Commission d'enquête Chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement
Mardi 23 novembre 2021
La séance est ouverte à dix-neuf heures cinquante-cinq
(Présidence de M. Meyer Habib, président)
Nous essayons de faire la lumière sur cette tragique affaire. Il n'existe pas de certitude. Nous avons auditionné auparavant le Dr Daniel Zagury. Nous souhaitions vous auditionner, vous écouter, vous poser des questions. Vous avez été mandaté par la juge d'instruction après le Dr Daniel Zagury, afin d'établir une deuxième expertise psychiatrique de M. Kobili Traoré.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(Le Dr Paul Bensussan prête serment.)
Votre audition est fondamentale pour nos travaux. Nous souhaitons savoir s'il a existé des dysfonctionnements dans la police ou la justice dans cette affaire. Pouvez-vous nous expliquer dans quelles conditions vous êtes intervenu et quel fut le déroulement des faits ?
Vous avez déjà entendu mes prédécesseurs, le Dr Joachim Müllner et le Dr Daniel Zagury. Par conséquent, vous disposez d'une vision exhaustive de l'état psychiatrique de M. Kobili Traoré au moment des faits. Je serai donc synthétique afin de privilégier nos échanges.
Nous formions un collège de trois psychiatres avec mes collègues le professeur Frédéric Rouillon et le Dr Élisabeth Meyer-Buisan.
Comment avez-vous été contacté par la juge d'instruction pour procéder à une nouvelle expertise ?
Lorsque vous êtes expert agréé par la Cour de cassation et qu'on souhaite vous confier une affaire importante, la courtoisie du magistrat lui suggère de vous contacter par téléphone. Le magistrat s'enquiert de votre disponibilité pour vous investir dans un tel dossier. Il m'a également été demandé, dans le cadre d'une désignation collégiale, avec qui je souhaitais travailler. Nous avons parfois plus de plaisir intellectuel à travailler avec certains collègues. J'avais déjà travaillé avec la Dr Élisabeth Meyer-Buisan, avec qui j'entretiens une relation cordiale et confraternelle sans lien amical particulier. J'ai eu l'honneur et la chance de travailler avec une grande figure de la psychiatrie française, le professeur Frédéric Rouillon. Il a été chef de pôle de l'hôpital Sainte-Anne, président du Conseil national des universités et fondateur du plus grand congrès de psychiatrie francophone. Je regrette d'avoir à développer ce point en propos liminaire. Je souhaitais l'évoquer lorsqu'il serait fait mention des propos de Me Francis Szpiner, qui a indiqué que ma nomination par la magistrate était un acte machiavélique. J'ai été désigné dans des conditions banales et j'ai suggéré les noms de mes co-experts. Nous avons alors reçu une ordonnance de désignation de la part des deux juges d'instruction, Mme Anne Ihuellou et Mme Virginie Van Geyte. Cette dernière n'est jamais citée dans votre commission d'enquête. Deux magistrats co-saisis nous désignent. De même que, parmi les experts, j'ai été le seul à subir beaucoup d'attaques, Mme Anne Ihuellou a été la seule à essuyer des critiques concernant l'instruction de cette affaire.
Nous avons examiné M. Kobili Traoré à deux reprises, en mai et juin 2018, à l'unité pour malades difficiles (UMD) et dans un cadre proche du cadre carcéral en termes de sécurité. Mes propos se fondent sur notre lecture du dossier, sur nos examens cliniques et les entretiens que nous avons eus avec les soignants. Au moment des faits, tous les témoignages concordaient. Les examens médicaux aux urgences de l'Hôtel-Dieu, ceux de l'infirmerie de la préfecture de police de Paris (I3P), où les premiers certificats d'hospitalisation d'office à 24 heures puis à 48 heures, ainsi que les certificats qui suivront, indiquent une telle convergence de diagnostic qu'elle se passe de commentaire. Nous sommes face à un sujet en proie à un délire riche dans ses thèmes et dans ses mécanismes. En effet, un délire est caractérisé par des thèmes et des mécanismes de l'ordre du mysticisme, de la démonopathie, du satanisme et du messianisme. Les mécanismes sont intuitivo-interprétatifs et hallucinatoires (auditifs et olfactifs). C'est ainsi que nous sommes amenés à caractériser un délire par une analyse sémiologique. Dans le cas de M. Kobili Traoré, le délire est vaste et précédé d'une phase prodromique avec une montée en puissance dans les 48 heures qui précèdent l'acte. Cette montée en puissance est caractérisée par une excitation, une confusion, une incohérence et une désorganisation de la pensée. Le sujet subit alors une insomnie subtotale. Il était agité, ses proches ne le reconnaissaient pas. Il tentera de s'apaiser en consommant davantage de cannabis. Son délire montait en puissance. Il s'est rendu à la mosquée et a expulsé l'auxiliaire de vie de son beau-père, persuadé qu'elle pratiquait des rituels vaudou à son encontre. Il pensait également que son beau-père souhaitait l'assassiner. Il faisait peur au voisinage. Tous les témoignages concordent : il était transfiguré, méconnaissable et inquiétant. Il parlait seul. La soliloquie n'est pas forcément pathologique. Lorsque vous voyez quelqu'un déambuler seul et parler seul, il s'agit alors d'une psychose. M. Kobili Traoré était désorganisé et confus dans les 48 heures qui ont précédé son acte.
Dans les heures qui précèdent l'agression de Mme Sarah Halimi, il a déposé des enfants chez la famille Diarra. Il s'est ensuite rendu chez un ami pour visionner un film et en est ressorti très agité. Il s'est introduit chez la famille Diarra en pleine nuit. J'ai visionné l'audition de mon collègue le Dr Daniel Zagury au cours de laquelle j'ai été très surpris de vous entendre dire qu'il était entré calmement dans l'appartement de la famille Diarra. Or ce n'est pas le cas, puisque ces derniers se sont barricadés dans une pièce et ont appelé la police. Ils avaient peur. Il avait une chaussure dans chaque main. J'aurais beaucoup de mal à résumer cela en disant qu'il est entré calmement chez les Diarra.
