Le 4 avril 2017, Mme Sarah Halimi était sauvagement assassinée, victime d'un meurtre antisémite atroce à son domicile à Paris. Aujourd'hui, comme tout au long de ces années, mes pensées vont d'abord vers elle, sa famille, ses proches, et devant vous je salue respectueusement et humblement sa mémoire.
J'étais ministre de l'intérieur depuis le 21 mars à l'époque des faits. Les interventions policières, comme les décisions de la chaîne hiérarchique, ont eu lieu sous ma responsabilité politique. J'ai moi-même suivi personnellement ce dossier. Il est donc normal que je réponde aux questions de votre commission d'enquête dans le cadre des pouvoirs de contrôle du Parlement auxquels je suis très attaché.
Certains faits et enchaînements que je rappellerai devant vous pourront paraître bien froids, face à l'émotion et à la tristesse qui nous étreint toutes et tous. Je me dois néanmoins de vous les indiquer puisqu'ils sont indispensables au travail de votre commission.
Le meurtre antisémite de Mme Halimi a suscité une vive émotion dans l'ensemble de notre pays, y compris, hier comme aujourd'hui, au sommet de l'État. Ce crime abject est intervenu dans un contexte où nos forces de l'ordre, que je salue, étaient déjà en première ligne face à la violence, au terrorisme et à la recrudescence importante et préoccupante de l'antisémitisme et de la haine depuis de trop longues années dans notre pays. Je rappelle en particulier la vague d'attentats meurtriers qui ont frappé la France, avant le meurtre de Mme Halimi comme après, et notamment l'attentat sur les Champs-Élysées qui a coûté la vie à Xavier Jugelé.
La veille du meurtre, j'avais fait procéder au renforcement de la sécurité dans les transports après l'attentat du même jour qui avait fait quatorze morts dans le métro de Saint-Pétersbourg. Trois jours après, le 7 avril, intervenait un attentat à Stockholm avec cinq morts. Voici le contexte, mais, malheureusement nous pourrions ajouter des dizaines de faits, et en particulier des crimes antisémites partout en France et ailleurs dans le monde.
Ainsi est la toile de fond dans laquelle travaillaient les équipes qui sont intervenues le soir du meurtre. Elles sont composées d'agents expérimentés, compétents, courageux et dévoués entièrement au service public de la sécurité. Comme tous leurs collègues policiers et gendarmes, ils travaillent, partout en France, sous une pression immense, en temps réel et dans un environnement dangereux. De l'instant où j'ai été informé de ce meurtre atroce, le jour même, jusqu'à mon départ du ministère de l'intérieur le 17 mai 2017, cette affaire a fait l'objet de mon suivi et de mon attention personnelle, et de celle de mon cabinet. Nous en avons parlé à l'époque, M. le président, lors d'une rencontre au ministère. J'ai régulièrement rendu compte, au sujet de ce crime, au Président de la République, François Hollande, et au premier ministre, Bernard Cazeneuve. L'un comme l'autre ont également suivi cette affaire de très près. Mon cabinet et moi avons suivi ce dossier en liens étroits avec la haute hiérarchie du ministère de l'intérieur, et en particulier, bien sûr, avec les deux préfets de police successifs, le préfet Cadot que vous avez auditionné, et le préfet Delpuech à compter du 19 avril. Je salue devant vous ces grands serviteurs de l'État et l'ensemble de la chaîne de commandement du ministère de l'intérieur, un grand ministère républicain.
J'ajoute que nous avons agi, durant ces travaux, dans le strict respect de la répartition des compétences entre le ministère de l'intérieur et le juge judiciaire, une enquête judiciaire ayant été immédiatement ouverte dans ce dossier. Avec les deux préfets de police successifs, nous avons demandé à connaître les modalités et le déroulé précis de l'intervention des forces de l'ordre. Nous avons retiré, de l'analyse de ce déroulé, la conviction partagée que les policiers étaient intervenus dans des délais habituels pour ce type d'intervention, et qu'ils avaient agi avec tout le discernement possible, au vu des informations dont ils disposaient, d'abord à leur arrivée sur les lieux, puis au fur et à mesure de leur intervention. Je tiens à formuler devant vous cette conviction sur le travail des policiers. Je le fais en conscience, avec une émotion immense, et tact évidemment, mais sans ambiguïté sur le fond de mon appréciation.
