Je vous remercie, M. le président, de me donner la parole. Je voudrais tout d'abord préciser les limites de mon intervention, le parcours judiciaire de ce dossier étant aujourd'hui terminé, dans le sens où il est passé sous les fourches caudines de la Cour de cassation. Le parcours juridique de ce dossier est aujourd'hui terminé. L'instruction ne fait plus l'objet du secret dont elle faisait l'objet lorsqu'elle était menée dans nos cabinets.
À titre liminaire, je dois rappeler que ce dossier a fait l'objet d'une cosaisine avec un autre magistrat du Tribunal de Paris, décidée dès l'origine par le premier vice-président chargé du pénal, compte tenu de la complexité de l'affaire.
À ce stade, il convient de préciser que les faits se sont déroulés dans la nuit du 4 avril 2017. Le dossier a été ouvert et les juges d'instructions désignés le 14 avril 2017, soit dix jours plus tard. Le dossier est arrivé sur mon bureau, alors que j'étais de permanence, dans des conditions « extraordinaires », sans déferrement, la personne mise en cause (M. Traoré) étant à l'hôpital. Le même jour, de mémoire, six autres personnes étaient déferrées, et sont passées en priorité. Je n'ai donc pris connaissance du dossier qu'en fin de journée.
Il convient également de rappeler l'office du juge d'instruction, qui doit être au-dessus des parties. Son rôle est d'instruire, non pas à décharge, mais à charge et à décharge. C'est une prescription légale que chaque juge respecte autant que faire se peut. Aussi, le juge d'instruction effectue tous les actes utiles, qu'ils soient de nature à démontrer la culpabilité ou l'innocence d'une personne. Pour ce faire, il dispose de tous les moyens d'investigation que lui confère le code de procédure pénale : interrogatoires, expertises et éventuellement reconstitutions.
Je sais que certaines parties se sont plaintes d'un certain retard apporté à l'enquête. Il n'en est rien, car dès le 15 avril 2017, les services de police ont été saisis d'une commission rogatoire en vue de poursuivre l'enquête, et dès le 18 avril 2017, les premiers témoins étaient entendus. Les avocats ne pouvaient en avoir connaissance, puisque cela ne peut être seulement porté au dossier que lorsque les investigations sont au moins en partie terminées Les investigations se sont poursuivies, étant précisé que notre saisine, qui limite notre champ d'action, portait, au 14 avril, sur les faits suivants : « homicide volontaire au préjudice de Mme Lucie Attal et séquestration avec absence de libération volontaire avant le septième jour depuis son appréhension au préjudice de la famille Diarra ».
Je précise le principe de la saisine : le juge d'instruction ne peut se saisir lui-même d'autres faits que ceux dont il est saisi. Par ailleurs, le réquisitoire introductif mentionnant le nom de M. Traoré, contre lequel il existait des indices graves et concordants d'avoir commis les faits susceptibles de lui être reprochés, la loi interdit aux policiers de l'interroger et c'est au juge d'instruction de procéder à son interrogatoire.
Nous avons donc fait toute diligence pour tenter d'auditionner M. Traoré, hospitalisé à l'Unité pour Maladies Difficiles (UMD) Henri Colin. La réponse médicale a été négative, M. Traoré n'étant pas visible. Nous n'avons eu l'autorisation d'entendre M. Traoré qu'au mois de juin. Compte tenu des délais prévus par la loi pour procéder à l'interrogatoire de première comparution, nous sommes parvenus à convenir d'une date avec l'hôpital, à savoir le 10 juillet 2017.
J'insiste sur un point : le seul devoir du juge d'instruction est d'appliquer la loi, émanation de la volonté nationale (Assemblée nationale et Sénat). Le juge d'instruction est limité par la censure éventuelle de la chambre de l'instruction qui peut être saisie par les parties – défense ou parties civiles – de recours contre les ordonnances qui sont prises. Ainsi, toutes les décisions susceptibles de recours qui ont été prises dans ce dossier ont fait l'objet d'un double examen par la chambre de l'instruction.
S'agissant de l'état mental de M. Traoré, il résulte de l'examen du dossier que lors de son interpellation, il a été placé en garde à vue et ses droits n'ont pu lui être notifiés. Les policiers, comme pour toute garde à vue, criminelle ou correctionnelle, ont fait appel à un médecin psychiatre pour l'examiner et vérifier que son état était compatible avec un placement en garde à vue. L'avis médical, prescrit par le code de procédure pénale, a été négatif, et le juge d'instruction ne peut y déroger. Aussi, M. Traoré n'a pas été interrogé en garde à vue parce que ce n'était pas possible.
Par conséquent, M. Traoré a été mis en examen le 10 juillet 2017, dans les termes de la saisine initiale.
Je tiens à préciser que, selon les articles 82 et 82-1 du code de procédure pénale, les demandes d'actes sont susceptibles d'être formées par les avocats des parties à tout moment de la procédure. Parmi ces demandes d'actes formées, certaines ont été accueillies, car allant dans le sens de la manifestation de la vérité ; d'autres demandes ne l'ont pas été. Pour exemple, une demande d'acte me demandait de lire le dossier, alors que lire le dossier est un préalable de bon sens.
