Intervention de Dr Paul Bensussan

Réunion du mardi 23 novembre 2021 à 19h00
Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Dr Paul Bensussan, psychiatre :

Il était poursuivi par les démons. Je n'affirme pas qu'il n'y ait pas eu de préméditation, mais cela reste extrêmement improbable compte tenu de l'ensemble des données cliniques dont nous disposons. Personne ne peut affirmer qu'une pensée n'a pas eu lieu, car il s'agit d'une intention. A contrario, nous savons confronter un dossier, un examen, un interrogatoire et une analyse.

Ce qui le déchaîne, c'est ce qu'il croit être un exemplaire de la Torah et un chandelier. Peu importe qu'il ait vu ces objets, car il savait que Mme Halimi était juive. Je soutiens catégoriquement que l'acte est fou et antisémite. Sur les numéros d'immeuble 30 et 32, je me permettrai une digression. Dans le cadre d'une expertise, j'ai examiné un schizophrène, M. Yves-Éric Guenver, qui a tué sa psychiatre à Paris en 2012. Il adorait sa psychiatre. Il était en proie à une rechute persécutrice. Il a supplié sa psychiatre de le recevoir en urgence. Elle accepte et lui donne rendez-vous à midi un week-end. Elle vient le chercher en salle d'attente à 11 heures 57. L'homme m'explique qu'il s'agit de deux nombres premiers. C'est à ce moment qu'il l'a poignardée sauvagement. Il s'agit du crime immotivé du schizophrène ou du psychotique avec un acharnement inutile sur la victime, un déferlement de violence, un caractère absurde et imprévisible. Ce mélange de sauvagerie, d'absence de motivation et d'imprévisibilité caractérise un crime psychotique et lui confère son caractère effrayant.

Dans le dossier de M. Kobili Traoré, il est intéressant de savoir qu'il a été sous trithérapie neuroleptique, c'est-à-dire l'association de trois produits, pendant des mois. Or le délire ne cède pas. Il commence à critiquer son délire en juillet. Peut-être entendrez-vous les magistrats qui n'ont pas pu l'auditionner pour cette raison. L'UMD répondait négativement aux demandes d'audition en précisant que le patient n'était pas en état et demeurait trop délirant et dangereux, de sorte que l'interrogatoire de première comparution (IPC) aura lieu dans le cadre de l'UMD, plusieurs mois après les faits. Pourtant, par définition, un trouble psychotique bref (dénomination plus contemporaine de la bouffée délirante aiguë) ne peut pas excéder quatre semaines. Si les symptômes perdurent, le diagnostic change. Ces éléments sont précisés dans le Diagnostic and Statistical Manuel (DSM). Ce délai de quatre semaines sera largement dépassé puisque les Drs Roland Coutanceau, Jean-Charles Pascal et Julien-Daniel Guelfi, qui l'examineront quinze à seize mois après les faits, constateront que M. Kobili Traoré est toujours sous traitement antipsychotique. Les psychiatres le considèrent alors comme dangereux. Ils pensent que ses soins devront durer des années dans le cadre d'un UMD. Cela n'a pas de sens s'il s'agit d'une bouffée délirante.

Au moment des faits, on peut parler de bouffée délirante, car nous n'avons pas de visibilité sur la suite des événements. Le diagnostic, au moment des faits, est celui d'un trouble psychotique bref, la bouffée délirante aiguë, dont les Anciens disent qu'elle est sans conséquence sinon sans lendemain et qu'elle éclate comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Me Francis Spinner dira que M. Kobili Traoré ne présentait auparavant aucun symptôme. Cette affirmation est absurde d'un point de vue psychiatrique. La bouffée délirante aiguë existe, elle peut être unique. Dans la majorité des cas, il existe une évolution vers des troubles bipolaires ou de la schizophrénie, pour laquelle la bouffée délirante inaugurale est appelée classiquement un mode d'entrée. Les soignants font une fenêtre thérapeutique à visée diagnostique. En quelques jours, le délire reprend. M. Kobili Traoré se fera introduire du cannabis et délirera de nouveau.

Mes collègues et moi-même concluons à cette bouffée délirante. Il n'existe aucune divergence de diagnostic entre nous à ce stade. Ainsi, sept experts sur sept posent le même diagnostic. Le rôle déclencheur du cannabis représente un problème passionnant. Nous ne serions pas là si M. Kobili Traoré n'avait pas consommé de cannabis. La grande difficulté reste de savoir si ce rôle est direct, certain et exclusif. J'affirme qu'il est impossible de formuler une réponse à cette question. Cela reviendrait à nier les comorbidités, les vulnérabilités et à confondre facteur de risque, facteur précipitant et facteur causal. En épidémiologie, on ne parle pas de cause, mais de facteur de risque. La sœur de M. Kobili Traoré est une bipolaire parfaitement documentée.

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