Il ressort des informations dont je dispose que le premier appel a été reçu par le 17 à quatre heures vingt-deux, et que la BAC 11, avec trois effectifs d'abord, est arrivée aux alentours de quatre heures vingt-cinq, suivie d'un deuxième équipage de la BAC 11 à quatre heures trente, également avec trois effectifs. Ce premier appel ne permet pas aux policiers de savoir que Mme Halimi sera la victime de M. Traoré, puisque l'appel concerne une supposée séquestration de la famille Diarra par le futur meurtrier. Cette concomitance de deux situations, la séquestration présumée de la famille Diarra et le meurtre monstrueux de Mme Halimi est, à mes yeux, l'un des points essentiels de ce drame. Pendant toute une partie de leur intervention, les policiers ne disposent pas des informations qui leur permettraient de savoir ce qu'il se passe dans l'appartement voisin. Toujours d'après les informations dont je dispose, l'appel par lequel les policiers apprennent qu'une femme est violemment frappée sur un balcon arrive, au 17, à quatre heures trente-neuf. Cet appel, selon les relevés téléphoniques, dure quatre minutes. Entre-temps, à quatre heures quarante et une, un appel, au 18, signale la chute d'une femme d'un balcon. J'ajoute que l'appartement de Mme Halimi, adjacent à celui de la famille Diarra, n'est pas sur le même palier et qu'il est accessible par une autre cage d'escalier.
À ma demande, le préfet de police a reçu les proches de Mme Halimi par respect pour sa mémoire et pour répondre personnellement à leurs questions. J'ai, moi-même, été en lien direct et constant avec les représentants de la communauté juive, que j'ai reçus au ministère de l'intérieur. Eux-mêmes, comme nous tous, étaient extrêmement choqués et attentifs à ce crime.
Enfin, avant mon départ de la place Beauvau, j'ai souhaité m'assurer que mon successeur au ministère de l'intérieur puisse disposer du plus haut degré d'information possible de la suite de la procédure, qui était, alors, judiciarisée. J'ai convié le préfet de police de bien vouloir écrire au procureur de la République pour lui demander, dans le respect des compétences de chacun, que lui soient communiquées toutes les informations disponibles. Cette demande a été adressée par le préfet de police le 12 mai 2017 pour que le ministre de l'intérieur puisse disposer des éléments les plus précis et les plus factuels possibles, relatifs à cette intervention, et pour qu'en soient tirés tous les enseignements et suites pertinents.
Je veux conclure en affirmant que le ministère de l'intérieur, hier comme aujourd'hui, accorde une attention particulière à la lutte contre l'antisémitisme et à la protection de la communauté juive. J'ai fait de même durant la courte, mais très difficile, période au cours de laquelle j'ai eu l'honneur d'être ministre de l'intérieur de notre pays. Je sais que mes successeurs ont agi et agissent avec le même souci, à savoir une attention spécifique prêtée aux cibles potentielles de la haine antisémite ; une adaptation des modalités de protection et d'intervention ; une protection des personnalités particulièrement exposées ; un travail étroit avec le service de protection de la communauté juive, qui accomplit un travail remarquable ; un travail de renseignement ; la fermeture de mosquées intégristes où se prêchent l'antisémitisme et la haine ; une problématique spécifique aux réseaux sociaux et l'expulsion de prêcheurs de haine. Ce sont là quelques-unes des facettes de ce travail au long cours, mais indispensable, tant il est insupportable que les Français juifs ne se sentent pas, et ne soient pas, en sécurité dans leur propre pays.
Rien ne permettra de faire revenir Mme Halimi à la vie, rien n'effacera son souvenir de nos mémoires. J'espère et je souhaite que le travail de votre commission permette de tirer tous les enseignements nécessaires. Je sais que là est votre objectif, non que cela supprimerait la tristesse, la douleur ou le deuil, c'est impossible, mais parce que nous le devons à la mémoire de Mme Halimi et que notre République s'honorera d'un tel travail.