Pour être plus précis, je voulais préciser que M. Kobili Traoré était entré sans violence dans l'appartement de la famille Diarra. Il essayait de les rassurer en indiquant qu'il ne leur ferait rien.
M. Kobili Traoré a été mis en examen pour séquestration. Il me semble difficile de dire qu'il était calme. Je me devais de vous le faire observer. Selon moi, il s'agit d'une lecture étonnante du dossier. L'appel aux services de secours est documenté par la police. Les Diarra en ont peur.
M. Kobili Traoré s'est enfui par le balcon se pensant pourchassé par les démons. Il a demandé à Mme Sarah Halimi d'appeler la police lorsqu'il arrive chez elle en pleine nuit. Puis, alors qu'il croit qu'elle indique une fausse adresse – confusion entre les numéros 30 et le 32 de la même rue, car les deux balcons se jouxtent, mais ne sont pas à la même adresse –, il prend conscience du judaïsme de Mme Sarah Halimi (ce que je n'occulterai pas) et comprend que le démon est en face de lui.
Oui je le pense, car tous ses actes étaient désorganisés. Nous pouvons partir du principe que ce crime étant antisémite, M. Kobili Traoré s'est rendu précisément chez Mme Sarah Halimi. Toutefois, nous commencerions par la fin, alors qu'il s'agit de dérouler notre lecture des faits chronologiquement. Personne, pas même le Dr Daniel Zagury, n'a pensé qu'il s'était rendu en connaissance de cause chez cette femme. Évidemment, nous pouvons nous tromper. Sept experts peuvent se tromper, mais il s'agit alors d'une question de probabilité.
Amener des enfants pour la première fois chez la famille Diarra, dormir chez son ami qui vit dans le même immeuble que la victime, être allé à la mosquée en disant « ce soir ça sera terminé » ne constituent-ils pas des indices de préméditation ?
Il était poursuivi par les démons. Je n'affirme pas qu'il n'y ait pas eu de préméditation, mais cela reste extrêmement improbable compte tenu de l'ensemble des données cliniques dont nous disposons. Personne ne peut affirmer qu'une pensée n'a pas eu lieu, car il s'agit d'une intention. A contrario, nous savons confronter un dossier, un examen, un interrogatoire et une analyse.
Ce qui le déchaîne, c'est ce qu'il croit être un exemplaire de la Torah et un chandelier. Peu importe qu'il ait vu ces objets, car il savait que Mme Halimi était juive. Je soutiens catégoriquement que l'acte est fou et antisémite. Sur les numéros d'immeuble 30 et 32, je me permettrai une digression. Dans le cadre d'une expertise, j'ai examiné un schizophrène, M. Yves-Éric Guenver, qui a tué sa psychiatre à Paris en 2012. Il adorait sa psychiatre. Il était en proie à une rechute persécutrice. Il a supplié sa psychiatre de le recevoir en urgence. Elle accepte et lui donne rendez-vous à midi un week-end. Elle vient le chercher en salle d'attente à 11 heures 57. L'homme m'explique qu'il s'agit de deux nombres premiers. C'est à ce moment qu'il l'a poignardée sauvagement. Il s'agit du crime immotivé du schizophrène ou du psychotique avec un acharnement inutile sur la victime, un déferlement de violence, un caractère absurde et imprévisible. Ce mélange de sauvagerie, d'absence de motivation et d'imprévisibilité caractérise un crime psychotique et lui confère son caractère effrayant.
Dans le dossier de M. Kobili Traoré, il est intéressant de savoir qu'il a été sous trithérapie neuroleptique, c'est-à-dire l'association de trois produits, pendant des mois. Or le délire ne cède pas. Il commence à critiquer son délire en juillet. Peut-être entendrez-vous les magistrats qui n'ont pas pu l'auditionner pour cette raison. L'UMD répondait négativement aux demandes d'audition en précisant que le patient n'était pas en état et demeurait trop délirant et dangereux, de sorte que l'interrogatoire de première comparution (IPC) aura lieu dans le cadre de l'UMD, plusieurs mois après les faits. Pourtant, par définition, un trouble psychotique bref (dénomination plus contemporaine de la bouffée délirante aiguë) ne peut pas excéder quatre semaines. Si les symptômes perdurent, le diagnostic change. Ces éléments sont précisés dans le Diagnostic and Statistical Manuel (DSM). Ce délai de quatre semaines sera largement dépassé puisque les Drs Roland Coutanceau, Jean-Charles Pascal et Julien-Daniel Guelfi, qui l'examineront quinze à seize mois après les faits, constateront que M. Kobili Traoré est toujours sous traitement antipsychotique. Les psychiatres le considèrent alors comme dangereux. Ils pensent que ses soins devront durer des années dans le cadre d'un UMD. Cela n'a pas de sens s'il s'agit d'une bouffée délirante.
Au moment des faits, on peut parler de bouffée délirante, car nous n'avons pas de visibilité sur la suite des événements. Le diagnostic, au moment des faits, est celui d'un trouble psychotique bref, la bouffée délirante aiguë, dont les Anciens disent qu'elle est sans conséquence sinon sans lendemain et qu'elle éclate comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Me Francis Spinner dira que M. Kobili Traoré ne présentait auparavant aucun symptôme. Cette affirmation est absurde d'un point de vue psychiatrique. La bouffée délirante aiguë existe, elle peut être unique. Dans la majorité des cas, il existe une évolution vers des troubles bipolaires ou de la schizophrénie, pour laquelle la bouffée délirante inaugurale est appelée classiquement un mode d'entrée. Les soignants font une fenêtre thérapeutique à visée diagnostique. En quelques jours, le délire reprend. M. Kobili Traoré se fera introduire du cannabis et délirera de nouveau.
