Intervention de Dr Paul Bensussan

Réunion du mardi 23 novembre 2021 à 19h00
Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Dr Paul Bensussan, psychiatre :

Lorsque vous êtes expert agréé par la Cour de cassation et qu'on souhaite vous confier une affaire importante, la courtoisie du magistrat lui suggère de vous contacter par téléphone. Le magistrat s'enquiert de votre disponibilité pour vous investir dans un tel dossier. Il m'a également été demandé, dans le cadre d'une désignation collégiale, avec qui je souhaitais travailler. Nous avons parfois plus de plaisir intellectuel à travailler avec certains collègues. J'avais déjà travaillé avec la Dr Élisabeth Meyer-Buisan, avec qui j'entretiens une relation cordiale et confraternelle sans lien amical particulier. J'ai eu l'honneur et la chance de travailler avec une grande figure de la psychiatrie française, le professeur Frédéric Rouillon. Il a été chef de pôle de l'hôpital Sainte-Anne, président du Conseil national des universités et fondateur du plus grand congrès de psychiatrie francophone. Je regrette d'avoir à développer ce point en propos liminaire. Je souhaitais l'évoquer lorsqu'il serait fait mention des propos de Me Francis Szpiner, qui a indiqué que ma nomination par la magistrate était un acte machiavélique. J'ai été désigné dans des conditions banales et j'ai suggéré les noms de mes co-experts. Nous avons alors reçu une ordonnance de désignation de la part des deux juges d'instruction, Mme Anne Ihuellou et Mme Virginie Van Geyte. Cette dernière n'est jamais citée dans votre commission d'enquête. Deux magistrats co-saisis nous désignent. De même que, parmi les experts, j'ai été le seul à subir beaucoup d'attaques, Mme Anne Ihuellou a été la seule à essuyer des critiques concernant l'instruction de cette affaire.

Nous avons examiné M. Kobili Traoré à deux reprises, en mai et juin 2018, à l'unité pour malades difficiles (UMD) et dans un cadre proche du cadre carcéral en termes de sécurité. Mes propos se fondent sur notre lecture du dossier, sur nos examens cliniques et les entretiens que nous avons eus avec les soignants. Au moment des faits, tous les témoignages concordaient. Les examens médicaux aux urgences de l'Hôtel-Dieu, ceux de l'infirmerie de la préfecture de police de Paris (I3P), où les premiers certificats d'hospitalisation d'office à 24 heures puis à 48 heures, ainsi que les certificats qui suivront, indiquent une telle convergence de diagnostic qu'elle se passe de commentaire. Nous sommes face à un sujet en proie à un délire riche dans ses thèmes et dans ses mécanismes. En effet, un délire est caractérisé par des thèmes et des mécanismes de l'ordre du mysticisme, de la démonopathie, du satanisme et du messianisme. Les mécanismes sont intuitivo-interprétatifs et hallucinatoires (auditifs et olfactifs). C'est ainsi que nous sommes amenés à caractériser un délire par une analyse sémiologique. Dans le cas de M. Kobili Traoré, le délire est vaste et précédé d'une phase prodromique avec une montée en puissance dans les 48 heures qui précèdent l'acte. Cette montée en puissance est caractérisée par une excitation, une confusion, une incohérence et une désorganisation de la pensée. Le sujet subit alors une insomnie subtotale. Il était agité, ses proches ne le reconnaissaient pas. Il tentera de s'apaiser en consommant davantage de cannabis. Son délire montait en puissance. Il s'est rendu à la mosquée et a expulsé l'auxiliaire de vie de son beau-père, persuadé qu'elle pratiquait des rituels vaudou à son encontre. Il pensait également que son beau-père souhaitait l'assassiner. Il faisait peur au voisinage. Tous les témoignages concordent : il était transfiguré, méconnaissable et inquiétant. Il parlait seul. La soliloquie n'est pas forcément pathologique. Lorsque vous voyez quelqu'un déambuler seul et parler seul, il s'agit alors d'une psychose. M. Kobili Traoré était désorganisé et confus dans les 48 heures qui ont précédé son acte.

Dans les heures qui précèdent l'agression de Mme Sarah Halimi, il a déposé des enfants chez la famille Diarra. Il s'est ensuite rendu chez un ami pour visionner un film et en est ressorti très agité. Il s'est introduit chez la famille Diarra en pleine nuit. J'ai visionné l'audition de mon collègue le Dr Daniel Zagury au cours de laquelle j'ai été très surpris de vous entendre dire qu'il était entré calmement dans l'appartement de la famille Diarra. Or ce n'est pas le cas, puisque ces derniers se sont barricadés dans une pièce et ont appelé la police. Ils avaient peur. Il avait une chaussure dans chaque main. J'aurais beaucoup de mal à résumer cela en disant qu'il est entré calmement chez les Diarra.

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