissait de reconnaître que personne ne peut faire valoir un état d'inconscience auto-infligé pour s'exonérer de sa responsabilité.