Mes collègues et moi-même concluons à cette bouffée délirante. Il n'existe aucune divergence de diagnostic entre nous à ce stade. Ainsi, sept experts sur sept posent le même diagnostic. Le rôle déclencheur du cannabis représente un problème passionnant. Nous ne serions pas là si M. Kobili Traoré n'avait pas consommé de cannabis. La grande difficulté reste de savoir si ce rôle est direct, certain et exclusif. J'affirme qu'il est impossible de formuler une réponse à cette question. Cela reviendrait à nier les comorbidités, les vulnérabilités et à confondre facteur de risque, facteur précipitant et facteur causal. En épidémiologie, on ne parle pas de cause, mais de facteur de risque. La sœur de M. Kobili Traoré est une bipolaire parfaitement documentée.
Nous ne le savions pas. En France, il existerait 3 % à 4 % de personnes bipolaires. Tout le monde s'accorde sur la bouffée délirante aiguë. Il s'agit désormais de savoir s'il existait une altération partielle du discernement.
Vous arrivez à la fin. Je peux répondre directement à vos questions ou terminer mon exposé ?
Je ne souhaite pas être jargonnant. Je me permets de signaler l'existence d'antécédents familiaux.
Toutefois, il semble que M. Kobili Traoré n'avait alors connu aucune prise en charge psychiatrique.
Vous avez raison, il s'agit d'un épisode inaugural. Cette remarque n'est pas pertinente puisqu'il s'agit du premier épisode.
Le cannabis en est-il la cause ? Personne ne peut raisonnablement affirmer que le cannabis est la cause directe, certaine et exclusive de cette bouffée délirante. Le cannabis peut produire des épisodes psychotiques, mais pas sur tous les fumeurs. L'Office français des drogues et de la toxicomanie indique que 10 % des jeunes de l'âge de M. Kobili Traoré fument comme lui quotidiennement des quantités délirantes, soit au moins dix joints par jour, tandis que 25 % de cette tranche d'âge sont des consommateurs réguliers de cannabis. Heureusement, le cannabis ne provoque pas autant d'épisodes psychotiques qu'il existe de consommateurs chroniques, car toute la jeunesse serait fauchée. Le cannabis a une fausse image de drogue douce, elle est dangereuse, mais ne le devient pas chez n'importe qui. Il demeure important de prendre en compte les facteurs de vulnérabilité.
La première expertise de M. Kobili Traoré a été effectuée par un autre éminent expert, le Dr Daniel Zagury, qui a conclu à l'altération du discernement. Toutes les parties, y compris celle de la défense, sont d'accord pour suivre cet avis. Pourtant, la juge prend l'initiative d'ordonner une autre expertise psychiatrique. Il s'agit, d'après les personnes auditionnées, d'un phénomène rare lorsque les partis s'accordent. Me Francis Szpiner a dit publiquement : « Je pense que M. Bensussan n'a pas été choisi par hasard. Notons entre autres, les conflits personnels qui peuvent l'opposer à M. Zagury dans une sorte de querelle d'égo. Ce contexte donne la catastrophe judiciaire que nous connaissons. » Quelles sont vos relations avec le Dr Daniel Zagury ? Que pensez-vous des propos de Me Francis Szpiner ?
J'imagine que vous avez tous pris connaissance de mon rapport. Nous avons écrit en 2017, au sujet de la précédente expertise effectuée par le Dr Daniel Zagury et qui nous avait été communiquée par les magistrats instructeurs : « Il s'agit d'une excellente expertise avec une parfaite maîtrise du dossier et une finesse d'évaluation sémiologique. Nous sommes en plein accord avec le diagnostic d'état psychotique aigu et avec l'analyse qui est faite de la dimension antisémite du geste. Comme nous le verrons, nous divergeons néanmoins sur les conséquences médico-légales. »
Jusqu'à présent, j'étais tenu à un devoir de réserve. Me Francis Szpiner, dans son rôle d'avocat, était libre de sa parole. La première fois que je l'ai entendu m'injurier, c'était sur un plateau de télévision. Je n'étais pas en situation de répondre. D'une part, je respecte le secret professionnel ; d'autre part, je sortais d'un service de réanimation. Je l'entends me traiter de Diafoirus de la médecine et il a réitéré ce type de propos à plusieurs reprises. Ce qu'il dit est stupide et insultant pour les magistrats, qu'il accuse de machiavélisme, et pour mes collègues, qui selon lui feraient servilement ce que je leur demande. J'ai donné les états de service du professeur Rouillon. Travailler avec lui procure une émulation scientifique et intellectuelle. Nous avons pu exprimer avec tact nos divergences dans un même rapport collégial tout à fait réciproque. Nous discutions, nous souhaitions préserver l'estime intellectuelle et le respect de l'autre. Les propos de Me Francis Szpiner sont insultants à mon égard puisqu'il m'accuse d'incompétence. Il ne peut s'empêcher d'associer mon nom à un qualificatif « l'inénarrable Dr Bensussan ». Il se fait du bien en me critiquant. En psychiatrie, lorsque nous sommes amenés à apporter des critiques sur le rapport d'un confrère, nous sommes tenus déontologiquement au tact, au respect, à la mesure, à la courtoisie et à l'honnêteté intellectuelle. Me Francis Szpiner n'a fait preuve d'aucune de ces qualités. Il a été discourtois et injurieux en me traitant d'imposteur. C'est extrêmement grave. Je ne pouvais pas venir à cette commission sans vous le dire.
Vous faites bien, si votre nom a été sali, mais cela reste un élément mineur dans le contexte de notre commission d'enquête.