La clôture de l'instruction est également régie par le code de procédure pénale. Elle intervient lorsque l'information apparaît terminée. Le dossier est communiqué au Parquet qui prend des réquisitions qui ne lient pas le juge d'instruction qui examine l'intégralité du dossier. Ensuite est prise la décision.
Le point central de ce dossier, depuis l'origine, est l'état mental de M. Traoré. Son audition était très difficile, voire impossible en début de parcours. C'est la raison pour laquelle, dès le 14 avril 2017, j'ai décidé de nommer un expert psychiatrique, obligatoire en matière criminelle, comme dans de nombreuses matières correctionnelles, compte tenu des derniers développements législatifs. La possibilité d'injonction de soins est en effet prévue dans le code de procédure pénale pour de multiples infractions.
J'ai par conséquent contacté des experts. Je précise que la recherche d'experts est souvent ardue, d'une part, parce qu'ils sont mal payés ; d'autre part, parce que ce dossier particulièrement difficile, demandant un investissement temporel chronophage, les experts n'étaient pas forcément disponibles.
J'ai pris attache avec le Dr Zagury. Compte tenu de la complexité du dossier, je lui ai demandé s'il souhaitait faire partie d'un collège, et il m'a répondu par la négative. En l'absence de ma collègue juge d'instruction, et compte tenu de la position d'internement de M. Traoré, j'ai donc nommé le Dr Zagury seul.
Le Dr Zagury a examiné M. Traoré et a demandé un complément d'expertise pour se faire communiquer les dossiers médicaux, qui ont été saisis par les services de police en les formes de droit. À la demande de Me Toby du cabinet Szpiner, nous avons ordonné un complément d'expertise visant à définir précisément la « bouffée délirante aiguë ».
M. Traoré restait hospitalisé — il l'est toujours, à ma connaissance — et son transport et ses auditions étaient très difficiles. La seconde audition a eu lieu en février 2018. L'hôpital souhaitait que l'on se déplace à nouveau pour l'auditionner. Cependant, compte tenu des conclusions du Dr Zagury, j'ai estimé préférable qu'il se déplace dans l'enceinte du Palais de justice. Il était accompagné pour cette audition de trois infirmiers psychiatriques et de l'escorte prévue dans le cadre du mandat de dépôt.
Nous avons procédé à une dernière audition en octobre 2018 dans les mêmes conditions. Il s'agissait de vérifier au préalable auprès de l'hôpital que M. Traoré était transportable et audible. Les conditions d'une audition au sein de l'instance judiciaire étaient extraordinaires. En vingt ans de carrière, je n'ai pas souvent entendu des mis en examen accompagnés d'infirmiers psychiatriques.
S'agissant de la reconstitution, l'opposition n'était pas une opposition de principe. La première question portait sur la possibilité d'organiser cette reconstitution, à laquelle M. Traoré pouvait participer. Nous avons demandé l'avis médical du Dr Zagury sur la compatibilité de l'état de santé du mis en examen avec une reconstitution. Il indique dans les conclusions de son expertise du 8 janvier 2018 (cote 1272 et suivantes): « En toute hypothèse, une telle épreuve comporte un risque de rechute délirante. Kobili Traoré devra donc être protégé du climat d'hostilité et être encadré par des soignants en nombre suffisant, car son état mental actuel demeure fragile, justifiant la poursuite du traitement en unité pour malades difficiles ». L'expertise pose la question : cela sera-t-il possible ?
Le diagnostic de la bouffée délirante aiguë étant posé par le Dr Zagury, se posait la question de la confirmation de cette possibilité de reconstitution et de comparaître devant une juridiction. Entre 2017 et 2018, l'amélioration de son état n'était pas suffisante pour envisager un parcours juridictionnel normal. Nous avons donc décidé de procéder à une nouvelle expertise – et non une contre-expertise – pour faire le point et confirmer le diagnostic du Dr Zagury, personne ne l'ayant jamais contesté.
J'ai donc contacté le Dr Bensussan, expert reconnu auprès de la Cour de cassation, qui a souhaité constituer un collège. Nous avons par conséquent procédé à la désignation d'un collège d'experts, après de multiples recherches. Le collège a rendu un rapport concluant à l'irresponsabilité pénale de Kobili Traoré. Dans ce cas, le code de procédure pénale prévoit qu'une autre expertise peut être ordonnée si les parties en font la demande. Les parties civiles ont fait la demande de cette expertise. Cette autre expertise a donc été ordonnée aussitôt et il a fallu mettre en place un autre collège. Les parties civiles ont exprimé le souhaite que soit désigné un expert supplémentaire, le Dr Prosper, qui dans un premier temps a accepté la mission, puis qui l'a refusée dans un second temps. J'en ai averti les parties.