C'est tellement mineur que j'ai reçu des menaces de mort émanant de coreligionnaires, car j'étais désigné comme le Juif félon et de surcroît imposteur. Je n'autorise pas Me Francis Szpiner à me donner des cours de psychiatrie. Je ne donnerai pas de cours de Talmud au Grand rabbin qui, à la différence de Me Francis Szpiner, n'a jamais été malhonnête. Lorsqu'un avocat injurie publiquement sur les réseaux sociaux et les plateaux de télévision un expert psychiatre, c'est très grave. Je n'avais pas de droit de répondre et de toute façon j'aurais répugné à répondre à des attaques d'une telle bassesse. Je ne l'ai pas fait jusqu'à aujourd'hui. Désormais, Me Francis Szpiner sait ce que je pense.
Nous avons parfois participé à un même collège. Nous ne sommes pas toujours d'accord sans qu'il y ait aucune animosité.
Je comprends que votre honneur ait été touché. Vous vous défendez. D'après Me Francis Szpiner, la juge savait qu'en vous nommant, elle obtiendrait le diagnostic souhaité.
Me Francis Szpiner dit de moi que je suis incompétent, servile et animé par une querelle entretenue avec le Dr Daniel Zagury. Cette querelle m'amène d'ailleurs à qualifier son expertise d'excellente. Ce que dit Me Francis Szpiner est une sottise.
Le Dr Daniel Zagury n'a jamais été discourtois à votre égard. Il nous a indiqué que vous n'étiez pas toujours d'accord. Ainsi, dans le cas de M. Kobili Traoré, le Dr Daniel Zagury considérait qu'il pouvait être présenté devant une cour d'assises.
En ce qui concerne le Dr Daniel Zagury et moi-même, nous avons été scellés dans une révolte commune bien que nous participions à deux collèges différents. Nous avons eu affaire, en 2008, à un meurtrier d'enfant dénommé Stéphane Moitoiret qui a poignardé un enfant de quarante-quatre coups de couteau. Je me dissocie du premier collège qui devant l'horreur du crime répugne à parler d'irresponsabilité et nie la psychose. Cet individu se disait intégré dans une mission interplanétaire de trente mille volontaires. Il pensait être poursuivi depuis vingt ans par tous les chefs d'État. Il avait été reçu au Vatican, était roi d'Australie et secrétaire de Sa Majesté, qui était sa compagne. Or il n'était pas psychotique selon mes co-experts.
Ma position aurait pu tenir en une phrase. Je rends hommage au professeur Serge Brion, décédé récemment à un âge avancé et dont j'ai la prétention de croire que je suis, en psychiatrie légale, le principal élève. J'entretenais avec lui un rapport filial. Je lui ai demandé un jour un conseil et il m'a répondu : « En expertise judiciaire ou privée, je dis ce que je pense. Sinon, il ne fallait pas me le demander. » Cette phrase faussement triviale m'a servi de guide.
Le Dr Daniel Zagury, membre du second collège d'expert, m'a rejoint dans l'irresponsabilité de ce schizophrène. Malheureusement, un troisième collège permettra à Stéphane Moitoiret d'être jugé. Il est en prison depuis.
Lorsque M. Kobili Traoré est transféré à l'I3P, le médecin de garde rédige une note de synthèse au terme de laquelle il émet un doute sur un « certain théâtralisme de la présentation » et évoque un « discours sans aucun élément ni délirant ni discordant ». À l'hôpital Esquirol de Saint-Maurice, un médecin lui administre 325 mg de loxapine et 40 mg de diazépam, puis indique que M. Kobili Traoré « sursimule la sédation ». Vous avez réalisé votre expertise en votre âme et conscience. Toutefois, M. Kobili Traoré aurait pu simuler. Il semblerait qu'actuellement il se porte bien. Auparavant, il n'avait pas d'antécédent psychiatrique.
Si je répondais catégoriquement non, vous me trouveriez prétentieux. Il aurait abusé un grand nombre de psychiatres ainsi que tous les témoins qui ont décrit son comportement comme délirant et incohérent dans les 48 heures précédant les faits. La loxapine est un neuroleptique d'urgence et le diazépam est une benzodiazépine à forte dose. À titre d'exemple, le valium est commercialisé à 2 mg de manière courante. Cette dose de sédatif et d'antipsychotique d'urgence est certainement le reflet de son état. Les médecins disent : « On ne fait pas un diagnostic sur une ordonnance. » Qu'il ait simulé ou exagéré une sédation est possible. Toutefois, après un crime psychotique, il existe un retour à la réalité et une retombée brutale d'énergie. Il sait qu'il a tué. Il ne faut pas confondre un malade mental et quelqu'un qui n'a plus de cerveau.
Il dit que Mme Sarah Halimi va se suicider lorsqu'il comprend que la police est sur les lieux de l'agression.
C'est la preuve de son trouble mental. Lorsqu'on hurle « Allah akbar » en frappant une femme âgée, qu'on est entendu de tout le monde, que la police est présente et qu'on dit qu'elle va se suicider, il s'agit d'un trouble du jugement. Dans la psychose, il existe le rationalisme morbide, c'est-à-dire une explication à laquelle seul le sujet peut prêter foi. Je ne peux déclarer s'il a théâtralisé sa sédation. Cependant, étant donné la concordance entre les différentes expertises et les comptes-rendus des médecins de l'UMD et l'I3P, le nombre de médecins qui auraient été successivement abusés serait vraiment très important. Quel acteur simule correctement la folie ? Il est très difficile de simuler ce que nous n'avons pas.
Il s'agit d'une rare exception avec les rôles d'Isabelle Adjani dans Adèle H et de Béatrice Dalle dans L'Eté meurtrier. Il existe un adage en psychiatrie qui indique : « On ne simule bien que ce qu'on a. » Toutefois, le sujet peut outrer sa propre pathologie.
Tous les experts se sont accordés devant notre commission pour signaler, a minima, une altération du discernement et une pathologie psychiatrique. Une cour d'assises aurait pu approfondir certains aspects contrairement au travail de notre commission dont la finalité se limite à un avis. Vous écrivez dans votre rapport : « La conscience du danger, le trouble psychotique induit est selon nous absent, ce qui n'est pas sans conséquence sur l'évaluation de la responsabilité pénale. » Ces propos consistent à dire que M. Kobili Traoré ne savait pas que la consommation de cannabis le mettrait dans cet état.
Le cannabis est interdit. Par ailleurs, nul n'est censé ignorer la loi. Lorsqu'on consomme de l'alcool, il est possible de subir un état de démence.
Vous oubliez un avis important, celui de Me Francis Szpiner. Ce dernier pense que M. Kobili Traoré n'a pas subi de psychose. Puisqu'il se dit meilleur que certains experts, son avis doit être pris en considération. Il vous dira que M. Traoré est un simulateur.
L'intitulé de cette commission peut entretenir ce sentiment. J'ai profondément partagé l'émoi de la communauté juive.
Cet émoi concerne la communauté nationale. Une Française a été tuée, accessoirement parce qu'elle était juive. Tous les Français ont été traumatisés par l'agression et le meurtre de cette femme.
Les insultes et les menaces que j'ai reçues n'émanaient que de coreligionnaires. Toute la nation est concernée. Le président de la République a répondu à un émoi national. La famille est de confession juive, nous pouvons décrypter leur incompréhension et leur indignation.
M. Kobili Traoré a tué Mme Sarah Halimi parce qu'elle était juive. C'est un meurtre antisémite. La justice a établi ce fait.
Votre commission entretient l'idée selon laquelle la justice française ne reconnaîtrait l'antisémitisme que lorsqu'elle y est contrainte. Le délai de fixation de la circonstance aggravante, de même que l'intitulé de cette commission d'enquête entretiennent cette perception. Vous n'affirmez pas l'existence d'un quelconque dysfonctionnement. Je comprends la révolte et l'indignation. Penser qu'une femme médecin, âgée, décrite comme une figure douce, tombe sous les coups d'un homme ayant une vingtaine de condamnations à son actif et que celui-ci ne sera pas incarcéré relève de l'insupportable. C'est pour cette raison que j'ai le devoir de répondre à votre convocation. J'ai également un devoir de pédagogie.
L'irresponsabilité pénale est toujours perçue par l'opinion publique comme une mansuétude, une indulgence faite à un assassin. Plus le crime est atroce, plus l'incompréhension est grande. Dans le cas de M. Stéphane Moitoiret, Mme Rachida Dati avait promis un procès, avant même de disposer d'une idée du diagnostic des psychiatres. Cet homme a été condamné à trente ans de prison en appel.
Une UMD est très proche de l'univers carcéral en termes de sécurité, à la différence près qu'en prison, personne ne peut vous imposer un traitement. En UMD, un sujet qui ne veut pas recevoir son injection est immobilisé de force. C'est un univers carcéral dont on peut difficilement sortir. Dans le questionnaire qui m'a été transmis, vous m'interrogez sur le traitement médical du meurtrier hospitalisé de force en UMD. Le sujet fait l'objet d'un placement d'office nommé hospitalisation sous décision d'un représentant de l'État (HDRE). Il s'agit d'une hospitalisation sous contrainte. Pour la lever, un certain nombre de conditions doivent être réunies. Ainsi, dans un premier temps, un avis favorable d'une commission médicale au sein de l'établissement d'accueil est requis. Ensuite, deux expertises concordantes sont nécessaires. La première est rédigée par un psychiatre interne à l'établissement, la seconde émane d'un collège nécessairement extérieur à l'institution. Toutefois, dès qu'un avis discordant apparaît au sein de cette procédure, le processus s'arrête. Enfin, le préfet doit avaliser tous ces éléments pour qu'il soit mis fin à l'hospitalisation sous contrainte.
À titre d'exemple, Romain Dupuis, schizophrène, auteur d'un double homicide en 2004 sur deux infirmières, a été jugé irresponsable après des « querelles d'experts ». Il a été dirigé en UMD où il y est encore dix-sept ans après. La commission médicale a rendu un avis rassurant, les experts également, mais un seul indique que la page n'est peut-être tout à fait tournée. Par conséquent, le préfet ne signera pas l'assouplissement de ses conditions d'hospitalisation. Si cet homme avait été considéré comme responsable, le quantum de la peine aurait été diminué du fait de sa maladie mentale. Il avait par ailleurs consommé du cannabis. Il serait libre, car une peine a une fin. Ce n'est pas le cas d'une hospitalisation.
Vous reprenez, dans votre rapport, les propos tenus par M. Kobili Traoré : « Ma violence aurait pu prendre pour cible d'autres personnes : ma famille, les Diarra… Sans doute parce que j'avais fumé trop de cannabis. » Effectivement, nous pouvons nous interroger. Pourquoi ne s'en est-il pas pris à la famille Diarra ? Par ailleurs, il emprunte la partie du balcon la plus compliquée à escalader pour s'enfuir. Il fréquente régulièrement une mosquée, crie : « Allah akbar. Que dieu m'en soit témoin. C'est pour venger mon frère. » L'une des fenêtres de l'appartement de Mme Sarah Halimi a été forcée. Tout cela n'est-il pas la preuve d'une certaine lucidité ? Il avait intensifié sa fréquentation de la mosquée. Vous avez d'abord conclu à de la schizophrénie puis vous êtes revenu sur ce diagnostic. Personne ne doute ici de votre bonne foi. Toutefois, la psychiatrie n'est pas une science exacte. D'autres praticiens nous ont indiqué que M. Kobili Traoré aurait pu être présenté devant une cour d'assises et cela dans cinq hypothèses sur six.
Personne ne peut dire que M. Kobili Traoré n'aurait pas pu passer devant une cour d'assises. Si les experts n'avaient pas été d'accord, M. Kobili Traoré aurait pu répondre de ses actes devant une cour d'assises. Je citerai ici un éminent psychiatre, le Dr Eugène Minkowski : « La psychiatrie est la plus technique des sciences humaines et la plus humaine des sciences. » Les critères diagnostiques sont réfutables ou vérifiables. On leur reproche d'avoir appauvri notre clinique psychiatrique, au prix d'une meilleure concordance diagnostique. Il semble peu probable que sept experts puissent tous poser un diagnostic erroné. Nous avons écrit dans notre rapport : « M. Kobili Traoré était un baril de poudre au moment des faits. Mais le judaïsme de sa victime a été l'étincelle. » Il savait qu'il tuait une Juive.
Il savait qu'il se rendait chez une femme juive. Peut-être a-t-il prémédité d'aller voir Mme Sarah Halimi.
Je ne l'affirmerai pas. Il pense être pourchassé et emprunte le balcon de l'appartement des Diarra. C'est une hypothèse que je ne peux pas écarter. Néanmoins, elle a été considérée comme improbable.
Cette probabilité ainsi que les faits précédents l'agression induisent un sentiment de préparation. Il a peut-être dit chez les Diarra qu'il tuerait quelqu'un. Nous allons essayer d'auditionner le voisin chez qui il a visionné un film, car ce dernier aurait indiqué avoir cherché M. Kobili Traoré, car il craignait ce dont il était capable. Devant une cour de justice de la République, ces questions auraient pu être posées par des professionnels.
La psychiatrie n'a pas les moyens de répondre à cette question. Nous ne pouvons pas savoir s'il savait qu'en enjambant le balcon, il arriverait chez Mme Sarah Halimi. Il m'intéresserait personnellement de savoir s'il est exact qu'il lui a demandé d'appeler la police. Avons-nous un appel à la police de la part de Mme Sarah Halimi ? En revanche, les enquêteurs n'ont pas trouvé de trace de radicalisation ou d'antisémitisme avéré même si on ne peut nier l'existence d'un antisémitisme arabo-musulman.
M. Kobili Traoré vous déclare qu'il ressent tristesse et compassion pour le peuple palestinien.
Il n'est pas philosémite. Il a un préjugé antisémite partagé par une grande partie de la communauté arabo-musulmane. Il s'agit d'un constat sociologique objectivable. On ne devient pas philosémite en délirant lorsqu'on a déjà des préjugés antisémites. Le délire représente ce que nous sommes. La probabilité qu'une femme de confession juive incarne le démon pour une personne qui se revendique musulmane et qui n'est pas particulièrement cultivée n'est nullement à exclure. Le Dr Daniel Zagury et moi-même avons indiqué que le crime était délirant et antisémite. Je suis à cet égard en désaccord respectueux avec M. Haïm Korsia : ces deux notions ne sont pas exclusives l'une de l'autre.
Il peut sortir de son hospitalisation forcée. Dans un cas quelque peu similaire, celui de Sébastien Selam, la mère de la victime croise régulièrement l'assassin de son fils. En l'occurrence, ce dernier avait un passé psychiatrique. M. Kobili Traoré peut-il récidiver ?
Oui, M. Kobili Traoré peut récidiver. C'est extrêmement grave et je comprends cette préoccupation. Toutefois, cette question se poserait également dans le cadre d'une peine de prison. S'il avait été condamné, le quantum de la peine aurait, selon la loi, tenu compte de l'altération du discernement. La peine aurait alors été diminuée jusqu'à un tiers. La préméditation n'aurait pas été retenue selon moi et M. Kobili Traoré serait sorti. Il doit être considéré dangereux durablement. S'il fume à nouveau ou interrompt son traitement, il sera dangereux.
Je vous ai entendu dire pendant l'audition du Dr Daniel Zagury, que M. Kobili Traoré n'aurait plus a priori aucun traitement.
Il ne s'agit pas d'un détail. La famille de Mme Sarah Halimi pense que M. Kobili Traoré n'était malade ni avant ni après ses actes. En conséquence, ce type d'allégation ne peut qu'entretenir la révolte. Si c'est inexact, si M. Kobili Traoré est toujours sous traitement, il est dangereux de tenir ce discours. De surcroît, c'est hautement improbable et il serait périlleux de ne plus traiter un sujet comme M. Kobili Traoré.
Cette audition revêt un caractère important pour la représentation nationale. J'ai été particulièrement sensible à votre propos liminaire ainsi qu'aux nuances que j'ai perçues dans vos paroles qui, selon moi, honorent le serment d'Hippocrate et la science. Dans votre échange avec le président de la commission, vous avez abordé les sujets avec précision. J'ai entendu que vous aviez préparé cette audition pour être factuel et précis. Je vous en remercie. Vous apportez les réponses aux questions que je souhaitais vous poser concernant tant l'UMD, que la responsabilité ou encore la différence entre l'altération et l'abolition du discernement. Vous avez également abordé la question du temps. Le temps de la justice est un temps long. Cette temporalité est suspicieuse, y compris lorsque la justice est rapide. Comme vingt minutes paraissent interminables ou beaucoup trop courtes. Je vous remercie.
Je suis très sensible à votre appréciation, d'autant plus que condamné au mutisme, j'ai été traîné dans la boue. Dans notre rapport, en page 25, au chapitre intitulé « Discussion », nous adoptons une approche probabiliste. Une bouffée délirante ne peut pas excéder quatre semaines. Il ne s'agit donc plus d'une bouffée délirante. Il pourrait s'agir d'un trouble bipolaire, qu'à notre avis il ne présente pas, bien qu'il s'agisse du trouble le plus chargé génétiquement en psychiatrie. Dans le cas de jumeaux monozygotes, si l'un a un trouble bipolaire, le second a 70 % de chance d'en être atteint.
La bipolarité est un parent pauvre en psychiatrie. La professeur Marion Leboyer est mobilisée sur ces questions depuis des années. Il existe beaucoup de personnes bipolaires.
Effectivement, dans de nombreux cas, les sujets sont peu ou mal diagnostiqués. Nous pouvons donc penser que nous en sous-évaluons la fréquence. La bipolarité présente une forte charge génétique. En outre, il existe des hérédités croisées entre le trouble bipolaire et la schizophrénie.
Nous avons opté pour une schizophrénie. Nous avons repris quelques lignes du rapport du Dr Pascal Forissier de l'I3P. Les termes consacrés ci-après rappelés ne sont utilisés que dans le cadre de la schizophrénie : dissociation psychique majeure avec discordance idéo-affective ; ambivalence ; maniérisme ; froideur ; trouble de la pensée ; discours allusif ; stéréotypie verbale ; diffluence partielle. Lors de nos examens, nous avons été confrontés à un sujet pauvre, émoussé, pas seulement abruti par les neuroleptiques. La pensée de M. Kobili Traoré était désertifiée. Nous avons pensé qu'il s'agissait de l'évolution déficitaire de la schizophrénie du fait de la durée et de la résistance du délire.
Me Francis Szpiner a largement argumenté sur le fait que j'avais reconnu m'être d'abord trompé.
Je reçois des injures et des menaces tandis que je suis traité d'incompétent par un avocat. Il va de soi que je ne peux pas le juger digne de mon estime.
Nous avons eu une approche probabiliste sérieuse. Le doute est un état d'esprit intermédiaire entre l'ignorance et la certitude. N'oublions pas qu'à la suite de l'affaire d'Outreau, des tests psychologiques ont été mis en place à l'Ecole nationale de la magistrature (ENM) pour vérifier l'aptitude au doute des magistrats.
J'ai eu une phrase maladroite à la barre et elle a été malhonnêtement transformée en erreur de diagnostic. Or, j'insiste, nous étions tous concordants concernant le diagnostic. S'agissant des pronostics, nous avons indiqué : « Il est donc probable que l'évolution clinique de M. Kobili Traoré se fasse vers un trouble schizophrénique de forme paranoïde. » Pourtant, lorsque j'ai vu le sujet à la barre, il était différent. M. Kobili Traoré était syntone, tandis que ses réponses étaient adaptées. J'ai alors regretté la formulation plus tranchée de ma conclusion. J'ai indiqué au président de la chambre d'instruction que je trouvais le sujet en meilleure forme. Nous avions donc usé d'une formulation trop tranchée que j'ai alors regrettée, tout en maintenant l'approche probabiliste. J'espère que vous aurez les moyens de vérifier que M. Kobili Traoré, s'il n'avait pas de traitement auparavant, en suit bien un désormais. Il serait extrêmement périlleux d'interrompre son traitement.
Il n'était pas sous traitement au préalable. Il me semble que le Dr Daniel Zagury nous a expliqué que ce type de symptômes peut se produire de manière ponctuelle et ne plus réitérer.
A contrario, s'il est traité, c'est qu'il existe une pathologie. On ne prescrit pas un traitement pour le plaisir.
J'ai relu votre expertise dans laquelle la description sémiologique est importante. Le caractère antisémite est-il le mobile ? Ou s'agit-il d'une thématique délirante antisémite ?
Dans votre rapport, vous parlez d'un contexte sociétal antisémite arabo-musulman. À mon sens, il n'existe pas une essentialisation de l'antisémitisme lié à une ethnie ou une confession. Toutefois, dans le descriptif sémiologique, lorsque vous réinterrogez le patient, nous n'avons pas le sentiment d'une rupture du contact dans l'événement polymorphe qui s'est produit. Il est conscient de ces actes, notamment quant au caractère antisémite de son crime. Ainsi, à la page 19, il est indiqué que, pour le Shabbat, il bloque les portes et n'a jamais rencontré de problème. Il commence à critiquer ses actes. S'agit-il d'une critique authentique ? Est-elle complète ? Est-elle partielle ? Quel est le degré de la critique ? Quel est le degré d'adhésion au délire ? Vous avez évoqué Eugène Minkowski, une école que j'apprécie. Le DSM est catégoriel. Ne faudrait-il pas analyser le sujet d'un point de vue multidimensionnel ? Enfin s'agissant des conclusions du rapport, vous reprenez la thématique sociopathique. Vous évoquez la schizophrénie héboïdophrénique ou anti-sociale. Aujourd'hui, penchez-vous vers une forme héboïdophrénique avec une prédominance de la personnalité initiale, ou vers une forme paranoïde de la schizophrénie ?
Nous avons été frappés par la pauvreté de son contact et de son discours. Devant un discours aussi pauvre, il demeure difficile de donner un avis tranché sur la sincérité. Lorsque le sujet dit : « je n'avais rien contre elle », il s'agit d'un discours plaqué. Il est alors difficile de faire la part entre l'imprégnation neuroleptique et la désertification de la pensée par le processus schizophrénique.
Je ne peux pas répondre de manière catégorique quant à la sincérité de ses remords. J'ai lu un témoignage indiquant qu'une sœur de M. Kobili Taroré crachait au passage de Mme Sarah Halimi parce qu'elle était juive. Dire qu'on ne peut pas rattacher un préjugé à une ethnie ou une confession n'est pas la réalité. M. Georges Bensoussan a subi cinq années de procès pour avoir mal retranscrit une formule d'un sociologue algérien. Dans une émission sur France Culture, il cite des propos déformés : « Dans la famille musulmane, l'antisémitisme est dans le biberon. » La bonne formule était : « Dans la famille musulmane, l'antisémitisme est sur le bout de la langue. »
C'est en ce sens que nous l'avons interrogé sur la question palestinienne. Musulmans et Juifs vivaient en parfaite harmonie avant le décret Crémieux, puis la création de l'État d'Israël. Nous sommes dans une enceinte politique. Donc, je comprends qu'on ne puisse parler de préjugés dans le monde musulman.
Effectivement, cela ne constitue pas un mobile. En effet, cela ne colle pas avec les éléments du dossier. Il se bagarre certes, mais avec ses pairs. Il n'a jamais attaqué de personne âgée.
La famille de Mme Sarah Halimi explique que cette dernière avait peur de lui. Elle se sentait en sécurité lorsqu'il était incarcéré. Elle souhaitait déménager.
M. Kobili Traoré est particulièrement violent et très impulsif. C'est un sociopathe.
Il semblerait qu'il ait séquestré une personne d'origine asiatique quelques années auparavant. Il n'a jamais été question de bouffée délirante ou d'épisode psychiatrique. La question du jeu et du théâtralisme se pose. Si j'étais l'assassin, j'essayerais de me faire passer pour fou.
Je m'associe aux mots de Mme la rapporteure à votre égard. Je vous remercie pour votre discours lisible. Il demeure une question sur la récidive et la maladie chronique. Cette question a été posée au Dr Daniel Zagury qui vous rejoint sur la bouffée délirante tandis qu'il ne croit pas non plus à la comédie. En revanche, il considère que M. Kobili Traoré n'est pas atteint d'une maladie chronique. Le deuxième collège d'experts semble également de cet avis. Il s'agit d'une question primordiale quant à la dangerosité de M. Kobili Traoré. Or, aujourd'hui, votre diagnostic le concernant s'apparente davantage à de la schizophrénie.
Il s'agit d'une question fondamentale. Nous sommes face à une équation impossible à résoudre. Une bouffée délirante ne peut pas excéder quatre semaines. Si le Dr Daniel Zagury se fonde sur les mêmes rumeurs que le M. le président Meyer Habib quant à l'absence de traitement antipsychotique de M. Kobili Traoré, l'absence de maladie chronique se justifie. Mais nous savons que ces rumeurs sont fausses. En effet, les médecins ne placent pas un sujet sous traitement antipsychotique sans raison.
Effectivement, ce n'est pas vérifié, car le secret médical est de rigueur. L'absence de traitement a été évoquée par plusieurs personnes, mais son avocat le nie.
Je confirme qu'il était en meilleure forme lorsque nous l'avons vu à la chambre de l'instruction, en comparaison de nos premières rencontres. Cette amélioration est due au traitement. Il existe 10 % de schizophrènes persistants.
Ce n'est pas ce que je dis, mais je le pense fortement. Il ne s'agit plus d'une bouffée délirante. Mme la députée, vous faites allusion à l'expertise des Drs Roland Coutanceau, Jean-Charles Pascal et Julien-Daniel Guelfi, qui intervient dix-sept ou dix-huit mois après les faits. Ils écrivent au terme des pages 12 et 13 de leur rapport : « Sa dangerosité psychiatrique persiste. Il relève toujours d'une hospitalisation en milieu spécialisé. » S'il n'est pas atteint d'une maladie chronique, ces observations n'ont aucun sens. Je ne peux pas vous répondre sans connaître son traitement ou examiner son évolution.
Ne serait-il pas intéressant de le revoir ? Légalement, il serait bénéfique qu'un expert puisse continuer à examiner un sujet afin de permettre un suivi.
Si cette mission nous était confiée, nous l'accepterions. Nous ne nous déroberions pas, même dans l'éventualité où nous devrions revenir sur notre pronostic.
La justice devrait être rendue au nom du peuple français. Elle est humaine et faillible. Avec ma collègue Mme Constance Le Grip et 80 parlementaires, nous avons demandé une commission d'enquête. Chacun dispose dorénavant d'une image plus large des événements. Je pense qu'il y a eu des dysfonctionnements. Mme la rapporteure remettra un rapport qu'elle rédigera en son âme et conscience. Les dysfonctionnements ne sont peut-être pas ceux que nous imaginions. Chacun donnera son avis.
Vous vous êtes défendu après une attaque. Vous vous êtes expliqué, vous avez été sincère et de bonne foi. Nous retenons qu'il peut y avoir récidive, une possible préméditation. M. Kobili Traoré est sans doute atteint d'une maladie chronique.
Je prends l'engagement au nom de mes collègues, si la loi le permet, d'honorer cette mission avec la plus grande honnêteté, y compris si nous devions revenir sur notre pronostic.
Nous pourrions revenir sur le pronostic s'il était démenti. Nous ne pourrions pas revenir sur le diagnostic. Nous avons respecté la loi en indiquant comment était le sujet au moment des faits. Le Dr Daniel Zagury s'est assis dans le fauteuil du magistrat ou du législateur. Il est meilleur psychiatre que juriste. Il n'y a aucune divergence sur le diagnostic. Un schizophrène sans traitement rechute en six à vingt-quatre mois. Si M. Kobili Traoré n'a pas de traitement et qu'il est conservé dans une UMD pour ne pas perturber l'ordre public, nous ferions preuve de la plus grande honnêteté intellectuelle en indiquant que l'évolution dément notre pronostic initial de maladie chronique. En psychiatrie, il est commun que seule l'évolution permette de trancher. Pour demeurer pertinente, notre mission devrait nous donner accès au dossier médical et délier nos confrères du secret.
Effectivement, il s'agirait d'assister à la continuité des événements. Je soumets cette idée à mes collègues.
Je vous remercie. L'absence de jugement en cour d'assises provoque une frustration dans la communauté nationale. Lors du rassemblement du Trocadéro, des Français de toute confession étaient rassemblés. Je reçois des messages de divers horizons.
Une expression a été citée plus avant, celle de l'intime conviction. Dans mon travail de rapporteure je serai objective bien que j'aie une intime conviction. Je tenais à préciser cette objectivité, qui constitue en elle-même un travail.
La réunion se termine à vingt-et-une heures trente. Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement
Présents. - Mme Sandra Boëlle, Mme Camille Galliard-Minier, M. Meyer Habib, M. Brahim Hammouche, Mme Florence Morlighem
Excusée. - Mme Constance Le Grip